Le nouveau gouverneur général a récupéré les vieux discours de sa prédécesseure (prédécessesse?). Il entonne la rengaine de Patrimoine Canada et se prétend lui aussi le successeur de Champlain.
Champlain a eu plusieurs titres mais pas celui de « gouverneur du Canada ». Le Dictionnaire biographique du Canada les énumère ainsi :
« lieutenant du lieutenant général Pierre DU Gua de Monts de 1608 à 1612, du lieutenant général Bourbon de Soissons en 1612, du vice-roi Bourbon de Condé de 1612 à 1620, du vice-roi de Montmorency de 1620 à 1625, du vice-roi de Ventadour de 1625 à 1627 ; commandant à Québec en 1627 et 1628, entre la démission de Ventadour et la création de la Compagnie des Cent-Associés ; « commandant en la Nouvelle-France en l’absence » du cardinal de Richelieu de 1629 à 1635 ».
Le Canada ne fait pas partie du vocabulaire administratif de son époque, ni de celui de Charles Huault de Montmagny qui, selon le même ouvrage, fut le premier gouverneur de la Nouvelle-France (de 1636 à 1648), et non du Canada.
Et même si Champlain avait été « gouverneur du Canada », la théorie soutenue par le gouverneur général aurait une autre faille encore plus grande car il n’y a évidemment aucune continuité entre les gouverneurs du régime français et ceux du régime anglais. Pour que le nouveau gouverneur général du Canada soit le successeur de Champlain, il faudrait que Murray soit le successeur de Vaudreuil, « dernier gouverneur général de la Nouvelle-France ». Or, avec le traité de Paris et la Proclamation royale (1763), la Nouvelle-France n’existe plus et James Murray (gouverneur du district de Québec pendant le régime militaire) ne gouverne que sur une « province of Québec » qui correspond en gros à la vallée du Saint-Laurent. Le Canada n’est toujours pas dans le vocabulaire administratif ; il y reviendra en 1791 quand la « province of Québec », agrandie avec l’Acte de Québec de 1774, sera divisée en deux colonies, le Haut et le Bas-Canada.
James Murray, représentant de la couronne britannique, serait probablement mort de rire s’il apprenait qu’il a succédé à un représentant de la couronne française. Il ne comprendrait surtout pas comment on peut gommer l’événement de sa vie, la Conquête de 1759-1760.
Car c’est de cela qu’il s’agit. Pour Patrimoine-Canada et Rideau Hall, le Canada de Cartier et celui de Harper sont interchangeables. Ils se fondent en un seul que le gouvernement fédéral fait renaître à volonté, selon les anniversaires, avec Cabot en 1497 pour les Canadiens anglais, avec Cartier en 1534 pour les Canadiens français, avec Du Gua de Monts en 1604 pour les Acadiens, avec Champlain en 1608 pour les Québécois, avec Wolfe en 1759 pour les anglophones, avec Durham en 1840 pour les Ontariens, avec Macdonald en 1867 pour les Canadiens et probablement un jour avec Trudeau en 1982.
2 réflexions au sujet de « Un autre prétendu successeur de Champlain »
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La Citadelle de Québec, agent de mémorisation.
Son site comme résidence du gouverneur général du Canada affirme toujours une fonction de gouvernance depuis la Nouvelle-France. A preuve, l’extrait suivant:
« Le gouverneur général : une tradition canadienne
La fonction de gouverneur général est la charge publique la plus élevée et la plus ancienne au Canada. Elle remonte au tout début de la Nouvelle-France. De nos jours, le gouverneur général représente la Couronne canadienne et exerce les responsabilités liées à la fonction de chef d’État du Canada. »
Comme façon de modeler la mémoire, qui ne tient compte des réalités historiques, cette attitude « canadienne » se perpétuera sans doute: elle est inscrite sur les murs
de la Résidence elle-même depuis son réaménagement dans les années 1980.
Tout ceci pour le confort des guides officiels de cette auguste maison !
Faudrait peut-être envoyer cette explication à Rideau Hall pour qu’enfin ils comprennent qu’on ne peut pas manier et remanier l’histoire à son compte!