(Extraits des notes préparées pour les lancements de Montréal et de Québec, les 26 et 28 octobre 2010)
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Le 14 décembre 2000, j’ai appris que l’Assemblée nationale avait adopté une motion contre Yves Michaud de la bouche d’un journaliste qui voulait savoir si c’était la première fois qu’une personne était ainsi blâmée par le Parlement. J’ai invoqué la nécessité de faire des vérifications pour ne pas répondre. Dans ma tête, la réponse était claire mais, si la Chambre jouait à l’unisson, je risquais fort de détonner (avec deux « n », comme en musique).
J’ai eu par la suite la réaction d’indignation que vous partagez probablement tous, en silence dans mon cas, mais aussi une déception de voir l’institution où j’ai fait presque toute ma carrière s’égarer de cette façon. D’un certain point de vue, l’Assemblée nationale a été utilisée par les appareils politiques et se trouve, elle aussi, victime.
Personne à l’Assemblée ne m’a demandé mon point de vue, ni avant ni après, et c’est normal. Le service que je dirigeais alors depuis 25 ans servait de mémoire au Parlement avec son personnel professionnel multidisciplinaire, ses ouvrages de références et ses ressources documentaires, autant de choses inutiles quand le débat est essentiellement politique [partisan] et qu’on ne veut pas analyser le fond de la question.
Je me suis donc contenté de prendre des notes et de suivre le dossier pendant mes dernières années de travail et encore après ma retraite. Quand j’ai confié à Denis Vaugeois que je songeais à faire un texte pour le dixième anniversaire, il a jugé que cette histoire méritait davantage et m’a mis en contact avec monsieur Michaud, que je connaissais évidemment de réputation, mais que je n’avais jamais rencontré. Dix ans après les événements, je ne crois pas nécessaire de m’imposer davantage de réserve. De toute manière, je n’ai pas été impliqué dans ce dossier. Toute ma documentation est du domaine public, hormis deux ou trois documents de monsieur Michaud. Je ne peux rien dévoiler de ce que j’aurais appris dans le cadre de mes fonctions puisqu’on m’a refusé l’accès aux documents que j’ai souhaité consulter!
Le sous-titre de l’ouvrage fait réagir. J’aurais pu écrire « lynchage », mais Michel David l’avait fait. Je me suis plutôt inspiré d’un juge de la Cour d’appel pour créer une sorte de néologisme, « exécution parlementaire », tout en souhaitant qu’il ne soit jamais réutilisé.
J’imagine que vous connaissez ce commentaire du juge Baudouin. Tout en endossant les motifs exposés par sa collègue pour débouter monsieur Michaud, ce juge a souligné l’étrange paradoxe d’un Droit qui permet « qu’un individu soit condamné pour ses idées […], sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires ».
Je voulais initialement m’en tenir à la forme. Nous connaissons tous cet adage : « le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme », mais est-ce le rôle du Parlement de sanctionner les opinions des citoyens ? La liberté de parole qui a été accordée aux parlementaires en 1689 pour les protéger du souverain peut-elle devenir une arme offensive ?
Y a-t-il des précédents ? Les leaders parlementaires en ont avancé deux à l’époque mais les avocats de l’Assemblée n’en ont pas cité dans leurs mémoires aux tribunaux. Une vérification dans les procès-verbaux leur a peut-être appris, par exemple qu’il n’y a pas eu de motion contre André Pratte en mars 1997, comme on l’a soutenu à l’époque, et comme monsieur Michaud lui-même l’a cru jusqu’à cette année.
Autre question sur la forme : la motion du 14 décembre constituait-elle un exercice de surveillance des activités gouvernementales, comme on l’a soutenu dans le jugement de première instance ? Pour cela, il faudrait que les ministres soient responsables des propos tenus par les citoyens devant un organisme consultatif, une commission d’enquête ou des États généraux. La responsabilité ministérielle ne s’étend évidemment pas jusque-là, pour la simple raison que les citoyens qui sont consultés n’agissent pas au nom du gouvernement.
J’ai été amené à me pencher sur le fond quand j’ai réalisé en cours de recherche que « la parole de monsieur Michaud [avait] été déformée de façon incroyable ». Ce ne sont pas mes propos, mais ceux de Robert Libman lui-même, cité par le journal Voir en mars 2001.
Je vous laisse découvrir à quel point Yves Michaud a été cité hors contexte, ce qui n’est vraiment pas un cliché dans son cas. La transcription de son entrevue avec Paul Arcand, qui a circulé à partir du 12 décembre, est incomplète : on aurait mieux compris, et interprété, la réponse de monsieur Michaud si la question de Paul Arcand avait aussi été reproduite.
Cet ouvrage ne videra pas le sujet. Il laisse ouvertes plusieurs questions : qui a eu l’idée d’une motion ? qui l’a rédigée ? où et quand ? Pour y répondre, il aurait fallu mener des entrevues avec de nombreuses personnes, confronter leurs points de vue, départager le vrai du… reste. J’ai beaucoup d’admiration pour les auteurs comme Pierre Duchesne et Pierre Godin qui ont produit de monumentales biographies avec d’innombrables entrevues ; ce sont des méthodes que je respecte mais avec lesquelles je ne suis pas à l’aise. Depuis que ce livre est annoncé, les quelques bribes d’information qui me sont parvenues au sujet de la conception de la motion sont contradictoires. Ça commence mal. Mon livre pourrait toutefois amener des confidences. S’il s’en dégage des conclusions intéressantes, j’en profiterai pour la deuxième édition.
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