Blues du blogueur

 « Qu’heureux est le mortel qui, du monde ignoré,

Vit content de soi même en un coin retiré,

Que l’amour de ce rien qu’on nomme renommée

N’a jamais enivré d’une vaine fumée,

Qui de sa liberté forme tout son plaisir

Et ne rend qu’à lui seul compte de son loisir.

Il n’a point à souffrir d’affronts ni d’injustices

Et du peuple inconstant il brave les caprices.

Mais, nous autres, faiseurs de livres et d’écrits,

Sur les bords du Permesse[1] aux louanges nourris,

Nous ne saurions briser nos fers et nos entraves,

Du lecteur dédaigneux honorables esclaves.

Du rang où notre esprit une fois s’est fait voir,

Sans un fâcheux éclat, nous ne saurions déchoir.

Le public enrichi du tribut de nos veilles

Croit qu’on doit ajouter merveilles sur merveilles.

Au comble parvenus, il veut que nous croissions,

Il veut en vieillissant que nous rajeunissions. »

Boileau, Épitre VI, 1667

 


[1] Rivière qui arrose la demeure des Muses.