Mauvais printemps pour le Parlement

Traditionnellement, le lieutenant-gouverneur venait chaque année, en personne, procéder à l’ouverture de la session, avec « son » discours du trône, et revenait la fermeture quelques mois plus tard. Puis, on a de plus en plus prorogé la session par proclamation, sans déranger Son Excellence. À partir des années 1980, les sessions se sont souvent allongées sur deux ans, ce qui a réduit ses apparitions. Et voilà que nous venons de marquer une autre étape : pour la première fois de l’histoire parlementaire, une législature « normale » de quatre ans n’a tenu qu’une seule session. On n’a pas revu le vice-roi depuis l’ouverture de la session en 2014, ce qui a privé les simples députés de leurs vingt minutes de gloire qui consiste à participer au débat sur le message inaugural.

La session actuelle (car elle n’est qu’ajournée au 18 septembre, en principe) sera la plus longue de tous les temps, mais il est justement temps qu’elle finisse, car le Parlement ne cessait d’y laisser des plumes. Ramassons-en quelques-unes.

Seul Le Devoir a fait état d’un autre abus du pouvoir réglementaire que les lois accordent à l’exécutif. En juin 2017, le Parlement a adopté un projet qui visait à stopper la destruction des milieux humides en appliquant le principe « d’aucune perte » ; en vertu de cette loi, les promoteurs qui portent atteinte à des milieux humides doivent verser une compensation financière dans un fonds de restauration. Or, en mai dernier, le ministère du Développement durable a adopté un règlement qui réduit substantiellement les compensations financières exigées, « ce qui est en porte à faux avec la volonté d’aucune perte », selon une analyse d’impact réalisée par le ministère lui-même. En d’autres mots, le gouvernement a contredit, par décret, l’esprit même de la loi 132. Dans l’indifférence générale.

Plus remarqué, mais quand même pas pour qu’on se batte dans les autobus : dans une décision rendue par la présidence le mardi 12 juin, la ministre Kathleen Weil a été reconnue coupable d’outrage au Parlement pour avoir divulgué le contenu du projet de loi sur l’accès à l’information à des journalistes avant même qu’il ne soit déposé en Chambre.

La situation ne manquait pas d’ironie, comme l’a souligné Michel David : « Une ministre responsable des Institutions démocratiques qui est blâmée pour outrage au Parlement, c’est un comble » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530496/le-bulletin-ministeriel).

Ce n’est pas la première fois que les députés d’opposition portent plainte pour outrage mais on ne se souvient plus de la dernière fois où un membre du gouvernement a été blâmé. Le leader de l’opposition officielle a soulevé la question le 17 mai, mais le président (qui avait d’autres préoccupations…) a pris quatre semaines pour rendre sa décision. Il fallait ensuite que la Commission de l’Assemblée nationale (CAN) siège pour décider s’il y aurait une sanction qui aurait pu aller jusqu’à la perte du siège. Manque de pot, la Commission a manqué de temps pour compléter le processus. De toute manière, la CAN a une majorité libérale. Donc…

Parlant de la majorité, elle s’est manifestée avec force dans le dossier du député de Brôme-Missisquoi qui a été blâmé par la nouvelle Commissaire à l’éthique pour avoir favorisé sa fille et son gendre avec son allocation de logement. Là aussi, il fallait que la décision soit entérinée par les députés et les libéraux se sont rangés derrière leur doyen. Pour ne pas « créer d’injustice », d’après le premier ministre… Selon le leader du gouvernement, dont les raisonnements créatifs nous manqueront sûrement, il n’était « pas question par ce geste de désavouer Me Ariane Mignolet ou son institution », mais il a quand même demandé une opinion juridique externe pour essayer de la contredire, influencer l’opinion publique et, surtout, son caucus.

« Le premier commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale était un chien de garde qui ne mordait pas, a écrit Rémi Nadeau. Sa successeure a mordu dès la première occasion, mais le gouvernement libéral a choisi de lui arracher les dents… » (http://www.journaldequebec.com/2018/06/20/coucouche-panier). Convenons pas ailleurs  que la Commissaire s’est un peu tiré dans le pied en blâmant le député tout en écrivant que les règles devaient être revues.

Même le président de l’Assemblée nationale a terminé la session, sa présidence et sa carrière parlementaire avec des plumes en moins. Michel David a tout dit, en quelques mots, dans son bulletin de fin de session : « Pendant des années, on a loué le travail de Jacques Chagnon (Westmount–Saint-Louis) à la présidence de l’Assemblée nationale. Tout s’est écroulé au moment où il s’apprêtait à prendre sa retraite. Ses efforts pour améliorer l’image de l’institution parlementaire ont été anéantis par les révélations sur le train de vie princier qu’il menait aux frais des contribuables et son étonnement offusqué face aux réactions qu’elles ont provoquées » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530635/bulletin-de-l-opposition)..

À ce palmarès navrant, il faut ajouter que le Parlement a terminé la session avec un « salon de bronzage » bondé (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2018/05/22/un-salon-de-bronzage-achalande/). C’est rarement bon signe quand cette « arrière-boutique » de la salle des séances fait son plein de membres exclus des caucus pour des motifs souvent peu glorieux. La semaine dernière, on y retrouvait les cas symptomatiques d’un Parlement mûr pour un renouvellement : problèmes d’éthique, problèmes de conduite et autres…

À la prorogation, probablement en août, on nettoiera l’ardoise et, à l’ouverture, on recommencera à neuf, en principe, en souhaitant, là comme ailleurs, du changement.