Dans la biographie qu’il consacre à Guy Rocher, Pierre Duchesne cite Antoine Rivard qui « a déclaré » en 1942 : « L’instruction? Pas trop! Nos ancêtres nous ont légué un héritage de pauvreté et d’ignorance, et ce serait une trahison que d’instruire les nôtres » (p. 204). Dans une note, le biographe se garde quand même « une petite gêne » en mentionnant que c’est une citation « attribuée à Rivard » et qu’il l’a puisée dans le tome 2 des Apostasies de Jean-Louis Gagnon (La Presse, 1986, p. 33); Rivard était alors « conférencier invité du Kiwanis-Saint-Laurent de Montréal ».
Séparatiste de droite converti au fédéralisme, Gagnon était un militant libéral de premier plan sous Duplessis; il sera plus tard chargé d’enterrer la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme après la mort d’André Laurendeau. Il est prudent de passer au peigne fin tout ce qu’il écrit sur l’Union nationale…
En 1942, Rivard n’était qu’avocat et professeur de droit. Candidat de l’Union nationale défait en 1944, il devient député unioniste et ministre d’État en 1948, puis solliciteur général dans le cabinet Duplessis de 1950 à 1959.
Dans cette conférence, Rivard réagissait à une conférence du T.-D. Bouchard, un autre pourfendeur de Duplessis, qui préconisait l’enseignement bilingue dès le primaire. Bouchard ne manqua pas de réagir longuement dans son journal Le Clairon dès le 23 janvier et il ne fait pas mention de ce passage; le reportage de La Presse non plus.
L’outil n’est pas infaillible, mais, en consultant les journaux des années suivantes avec le moteur de recherche de la Bibliothèque nationale, on peut entrevoir comment les libéraux ont cultivé une légende à mesure que la carrière de Rivard progressait.
On trouve des occurrences dans Le Clairon de Saint-Hyacinthe, propriété de Bouchard. Le 8 novembre 1946, Godbout cite cette phrase que « l’un des conseillers de M. Duplessis » aurait dite « il y a quelques années » : Un mois plus tard (13 décembre), ce serait plutôt « récemment ».
En 1950, Lapalme rallonge la citation : « Nos aïeux avaient à choisir entre la richesse, l’abandon de leur langue, de leur foi et, d’autre part, la pauvreté, l’ignorance et le labeur. C’est la résistance à l’assimilation qu’ils ont choisie. Notre vocation n’a pas changé. L’instruction? Pas trop! Nos ancêtres nous ont légué un héritage de pauvreté et d’ignorance, et ce serait une trahison que d’instruire les nôtres » (Le Clairon, 10 novembre 1950).
L’année suivante, d’autres journaux libéraux (L’Avenir du Nord, 22 juin, L’autorité, 14 juillet, Le Canada, 23 juillet) reprennent le même texte et y ajoutent la « source », soit la conférence de 1942.
Le meilleur est toutefois Henri-A. Dutil, qui vient d’entreprendre sa grande carrière d’apparatchik libéral. Dans Le Clairon du 8 mai 1953, c’est avec un front de bœuf qu’il reprend la version de Lapalme et insiste pour dire qu’il donne la citation « au complet » car « souvent des phrases détachées du contexte peuvent changer de sens »…
Or, la conférence de 1942, le 21 janvier précisément, a été radiodiffusée, enregistrée, publiée intégralement dans le Devoir du même jour (http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2804539) et reproduite en brochure par L’œuvre des tracts sous le titre Nous maintiendrons en mars 1942. Il n’est pas compliqué de vérifier si cette citation s’y trouve et ce qu’on attribue à Rivard en matière d’éducation ne s’y trouve pas.
Qui a dit que les plus belles citations célèbres sont celles qui n’ont jamais été prononcées?
C’est vraiment un bel exemple que la prudence s’impose toujours. Mais il fallait un « ancien directeur de la recherche » pour d’abord semer le doute puis nous mettre en présence d’une source passablement fiable.