L’histoire des Franco-américains, par un des leurs

Mon attention a été attirée par un commentaire inscrit sur la page que Baraka Books consacre au livre de David Vermette, A Distinct Alien Race: The Untold Story of Franco-Americans : « the best synthesis of Franco-American history written to date » (https://www.barakabooks.com/catalogue/a-distinct-alien-race/).

La meilleure synthèse de tous les temps?  Ayant édité Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre au Septentrion en 2000 (https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/franco-americains-de-la-nouvelle-angleterre-les), je me suis permis un certain scepticisme, tout en sachant que l’auteure du commentaire connaissait bien l’œuvre d’Yves Roby et l’avait évidemment prise en considération.

Vermette

Yves Roby a traité, d’un point de vue québécois, l’histoire des quelque 900 000 Canadiens français partis aux États-Unis entre 1840 et 1930. Il a étudié les circonstances de leur départ et leur intégration dans la société américaine, où la plupart d’entre eux ont perdu leur langue, au grand dam des leaders de leur communauté. Son étude, qui s’arrête en 1976, décrit « les représentations que ces Québécois émigrés en Nouvelle-Angleterre et leur descendance se font d’eux-mêmes ».

L’ouvrage de David Vermette aborde l’histoire des Franco-américains de manière différente. Il part à la recherche de ses ancêtres en débutant, non pas au Québec, mais dans les filatures de la Nouvelle-Angleterre. Sa démarche personnelle commence en fait dans le cimetière de Biddeford, quand sa mère répond « English » au prêtre, un peu déçu, qui lui demande dans quelle langue il doit prononcer les prières rituelles pour l’inhumation de son mari. Dans ce cimetière, où il voit de nombreuses stèles portant des noms français, Vermette se demande comment tous ces gens sont arrivés là, un phénomène qui est sorti de la mémoire de son entourage. Tout en abordant le sujet de manière générale, il prend comme cas-type la ville de Brunswick où ses ancêtres ont vécu au XIXsiècle.

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Vermette remonte dans l’histoire des filatures bien avant l’arrivée des Canadiens en Nouvelle-Angleterre et consacre plusieurs pages de sa première partie (From Ships’ Captains to Captains of Industry) à ceux qui ont investi dans cette industrie (dont les Cabot) comme solution de rechange à leurs premières entreprises, soit le commerce des esclaves avec l’Afrique et de l’opium avec la Chine…

Dans la deuxième partie (The Other Side of the Cotton), Vermette montre comment les Canadiens sont en quelque sorte venus à la rescousse de l’industrie du coton qui manquait de main-d’œuvre. Il explique dans quel contexte le mouvement migratoire s’est déroulé et quelles étaient les conditions de vie dans les « French quarters » ou « Petits Canadas », particulièrement dans les logements surpeuplés et insalubres où ses ancêtres (et quelques-uns des miens) ont vécu à Brunswick.

La troisième partie (The Reception of Franco-Americans) expose comment les Canadiens ont été reçus. Les protestants ont tenté de les convertir, le Klu Klux Klan les avait à l’œil, les eugénistes voulaient réduire leur nombre, un leader ouvrier les a qualifiés de « Chinese of the Eastern States » et un journal a fourni un titre pour l’ouvrage en écrivant en 1889 : « The French number more than a million in the United States…. They are kept a distinct alien race, subject to the Pope in matters of religion and of politics. Soon… they will govern you, Americans ». En réalité, les « Français » n’ont jamais constitué un danger. Les filatures ont décliné et les Franco-américains ont délaissé les « Petits Canadas » afin d’avoir accès à l’éducation supérieure et à de meilleurs emplois. Ce faisant, ils se sont progressivement assimilés et ont majoritairement perdu leur langue.

Est-ce une tragédie? Vermette aborde la question dans sa quatrième partie (Tenacity and Modernity). Il ne s’attarde pas, comme Yves Roby,  aux débats internes qui ont divisé la communauté franco-américaine pendant des décennies; pour lui, une culture franco-américaine a survécu, même si peu de Franco-américains parlent encore français.

Vermette-Dubé, Aubert + J. Saint-Pierre bet Marie

Aubert Dubé et Joséphine Saint-Pierre avec leur fille Marie (ma grand-mère) née à Brunswick en 1892

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Dans une assemblée d’artistes et d’écrivains tenue à l’Université du Maine en 2016, David Vermette avait un peu dérangé l’assistance en plaidant que les « Franco-Americans, a people so marginalized that they’re virtually invisible, need to find their voice », « should speak for themselves ». Ce n’était pourtant qu’une évidence.

Avec A Distinct Alien Race, il s’est exprimé brillamment. Son livre mérite les plus vives recommandations, tant pour le fond que pour la forme. C’est un ouvrage très sérieux, mais accessible, dépourvu de jargon et de développements méthodologiques superflus, mais par ailleurs marqué au coin d’une certaine émotion parce que l’auteur raconte finalement l’histoire de sa famille.

Une meilleure synthèse que celle de Roby sur les Franco-américains? Ce sont des approches différentes. S’il y avait une recommandation à faire aujourd’hui, ce serait de lire Vermette, …mais Roby reste utile pour approfondir certains thèmes.

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Vermette, David, A Distinct Alien Race: The Untold Story of Franco-Americans. Industrialization, Immigration, Religious Strife, Montréal, Baraka Books, 2018, 388 p.

 

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