La chasse aux symboles «religieux»: attention de ne pas se tirer dans le pied!

Le Journal de Québec a publié un texte sur les quatre symboles qui dérangent la députée de Marie-Victorin; cette dernière « demande le retrait de symboles religieux et monarchiques, ce que déplorent des historiens » (https://www.journaldequebec.com/2019/04/14/4-symboles-qui-derangent-fournier). Je suis un des deux historiens mentionnés, mais je ne sais pas exactement qu’est-ce qu’on me fait déplorer.

Je suis pour le retrait du symbole religieux que constitue le crucifix et pour l’abolition de la monarchie (dont il faudra endurer les symboles et les représentants encore longtemps), mais je déplore surtout qu’on mélange les deux.

Ces jours-ci, on parle de laïcité et de symboles RELIGIEUX : le lieutenant-gouverneur, le serment, la masse et le fauteuil du président réfèrent à un autre débat, la monarchie, qu’on pourrait peut-être remettre à l’automne…

De quoi Madame Fournier parle-t-elle quand elle demande « que soit évalué le retrait de certaines « croix anglicanes » au Salon bleu »?

Armoiries RU salon bleu

Le fauteuil du président est adossé à une structure qui porte les armoiries du Royaume-Uni (qui sont là pour rappeler que le chef de cet État est aussi le nôtre) surmontées d’une couronne elle-même surmontée d’une croix. Le même type de croix se retrouve sur la couronne qui fait partie des armoiries québécoises sculptées sur le fauteuil du président et la masse, qui symbolise l’autorité de ce dernier, comprend aussi une couronne surmontée d’une croix.

Masse

Ces trois croix sont du même genre : leurs bras s’élargissent du centre à la périphérie, ce qui leur donne l’allure de pattes, d’où le nom de « croix pattée ». On en trouvait beaucoup au Moyen-âge, soit bien avant la formation de l’église anglicane. Les chevaliers teutoniques et les templiers arboraient une croix pattée. La croix dite « de Cantorbury », une broche saxonne datant de 850 environ, a été découverte en 1867. On ne s’étonnera donc pas de retrouver des croix pattées sur la couronne que le roi Édouard a porté au XIe siècle. Précisons que c’était un catholique qui a d’ailleurs été canonisé en 1161. Sa couronne a été perdue puis reconstituée; elle a servi au couronnement de certains souverains anglais. Elle est aussi décorée de fleurs de lis.

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S’agit-il pour autant de croix « anglicanes» ? Ce n’est pas évident, mais admettons-le pour les fins de la discussion. La présence de cet ornement fait-elle des trois couronnes des symboles religieux? Certes pas, pas plus que les armoiries du Québec sont anglaises ou françaises à cause du lion ou des fleurs de lis qu’on y trouve.

Si ces couronnes sont jugées « religieuses » et dérangent les parlementaires, on peut toujours envisager de les enlever, retirer la masse, changer de fauteuil, voire enlever la structure à laquelle est adossée ce dernier et, une fois partis, masquer la croix de Cartier et les martyrs qui sont au plafond, décrocher les anges flottants qui ornent les tribunes… Des travaux s’annoncent dans le Salon bleu : pourquoi ne pas en profiter pour tout mettre ça blanc? C’est à la mode dans les édifices publics.

Je blague, mais, plus sérieusement, cette chasse aux symboles « religieux », menée dans le seul but de mettre en contradiction les partisans du retrait du crucifix, risque de causer des dommages collatéraux et se retourner contre ses adeptes. En effet, madame Fournier a oublié une croix, celle que porte le drapeau du Québec. Dans sa logique, le fleurdelisé devient « religieux » et elle donne une prise à ceux et celles que le plus important symbole d’identité québécoise dérange. Déjà que les fleurs de lis ont été associées à Marine Le Pen dans une reportage de sa collègue de Bourassa-Sauvé (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2018/08/22/un-mauvais-souvenir-de-1998/) ! Faudrait pas nourrir ce courant.