Yves Roby, historien (1939-2019)

La communauté historienne de Québec a perdu l’un de ses plus admirables membres et le Septentrion, l’un de ses plus prestigieux auteurs.

Monsieur Yves Roby est décédé à l’Hôpital général du Lakeshore, le 7 août 2019. Il avait voulu se rapprocher de sa famille, à Montréal, il y a quelques années, après avoir passé presque toute sa vie à Québec.

Roby photo Septentrion

Né à L’Ancienne-Lorette en 1939, Yves Roby a étudié à l’Université Laval, à la Sorbonne et à l’Université de Rochester (NY). Il a ensuite enseigné à l’Université Laval où je l’ai connu en 1969.

Nous avions une chose en commun : il a fait sa première thèse et moi, ma seule, sur le mouvement coopératif, un secteur peu fréquenté par les historiens. Pendant son cours sur les États-Unis, il nous avait expliqué pourquoi il considérait Alphonse Desjardins (le sujet de sa thèse de licence publiée en 1964) comme un véritable héros, ce qui nous en disait beaucoup, en quelques mots, sur ses valeurs.

Mais là s’arrêtent les comparaisons! Yves Roby a ensuite mené une carrière qui l’a placé parmi les historiens québécois les plus remarquables. Dans le livre-hommage qui lui a été consacré en 2002, Jacques Mathieu écrivait que son collègue Roby correspondait tout à fait

« à l’image de l’universitaire complet qu’il est, à un idéal qu’il a poursuivi avec ténacité et conviction. Sa carrière en témoigne de maintes façons. Elle propose en quelque sorte un modèle global, constitué par ses fonctions d’enseignement, de recherche et d’administration. Au plan scientifique, elle couvre complètement les aspects de la production, de la transmission et de la diffusion du savoir. Elle se caractérise par un constant renouvellement des problématiques et par l’éveil à de nouvelles réalités. Elle pose dans une sereine intensité le débat sur la nature et la place de l’histoire, ainsi que sur le rôle de l’historien dans la société. »

Les premiers ouvrages du professeur Roby portaient sur l’histoire économique. Son Histoire économique du Québec, 1851-1896, écrite avec Jean Hamelin, a obtenu le prix du Gouverneur général (à une époque où on considérait davantage les essais avec des chiffres et des tableaux…). Il s’est consacré ensuite à l’histoire des Franco-américains et j’ai eu le privilège d’éditer ses deux premiers ouvrages sur ce sujet au Septentrion: Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre : 1776-1930, en 1990, et, surtout, son œuvre majeure, Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre. Rêves et réalités en 2000.

Roby-livre

Éditer Roby était sans histoires… L’auteur était affable, modeste, discret; son manuscrit parlait pour lui : soigné, méthodique, déjà révisé pour l’essentiel, un charme pour l’éditeur. On savait de plus que l’ouvrage deviendrait un classique. Pour le jury du prix Champlain (son deuxième), « ce livre qui met le sceau à sa réputation d’historien pourrait s’avérer l’histoire définitive des Franco-américains de la Nouvelle-Angleterre. »

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Avec Yves Roby et son Rêve brisé? au Salon du livre de Québec en 2007

J’étais sorti attristé de la lecture de cet ouvrage et perplexe sur l’avenir linguistique de certaines autres communautés francophones nord-américaines : le rêve d’une société francophone vigoureuse et dynamique aux États-Unis s’était heurté aux réalités de la vie. Dans un ouvrage subséquent, Histoire d’un rêve brisé? Les Canadiens français aux États-Unis (Septentrion, 2007), Yves Roby a présenté autrement le destin des Franco-américains : pour les émigrants canadiens-français qui avaient voulu améliorer leur sort et celui de leurs enfants, ce n’était pas un d’échec. Cette « autre lecture » illustre une facette de l’œuvre d’Yves Roby : comme le soulignait Martin Paquet dans son éloge publié par Le Devoir ce matin,

« […] l’historien n’impose pas ses valeurs et son esprit de système à ceux et celles qui ont vécu et qui ne peuvent plus répondre devant le tribunal de l’actuel. Parmi cette poussière d’information déposée dans les traces des devanciers, l’historien cherche d’abord à débusquer l’humanité de ses frères et sœurs défunts, leurs intentions et leurs rêves, leurs défis et leurs défaites, leurs accomplissements et leurs inachèvements ».

J’aurais aimé connaître l’opinion d’Yves Roby sur le récent livre de David Vermette (A Distinct Alien Race, 2018), un « Américain d’origine canadienne-française » qui présente justement l’histoire de ses compatriotes sous cet angle positif. Le temps a manqué. Avec quatre autres anciens de la cohorte 1968-1971 réunis pour un dîner à la fin de juillet, j’ai tenté une visite à l‘improviste à son chalet de Deschambault, paroisse natale de son épouse Francine (avec qui il a fait une belle monographie en 2013). Une voisine nous a dit qu’il n’était pas encore venu cette année et on ne savait pas encore qu’il n’y reviendra que pour y reposer en paix, sur le même majestueux promontoire, à quelque cent cinquante mètres de sa résidence estivale.

À Francine et à sa famille, mes plus sincères condoléances et celles de l’équipe du Septentrion.

Une réflexion au sujet de « Yves Roby, historien (1939-2019) »

  1. « J’aurais aimé connaître l’opinion d’Yves Roby sur le récent livre de David Vermette (A Distinct Alien Race, 2018), un « Américain d’origine canadienne-française » qui présente justement l’histoire de ses compatriotes sous cet angle positif. »

    Moi aussi.

    David Vermette

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