Jules Brillant, le magnat de Rimouski

Jules-A. Brillant, Bâtisseur d’empires, par Paul Larocque et Richard Saindon, est à la fois la biographie du plus grand capitaliste du Bas-Saint-Laurent au XXe siècle et un regard éclairant sur l’histoire de cette région. Brillant en menait tellement large, et il s’était fait le défenseur de sa région natale comme peu d’hommes d’affaires l’on fait dans notre histoire.
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Issu d’un milieu modeste, frappé jeune par la tuberculose, Brillant se destinait à une modeste carrière d’employé de banque quand le curé d’Amqui le recrute pour gérer une petite compagnie d’électricité dont il prendra vite le contrôle, sans savoir qu’elle deviendra la pierre angulaire d’un empire.

Brillant fonde ensuite la « Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent », puis une compagnie de téléphone (qui deviendra Québec-Téléphone), des entreprises de transport maritime, ferroviaire et aérien (Québecair), des postes de radio (CJBR) et de télévision (CJBR-TV), une compagnie de construction (qui construit des lignes de transport d’électricité et de téléphone), des magasins (qui vendent des appareils électriques) et quoi encore? Il acquiert des journaux régionaux, devient président de la Banque provinciale…

La politique étant pour lui « avant tout une affaire qui doit rapporter comme toute bonne entreprise », Brillant cultive les liens avec les politiciens et devient l’homme-clé du Parti libéral dans le Bas-Saint-Laurent et même la Gaspésie. Il n’ira pas jusqu’à se présenter lui-même mais se laissera nommer au Conseil législatif, ce qui était moins exigeant. Son influence est déterminante dans le choix des candidats libéraux et de ceux qui vont bénéficier des bienfaits du pouvoir. Car il faut se boucher un peu le nez : l’homme appartient à une époque où le patronage est une activité « normale » et il sait sur quelles cordes il faut jouer. Il sait comment dire à un ministre fédéral qu’il faudrait peut-être favoriser telle ou telle entreprise de la région pour s’assurer que les militants sauront pour qui voter dans l’élection qui s’en vient… Il ne faut pas trop se formaliser non plus si l’homme d’affaires ne s’embarrasse pas des conflits d’intérêts ou s’il paie la traite aux politiciens dans ses camps de pêche, dont le luxueux camp de Natashquan qu’il partage avec un Simard de Sorel et l’entrepreneur Dufresne de Montréal.

Par ailleurs, l’homme est généreux, de diverses façons. Il est notamment à l’origine de l’École technique et de l’École de marine de Rimouski, ce qui le sert bien, car on y forme des jeunes qui deviendront ses employés. Il aidera aussi plusieurs personnes à poursuivre des études supérieures.

L’ouvrage aurait pu s’appeler « Grandeur et décadence du magnat de Rimouski ». Pour plusieurs raisons, l’empire Brillant s’est dissout. Au début des années soixante, la « Compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent » a des tarifs d’électricité prohibitifs mais manque de « pouvoirs d’eau » pour alimenter sa clientèle : elle est nationalisée, ce qui procure à la famille un généreux magot. Québec-Téléphone manque de ressources pour se développer de façon concurrentielle : elle passe aux Américains contre d’autres beaux dollars. Le Conseil législatif est aboli et Brillant reçoit une généreuse pension. Et ainsi de suite, Québecair, CJBR… Tout s’écroule. Les fils n’ont pas le talent du père. Carol meurt relativement jeune, Aubert fait faillite, Jacques* échoue avec son projet de quotidien à Montréal. Les enfants de Brillant doivent se contenter des revenus de placements et de philanthropie.

Cette biographie est le produit d’une équipe formée d’un universitaire chevronné et d’un historien qui a une longue expérience de l’écriture journalistique. Les auteurs nous lèguent un ouvrage remarquablement documenté, écrit pour un large public et , je dirais même, passionnant, même si la fin est triste.

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* Sur Jacques Brillant, voir https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2016/11/17/soeur-jeanne-de-labbaye-une-satire-du-gouvernement-lesage/