Hypnotisés par un zéro à l’horizon, comme un chevreuil devant un phare la nuit, nos grands médias ont endossé la croyance populaire voulant que la décennie (comme le siècle et le millénaire, il y 20 ans) se termine avec un 9. À une époque où ces médias voudraient (avec raison) qu’on fasse confiance à la science en matière d’environnement, l’opinion des scientifiques ne pèse pas lourd quand il s’agit du calendrier. Et d’Histoire.
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À la fin des années 1990, la réputée Ruth S. Freitag, de la section Science et technologie de la Bibliothèque du Congrès, avait dressé une longue bibliographie sur ces gens qui célèbrent avant le temps. Dans cet ouvrage justement intitulé The Battle of the Centuries – un débat qu’elle qualifiait de « douce imbécillité » (minor imbecility) – , Freitag remontait au XVIIe siècle pour démontrer que le même débat revenait à chaque fin de siècle et qu’on aboutissait toujours à la même conclusion: il n’y a pas d’année 0 et « il n’y a jamais eu de périodisation des règnes, des dynasties ou des ères qui ne désignait pas sa première année comme l’année 1 » (http://www.loc.gov/rr/scitech/battle.html).
Ruth Freitag reconnaissait qu’elle nageait à contre courant. La croyance populaire voulant que les millénaires, les siècles et les décennies commencent par un zéro est tellement répandue, écrivait-elle, que quiconque essaie de signaler l’erreur est considéré comme pédant et ignoré (https://www.npr.org/2019/12/27/791546842/people-cant-even-agree-on-when-the-decade-ends).
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Dans Le Monde du 29 janvier 1980, un certain Georges Petit a réagi parce que Giscard d’Estaing avait déclaré que « la première année de la décennie, l’année 1980, sera difficile » :
« Quand l’Église décida, au sixième siècle, de définir une ère rattachée à la naissance de son fondateur, elle fit référence au calendrier alors en usage et fixa rétrospectivement son an 1 à [l’an] 734 de Rome ; jamais il ne fut question d’une année 0, et pour cause : les Arabes n’avaient pas encore donné le zéro à la chrétienté ».
Ironie de l’histoire, le moine responsable de cette réforme s’appelait Denis le Petit!
« Par contre, écrivait encore Georges Petit, les Conventionnels, eux, connaissaient le zéro ; ils n’en firent pas moins commencer leur calendrier révolutionnaire au 1er vendémiaire de l’an I de la République, qui coïncidait avec le 22 septembre 1792 du ci-devant calendrier grégorien. […] Mais d’année 0, point. » (https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/01/29/quand-commence-la-huitieme-decennie-du-xxe-siecle_2798778_1819218.html)
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Aujourd’hui, Rick Fienberg, de l’American Astronomical Society, Andrew Novick, du National Institute of Standards and Technology, et Geoff Chester, de l’Observatoire naval des États-Unis, disent la même chose, ce dernier précisant qu’il compte « de 1 à 10, pas de 0 à 9 » (http://www.slate.fr/story/185822/2020-nouvelle-decennie-2021-annees-decades).
Bien sûr, on s’étonnera que l’année 2020 fasse partie des années dix, mais, quand vous comptez sur vos doigts, le dixième fait partie de la dizaine. Et avec les orteils, vous arrivez à 20, soit une autre dizaine.
Parce qu’il n’a pas de doigt 0 non plus.
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PS: en terminant cette note, je découvre le texte de l’Agence Science-Presse publié hier, le 30 décembre ( https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/2020-decennie-nouvelle-annee_qc_5e0a505fe4b0843d360a9b77).