Papineau l’incorruptible, par Anne-Marie Sicotte

Surtout connue pour ses romans (Les tuques bleues, Le pays insoumis, Les accoucheuses, etc.), Anne-Marie Sicotte a lancé l’automne dernier « une enquête biographique » qui semble bien être passée sous le radar des médias, comme la majeure partie des études publiées sur l’histoire du Québec.

Ce n’est pourtant pas un mince ouvrage. Format surdimensionné (18 sur 24 cm), plus de 600 pages aux marges étroites, le premier tome de Papineau l’incorruptible impose le respect par son ampleur et requiert « du bras » à qui veut le lire sans appui !

Papineau

L’auteure n’en est pas à sa première biographie — car elle a fait autrefois celles de Gratien Gélinas et de Marie Gérin-Lajoie — ni à son premier ouvrage à caractère historique — ayant publié notamment une Histoire inédite des Patriotes remarquable pour son iconographie.
Cette fois, elle s’attaque à un monument et présente « la première biographie complète de l’homme d’État le plus important de l’histoire du Québec sous la domination britannique ».
Le premier tome, intitulé La flamme du patriote, couvre en principe les années 1786-1832 (de la naissance de Papineau à l’émeute de 1832), mais l’auteure consacre en fait une bonne dizaine de ses 42 chapitres à l’histoire de la province de Québec de la Conquête à l’Acte constitutionnel de 1791, question de fixer le décor avant l’entrée en scène de son héros dans la deuxième partie de l’ouvrage.

Papineau était un « disciple admirateur passionné » de Cicéron selon qui « la première loi de l’histoire est de ne rien dire de faux et de ne rien taire de vrai ». Sa biographe s’en inspire et annonce ses couleurs en quatrième de couverture : son Papineau « déploie toutes ses forces vives à combattre le despotisme et le racisme de l’oligarchie qui, depuis la Conquête de 1760, s’agrippe au pouvoir exécutif et puise sans vergogne dans le Trésor public ».
L’ouvrage est engagé. L’auteure ne ménage pas ses mots pour décrire les « Britons », la « coterie de tyrans » et leurs « marionnettes » : Leclère, un « vire capot », Ellice, « voleur et fourbe », Gale, un « polisson », Craig, « un incapable d’une vanité sans bornes », Sewell, un « despote », dont « l’haleine empoisonne » ; le Grand jury est « paqueté », le procureur général, « pervers », la minorité briton, « fanatique » et « arrogante ». Elle en garde pour le Conseil législatif, la bête noire des réformistes, qui rassemble des « vieillards malfaisants » et des « incubes oppressifs » (incube, démon mâle qui aime abuser d’une femme endormie). Le ton n’est pas très académique, mais toujours près de l’époque.
L’auteure ne se limite pas à la politique. Elle s’intéresse à la famille Papineau, ses joies et ses deuils, la santé, l’éducation, les loisirs, les voyages, les cultures et les affaires ; la correspondance de Papineau et de sa femme lui permet d’exposer les sentiments d’un père de famille qui regrette l’éloignement des siens lors des naissances, des anniversaires et des fêtes, au point de remettre en cause son engagement politique.

L’ouvrage n’a pas d’introduction théorique, méthodologique ou historiographique : il  raconter ce qui se passe sur le terrain en s’appuyant sur une documentation colossale devenue familière à l’auteure à la suite de ses travaux antérieurs, historiques ou littéraires. La correspondance et les journaux personnels des membres de la famille Papineau sont maintenant facilement accessibles, les « papiers-nouvelles »  de l’époque aussi. L’auteure a de plus dépouillé les procès-verbaux (« journaux ») de la Chambre d’assemblée et du Conseil législatif, ce qui lui permet de suivre Papineau et ses partisans à la trace, systématiquement, session par session, dans leurs luttes incessantes pour des réformes et la conservation de leurs droits.

Les citations sont innombrables, mais présentées sans références précises, ce qu’on lui reprochera sûrement en certains milieux. Les sources sont « détaillées par chapitre » à la fin de l’ouvrage. Pour chaque thème abordé dans un chapitre, on trouve donc des références abrégées ; par exemple, au chapitre 1 :

« Trottoirs en pierres brutes et petite rivière bourbeuse : Papineau, Amédée (1880).
Faible et poltron : Louis-Joseph à Julie, 15 décembre 1828.
Pilori : Gaspé, Philippe Aubert de (2007) ».

On comprend pour l’instant qu’il s’agit d’un écrit d’Amédée, d’une lettre de Papineau et d’un extrait des Mémoires (probablement) d’Aubert de Gaspé, mais on éprouve parfois la frustration de ne pas savoir de qui sont les citations.  Ainsi, p. 420, l’auteure écrit qu’une décision du ministre des Colonies  « consacre un principe immoral absurde, contraire à tous les principes du droit constitutionnel anglais et de son droit public colonial ». Qui parle? Papineau, un journaliste?

Il faudra cependant attendre le deuxième tome pour avoir la bibliographie et les références complètes des ouvrages cités. C’est un peu frustrant pour ceux et celles (bien rares au demeurant…) qui voudront aller vérifier les sources de madame Sicotte, mais trente pages de « références », sur deux colonnes, ça ne s’invente pas: c’est le résultat d’un énorme travail de recherche par une auteure acharnée qui consacré des années à la rédaction de cette œuvre et trouvé les ressources pour la faire publier, y compris une contribution du patron de Québecor qui est dument remercié en page 4.

Deuxième tome en mai.

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Anne-Marie Sicotte, Papineau l’incorruptible, T.1 : La flamme du patriote (1786-1832), Montréal, Carte blanche, 2022, 640 p.

Une réflexion au sujet de « Papineau l’incorruptible, par Anne-Marie Sicotte »

  1. J’apprécie vos considérations de l’oeuvre d’Anne-Marie Sicotte pour élever la connaissance de notre peuple du fondateur et dirigeant du Patriote et du mouvement patriote de notre peuple, de celui qu’Yvan Lamonde qualifie d’un homme de la trempe des Marti, Bolivar, San Martin en notre Amérique ainsi qu’à d’autres grands hommes politiques en Europe en ce XIX ième siècle.
    Cela ne se lit pas comme un roman mais j’ose croire que l’actuelle jeunesse étudiant l’histoire de notre peuple saura se consacrer à une lecture sérieuse sinon à l’étude de cette « enquête biographique » de ce grand dirigeant auquel notre peuple a donné naissance. Il m’apparaît nécessaire de faire comme Anne-Marie Sicotte d’aller aux sources dont les écrits de ce grand homme d’État, lesquels peuvent constituer une source d’informations
    pour la connaissance de l’histoire de notre peuple ainsi qu’une source d’inspiration dans la conduite de notre engagement pour l’exercice de notre souveraineté et de l’indépendance de notre peuple.

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