Quand l’armée des Treize Colonies en rébellion contre l’Angleterre vient assiéger Québec en 1775, les habitants de la province de Québec (qu’on appelle toujours « Canadiens ») doivent choisir leur parti. L’étude du comportement des habitants de la Côte-du-Sud montre une grande sympathie, en général, pour les rebelles, mais aussi plusieurs cas d’ambivalence. Julien Mercier est du nombre : d’abord « zélé rebelle », il vire capot et finit soldat de l’armée britannique.
Le contexte
Réunies en Congrès en 1774 et 1775, les Treize Colonies font circuler des « adresses » qui invitent les Canadiens à les appuyer. Elles ont aussi des espions qui laissent entendre que les Canadiens leur sont sympathiques.
Pour défendre la province, le gouverneur Carleton décide de rétablir la milice (abolie après la Conquête) et de recruter des volontaires. Au printemps 1775, il demande à l’évêque de Québec, Mgr Briand, d’émettre un mandement à ce sujet, mais, malgré cette pressante invitation de l’évêque, l’opération de mobilisation échoue : les Canadiens refusent massivement de se mobiliser.
Le seigneur Taschereau, de Sainte-Marie-de-Beauce, veut recruter des hommes pour bloquer les envahisseurs, mais ceux qu’il a convoqués à une assemblée à Pointe-Lévy au début de septembre refusent et décident au contraire de faciliter l’arrivée de ceux qu’ils appellent les « Bostonnais ». À cette fin, on monte la garde au bord du fleuve dans les paroisses, souvent en armes, pour empêcher les Britanniques de venir sur la Côte-du-Sud, et on organise un système d’alerte au moyen de feux pour communiquer d’une paroisse à l’autre.
Les troupes d’Arnold arrivent à Pointe-Lévy au début de novembre 1775 et s’installent sans opposition. Celles de Montgomery, qui sont entrées par la Richelieu, arrivent à Québec au début de décembre. Montgomery décide d’attaquer dans la nuit du 31 décembre 1775. C’est un échec : Montgomery est tué et Arnold se heurte aux barricades de la basse-ville ; il est blessé et 400 de ses hommes sont tués ou blessés.
Les Bostonnais se retrouvent avec des forces réduites par les désertions et la petite vérole. Mais ils maintiennent le siège de Québec jusqu’en mai, sans que les habitants viennent les harceler comme c’était le cas pendant le siège de 1759.
Le rebelle
Les rebelles de la Côte-du-Sud, entre autres, ont le haut du pavé pendant tout l’hiver. Les habitants de plusieurs paroisses vont vendre leurs denrées au camp d’Arnold à Pointe-Lévy. Au besoin, ils vont chercher des vivres là où il s’en trouve, notamment dans quelques moulins seigneuriaux. Certains rebelles se permettent même d’arrêter des partisans royalistes.
C’est à ce chapitre que le nom de Julien Mercier est mentionné dans le « journal de Baby », le rapport d’une commission d’enquête chargée par Carleton d’enquêter sur le comportement des miliciens pendant le siège. On peut y lire que les « sieurs Blondin & Chasson ont été pris et arrêtés par Julien Mercier ». Il s’agirait en réalité de Blondeau et Chasseur, ce dernier ayant brisé le blocus en apportant de vivres à Québec et en se proposant d’y retourner.
Le même rapport nous apprend que les sympathisants rebelles de Saint-Vallier se sont réunis en mai pour élire de nouveaux officiers de milice, dont Julien Mercier qui est nommé enseigne.
Le « journal de Baby » cite Mercier parmi les « plus opiniâtres contre le parti du Roy et [les] plus zélés pour les rebels ». Avec trois autres Valliérois, il a d’ailleurs été mis aux fers à Québec en mai, mais, selon le même document, remis en liberté par Carleton, ce qui suppose une libération avant la rédaction du commentaire sur Saint-Vallier le 8 juillet 1776.
Avait-il assisté à l’assemblée séditieuse de septembre, participé à la garde au bord du fleuve, contribué à l’entretien des feux ? On ne sait pas. Son nom ne figure pas parmi les habitants de Saint-Vallier qui ont participé à la bataille opposant les rebelles aux royalistes à Saint-Pierre-du-Sud en mars 1776.
De l’été 1776 à l’été 1777, on ne sait rien du parcours de Mercier. Même les registres d’état civil sont muets. Lors de son interrogatoire devant Cramahé en mars 1780, il déclare avoir « 46 ans, une femme et huit enfants dont le plus vieux est dans sa 18e année », ce qui nous permet de confirmer qu’il s’agit du Julien Mercier né en 1734, marié à Marie-Marthe Roy en 1755 et père de quatorze enfants dont huit sont toujours vivants en 1776, le plus vieux ayant près de18 ans et le dernier venant de naître.
A-t-il fait seulement quelques semaines en prison, comme le suggère le « journal de Baby » ou y est-il resté plus longtemps ?
On retrouve la trace de Mercier à Saint-Jean (sur Richelieu) dans un document qui date du 9 février 1780. Un certificat rédigé par un officier de l’armée britannique vise à identifier deux hommes qui viennent d’arriver des États-Unis (au terme d’une odyssée racontée plus loin). Louis Corbin écrit : « Les deux hommes susnommés [Julien Mercier, de Saint-Vallier, et Ignace Ouellet, de Kamouraska] m’ont été livré [sic] par Mr Riverin le 5 juillet 1777, ils ont parti d’ici le 8 pour l’armée sous les ordres de Mr Noël » (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1432).
Le sergent de l’armée britannique
Mercier s’est donc enrôlé dans l’armée britannique en 1777 pour aller combattre les rebelles au sud de la frontière. Volontairement ? En échange de sa libération ? Pour gagner sa vie et faire vivre sa famille ? On n’en sait rien.
À ce moment du conflit, le commandant des forces britanniques, John Burgoyne, a pour mission de prendre Albany et de mettre fin à la rébellion. Dans la vallée de l’Hudson, il est encerclé par l’armée américaine, battu à Saratoga (19 septembre et 7 octobre 1777) et contraint de capituler le 17 octobre 1777.
Julien Mercier était sergent dans l’armée de Burgoyne. Il surveillait le transport des biens et bagages de l’armée à Ticonderoga quand il est fait prisonnier par un détachement de l’armée rebelle. Il est mis à bord d’un bateau-prison. Quand le froid arrive, il est emprisonné sur la terre ferme puis déplacé à Albany, à Hartford et enfin, le 16 septembre 1778, à New York où il fait partie d’un échange de prisonniers. Avec 76 autres Canadiens, il passe l’hiver à Long Island où il coupe du bois pour le général Clinton.
Le 12 juin 1779, en compagnie de 27 autres Canadiens et d’un Écossais, il s’embarque à New York, en direction de Québec, dans un senau chargé de sel, de sucre et de café. Le 15, en soirée, le navire est attaqué par deux corsaires de Boston ; il tente de s’échapper, mais le corsaire le mitraille et Mercier est blessé gravement à la main droite. Débarqué à Boston environ cinq jours plus tard, il passe environ six semaines à l’hôpital.
Le 3 juillet 1779, le consul français au Massachusetts, Joseph de Vadnais, donne à Julien Mercier et aux autres Canadiens un laissez-passer permettant de travailler pour gagner leur vie et de retourner au Canada sans être molestés en passant par Cohoes (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1737/1424). Ils arrivent là, fin septembre ou début octobre, mais le colonel Hazen, à qui on les avait référés pour des provisions, leur enlève leurs laissez-passer et les met en prison. Parmi les Canadiens qui font partie du régiment de Hazen, Mercier voit les deux Gosselin, Clément et Louis, ainsi que Germain Dionne, tous de Sainte-Anne, qui font leurs meilleurs efforts pour l’engager au service des rebelles, sans succès.
Hazen était en train de construire une route vers la province de Québec, mais le projet est arrêté quand son régiment est envoyé en Géorgie. Mercier et les autres sont alors amenés à Fishkill.
Les prisonniers sont rationnés : seulement six onces de pain et six onces de bœuf frais par jour ; il leur est cependant permis de sortir de temps en temps pour acheter des patates et des navets avec l’argent reçu à New York, mais le papier-monnaie est discrédité et ils doivent donner 50 ou 60 dollars en papier pour un seul en argent.
Mercier est en prison avec vingt autres Canadiens et un Écossais d’octobre 1779 au 9 janvier 1780. Il décide de s’évader avec Ignace Ouellet, un jeune de 20 ans originaire de Kamouraska, en passant par fort Lydius, le lac George et le lac Champlain où il est intercepté par une patrouille britannique et amené à Saint-Jean. Le lieutenant-gouverneur Cramahé demande alors qu’on le fasse venir à Québec pour un interrogatoire le 5 mars 1780. C’est la transcription de ses réponses qui permet de retracer son parcours (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1428). Ignace Ouellet est interrogé le 12 et corrobore en substance le témoignage de Mercier (Papiers Haldimand, https://heritage.canadiana.ca/view/oocihm.lac_reel_h1738/1435).
Trois ans après son premier emprisonnement, Mercier a vraisemblablement retrouvé sa famille à Saint-Vallier où il meurt en 1811. De son côté, Ignace Ouellet se marie à Kamouraska en 1785 et meurt au même endroit en 1827.
La jambe de Benedict Arnold
Beauce Magazine, cliquer: https://beaucemagazine.com/2011/12/10/la-jambe-de-benedict-arnold/
Il faut que vous lisiez mon livre, Un pays rebelle. GD