(Texte signé avec Denis Vaugeois dans Le Devoir du 7 décembre 2008)
« Un putsch, rien de moins » (Gagnon), « …ce qui se rapproche le plus d’un coup d’État » (Marissal », « folie à trois » (Boisvert), « vaudeville » (Pratte), « irrationalité absolue » (Décarie) », « maisons de fous » (Fortier) : les journaux de Québecor et de Gesca ont rivalisé mardi dernier pour déprécier une initiative exceptionnelle dans nos mœurs politiques mais parfaitement légitime et respectueuse de notre droit.
Notre culture politique a peu de profondeur. Pour les Canadiens, et encore plus pour les Québécois, un gouvernement « normal » est un gouvernement majoritaire qui utilise le parlement comme un simple appareil à fabriquer les lois et met la pédale au fond (en utilisant le bâillon et la clôture) quand la machine ne produit pas à son goût. Des décennies de pratique ont ancré dans nos mentalités l’idée que le parlement est une simple émanation du gouvernement alors que c’est justement l’inverse qui constitue le fondement de nos institutions.
L’élection d’un gouvernement minoritaire permet de voir plus clairement le rôle du parlement et des parlementaires. Ce sont les parlementaires, et non les citoyens, qui « font » et « défont » les gouvernements car ce sont eux qui expriment leur confiance envers l’exécutif par des votes au parlement. Une majorité de députés peut renverser un gouvernement minoritaire et il est parfaitement légitime et constitutionnel, pour les adversaires de ce gouvernement, de se préparer à le remplacer, s’ils sont en mesure de s’entendre sur un programme commun. S’il y a quelque chose d’antidémocratique dans cette crise, c’est la prorogation que le premier ministre a soutirée au gouverneur général pour éviter de se soumettre à un vote de confiance.
L’électeur moyen est probablement étonné devant la perspective d’un gouvernement formé par une coalition, surtout si le chef de cet éventuel exécutif est un leader « sortant ». Les probabilités d’une telle situation étaient fort minces : il fallait un gouvernement minoritaire (ce qui est peu fréquent au Canada) assez malhabile pour faire l’unanimité des partis d’opposition. C’est sans précédent dans la courte histoire des gouvernements minoritaires au Canada et au Québec, mais cela n’enlève rien à la légitimité du projet des trois partis d’opposition.
Il y a quand même eu quelques gouvernements de coalition dans l’histoire du Canada. Pendant la Première Guerre mondiale, après avoir fait voter la conscription, le premier ministre Borden a fait entrer des libéraux dans un « gouvernement d’union » qui a obtenu la majorité des sièges au scrutin de décembre 1917, mais seulement trois au Québec. Comme le rappelle Mason Wade, « le Canada français resta sans représentation au gouvernement ». Les Québécois ont alors réalisé qu’on pouvait diriger le pays sans eux, surtout en temps de crise.
La coalition précédente remontait à 1864. Le Canada-Uni vivait alors une grande instabilité politique et les gouvernements se succédaient rapidement. Formé d’éléments variés, le gouvernement Taché-Macdonald fut défait à son tour en juin 1864; mais, à la surprise générale, George Brown, le chef d’un parti d’opposition du Haut-Canada, francophobe et anti-catholique (les Clear Grits), offrit son appui au gouvernement pour éviter de nouvelles élections. Brown posa comme condition qu’on se mette à la recherche d’une nouvelle constitution. La « Grande coalition » de 1864 laissa une opposition formée majoritairement des rouges et des libéraux du Canada-Est (Bas-Canada) et conduisit à la Confédération. Le Canada est donc né d’une coalition.
Si la crise actuelle et les moyens imaginés pour la résoudre, de part et d’autre (coalition et prorogation précoce), sont exceptionnels, l’intention du premier ministre de « collaborer » avec les députés d’opposition, à l’exception de ceux qui constituent les deux tiers de la représentation québécoise, s’inscrit dans une constance historique: comme on l’a vu en 1864 et en 1917, les anglophones se coalisent plus aisément quand les francophones sont mis à l’écart.
Une réflexion au sujet de « Crise exceptionnelle et constance historique »
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En effet, il était assez navrant de voir tous ces grands chroniqueurs manquer eux-mêmes de ce qu’ils reprochent souvent aux politiciens de manquer, d’imagination. La démocratie parlementaire telle qu’on l’a toujours connue n’est finalement pas si loin de la dictature, du moins en début de mandat, où les gouvernements en profitent pour imposer les mesures les plus impopulaires. La politique étant l’art du possible, la coalition dénote une maturité politique qui, dans l’ensemble, manque assez cruellement dans notre trop fréquent cirque politique
J’avais tendance à penser comme Henri Brun que la gouverneure n’avait pas vraiment le choix d’acquiescer à la requête du premier ministre. Mais, ce faisant, il est clair qu’elle a participé à un déni de démocratie parce qu’il me semble que, quand un gouvernement s’appuie sur 38 % de l’électorat, la légitimité est plutôt du côté des partis de l’opposition s’ils parviennent à s’entendre.
Gilles Ouimet (Histoire, 1971)