Tous les articles par Gaston Deschênes

Nous l’avons échappé belle!

Le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (https://www.lesoleil.com/opinions/point-de-vue/le-debat-qui-a-fragilise-notre-democratie-8d4fdc12d8ecc11e035dfd6819c289ab) est monté sur ses grands chevaux et littéralement parti à l’épouvante. Imaginez : « nous sommes passés proche d’une catastrophe démocratique », nous « avons failli nous réveiller, la semaine dernière, dans un monde bien différent de celui dans lequel nous avons l’habitude de vivre ». Pourquoi? Horresco referens, aurait dit monsieur Landry. Parce que des députés ont posé des questions sur ce qui arrivera à La Presse lorsque ses propriétaires seront libérés d’une contrainte établie il y a 50 ans. (Incidemment, personne ne s’est demandé pourquoi les propriétaires de dudit journal n’ont pas demandé l’abrogation de cette loi au cours du dernier demi-siècle, mais seulement à quelques jours de la fin de la session, obligeant le gouvernement à demander une entorse au Règlement de l’Assemblée).

Giroux

Des dérailleurs ont « réussi [...]  à ébranler fortement les colonnes du temple de la démocratie ». Rien de moins! Quelqu’un a senti la secousse, à part monsieur Giroux? La « brèche au cœur même de notre système démocratique »? On vivait déjà depuis 50 ans avec une loi « qui ne s’applique à aucune autre entreprise de presse au pays » et qui, elle, intervenait dans la vie d’un organe de presse. Nous vivions dangereusement, sans le savoir.

« Il ne faut plus que cela se produise »: que les députés se le tiennent pour dit. Mais se produise quoi? La loi vétuste a été abrogée (le Parti libéral n’allait tout de même pas oublier ses alliés) et il n’en existe aucune autre du même acabit.

Monsieur Giroux peut dormir tranquille. Ce n’est pas comme le blâme contre Yves Michaud, une entorse bien réelle à la liberté d’expression commise par les parlementaires (tiens donc!), toujours « valide » 18 ans plus tard, qui a laissé la FPJQ indifférente, refusant même de répondre à Michaud, ancien journaliste lui-même, quand ce dernier a demandé l’appui de la confrérie. Maintenant que cette dernière est sauvée de l’apocalypse, elle pourrait s’intéresser à cette infamie sans précédent dans les démocraties occidentales.

Un « salon de bronzage » achalandé

Il est temps que la législature finisse : le « salon de bronzage » déborde! En fait, il n’a jamais été aussi fréquenté depuis la crise du « beau risque » en 1984. Ces derniers temps, ça ne « dérougit » pas…

L’expression n’est pas très utilisée : elle désigne, dans le jargon parlementaire,  la partie arrière de la salle de séances de l’Assemblée nationale, sous la tribune de la presse, là où le plafond est bas, et les lumières aussi. « C’est sans doute, tantôt, l’éclairage de cette partie de l’Assemblée nationale qu’on a appelé le salon de bronzage qui a fait que vous n’avez pas pu me reconnaître », se plaignait en 1995 un ancien député de Mercier (Journal des débats, 24 mai 1995).

Le "salon de bronzage", lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration.

Le « salon de bronzage », lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration. Depuis, il en est sorti.

Il y a de tout dans ce qu’on pourrait aussi appeler le « Refugium peccatorum ». Car on ne s’y installe pas de bon gré. Généralement.

Le député de Gaspé s’y trouve depuis mai 2007, expulsé de son parti parce qu’il aurait accepté des cadeaux de la firme Roche alors qu’il était directeur général de la ville de Gaspé. Son chef lui a offert de réintégrer son caucus, mais il a décidé de continuer de siéger comme indépendant jusqu’à la fin de son mandat.

Le député caquiste de Groulx et ─ dernier en liste ─ le député libéral de Beauce-Sud ont été relégués au fond de la salle à la suite de révélations sur la gestion des allocations que l’Assemblée leur fournit. Une enquête est en cours sur le second.

Trois députés libéraux (Brome-Missisquoi, Laurier-Dorion et Argenteuil) ont quitté leur caucus à la suite d’allégations concernant, disons, pour simplifier, des comportements « inappropriés » (qui n’ont pas fait l’objet d’accusations).

Enfin, signe des temps, le « salon de bronzage » a un genre de cliente « trans », la député de Vachon, qui a inventé la notion de « transparlementarisme » lorsqu’elle a été élue chef du Bloc québécois au Parlement fédéral et qu’elle a néanmoins décidé de conserver son siège à Québec.

Les trois représentants de Québec solidaire sont aussi des indépendants aux fins du Règlement de l’Assemblée nationale. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ils doivent un gros merci aux sept autres: sans eux, ils risqueraient d’occuper des sièges sous les modestes plafonniers du « salon de bronzage ».

La fête du mai à Saint-Jean-Port-Joli

[Au Musée de la mémoire vivante, dont l'architecture reproduit l’ancien manoir de Philippe Aubert de Gaspé, les gens de Saint-Jean-Port-Joli et les Arquebusiers de Kébek ont reconstitué aujourd’hui la plantation du mai, une ancienne cérémonie en hommage que l'auteur des Anciens Canadiens a décrite dans son roman en 1863.]

 « Une centaine d’habitants disséminés çà et là par petits groupes [encombraient la cour du manoir]. Leurs longs fusils, leurs cornes à poudre suspendues au cou, leurs casse-têtes passés dans la ceinture, la hache dont ils étaient armés, leur donnaient plutôt l’apparence de gens qui se préparent à une expédition guerrière, que celle de paisibles cultivateurs.

[…] tout était mouvement et activité. Les uns, en effet, étaient occupés à la toilette du mai, d’autres creusaient la fosse profonde dans laquelle il devait être planté, tandis que plusieurs aiguisaient de longs coins pour le consolider. Ce mai était de la simplicité la plus primitive: c’était un long sapin ébranché et dépouillé jusqu’à la partie de sa cime, appelée le bouquet; ce bouquet ou touffe de branches, d’environ trois pieds de longueur, toujours proportionné néanmoins à la hauteur de l’arbre, avait un aspect très agréable tant qu’il conservait sa verdeur; mais desséché ensuite par les grandes chaleurs de l’été, il n’offrait déjà plus en août qu’un objet d’assez triste apparence. […]

Un coup de fusil, tiré à la porte principale du manoir, annonça que tout était prêt. À ce signal, la famille d’Haberville s’empressa de se réunir dans le salon, afin de recevoir la députation que cette détonation faisait attendre. […] Ils étaient à peine placés, que deux vieillards, introduits par le majordome José, s’avancèrent vers le seigneur d’Haberville, et, le saluant avec cette politesse gracieuse, naturelle aux anciens Canadiens, lui demandèrent la permission de planter un mai devant sa porte. Cette permission octroyée, les ambassadeurs se retirèrent et communiquèrent à la foule le succès de leur mission. […].

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Au bout d’un petit quart d’heure, le mai s’éleva avec une lenteur majestueuse au-dessus de la foule, pour dominer ensuite de sa tête verdoyante tous les édifices qui l’environnaient. Quelques minutes suffirent pour le consolider.

20180513_162108Un second coup de feu annonça une nouvelle ambassade; les deux mêmes vieillards, avec leurs fusils au port d’arme, et accompagnés de deux des principaux habitants portant, l’un, sur une assiette de faïence, un petit gobelet d’une nuance verdâtre de deux pouces de hauteur, et l’autre, une bouteille d’eau-de-vie, se présentèrent, introduits par l’indispensable José, et prièrent M. d’Haberville de vouloir bien recevoir le mai qu’il avait eu la bonté d’accepter. Sur la réponse gracieusement affirmative de leur seigneur, un des vieillards ajouta:

– Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir?

Et sur ce, il lui présente un fusil d’une main, et de l’autre un verre d’eau-de-vie.

– Nous allons l’arroser ensemble, mes bons amis, dit M. d’Haberville en faisant signe à José, qui, se tenant à une distance respectueuse avec quatre verres sur un cabaret remplis de la même liqueur généreuse, s’empressa de la leur offrir. Le seigneur, se levant alors, trinqua avec les quatre députés, avala d’un trait leur verre d’eau-de-vie, qu’il déclara excellente, et, prenant le fusil, s’achemina vers la porte, suivi de tous les assistants. […]

Dès que le seigneur d’Haberville eut noirci le mai en déchargeant dessus son fusil chargé à poudre, on présenta successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en commençant par la seigneuresse; et les femmes firent le coup du fusil comme les hommes.

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Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par l’ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé flatteur pour celui auquel le mai était présenté. »

(Photos Annette Deschênes)

Pour le plaisir, Madame!

Les Cahiers de lecture de l’Action nationale ont consacré une demi-page à mes Gens de Montréal mais la recension me paraît porter sur un autre livre que le mien.

L’auteure s’intéresse davantage à ce qui ne s’y trouve pas. Elle aurait voulu que mes choix de gravures soient mis en contexte par rapport au contenu de L’Opinion publique : « Que représente le corpus retenu par rapport au contenu entier du journal illustré? Que signifient les textes et les gravures sur Montréal? […] Textes et gravures ont-ils été publiés à des fins d’éducation populaire […]. D’autres villes canadiennes bénéficient-elles d’une couverture aussi importante […]. Quels autres thèmes sont abordés dans ce périodique […]. »

Ce sont toutes de bonnes questions, mais pourquoi s’arrêter là? Les femmes sont-elles adéquatement représentées? et les personnes racisées, les immigrants, les autochtones? voit-on des cas d’appropriation culturelle dans les gravures montrant les carnavals, le Mardi gras et les bals masqués?

Couverture pour JF

L’auteure de la recension est restée sur sa faim. J’en suis désolé, mais il aurait fallu bien lire le menu avant de se mettre à table. L’éditeur annonce en couverture des « textes et illustrations de L’Opinion publique »; la présentation précise qu’on a choisi des illustrations où on voit des gens (évidemment) dans diverses situations, plutôt que des édifices et des paysages, et que le portrait qui ressort de Montréal « n’a aucune prétention scientifique ». C’est un choix personnel dans une collection personnelle. À quoi aurait servi « un appareillage critique »? L’auteure me confond avec un étudiant qui serait inscrit au doctorat sous sa direction et confond mon livre avec une œuvre qui n’existe encore que dans sa tête.

L’auteure du compte rendu se demande où est l’intérêt de ce livre, « au-delà du plaisir que procurent ses riches gravures et sa prose colorée ». Ce n’est pas assez?

En fait, outre le plaisir qu’on souhaite aux lecteurs (et qui ne pèsent pas lourd dans la grille d’analyse de l’universitaire), il y a surtout, pour l’auteur du livre, le bonheur de l’historien évoluant hors du cadre académique (et parvenu à un certain âge…) de pouvoir écrire à sa guise, sans être obligé d’entrer (et de rester) dans une case ou un champ, de choisir ses thèmes sans égard à la mode et aux goûts des organismes subventionnaires, sans se soucier du regard de pairs et du besoin de garnir son c.v., sans risquer de déroger, comme on disait des nobles autrefois, en s’adonnant à des genres « mineurs », comme l’histoire locale ou la vulgarisation, malgré le mépris qu’ils peuvent inspirer dans la confrérie.

Comme disait Cyrano,

« Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N’écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d’ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! »

Yves Michaud et la souffrance du peuple juif

Comme l’écrit Jean-M. Salvet, dans Le Soleil du 13 février 2018 (et Marco Bélair-Cirino, en termes similaires dans Le Devoir du 15), Yves Michaud « n’a pas tenu, lors [des] États généraux [de décembre 2000], les propos pour lesquels les parlementaires l’ont blâmé. Ses détracteurs, en conviennent tous aujourd’hui [...] ».

Dans n’importe quelle institution normale, civile, militaire, économique, religieuse, universitaire, gouvernementale, etc., un blâme aussi mal fondé serait retiré. Mais ce n’est pas le cas de l’Assemblée nationale qui se prétend pourtant la première de nos institutions et le fondement de notre système démocratique.

Mieux encore, non satisfaits de l’accusation portée sans aucune preuve en 2000, les « détracteurs » de Michaud en insinuent une autre, 18 ans plus tard : Michaud aurait « minimisé la souffrance du peuple juif dans une entrevue accordée à une radio », selon ce que rapportent, sans plus de détails, les mêmes journalistes.

Affaire Michaud

Qui ? quoi ? où ? quand ? comment ?

L’entrevue en question a été menée par Paul Arcand le 5 décembre 2000 et n’avait suscité aucune réaction publique avant le témoignage de Michaud aux États généraux huit jours plus tard. Cette entrevue portait sur un livre que Michaud venait de publier chez VLB, Paroles d’un homme libre. Il en existe deux transcriptions, l’une rapportée dans La Presse du 19 décembre et une autre préparée par la firme spécialisée Caisse Chartier.

Cette dernière transcription omet fort curieusement de donner le libellé exact de la question qui nous intéresse et se limite aux mots suivants :

« Paul Arcand : (animateur) Passons à autre chose. »

La vraie question, telle que rapportée par La Presse, est la suivante :

« […] est-ce que vous ne sentez pas un désintérêt d’une bonne partie de la population sur la question de la souveraineté et sur la question nationale, des gens qui en ont assez, c’est terminé, passons à autre chose ? »

La réponse est semblable dans les deux transcriptions, à quelques détails près. Voici celle de la firme Caisse Chartier :

« Yves Michaud : (ex-politicien) Bien, je vais vous raconter une anecdote. J’étais… je suis allé chez mon coiffeur il y a à peu près un mois. Il y avait un sénateur libéral, que je ne nommerai pas, qui ne parle pas beaucoup, encore qu’il représente une circonscription française et qui me demande : es-tu toujours séparatiste Yves? J’ai dit, oui. Oui, je suis séparatiste comme tu es Juif. J’ai dit ça prit à ton peuple 2 000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J’ai dit moi que ça prenne dix ans, cinquante ans, cent ans de plus, je peux attendre. Alors il me dit que ce n’est pas pareil. Aïe c’est jamais pareil pour eux. Alors j’ai dit c’est pas pareil. Les Arméniens n’ont pas souffert. Les Palestiniens ne souffrent pas. Les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit c’est, c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

Il est question ensuite de Groulx, de B’nai Brith, de Jean-Louis Roux, de McGill, de révisionnisme, de Galganov, etc., mais rien d’autre sur le peuple juif en tant que tel.

« Minimiser la souffrance du peuple juif? »

La transcription de La Presse permet de rappeler que la question de Paul Arcand ne portait aucunement sur les Juifs, mais sur la pertinence actuelle de la lutte des souverainistes québécois. Avec son anecdote, Michaud compare cette démarche avec celle des Juifs qui ont cherché pendant 2000 ans à se bâtir une patrie et, selon lui, si les Québécois en ont besoin de 100, c’est bien peu de chose, il peut attendre. Son approche n’a évidemment rien de dévalorisant envers les juifs; elle implique au contraire une admiration pour leur persévérance.

Quand le sénateur répond : « ce n’est pas pareil », Michaud s’insurge, car le parlementaire fédéral nie la valeur du combat souverainiste.  : « […] ce n’est pas pareil? Les Arméniens n’ont pas souffert, les Palestiniens ne souffrent pas, les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit : c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

On notera ici qu’il n’est pas question de la Shoah, mais de luttes nationales respectives des Juifs et des Québécois. Michaud n’accepte pas que la sienne soit banalisée, quelle que soit la valeur de l’autre. S’il avait été convoqué pour se défendre, comme on procède en pareil cas dans les parlements normaux, il aurait pu lire aux députés ce passage de Paroles d’un homme libre (p. 30) :

« On botte les fesses du peuple québécois depuis deux siècles et demi. Ce n’est pas tellement long en comparaison de deux millénaires d’errance du peuple juif, mais cela fait mal tout de même… »

Comment peut-on dire ensuite que Michaud « minimise la souffrance du peuple juif »?

(voir, sur cette question, https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l)