Tous les articles par Gaston Deschênes

Alphonse et Dorimène

 Les biographies d’Alphonse Desjardins et de son épouse traînent depuis quelques années sur ma table de travail, avec des livres à lire, alors qu’elles devraient être rangées sur les rayons car elles ont été lues depuis longtemps. Je suis sorti de ces lectures avec quelques interrogations un peu difficiles à formuler et probablement peu politiquement correctes.

desjardins monument

Dorimène

Écrite par Guy Bélanger, la biographie intitulée Dorimène Desjardins, 1858-1932, Cofondatrice des caisses populaires Desjardins, a été éditée en 2008 par les Éditions Dorimène (créées par le mouvement Desjardins). Elle « retrace la vie de l’épouse d’Alphonse Desjardins sous l’angle de sa contribution à la naissance et au développement des caisses populaires ».

Malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour madame Desjardins et surtout l’immense mérite qu’elle a eu d’élever seule sa famille pendant les longs mois d’absence de son mari et de le soutenir moralement, ce qu’on trouve dans sa biographie pour appuyer le titre de cofondatrice des caisses populaires est un peu mince.

Desjardins madame

Rappelons qu’Alphonse Desjardins était fonctionnaire au Parlement fédéral quand il a été sensibilisé au problème de l’usure. Pendant trois ans, il a mené des recherches et correspondu avec plusieurs experts à l’étranger pour mettre au point une forme originale de coopérative dont il a ensuite créé les statuts et règlements avec un groupe de concitoyens pour la plupart déjà engagés dans des institutions mutuelles.

Quel a été le rôle de Dorimène à ce moment et « sa contribution à la naissance » de la caisse de Lévis ? L’auteur de la biographie y consacre quelques lignes prudentes :

« À partir de 1897, Alphonse Desjardins entreprend une importante recherche sur la coopération appliquée à l’épargne et au crédit. Les préoccupations qui l’animent sont sûrement partagées par son épouse. De fait, les 14 assemblées préliminaires à la fondation de la première caisse populaire se tiennent dans la résidence familiale des Desjardins. Par conséquent, le fondateur et ses collaborateurs comptent vraisemblablement sur la collaboration de madame Desjardins pour préparer les statuts et règlements. C’est du moins l’opinion exprimée par Adrienne Desjardins, qui affirme que sa mère a participé à ces travaux sur une base informelle. Quoi qu’il en soit, Dorimène Desjardins est présente à l’Assemblée de fondation de la Caisse populaire de Lévis, le 6 décembre 1900 » (p. 31).

Comme Desjardins doit s’absenter pour la session, la gérance de l’institution est confiée à quatre administrateurs en 1901 et 1902. Pendant sept mois, en 1903, Dorimène agit comme adjointe au gérant. L’année suivante et jusqu’en 1906, c’est Théophile Carrier qui occupe cette fonction mais Dorimène est chargée de « tenir les écritures de la comptabilité [la tenue de livres probablement] et de surveiller les opérations courantes de la Société » (p. 38), ce qui lui vaudra les éloges du conseil d’administration. Elle est de plus « tout yeux, tout oreilles » pendant les absences de son mari, surtout quand commencent à courir les rumeurs sur son inexpérience et la fragilité de l’entreprise (p. 41). Il faut préciser ici qu’il s’agit alors d’une minuscule entreprise, sans local ni personnel.

Après 1906, le rôle de Dorimène aux côtés de son époux « est moins bien documenté ». C’est l’époque où Desjardins, entre autres choses, mène une vaste de campagne de fondations de caisses au Québec, en Ontario et chez les Franco-américains, fait cinq voyages de promotion aux États-Unis où il est consulté comme expert, invité comme conférencier, etc. 

desjardins au travail

Pour cette période, il est mentionné que Dorimène « lui apporte l’aide nécessaire dans ses travaux de comptabilité et de correspondance » (p. 50). L’auteur écrit aussi que Desjardins a été influencé par sa femme quand il a introduit la notion de membre auxiliaire dans les règlements (p. 52). Au total, conclut l’auteur, Dorimène Desjardins « fut une vraie militante de l’économie sociale. Son action a laissé suffisamment de traces tangibles pour qu’on puisse la considérer comme la cofondatrice des caisses populaires » (p. 88).

On ne peut dire qu’il y a là une grande conviction et cette impression ressort aussi à la lecture de la biographie magistrale que le même auteur a consacrée à Desjardins en 2012 (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/alphonse-desjardins).

Desjardins

Alphonse

Auteur d’une biographie partielle de Desjardins, le professeur Yves Roby nous disait, il y a près 50 ans, que le fondateur des caisses populaires était un authentique héros. La lecture de sa dernière biographie nous en convainc facilement. L’ouvrage de Guy Bélanger est le résultat de nombreuses années de recherche et bénéficie d’informations nouvelles ou méconnues. Il nous montre l’intellectuel et l’entrepreneur à l’origine des caisses populaires, « sans reléguer au second plan les autres aspects de sa vie active », dont sa vie familiale.

Sur le rôle de Dorimène dans la fondation des caisses, on ne trouve cependant rien de nouveau. En fait, il y en a moins. L’auteur ne reprend pas ses propos sur le rôle présumé de l’épouse de Desjardins dans la phase fondamentale de 1897-1900 et ne mentionne pas explicitement sa présence à l’assemblée de fondation (p. 150-153). Il évoquera souvent le soutien de madame Desjardins à son mari mais il écrit d’entrée de jeu que ce dernier est « considéré à juste titre comme le fondateur des caisses populaires » (p. 8), et, à la dernière page, comme une sorte de concession, que Dorimène Desjardins est « considérée depuis peu comme la cofondatrice de facto » (p. 656). On ne sent pas l’enthousiasme, comme si cet ouvrage produit « hors les murs » venait mettre un bémol sur le précédent « fait maison ».

Mais, ce n’est peut-être qu’une impression.

Je vais maintenant ranger les livres.

PS:  Dans la biographie rédigée par Guy Bélanger, en 2023, Dorimène Desjardins est présentée  comme « maîtresse de maison et coopératrice », sans allusion à son rôle de fondatrice (Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 sept. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/desjardins_dorimene_16F.html).

Le premier ministre du Québec et sa Politique d’affirmation

Curieux que le Devoir ait publié ce reportage complaisant de la PC (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/503584/constitution-couillard-se-dit-appuye-par-les-autres-provinces), même sous un titre prudent (« Couillard SE DIT appuyé… »).

Tout le texte dit le contraire :

  • Brad Wall a fait savoir que le Québec bénéficiait déjà largement du système de péréquation…
  • « Le désir du Québec de parler de ses valeurs, de sa culture et de sa perspective à l’intérieur de notre Confédération est bienvenu, a affirmé la première ministre de l’Alberta : polie pas très engageante.
  • Kathleen Wynne a dit comprendre qu’il n’était pas question pour l’instant de rouvrir la Constitution, mais plutôt de continuer de bâtir « des relations solides […]. C’est ça qui m’intéresse », a-t-elle précisé.
  • Au premier ministre de la Colombie-Britannique, il aurait dit : « Nous, on voudrait aller vous voir et vice versa, et quand je dis “nous”, ce n’est pas juste le gouvernement, c’est notre milieu universitaire, notre milieu des affaires, notre société civile. » : ça, c’était la vocation du mouvement de Bonne entente, il y a 100 ans. Sans résultat. 

 

 

Le « canotier », de l’abbé Casgrain aux Cailloux

Les gens de mon âge ont bien connu les Cailloux, un groupe spécialisé dans l’interprétation de chansons traditionnelles françaises et québécoises (https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Cailloux). L’un de leurs principaux succès, dans les années 1960, était le Canot d’écorce (https://www.youtube.com/watch?v=8f1qVkS3dF4).

Cailloux

Cette chanson a été composée à Rivière-Ouelle par l’abbé Henri-Raymond Casgrain, une figure dominante de l’histoire littéraire québécoise, conteur, biographe, critique littéraire et historien, mais aussi poète à ses heures. Sa « chanson des bois » intitulée Le canotier a été écrite en 1869 et publiée la même année dans Les miettes, un petit ouvrage tiré à 50 exemplaires! On comprend qu’elle soit restée méconnue.

Le canotier

Assis dans mon canot d’écorce,
Prompt comme la flèche ou le vent,
Seul, je brave toute la force
Des rapides du Saint-Laurent.

C’est mon compagnon de voyage ;
Et quand la clarté du jour fuit,
Je le renverse sur la plage :
C’est ma cabane pour la nuit.

Ses flancs sont faits d’écorces fines
Que je prends sur le bouleau blanc ;
Les coutures sont de racines,
Et les avirons de bois franc.

Sur les rapides je le lance
Parmi l’écume et les bouillons ;
Si vite il bondit et s’avance
Qu’il ne laisse pas de sillons.

Près de mon ombre, son image
Toujours m’apparaît sur les eaux,
Et quand il faut faire portage,
Je le transporte sur mon dos.

Le laboureur a sa charrue,
Le chasseur son fusil, son chien,
L’aigle a ses ongles et sa vue :
Moi, mon canot, c’est tout mon bien.

Mon existence est vagabonde :
Je suis le Juif-Errant des eaux ;
Mais en jouissance elle abonde ;
Les villages sont des tombeaux.

J’ai parcouru toutes les plages
Des grands lacs et du Saint-Laurent
Je connais leurs tribus sauvages
Et leur langage différent.

J’ai vu plus d’un guerrier farouche
Scalper ses prisonniers mourants,
Et du bûcher l’ardente couche
Consumer leurs membres sanglants.

J’étais enfant quand la flottille
Des Montagnais vint m’enlever.
Je ne verrai plus ma famille ;
Ma mère est morte à me pleurer !

Quand viendra mon dernier voyage,
Si je ne meurs au fond du flot,
Sur ma tombe, près du rivage,
Vous renverserez mon canot.

Hommage aux coureurs des bois

Dans un préambule à sa chanson, Casgrain rend hommage, sans les nommer, aux coureurs des bois :

« La colonisation du Canada a donné naissance, dès les premiers temps, à un type exceptionnel, d’une rare originalité : c’est cette classe d’hommes qui, entraînés par les séductions de la vie des bois, abandonnaient la culture des champs pour se livrer à la vie nomade des Sauvages. S’aventurant avec eux dans leurs légères embarcations, ils remontaient les lacs et les fleuves, et bientôt devenaient aussi habiles à. conduire le canot d’écorce que les Sauvages eux-mêmes.

Ils finissaient par se passionner tellement pour cette vie d’indépendance et de dangers que rien ne pouvait plus les en arracher. On en rencontre encore de nos jours un bon nombre sur les limites de la civilisation.

Nous avons eu occasion de nous faire conduire en canot, il y a quelques années, par un de ces intrépides aventuriers, jusqu’aux sources du Saguenay. Sa dextérité à conduire son canot d’écorce était telle qu’il remontait les plus forts rapides de la rivière Chicoutimi, debout, une perche à la main, dans son canot complètement chargé. Nous avons essayé de traduire, dans la chanson suivante, quelque chose de cette existence originale. »

La version des Cailloux

Sur le site Gauterdo, on trouvera les paroles de la chanson interprétée par les Cailloux en 1964 (http://gauterdo.com/ref/cc/canot.d.ecorce.html) mais la musique n’est pas exactement la même. Les paroles, elles, sont bien différentes de celles de Casgrain: elles auraient été recueillies « récemment dans la Mauricie, en tant que chanson de folklore », donc, près d’un siècle après la publication des Miettes, après avoir, visiblement, beaucoup voyagé.

« C’est la seule métropole qui élève des gondoles »

 « On cherche des chansons sur Montréal ».

Le 17 mai dernier, jour anniversaire de Montréal, Le Devoir s’est intéressé aux chansons consacrées à Montréal. Mémoire de chacun, collection de disques de la maison, bibliothèque de MP3, YouTube, Spotify : la récolte fut abondante et variée, mais les fruits n’avaient pas de très longues racines. Un seul titre avant Beau dommage, À Rosemont sous la pluie de Raymond Lévesque, grand succès de Guylaine Guy au milieu des années 1950 (https://www.youtube.com/watch?v=MoYE26jYeWo).

Les chansons que Marc Gélinas a composées en 1967 appartiennent à la catégorie des œuvres de circonstances qui sont souvent vite oubliées. Gélinas a composé Rendez-vous à Montréal, La Ronde et Lorsque le rideau tombe, pour souligner la clôture de l’Expo 67 de Montréal.

Difficile d’oublier cependant Les Nuits de Montréal (1949), grand succès interprété par Jacques Normand, dans un style situé quelque part entre Trenet et Chevalier (https://www.youtube.com/watch?v=UCk3aTEXlXs).

Émule de Tino Rossi, Paolo Noël adopte aussi une allure parisienne avec Carré Saint-Louis (1962) accompagné à l’accordéon-musette (https://www.youtube.com/watch?v=uAmLjv7nOJ4).

Une autre grande vedette des années 1950, Rolande Desormeaux, a interprété La croix du Mont-Royal (1957) qui, malgré son titre, rend aussi hommage à d’autres attraits de la ville (https://www.youtube.com/watch?v=WdQBTTCBocE).

La meilleure, à cet égard, est cependant À Montréal (vers 1950), œuvre d’un autre grand artiste oublié, Lionel Daunais.

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Celui qui nous a aussi donné La tourtière et Le petit chien de laine s’est amusé à décrire sa ville avec un humour qui requiert parfois explication, deux générations plus tard. Heureusement, il y a des choses qui restent: il faut  « faire des neuvaines pour pouvoir circuler »…

À MONTRÉAL
(https://www.youtube.com/watch?v=PneCcigSfLU)
1
C’est une grande cité,
La plus belle d’Amérique.
Elle a bien a mérité
Qu’on la mette en musique.
C’est une ville qui chante
« Vive monsieur d’ Maisonneuve »
Et ses rues vont en pente
Baigner leurs pieds dans l’ fleuve.
New-York, Londres, Paris,
Pardi! c’est bien joli,
Hé, mais que voulez-vous?
Montréal, c’est chez nous.

À Montréal,
On a le Mont-Royal,
Ancien volcan
Qui n’est pas bien méchant.
Dans ses sentiers tout frais,
Ya pas d’ sens interdits,
Au café du Chalet,
On boit des symphonies.

En été, quelle aubaine,
Les amoureux très sages
Écoutent Beethoven
Le cœur dans les nuages.
Y en a d’autres moins sages
Qui diront que, dans l’herbe,
En louchant ton corsage
Le point d’ vue est superbe.

On a aussi un port,
Unique sous tous rapports
On r’met une canne d’or
Au premier bouton d’or
Qui va prendre à son bord
Not’ porc, nos céréales.
C’est pas banal
À Montréal.

2
C’est la seule métropole
Qui élève des gondoles*.
P’tits bonnets, jour de Pâques,
Gros bonnets, rue Saint-Jacques.
Des enseignes lumineuses
Plus grosses que les boutiques
Et des respectueuses
Aux regards séraphiques.
Y a le parc Lafontaine,
Y a le bon frère André,
Faut bien faire des neuvaines
Pour pouvoir circuler!

A Montréal
Y a quelque chose de spécial
Des escaliers
En fer tirebouchonné
Y a le collier du maire
Qui brille comme un gros sou
Et y a des réverbères
Qui ne brillent pas du tout.

Il y a 100 clochers fiers
Qui font vibrer nos âmes,
Y a des arbres tout verts
Qui poussent dans l’macadam,
Y a le château Ramezay,
Y a le carré Dominion
Où les vieux vont jaser
Par un beau jour d’automne.

Ils croient avoir vingt ans
En guettant le bon vent
Trousser les jupons blancs
Quand les belles vont trottant.
Devant la cathédrale,
Qui cach’ la gare centrale
C’est ben spécial
À Montréal.

Vive Montréal, badabadam didou
Ville idéale, badabadam didou
M o n t r é a l
Avec ou sans accent aigu
Concordia, Salut!**

——————

*Entre les deux guerres, on mit en service des gondoles au parc La Fontaine. Le conseil municipal était cependant divisé sur le nombre à acheter et un conseiller proposa doctement, pour trancher le débat, qu’on s’en procure un couple, pour débuter…

Gondoles du parc

**Le maire a-t-il encore son collier? Collier du maire


***Allusion à la devise de Montréal, « Concordia Salus » (« le salut par la concorde »).

Augustin-Magloire Blanchet, un curé sympathique aux Patriotes

[Notes pour une allocution au souper des Patriotes de la Côte-du-Sud le 21 mai 2017]

Né à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, en 1797, Augustin-Magloire Blanchet[1] est ordonné prêtre en 1821. Il fait du ministère dans quelques paroisses avant de se retrouver curé de Saint-Charles (sur Richelieu) en 1837, au moment et à l’endroit où le mouvement patriote est à son apogée.

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Le 23 octobre, le curé Blanchet assiste à la grande assemblée des Six-Comtés qui se tient dans sa paroisse. La situation politique évolue rapidement par la suite. Un mois plus tard, l’armée britannique s’approche de Saint-Charles. Divers témoignages confirment que le curé Blanchet s’est rendu au camp improvisé par les Patriotes, au matin de la bataille du 25 novembre, pour prier avec ses paroissiens et les exhorter à se préparer à une mort éventuelle.

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Bataille de Saint-Charles

Le 15 décembre, Augustin-Magloire Blanchet est convoqué chez le procureur général et accusé de haute trahison, un crime qui pourrait le faire condamner à mort. Le lendemain, il est incarcéré à la prison de Montréal, seul membre du clergé parmi des centaines de Patriotes.

On imagine la commotion chez les autorités religieuses. L’abbé François-Norbert Blanchet leur suggère de demander une copie de la lettre que son frère aurait adressée au gouverneur Gosford en novembre. On cherche un moment le document qui est finalement retrouvé dans les papiers du gouverneur et envoyé à l’archevêque de Québec, qui est catastrophé.

Que disait donc cette lettre du 9 novembre 1837?

L’abbé Blanchet voulait informer le gouverneur sur ce qui se passait dans sa région. En voici trois passages qui démontrent son appui aux revendications des Patriotes :

Je crois que l’excitation est à son comble. Il n’y a pour ainsi dire qu’une voix pour condamner la conduite du Gouvernement; ceux qui jusqu’ici ont été tranquilles et modérés se réunissent à leurs concitoyens qui les avaient devancés, pour dire que, si le Gouvernement veut le bonheur du Pays, il doit au plutôt [sic] accéder aux justes demandes du peuple; que bientôt il ne sera plus temps. […]

Je crois connaître assez l’opinion de la population circonvoisine pour vous dire que le danger est imminent, qu’il n’y a pas de temps à perdre, si vous avez quelque chose à faire pour le bonheur des Canadiens. L’opinion publique a fait un pas immense depuis l’Assemblée des cinq comtés [sic]; Assemblée des plus imposantes, et par la qualité de ceux qui s’y sont trouvés, et par l’ordre qui y a régné. C’était une assemblée d’hommes qui, par leur contenance, faisaient comprendre qu’ils étaient convaincus de l’importance des mesures que l’on devait soumettre à leur approbation; et leur disposition, après l’assemblée, était celle d’hommes persuadés que les souffrances du pays étaient telles qu’il fallait faire les plus grands efforts pour les faire cesser. […]

Je dois dire de plus qu’il ne faut plus compter sur les Messieurs du clergé pour arrêter le mouvement populaire dans les environs. Quand ils le voudraient, ils ne le pourraient. D’ailleurs vous savez que les pasteurs ne peuvent se séparer de leurs ouailles, ce qui me porte à croire que bientôt il n’y aura plus qu’une voix pour demander la réparation des griefs, parmi les Canadiens, de quelqu’état et de quelques conditions qu’ils soient[2].

On comprend la surprise de l’archevêque de Québec : non seulement l’abbé Blanchet était-il d’avis qu’un pasteur « ne devait pas se séparer de ses ouailles », même en cas de rébellion, mais sa lettre laissait entendre que « les curés du voisinage […] partageaient son opinion ».

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L’archevêque de Québec aurait bien voulu que la lettre soit « demeurée dans l’oubli » et craignait maintenant qu’elle ne serve qu’à « le trouver plus coupable[3] ».

La situation commandait de délicates et discrètes démarches auprès du gouverneur et les plus vives assurances de loyauté de la part de la hiérarchie religieuse pour corriger l’impression donnée par la fameuse lettre. Mais, malgré l’intercession des évêques de Montréal et de Québec[4], le curé de Saint-Charles passe l’hiver en prison. Il n’est finalement libéré que le 31 mars 1838, moyennant un cautionnement de 1 000 livres.

À sa sortie de prison, l’abbé Blanchet va remplacer son frère aux Cèdres et devient peu après évêque du diocèse de Walla, sur la côte du Pacifique (aujourd’hui dans l’État de Washington). Il meurt à Vancouver le 25 février 1887 et, depuis 1955, sa dépouille repose au cimetière Holy Road de Seattle.

Mgr Blanchet

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1. Sur Blanchet, voir Nive Voisine, « Blanchet, Augustin-Magloire », dans DBC, vol. 11; Louis Blanchette, Histoire des familles Blanchet et Blanchette d’Amérique, Rimouski, Histo-graff, 1996.

2. L’abbé Augustin-Magloire Blanchet à lord Gosford, 9 novembre 1837, reproduite dans « Inventaire de la correspondance de Monseigneur Joseph Signay, archevêque de Québec », RAPQ, 1938-1939, p. 241-142. L’assemblée devait au départ réunir les délégués de cinq comtés.

3. Mgr Signay à Mgr Lartigue, 28 février 1838, dans « Inventaire… », RAPQ, 1938-39, p. 241-242.

4. Le même au même, 27 décembre 1837, ibid., p. 229.

 

 

 

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