Augustin-Magloire Blanchet, un curé sympathique aux Patriotes

[Notes pour une allocution au souper des Patriotes de la Côte-du-Sud le 21 mai 2017]

Né à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, en 1797, Augustin-Magloire Blanchet[1] est ordonné prêtre en 1821. Il fait du ministère dans quelques paroisses avant de se retrouver curé de Saint-Charles (sur Richelieu) en 1837, au moment et à l’endroit où le mouvement patriote est à son apogée.

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Le 23 octobre, le curé Blanchet assiste à la grande assemblée des Six-Comtés qui se tient dans sa paroisse. La situation politique évolue rapidement par la suite. Un mois plus tard, l’armée britannique s’approche de Saint-Charles. Divers témoignages confirment que le curé Blanchet s’est rendu au camp improvisé par les Patriotes, au matin de la bataille du 25 novembre, pour prier avec ses paroissiens et les exhorter à se préparer à une mort éventuelle.

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Bataille de Saint-Charles

Le 15 décembre, Augustin-Magloire Blanchet est convoqué chez le procureur général et accusé de haute trahison, un crime qui pourrait le faire condamner à mort. Le lendemain, il est incarcéré à la prison de Montréal, seul membre du clergé parmi des centaines de Patriotes.

On imagine la commotion chez les autorités religieuses. L’abbé François-Norbert Blanchet leur suggère de demander une copie de la lettre que son frère aurait adressée au gouverneur Gosford en novembre. On cherche un moment le document qui est finalement retrouvé dans les papiers du gouverneur et envoyé à l’archevêque de Québec, qui est catastrophé.

Que disait donc cette lettre du 9 novembre 1837?

L’abbé Blanchet voulait informer le gouverneur sur ce qui se passait dans sa région. En voici trois passages qui démontrent son appui aux revendications des Patriotes :

Je crois que l’excitation est à son comble. Il n’y a pour ainsi dire qu’une voix pour condamner la conduite du Gouvernement; ceux qui jusqu’ici ont été tranquilles et modérés se réunissent à leurs concitoyens qui les avaient devancés, pour dire que, si le Gouvernement veut le bonheur du Pays, il doit au plutôt [sic] accéder aux justes demandes du peuple; que bientôt il ne sera plus temps. […]

Je crois connaître assez l’opinion de la population circonvoisine pour vous dire que le danger est imminent, qu’il n’y a pas de temps à perdre, si vous avez quelque chose à faire pour le bonheur des Canadiens. L’opinion publique a fait un pas immense depuis l’Assemblée des cinq comtés [sic]; Assemblée des plus imposantes, et par la qualité de ceux qui s’y sont trouvés, et par l’ordre qui y a régné. C’était une assemblée d’hommes qui, par leur contenance, faisaient comprendre qu’ils étaient convaincus de l’importance des mesures que l’on devait soumettre à leur approbation; et leur disposition, après l’assemblée, était celle d’hommes persuadés que les souffrances du pays étaient telles qu’il fallait faire les plus grands efforts pour les faire cesser. […]

Je dois dire de plus qu’il ne faut plus compter sur les Messieurs du clergé pour arrêter le mouvement populaire dans les environs. Quand ils le voudraient, ils ne le pourraient. D’ailleurs vous savez que les pasteurs ne peuvent se séparer de leurs ouailles, ce qui me porte à croire que bientôt il n’y aura plus qu’une voix pour demander la réparation des griefs, parmi les Canadiens, de quelqu’état et de quelques conditions qu’ils soient[2].

On comprend la surprise de l’archevêque de Québec : non seulement l’abbé Blanchet était-il d’avis qu’un pasteur « ne devait pas se séparer de ses ouailles », même en cas de rébellion, mais sa lettre laissait entendre que « les curés du voisinage […] partageaient son opinion ».

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L’archevêque de Québec aurait bien voulu que la lettre soit « demeurée dans l’oubli » et craignait maintenant qu’elle ne serve qu’à « le trouver plus coupable[3] ».

La situation commandait de délicates et discrètes démarches auprès du gouverneur et les plus vives assurances de loyauté de la part de la hiérarchie religieuse pour corriger l’impression donnée par la fameuse lettre. Mais, malgré l’intercession des évêques de Montréal et de Québec[4], le curé de Saint-Charles passe l’hiver en prison. Il n’est finalement libéré que le 31 mars 1838, moyennant un cautionnement de 1 000 livres.

À sa sortie de prison, l’abbé Blanchet va remplacer son frère aux Cèdres et devient peu après évêque du diocèse de Walla, sur la côte du Pacifique (aujourd’hui dans l’État de Washington). Il meurt à Vancouver le 25 février 1887 et, depuis 1955, sa dépouille repose au cimetière Holy Road de Seattle.

Mgr Blanchet

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1. Sur Blanchet, voir Nive Voisine, « Blanchet, Augustin-Magloire », dans DBC, vol. 11; Louis Blanchette, Histoire des familles Blanchet et Blanchette d’Amérique, Rimouski, Histo-graff, 1996.

2. L’abbé Augustin-Magloire Blanchet à lord Gosford, 9 novembre 1837, reproduite dans « Inventaire de la correspondance de Monseigneur Joseph Signay, archevêque de Québec », RAPQ, 1938-1939, p. 241-142. L’assemblée devait au départ réunir les délégués de cinq comtés.

3. Mgr Signay à Mgr Lartigue, 28 février 1838, dans « Inventaire… », RAPQ, 1938-39, p. 241-242.

4. Le même au même, 27 décembre 1837, ibid., p. 229.

 

 

 

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