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Les loisirs d’un député urbain (suite)

Plusieurs se demandent, comme je l’ai fait il y a 18 mois (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2012/10/08/les-loisirs-dun-depute-urba/), comment le député de Jean-Talon a pu pratiquer la médecine pendant la 40e législature? Il était alors membre de la Commission de la santé et des services sociaux (CSSS) et porte-parole de l’Opposition officielle en matière de santé (le volet « services sociaux » relevant de Stéphanie Vallée), soit le minimum de fonctions pour un « simple député » de l’opposition : membre d’UNE commission et un volet de l’administration à surveiller.

Entre l’élection générale du 4 septembre 2012 et le début officiel de la dernière campagne électorale, le 5 mars 2014, le député de Jean-Talon est intervenu dans 52 des 110 séances de l’Assemblée nationale[1]. Il a posé 33 questions, dont 8 se sont prolongées dans des débats de fin de séance (« mini-débats » de 12 minutes). Il a lui-même présenté un projet de loi (le projet 196 mort au Feuilleton) et il est intervenu dans l’étude de 7 autres en « deuxième lecture » (les 7), lors de la prise en considération du rapport (3) ou à la « troisième lecture » (3). Le règlement prévoit alors une intervention de 20 minutes. Outre quelques autres interventions substantielles du même ordre (débat sur le discours d’ouverture, débat sur le budget, débat sur le rapport des crédits, deux « motions du mercredi »), il a pris la parole sur des questions qu’il faut bien qualifier de mineures : 8 motions sans préavis (la plupart adoptées sans débat ou rejetées faute de consentement), 5 déclarations de député (une minute), 3 dépôt de pétition.

Comment qualifier cette performance? Aucun instrument de mesure ne permet d’en juger. Il y a des parlementaires qui interviennent tous les jours, d’autres qu’on n’entend pratiquement pas. On retiendra que ces interventions prennent place dans un peu moins de la moitié des séances. Quant à l’absence d’interventions dans les autres, on ne peut rien en conclure à moins de compiler les votes par appel nominal ou de mettre la main sur d’autres sources d’information.

On dira que le travail parlementaire le plus important se fait en commission. La Commission de la santé et des services sociaux (CSSS) a tenu 80 séances publiques pendant la 40e législature[2]. Le député de Jean-Talon n’en a manqué que deux ou trois (selon le relevé des interventions). Il a aussi participé à une séance de la Commission de l’administration publique sur la gestion de la Corporation Urgence-santé.

La CSSS a consacré une dizaine de séances à des activités de contrôle parlementaire, dont 3 séances pour l’étude des rapports de gestion d’agences de santé, 2 pour les crédits du ministère (volet « santé ») et 3 pour des interpellations (débat de deux heures le vendredi); le député de Jean-Talon était présent comme témoin (ancien ministre) aux séances sur la gestion du CHUM et n’a pas participé aux crédits du volet « services sociaux ».

La CSSS a consacré une vingtaine de séances à l’étude détaillé de 4 projets de loi, dont 13 pour le projet de loi sur les soins de fin de vie.

Finalement, ce sont les consultations qui ont le plus occupé cette commission, soit une quarantaine de séances dont 13 pour le projet de loi concernant les soins de fins de vie, 13 autres pour le projet d’assurance autonomie, 7 pour les conditions de vie en centre d’hébergement, etc.

Encore une fois, bien malin qui pourrait évaluer le travail effectué pendant ces 80 séances : est-ce plus ou moins que la moyenne? Examiner la gestion d’un ministère dont on a été le titulaire pendant les quatre années précédentes n’est pas particulièrement « sorcier »; c’est même plus inconfortable qu’autre chose. Entendre réciter des mémoires, souvent répétitifs, dont on a précédemment eu le résumé (quand ils n’ont pas été rendu publics) est plus fastidieux que pénible. On comprend les membres des commissions d’y être parfois distraits ou occupés à autre chose. Quant aux questions posées aux témoins, il faudrait voir dans quelle mesure elles ont été préparées par le personnel politique ou administratif.

Les 110 séances de l’Assemblée et les 80 de la CSSS donnent apparemment 190 jours de travail au Parlement. En pratique, commission et Assemblée siègent souvent les mêmes jours. Les séances de l’Assemblée durent en moyenne environ 4h00 et les parlementaires les désertent pour la plupart après les affaires courantes (le premier tiers environ). On explique souvent leur absence en disant qu’ils travaillent ailleurs, notamment en commission dont les séances durent en moyenne trois heures. La commission dont le député de Jean-Talon faisait partie a siégé 17 fois quand l’Assemblée n’était pas elle-même en séance, ce qui lui ajoute 17 jours de travail parlementaire, pour un total de 127. La période prise en considération ayant duré 18 mois, soit environ 375 jours ouvrables (déduction faite des fins de semaine et des jours fériés), cette charge de travail représente en gros un jour sur trois, ou, pour le monde ordinaire, 1,6 jour de travail par semaine.

Reste le « travail de comté », un volet du mandat de député encore plus difficile à évaluer. Ajouter une journée de « bureau de comté » ─ ce qui nous mène au demi-temps (1,6 + 1 = 2,6 jours) ─ ne rend évidemment pas justice au député qui a bien d’autres choses à faire, en principe, que de légiférer et de surveiller le gouvernement à l’Assemblée nationale. Il joue aussi un rôle d’intermédiaire qu’il est difficile à définir : est-ce un agent de développement régional, un agent d’information sur les programmes gouvernementaux, un travailleur social, un ombudsman local à qui se confient les désespérés? Tout cela et davantage. Le travail du député qui se voue au bien-être de ses commettants est infini car, jusqu’à preuve du contraire, il reste encore des victimes et des défavorisés, des pauvres et des chômeurs, des demandeurs d’aide toutes sortes, des personnes et des groupes qui cherchent des appuis pour atteindre leurs objectifs quand ce ne sont pas leurs rêves.

Y a-t-il de ces personnes dans Jean-Talon? Des gens qui « comptent dans bien des cas sur le député pour leur servir de guide ou pour intervenir en leur nom. Face à l’appareil gouvernemental, le député est souvent pour le citoyen le dernier recours pour recevoir des services ou faire valoir ses droits[3] »? Sûrement.

Mais le député n’est pas seulement le représentant de son comté. Une fois élu, il représente toute la population et rien de ce qui la préoccupe ne devrait lui être étranger. Comment le député de Jean-Talon s’est-il acquitté de ce volet du mandat parlementaire, le plus vaste et le plus important, se plaît-on à dire, et pour lequel il lui restait encore la moitié de son temps, sans compter les fins de semaine?

Il est impossible de répondre à cette question sans jeter un coup d’œil à l’agenda du député et on n’est pas à la commission Charbonneau (sans compter que les documents des députés sont bien protégés par la Loi d’ACCÈS à l’information). Un coup d’œil aux journaux montre qu’il n’a pas fait grand bruit (ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas fait de bien), à part les échos des débats parlementaires. Jean-Talon ne comprend pas des dizaines de municipalités, comme c’est sou vent le cas des circonscriptions rurales, ce qui réduit considérablement les instances à soigner, que ce soit les conseils municipaux, les chambres de commerce où les clubs de l’Âge d’or. Il faudrait dépouiller l’hebdo local pour pouvoir compter les rubans coupés, les chèques remis, les présences aux événements mondains et aux soupers-spaghettis. Dans Le Soleil, on trouve une sortie contre le RTC qui s’entête à vouloir aménager des voies réservées sur Henri-IV (!) et un silence complet dans un dossier pourtant fondamental pour sa circonscription, celui de la construction résidentielle sur les grands domaines de Sillery. Dans ce dossier comme dans plusieurs autres, il faut se poser une question : le Parti avait-il une position? Non? Il y a alors peu de chances que le député en ait.

L’opposition réclame le remboursement des primes qu’il a reçues : comme l’a dit Denis Vaugeois, c’est peut-être son indemnité de député qu’il faut remettre en question! Il a choisi de consacrer les heures que son emploi de député à temps partiel lui laissait pour prendre 1500 patients, ce qui représente un « gros temps partiel » ou un « petit temps plein », selon les points de vue. C’était sa façon de démontrer qu’il avait du cœur, plaide-t-il, mais la perspective de quadrupler son salaire de député ne devait pas manquer d’attrait. Dans une clinique modèle, en plus, « située à trois rues de mon domicile et le centre Entrain où je m’en entraîne est à côté. Plus idéal que ça, tu meurs[4] ».

Dans le même coin, il a aussi la maison Michel-Sarrazin, pour ceux et celles qui préfèrent le bénévolat auprès de gens qui meurent pour vrai.


[1] Les données statistiques sur les travaux ont été compilées à partir du site de l’Assemblée nationale qui donne, avec la biographie de chaque député, la liste de ses interventions. Le compilateur sollicite la clémence s’il y a des petits écarts dans les chiffres : il ne devrait pas y en avoir plus que dans ladite liste qui attribue au député de Jean-Talon des interventions de son homonyme de Mégantic.

[2] Ce total correspond au nombre de cahiers du Journal des débats et ne comprend pas les séances de travail qui ne sont pas transcrites. Il s’agit généralement de courtes réunions d’organisation et de planification qui précèdent souvent et préparent les séances publiques. Elles ont toutes été tenues les jours où la commission ou l’Assemblée siégeaient; elles n’exigent donc pas de présences supplémentaires au Parlement.

[3]Le député au cœur de notre démocratie. Pour une rémunération juste et équitable. Rapport du Comité consultatif indépendant sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale, novembre 2013, p. 29.

[4]Le Soleil, jeudi 4 octobre 2012, p. 22.

Jean Garon

La mort de Jean Garon m’a pris de court. Depuis plusieurs mois, son autobiographie  (Pour tout vous dire, Montréal, VLB, 2013, 564 p.) est sur ma table, avec quatre ou cinq autres, en attente de recension.

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Comme leurs auteurs, les autobiographies de politiciens sont d’inégale valeur. Je me souviens de l’ouvrage d’un politicien que j’aurais pu écrire avec un dossier de coupures de presse; il mentionnait par exemple la mort de son collègue Pierre Laporte sans dire un mot de ce qu’il avait ressenti ni de ce qu’il avait vécu personnellement à cette occasion. Celle de Jean Garon, à l’image de son auteur, appartient à une autre catégorie : on sait ce qu’il pense.

Plusieurs ont rappelé que sa nomination à l’Agriculture était une surprise et son succès à ce poste, improbable. La première partie de son autobiographie rappelle à ceux qui l’ignoraient qu’il avait d’abord une excellente formation académique et qu’il a commencé à militer à la fin des années 1950, ce qui l’avait amené à parcourir le Québec d’un bord à l’autre pour recruter des indépendantistes. Issu du milieu rural, Jean Garon connaissait ce monde bien avant d’entrer au Conseil des ministres. Il n’avait rien du néophyte et Lévesque le connaissait très bien depuis une bonne dizaine d’années, comme militant souverainiste au RIN puis au RN qui a fusionné avec le MSA pour former le PQ.

La deuxième partie est consacrée au ministre de l’Agriculture et constitue un véritable cours d’économie rurale. Le nom de Jean Garon est lié à la protection du territoire agricole mais c’est là une bien petite partie de ses réalisations. Même pour quelqu’un qui a suivi la politique de près à cette époque, la lecture de cette partie rappelle des éléments oubliés de la politique agricole que Jean Garon a élaborée, mise en place et carrément incarnée pendant près de 10 ans. Si les débuts ont été difficiles, les sceptiques ont ensuite été confondus. Le ministre a étudié, parcouru les campagnes sans relâche, écouté, bousculé ici et là, et gagné la confiance du milieu. Des grandes cultures à l’horticulture, en passant par l’élevage et aussi la pêche, il a poursuivi une politique de souveraineté alimentaire (autosuffisance) qui a contribué à mettre en valeur à la fois les produits et les producteurs.

La troisième partie de l’ouvrage couvre la période « post-ministérielle » et comprend des chapitres consacrés à la vie parlementaire, aux années d’opposition, au bref passage à l’Éducation, à la mairie de Lévis et aux deux référendums. Cette partie ne manque pas de piquant ni de jugements typiques, parfois un peu « carrés », mais toujours aussi francs. Son « histoire » de la « chefferie » péquiste est simple : trois chefs qui n’auraient pas dû partir et trois autres qui n’auraient pas dû être choisis. Une leçon d’histoire facile à retenir! Un jour, il s’en prend à des bonzes du mouvement Desjardins au sujet de la démutualisation de la compagnie d’assurances La Laurentienne, opération qu’il juge contraire aux intérêts des mutualistes et aux principes coopératifs. Un attaché politique de son parti l’invite à se retenir tandis qu’un courriériste parlementaire reconnaît qu’il s’autocensure (les deux se retrouveront plus tard cadres chez Desjardins…); Jean Garon ne démord pas, fut-il seul sur sa position.

La photo de la couverture montre un Jean Garon un peu triste mais les yeux clairs. Cette photo tranche avec l’image du « smiling minister » qui lui était associée au début de son mandat. Certes, le temps a fait son œuvre, et on savait l’homme malade depuis plusieurs années, mais on ne peut séparer cette image du message qu’il a voulu laisser dans sa conclusion. C’est l’image du vétéran déçu du résultat d’un demi-siècle de militantisme. L’état de l’économie, de l’agriculture et du mouvement souverainiste l’inquiète mais il continue d’espérer : « Les plus jeunes d’entre nous ont besoin d’un modèle d’idéal et d’intégrité pour avoir le goût de se battre, parce que ce pays va être bâti par eux, et pour eux. IL faut qu’ils redeviennent fiers du Québec, car la fierté d’un peuple est le plus puissant moteur de sa liberté et de sa prospérité, et sa plus grande richesse ».

Samuel de Champlain, entrepreneur et visionnaire

(Allocution prononcée par le maire de Québec lors de la cérémonie du 3 juillet au monument Champlain. )

Nous commémorons aujourd’hui le 406e anniversaire de Québec. Le 3 juillet 1608, Champlain débarquait ici et se mettait sur-le-champ à la construction d’une habitation au pied du cap Diamant. Reconnu comme fondateur de Québec, Samuel de Champlain avait cependant de plus grandes ambitions que la création d’un simple comptoir de commerce des fourrures.

Dix ans après la fondation de Québec, la colonie ne se développe pas à son goût. Ses explorations et les liens qu’il a tissés avec les nations amérindiennes lui ont donné une bonne idée des possibilités de développement du pays.

En 1618, Champlain rédige des mémoires qui visent à convaincre le roi Louis XIII et la Chambre de commerce de Paris du bien-fondé et de la rentabilité d’un établissement commercial permanent en Nouvelle-France.

Dans son mémoire au roi, Champlain écrit que le Saint-Laurent ou ses affluents pourraient mener « au Royaume de la Chine et Indes orientales, d’où l’on tirerait de grandes richesses » ; la douane que l’on percevrait à Québec sur toutes les marchandises en provenance ou à destination de l’Asie « surpasserait en prix dix fois au moins toutes celles qui se lèvent en France » ; on s’assurerait un pays de « près de dix-huit cens lieues de long, arrosé des plus beaux fleuves du monde » et l’on établirait la foi chrétienne chez un nombre infini d’Amérindiens.

Champlain reconnaît l’importance du commerce des fourrures, mais il prône une économie plus diversifiée, qui s’appuierait sur l’exploitation des matières premières : surtout le poisson et le bois, qui seraient exportés, tandis que l’agriculture permettrait à la colonie d’atteindre l’autonomie alimentaire.

Pour accélérer le peuplement, Champlain propose d’attirer des familles avec des conditions d’établissement qui favoriseraient leur enracinement au pays.

Le territoire est vaste. Champlain a des projets pour toute la vallée du Saint-Laurent. Il y a des campagnes à peupler, mais aussi des villes à établir à Tadoussac, aux Trois-Rivières et à Montréal. Pour Québec ─ qui n’est encore qu’un comptoir commercial où vivent quelques dizaines d’habitants ─ il entrevoit la création d’une ville dans la vallée de la rivière Saint-Charles qui s’appellerait « Ludovica ».

Champlain prévoit la construction de forts avec garnison, sur le cap Diamant, à la Pointe-Lévy et à Tadoussac. Il esquisse aussi les grandes lignes de l’organisation administrative et judiciaire du territoire.

Champlain se donne 15 ans pour réaliser cet ambitieux programme et rendre la colonie autonome. Le roi l’appuie mais les choses ne se réalisent pas comme prévu. Il faudra près de 10 ans avant de voir naître une entreprise de colonisation prometteuse, la Compagnie des Cent-Associés. Malheureusement, le premier contingent envoyé par cette compagnie est intercepté par les frères Kirke, des corsaires anglais qui envoient Champlain à Londres et occupent Québec de 1629 à 1632.

Champlain revient en 1633 mais la compagnie ne réussira jamais à envoyer des contingents aussi importants que le premier. En 1634, il fait construire une habitation qui marque les débuts de Trois-Rivières mais sa carrière s’achève et il meurt en 1635.

 

Géographe, cartographe et explorateur, Samuel de Champlain était aussi un homme de vision et d’entreprise. Il s’est acquitté de son mandat initial qui consistait à établir un comptoir commercial mais il avait des vues plus vastes. Ses mémoires de 1618 constituent la première grande politique de colonisation en Amérique française. S’il s’est trompé au sujet de la route vers la Chine et les Indes, il a vu juste quant aux ressources de la colonie mais il a dû laisser à ses successeurs, de Charles Huault de Montmagny jusqu’à nos jours, le soin de les développer.

L’historien

Commentaire reçu de mon ami Michel Leclerc, juriste de formation mais aussi musicien et philosophe à ses heures.

« L’historien m’indispose. Plus, il m’épuise, parce que son incessante activité me tient informé de mon ignorance et de ma paresse.

J’avais des historiens la même image que celle des bibliothécaires : celle de quelqu’un qui a appris l’histoire et qui, ne sachant qu’en faire, l’enseigne aux autres. Il s’agissait pour moi d’une matière complète et limitée, et le seul mérite à mes yeux des historiens était de l’avoir mémorisée et de la recracher vers les étudiants.

Maintenant,  je sais. L’historien va dans tous les recoins, officiels ou privés, historiques ou cachés, grandioses ou intimes. Il se nourrit de photos, de lettres, de dates, de registres, de bâtiments, de documents, de lieux, de souvenirs. De journaux, d’entrevues, de rencontres, de relations.

L’historien est curieux, il s’intéresse, il cherche, il découvre. De nouvelles choses. Il rencontre des gens pour leur parler, et apprendre d’eux.

Il écrit et il parle. Il nous informe de ce qu’il a trouvé. Il ajoute de la connaissance. Comme l’inventeur, au sens du Code civil (celui qui a trouvé).

Après son passage, il y a plus d’histoire. Grâce à lui, on sait de plus en plus ce qui est arrivé, et on comprend mieux ce qui arrive maintenant. »

Les Patriotes aux oubliettes : comment le gouvernement fédéral occulte une page fondamentale de notre histoire

Situé au sommet de la côte de la Montagne, dans le Vieux-Québec, le parc Montmorency a été successivement un cimetière, un lieu de pouvoir religieux et civil, un site militaire stratégique et un parc urbain.

En 2010, il a été fermé quelques mois, le temps que Parcs-Canada effectue des travaux visant à « redonner aux utilisateurs de ce parc un espace d’une grande beauté » et à permettre « une meilleure compréhension des motifs qui font de ce lieu un site d’importance historique nationale ». Le parc a été ensuite rouvert sans tambour ni trompette de telle sorte que peu de gens ont pris connaissance des moyens mis en œuvre pour en améliorer la « compréhension ».

Afin de rappeler pourquoi le parc Montmorency a été désigné « lieu d’importance historique nationale » par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada en 1949, les traces des deux édifices ayant abrité l’Assemblée législative du Canada-Uni entre 1841 et 1866 ont été marquées au sol avec une sorte de pavé et un panneau d’interprétation explique dans quel contexte les parlementaires ont été amenés à siéger à Québec à deux reprises au milieu du XIXe siècle.

Parc Montmorency-tracé au sol - Web

Les parlementaires du Canada-Uni avaient d’abord siégé à Kingston, une petite ville qui ne leur convenait pas, puis à Montréal, où des émeutiers tories ont incendié leur édifice en 1849. Incapables de s’entendre sur l’emplacement de la capitale, ils décident de siéger alternativement à Toronto et à Québec. Le tour de Québec étant arrivé, l’édifice laissé inachevé en 1837 est complété à la hâte et le Parlement l’occupe d’août 1852 à février 1854. Manque de chance, un autre incendie l’oblige à se réfugier à la Salle de musique où il siège jusqu’en mai 1855.

Parlement 1854 

Fatigués des voyages, et toujours incapables de s’entendre, les députés demandent à la reine de régler la question et, en 1857, Victoria choisit Bytown. En attendant la construction d’un édifice parlementaire dans ce bled qui deviendra Ottawa, et pour jeter un baume sur la future « Vieille Capitale », on revient siéger temporairement à Québec dans un édifice quelconque qui devait devenir un bureau de poste une fois les parlementaires partis pour la nouvelle capitale. C’est à cet endroit qu’ont lieu la Conférence de Québec en 1864 et le débat de 1865 où sont adoptées les résolutions qui ont servi de base à la Loi constitutionnelle de 1867.

Parlement 1859-83

C’est donc pour souligner ces deux brefs passages à Québec (moins de dix ans au total, et en bonne partie comme « prix de consolation ») que Parcs-Canada a marqué le contour des fondations des deux bâtiments utilisés par les parlementaires du Canada-Uni, en oubliant le plus important des trois édifices parlementaires qui ont existé sur ce site, celui où les premiers parlementaires du Bas-Canada se sont réunis en décembre 1792. On connaît pourtant très bien l’emplacement de ce bâtiment, la chapelle du Palais épiscopal, où les députés du Bas-Canada ont siégé pendant plus de 40 ans et mené, sous la direction des Bédard et Papineau, leurs inlassables combats pour donner au Parlement les pouvoirs dont la constitution de 1791 l’avait privé. Dans la nouvelle « compréhension » suggérée aux utilisateurs, les origines des institutions québécoises et les luttes parlementaires des Patriotes sont passées aux oubliettes.

Chapelle Web

Les actes de commémoration ne manquent pas dans ce parc. On y trouve notamment une croix et une plaque rappelant l’emplacement du premier cimetière de Québec, un monument à Louis Hébert, une plaque évoquant le lieu de réunion de l’Assemblée législative de la province du Canada, une autre plaque pour marquer l’endroit où le pacte confédératif a été signé, un monument à la mémoire de George-Étienne Cartier, un des Pères de la Confédération, mais rien pour rappeler une période épique de notre histoire politique que la page Internet du « Lieu historique national du Parc-Montmorency » (http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/qc/fortifications/natcul/parc-montmorency.aspx) expédie en six mots : « période trouble qui suit l’Acte constitutionnel ».

Débats sur les langues2

S’il y a quelque chose de « trouble » (i.e., en français, pas limpide, pas net, voire suspect) dans le parc Montmorency, c’est bien le message de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (repris par Parcs-Canada 60 ans plus tard) qui occulte une page fondamentale de l’histoire du Québec.