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L’astuce

L’hommage de Pauline Marois à Robert Bourassa a suscité une tempête. Son exercice d’analyse politique comparée n’a pas eu l’heur de plaire à ses « amis d’en face ». Invoquant l’article 35 du règlement, le leader du gouvernement a tenté de l’interrompre en prétendant qu’on ne faisait pas « ce genre d’intervention en général sur une motion sans préavis ».
Que dit l’article 35 ? Il interdit au député qui a la parole de
« 1° désigner le président ou un député autrement que par son titre ;
2° faire référence aux travaux d’une commission siégeant à huis clos avant qu’elle ait remis son rapport à l’Assemblée ;
3° parler d’une affaire qui est devant les tribunaux ou un organisme quasi judiciaire, ou qui fait l’objet d’une enquête, si les paroles prononcées peuvent porter préjudice à qui que ce soit ;
4° s’adresser directement à un autre député ;
5° attaquer la conduite d’un député […] ;
6° imputer des motifs indignes à un député ou refuser d’accepter sa parole ;
7° se servir d’un langage violent, injurieux ou blessant à l’adresse de qui que ce soit ;
8° employer un langage grossier ou irrespectueux envers l’Assemblée ;
9° adresser des menaces à un député ;
10° tenir des propos séditieux. »
Aucune de ces dispositions (notamment celle qui concerne la sédition…) ne pouvait évidemment s’appliquer à l’intervention de la chef de l’Opposition et justifier l’intervention du président ; ce dernier a vite compris que le leader utilisait un truc vieux comme le Parlement (Duplessis le faisait couramment) qui consiste à invoquer sciemment un article non pertinent seulement pour « changer l’allure du match ». Difficile aussi de convaincre le président que les parlementaires « ne devaient pas tenir des propos susceptibles de soulever des [débats] » alors qu’il venait de constater un « consentement pour débattre de cette motion » !
Pourquoi alors tant d’alarme ? Les citoyens qui n’ont lu que les brefs reportages des journaux et la lettre « profondément » indignée que la présidente du Conseil du Trésor a fait paraître dans au moins deux journaux pour dénoncer la chef péquiste ne peuvent pas avoir une juste idée de ce qui s’est passé. Pour cela, il faut lire son intervention intégrale (http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/39-1/journal-debats/20100429/16141.html#_Toc260399125).
En quelques paragraphes, madame Marois a souligné deux traits du personnage : ses positions constitutionnelles et la création de deux fameuses commissions d’enquête, la CECO, en 1972 et la commission Cliche, sur l’industrie de la construction, en 1974.
Après avoir évoqué les positions de Bourassa sur l’accord du lac Meech, madame Marois a fait allusion au rapport Charest (qui avait servi de prétexte à Lucien Bouchard pour quitter le Cabinet Mulroney) avant d’ajouter : « On s’étonne, à ce moment, que le gouvernement actuel n’ait pas de positions constitutionnelles ». Et dans la foulée de son rappel sur les commissions d’enquête, elle a ajouté : « Nous souhaitons, donc, que le gouvernement actuel, qui aime bien rappeler la filiation du parti libéral d’aujourd’hui avec le parti libéral d’hier, se montre à la hauteur de son héritage. Qu’il pose un geste courageux, en instituant une enquête publique sur la construction et ses liens avec le financement des partis politiques ».
C’est à ce moment, à la deuxième « prise », que le leader du gouvernement est intervenu. Madame Marois avait pourtant prudemment dit « partis politiques », et non Parti libéral »… Et quand elle a pu reprendre la parole, ce fut pour commémorer brièvement l’élection des premiers députés du PQ ce même 29 avril 1970.
Dans la lettre qu’elle a fait paraître dans Le Devoir de samedi, la présidente du Conseil du Trésor écrit : « Totalement incapable de prendre ses distances de la partisanerie politique qui l’aveugle, Mme Marois aura lamentablement échoué dans sa tentative de s’élever au-dessus de la mêlée et de reconnaître, à sa juste valeur, l’ancien premier ministre du Québec. Grand chef d’État, Robert Bourassa aura été le premier premier ministre du Québec à militer en faveur du droit et de la place des femmes en politique, en créant notamment le Conseil du statut de la femme ».
Difficile de concilier cette analyse avec la lecture des propos de madame Marois qui n’a pas dit un seul mot négatif sur le premier gouvernement de Robert Bourassa, l’objet de la motion, ni sur Robert Bourassa lui-même qui n’est quand même pas « sur les planches » actuellement. Disons qu’elle l’a plutôt ménagé, comme c’est l’usage dans les circonstances. Madame Marois a été généreuse en acceptant de « célébrer », sans exprimer le moindre bémol, le quarantième anniversaire de l’élection d’un chef de gouvernement que son parti a combattu pendant quatre mandats. A-t-elle commis un grave impair que certains commentateurs lui reprochent en « tirant la pipe » au premier ministre actuel dans une circonstance (les motions sans préavis) où on célèbre généralement « la maternité et la tarte aux pommes », et où il n’y a pas de réplique ? Faudra-t-il désormais qu’on négocie aussi le contenu des interventions ? Le gouvernement sera plus prudent à l’avenir quand il sera tenté de souligner des événements qui peuvent donner prise aux astuces. Et, si l’incident peut contribuer à réduire le nombre des motions sans préavis, il aura servi à quelque chose.

Excuses, explications et autres « défaites »

L’actualité nous a bien servis, ces derniers jours, en matière de propos déroutants et d’explications étonnantes. Il faut en savoir gré à leurs auteurs sans qui nous n’aurions peut-être pas compris le fin fond des affaires.
On apprenait le 19 avril que la Commission de toponymie n’acceptait pas de rebaptiser l’autoroute Henri IV, tel que le souhaitait le chef de l’ADQ. Réaction de ce dernier : « C’est triste, c’est malheureux de voir que des bureaucrates sont allés à l’encontre de ce que désirait la population » (JQ, 20 avril 2010).
Les fonctionnaires ont le dos large, surtout pour les lanceurs de couteaux de l’ADQ, mais il ne faudrait pas les charger injustement. La Commission de toponymie n’est pas formée de fonctionnaires mais d’experts choisis hors de la fonction publique comme notre ami Jacques Lacoursière qui sera étonné de se voir qualifié de « bureaucrate ». Sans cette explication, nous aurions pu croire candidement que l’opposition massive des sociétés d’histoire aurait peut-être eu certaine influence.
Furieux de ne pas avoir été traité avec les égards dus à son statut (d’auteur à scandales…), le biographe non autorisé de Guy Laliberté et de Michael Jackson estime que Guy A. et son fou se sont moqués de lui à TLMP, le 18 avril, parce qu’il est… juif. Ils sont donc antisémites. CQFD.
Louis O’Neill a écrit, autrefois : « Le Québécois dit de souche est, paraît-il, facilement envahi par un sentiment de culpabilité. Il est porté à s’excuser quand on lui marche sur les pieds. […] Ses ennemis connaissent son malaise, son sentiment de culpabilité. Ils en profitent. L’astuce est habile qui consiste à lui faire croire qu’il est peut-être antisémite, peut-être même certainement, insinue-t-on ». Fin du commentaire : l’Assemblée nationale pourrait s’en mêler…
Troisième cas et non le moindre. Le 16 avril, des animateurs d’une station radio de Québec ont été blâmés par le Conseil de presse pour des propos jugés « méprisants » et « inexacts » à propos des assistés sociaux et des travailleurs sociaux. Un des animateurs a répliqué qu’il ne se sentait pas visé par la décision car il se décrit, non pas comme journaliste, mais comme un « clown » qui livre des impressions personnelles et ne sent pas la nécessité d’appuyer ses opinions sur des données précises : « J’ai un secondaire cinq. Et on me demande de dire ce que je pense de différents sujets de l’actualité ».
Ce n’est pas moi qui l’ai dit.

« …un exercice des plus périlleux… »

L’affaire Rapaille nous a bien fait rire mais, comme le veut le dicton popularisé par les humoristes de Croc, « ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle ».
Prendre conseil auprès de spécialistes (surtout s’il ne coûte que « cinq cennes »…) aurait été utile. Voici d’ailleurs ce que pense Pierre Balloffet, professeur de marketing à HEC Montréal, du branding, le marquage, qui, nous apprend-il, trouve son origine étymologique dans le mot français « brandon », soit l’empreinte faite sur le bétail avec un fer rouge.
« Marquer un objet, c’est en effet en prendre possession. Ce qui est vrai pour un produit ou un service commercial l’est aussi pour un lieu ou une institution. Les études menées par l’auteur de ce texte dans le cas des villes mettent toutes en évidence le rapport ambigu de la population à l’égard de ce type d’exercice de branding.
« Instinctivement, l’agacement, sinon la résistance de la population, lors de la définition puis de la projection de l’image de sa ville, mettent en relief deux sentiments: une impression de perte d’appropriation ou de spoliation du lieu au profit d’une image qui apparaît comme le reflet d’une identité décidée et imposée; le ridicule perçu d’une image très réductrice, car incapable de rendre pleinement compte de la complexité de ce qui forme en définitive une cité.
« L’image d’une ville, sa réputation, est en effet le résultat dans la durée de multiples gestes et initiatives, parfois heureux, parfois non, souvent contradictoires. C’est de ces mouvements incessants que naît en définitive l’image de la ville. Il est possible de s’interroger sur la pertinence d’un exercice qui vise à définir cette image non plus comme un résultat ou un résidu, mais comme un cadre préalable. Il est difficile de ne pas voir dans cette réduction au dénominateur commun un exercice assez stérile. […]
« La marque est d’abord et avant tout un artifice commercial. […] appliquer sa logique à un autre contexte, celui de la ville, par exemple, est un exercice des plus périlleux, certainement pas neutre ni innocent, dont l’à-propos et la légitimité doivent donc être questionnés [La Presse Affaires, 12 avril 2010, http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/economie/201004/12/01-4269427-une-ville-comme-une-image.php ]. »

On aura compris que les Québécois qui ont manifesté leur scepticisme devant cet exercice incongru n’étaient que normaux.

Requiem pour Clotaire

(Air : Mon chapeau de paille)
Dédié à Isabelle Porter
1
À Québec, un chef peu banal
Menait grand cheval de bataille :
Jeter sa « Vieille Capitale »
À la ferraille.
Et vu qu’ici, dans son esprit,
On n’avait pas talent qui vaille
C’est aux États qu’il découvrit
Clotaire Rapaille.
2
Pour attirer les étudiants,
Les visiteurs et la marmaille,
Il cherchait un brillant slogan
À notre taille
(Celle de la ville évidemment…).
De ce projet qui le travaille,
Il discuta en déjeunant
Avec Rapaille.
3
Quand arriva le consultant
Devant Québec et ses murailles,
Il séduisit les habitants
Avec sa gouaille.
On fit quêter exprès pour lui
Trois cent mille balles, et des grenailles.
C’était pas cher pour un génie
Comme Rapaille.
4
Les citoyens avaient la trouille
Que ce projet troublant déraille,
Plusieurs trouvaient gênant qu’on fouille
Dans leurs entrailles.
Bientôt, un journal trop curieux
Se mit à dénicher des failles
Dans le c.v. si merveilleux
Du cher Rapaille.
5
En quelques jours, on vit détruit
(certains en rient, très peu en braillent)
Le capital de sympathie
Du p’tit canaille.
La mairie dut se repentir
Devant la presse et sa mitraille,
Puis, à regret, se départir
De son Rapaille.
6
De cette histoire, la morale :
Pensez-vous vraiment qu’il nous faille
Mener la « Vieille Capitale »
Aux funérailles ?
Depuis quatre cents ans qu’on dure,
Commémorons cette bataille :
« Il a frappé ici le mur,
Ci-gît Ripaille ».
(Pour écouter Mon chapeau de paille, par Conrad Gauthier sur le Gramophone virtuel :
http://amicus.collectionscanada.ca/gramophone-bin/Main/ItemDisplay?l=1&l_ef_l=-1&id=682471.1257122&v=1&lvl=1&coll=24&rt=1&rsn=S_WWWdaaqCQSLi&all=1&dt=MC+|mon|+ET+|chapeau|&spi=-&rp=1&vo=1)

Soldes de fin (?) d’hiver

Une autre tentative pour voir le fond du panier…
L’église Saint-Vincent-de-Paul
La façade de l’église Saint-Vincent-de-Paul est tombée. Sur la liste des démolitions récentes, elle s’ajoute à la chapelle des Franciscaines et sera suivie du couvent des Dominicains. Ce n’est pas notre pire perte. Peut-être faudrait-il se pencher, avant que les promoteurs ne le fassent, sur les bâtiments plus importants encore dont l’avenir est menacé : la chapelle du Bon-Pasteur, l’église Saint-Cœur-de-Marie, par exemple.
Pour conserver la mémoire de l’église Saint-Vincent-de-Paul, au lieu de lui intégrer quelques pierres insignifiantes, il serait peut-être mieux de donner un nom significatif à l’hôtel qui la remplacera. Pourquoi pas l’hôtel Saint-Vincent ? Le propriétaire ferait la preuve de son engagement en faveur du patrimoine et de son respect du caractère français de la capitale. Sans que ça ne lui coûte un sou.
Saint-Vincent : ça se comprend même dans les deux langues ! Et ça nous changerait des Québec Inn, Lindberg, Plazza et autres Must (sic) qui constituent actuellement les plus nombreux maillons de la chaîne hôtelière Jaro.
French Canadian XGames ?
Organisés par la chaîne ESPN aux États-Unis depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, les X Games offrent un large éventail de compétitions de sports extrêmes : ski casse-cou, planche à neige, motocross, motoneige… Cette industrie se décline en plusieurs versions : Latin XGames, Asian XGames, Global XGames, Junior XGames, etc.
Les 14e XGames d’hiver ont eu lieu à Aspen, Colorado, à la fin du mois de janvier, et le président d’Équipe Québec en rêve pour la capitale (Soleil, 10 février 2010). C’est tout naturel. On a déjà le Red Bull Crashed Ice, le Surf Big Air, le Pound Hockey, le Trip Hockey Bud Light, l’Ultimate Frisbee, etc. Comme l’a dit un ministre il y a quelques semaines (JQ, 13 février 2010) : « Il ne faut pas s’asseoir sur ses oreillers ».
Le mauvais numéro
L’ancien DG du 400e devant la Chambre de commerce française : « Ca prend de gros noms pour attirer les touristes et faire sortir les gens dans les rues, comme l’avait fait George VI lors des célébrations du 300e de Québec ».
Peut-être a-t-il été mal cité (JQ, 24 février 2010) mais rappelons pour mémoire que George VI n’avait que 12 ans en 1908 et n’est monté sur le trône qu’en 1936. C’est son père, George V, qui est venu à Québec mais il n’était alors que prince de Galles.
Le cadeau de la France
Dans le Journal de Québec du 26 février 2010, l’architecte Simon-Pierre Fortier justifie la démarche architecturale qui a mené à la réalisation du Centre de la francophonie. Il réagit vraisemblablement à quelques commentaires négatifs dont le texte de Marie-Paule Tremblay (« Trésors défigurés ») publié dans La Presse du 15 janvier dernier.
L’architecte a techniquement raison : l’intérieur de l’édifice avait été transformé, il était délabré, le travail s’est fait dans le respect des normes et de concert avec les autorités concernées, dont celles qui privilégient « le patrimoine de demain »… Le résultat ? On connaît la chanson : si vous n’aimez pas, vous êtes « réfractaire au changement »…
Mais le problème n’est pas là. Il se situe en aval, dans cette série de manœuvres politico-administratives (dont la France ne serait que partiellement responsable) qui ont fait avorter trois projets de cadeau vraiment porteurs de sens et ont abouti à ce « projet de recyclage ».
250 000$ pour des clichés?
Visiblement ébloui, en sortant de la conférence de monsieur Rapaille, un ancien député-ministre de la région de Québec se dit fasciné de voir le gourou connaître tous les « clichés » concernant Québec…
Ça nous rassure sur ses qualités de visionnaire du consultant: il a vu tout de suite ce que nous savons tous.
Le monde selon Cannon
Le ministre est agacé parce que le chef du Bloc québécois définit son groupe comme des « résistants »; il en déduit que le gouvernement fédéral serait nazi. Peut-être sera-t-il encore plus ennuyé s’il persiste dans sa logique implacable: où sont alors les antisémites?
Des résistants allemands
« Halte au Denglish » (La Presse, 26 février 2010) ! La compagnie allemande des chemins de fer renonce aux anglicismes qui pimentaient sa publicité : « hotline » (renseignements téléphoniques), « flyer » (brochure), et « counter » (guichet) sont bannis. Le ministre des Transports a banni les « task forces » (groupes de travail), « travel management » (bureau de voyage), et autres « inhouse meetings » (séminaires).
Tiens, donc ! Plus de 100 millions de personnes parlent allemand en Europe et l’Allemagne sent le besoin de lancer une campagne contre les anglicismes et l’emprise croissante de l’anglais. Et dire que certains esprits angéliques estiment qu’on s’en préoccupe trop ici.