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Les « verrues » de l’Hôtel du Parlement

L’Hôtel du Parlement sera-t-il affligé d’une autre « verrue », cette fois devant l’édifice André-Laurendeau?

L'édifice André-Laurendeau, en bas, à droite (photo J.-F. Rodrigue, RPCQ)
L’édifice André-Laurendeau, en bas, à droite (photo J.-F. Rodrigue, RPCQ)

C’est le terme qu’Antoine Robitaille (Journal de Québec, 28 mai 2019) avait utilisé pour désigner des « ajouts » douteux à l’Hôtel du Parlement :  une nouvelle entrée de type « centre commercial » qui a saccagé la fontaine créée par Eugène-Étienne Taché; « une sorte de poste-frontière énorme noir […] installée à l’arrière, au nord-ouest de l’édifice, près de l’arche de la passerelle reliant le parlement à la bibliothèque » en remplacement de la « petite guérite discrète dont les matériaux rappelaient respectueusement ceux du parlement : pierre et tôle galvanisée »; « un autre édicule carré moderne » qui raccorde un nouveau tunnel à la bibliothèque (côté est), ce qui aurait pu se faire complètement sous terre, sans altérer le bâtiment (où il a fallu remplacer une fenêtre par une porte).

https://www.journaldemontreal.com/2019/05/28/des-verrues-au-parlement

Fontaine avant 2019

La fontaine avant 2019

Fontaine 2019  JdeQLa fontaine aujourd’hui

Ancienne guérite

L’ancienne guérite

Nouvelle guérite (2019)

La nouvelle guérite (2019)

Extrémité du "tunnel" à l'est

La sortie du « tunnel » à l’extrémité  est de la bibliothèque (alors en construction)

On annonce maintenant « l’implantation de conteneurs semi-enfouis dans l’espace vert adjacent à la façade sud de l’édifice André-Laurendeau » et la construction d’un « édicule, équipé d’un monte-charge relié au sous-sol de l’édifice », sous les fenêtres du lieutenant-gouverneur (https://www.journaldequebec.com/2021/07/14/des-dechets-sous-les-fenetres-du-lieutenant-gouverneur).
En vertu de la Loi sur le patrimoine culturel (2012), l’Hôtel du Parlement, les édifices adjacents (dont l’édifice André-Laurendeau) et leurs abords constituent le « site patrimonial national ».  C’est la seule partie du territoire québécois auquel ce statut particulier est attribué, ce qui consacre la valeur patrimoniale de ce lieu symbolique.
Quand on sait à quelles règles sont astreints les propriétaires de bâtiments classés, et les restrictions qu’on leur impose pour le moindre projet de rénovation ou de modernisation — jusqu’à la couleur de leurs bardeaux de toiture —, on doit se demander qui s’occupe de protéger l’Assemblée nationale contre les « verrues »?

Pour en finir avec l’affaire Michaud

(texte soumis aux médias en mars dernier par l’ancien ministre Matthias Rioux )

Le 11 décembre dernier, le chef parlementaire du Parti québécois a présenté une motion sans préavis qui avait pour but de corriger l’injustice commise envers Yves Michaud le 14 décembre 2000. Cette motion était appuyée par Québec Solidaire, mais le leader du gouvernement a refusé le consentement nécessaire au dépôt et chacun est parti en vacances, comme en 2000 et comme en 2010, quand le chef de Québec solidaire a vainement tenté de présenter une motion reconnaissant que l’Assemblée nationale avait erré en 2000.

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Matthias Rioux et Yves Michaud en 2018

Les parlementaires ont-ils remis le couvercle sur cette affaire nauséabonde pour une autre décennie ? Tous les observateurs de bonne foi de la scène politique savent qu’Yves Michaud n’a pas tenu, dans son témoignage aux États généraux sur le français, les « propos inacceptables » que le chef de l’opposition et le premier ministre de l’époque lui ont reproché… sans jamais les citer, pour la simple raison qu’il n’y a pas de tels propos dans la transcription officielle de la séance du 13 décembre. Il est choquant de voir que des hommes incarnant l’État de droit, membres du barreau de surcroît, se soient prêtés à cette injustice et persistent vingt ans plus tard à nier l’évidence.

L’Assemblée nationale a été trompée par ceux qui ont machiné cette exécution en coulisses. Elle a doublement erré en ne citant pas les propos incriminés et en ne prenant pas la peine d’entendre Yves Michaud.

Pour arriver enfin à provoquer le débat qui n’a jamais eu lieu sur cette affaire et la régler une fois pour toutes, il faut utiliser une autre méthode que la motion sans préavis dont le dépôt requiert le consentement unanime. Tout député peut faire inscrire une motion au Feuilleton (à l’ordre du jour) en respectant les exigences du Règlement. La motion sera ensuite étudiée si le leader du gouvernement décide de la prendre en considération ou si un parti d’opposition la choisit comme sujet de débat lors de la séance qui lui est réservée le mercredi matin.

La première hypothèse suppose évidemment que le premier ministre reconnaisse personnellement qu’il a été trompé lorsqu’il a voté le 14 décembre 2000. Il pourrait prendre exemple de son député de Montmorency, Jean-François Simard qui a déjà exprimé ses regrets en 2011 et de deux autres membres de sa formation (ceux de Chutes-de-la-Chaudière et de La Peltrie) qui ont appuyé la motion d’Amir Khadir en 2010.

La réalisation de la seconde hypothèse (soit une « motion du mercredi ») ne requiert aucun consentement, aucune autorisation, de la majorité ou des libéraux, seulement la volonté de « gens de bien » (comme disait le fils d’Yves Michaud en décembre dernier) sincèrement déterminés à corriger la « suprême injustice » dont parlait le juge Baudouin.

Lors d’un dîner regroupant les Amis d’Yves Michaud, l’ancien premier ministre Bernard Landry me disait : « il a assez souffert, il faut réparer cette saloperie ».

Je tente un ultime effort au nom de l’amitié et du respect que je porte au journaliste brillant et à l’intellectuel militant, Yves Michaud. Je veux rappeler le patriote en lui, l’homme épris de justice et le fidèle serviteur de la nation.

J’en appelle au sens de la justice des quatre chefs de partis et aux parlementaires de l’Assemblée nationale. Je sollicite leur appui, pour éviter que le funeste complot du 14 décembre 2000 ne ternisse à jamais la réputation d’un grand citoyen du Québec.

Matthias Rioux, Ph. D.

Ex-ministre du Travail, député de Matane (1994-2003).

 

Le projet de loi sur la «dévolution de la couronne» : plus clair en anglais?

Le projet de loi 86 déposé le 11 mars prévoit que la « dévolution de la couronne » (façon de dire que la reine va passer la main…) n’a pas pour effet de mettre un terme aux activités du Parlement du Québec. La Loi de l’Assemblée nationale adoptée en 1982 manquait de limpidité à cet égard.
Il reste cependant du travail à faire sur l’article 2 qui porte sur le serment et se lit comme suit : « Un serment d’allégeance ou d’office n’a pas à être souscrit à nouveau en raison de la dévolution de la couronne ». La forme négative n’est pas de la plus grande élégance ; mieux vaudrait dire quelque chose comme « la dévolution ne requiert pas la prestation d’un nouveau serment d’allégeance ou d’office ». Mais, c’est surtout le mot « souscrit » qui étonne.

 « Prêter et souscrire »
La Loi constitutionnelle de 1867 (AANB) oblige les membres du Parlement canadien et des parlements des provinces à « prêter et souscrire » le serment d’allégeance à la reine énoncé dans sa cinquième annexe.
Dans l’ancien Règlement de l’Assemblée nationale, le greffier Geoffrion avait décrit le processus en détail, y compris l’endroit et l’heure où les nouveaux députés devaient « prêter le serment d’allégeance »; il ajoutait que ce serment « est souscrit sur un rôle dont le greffier a la garde. » Comme le disait le premier ministre après une élection partielle en janvier 1965, le député Trépanier « a prêté et souscrit sur le rôle le serment prescrit par la loi et il réclame maintenant le droit de siéger ».

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En plus de se préoccuper de la qualité de la langue, les rédacteurs du Règlement en vigueur depuis 1984  l’ont dépouillé de ce qui faisait double emploi avec la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi de l’Assemblée nationale. Le règlement ne parle plus du serment; la loi prévoit simplement qu’un député « ne peut siéger à l’Assemblée avant d’avoir prêté le serment prévu à l’annexe I », soit le serment « envers le peuple du Québec » (ce qui évite de mentionner le serment à la reine, toujours obligatoire).

Plus clair dans la version anglaise
Le projet de loi 86 dispense de « souscrire » un nouveau serment (« subscribe an oath »), ce qui laisse entendre que l’obligation constitutionnelle consiste simplement à mettre son nom dans un registre sous le texte du serment, alors qu’on sait tous qu’il faut surtout le prononcer (« swear an oath »), à haute et intelligible voix, en principe.
De malins plaideurs pourraient soutenir que, tel que rédigé, le projet de loi dispense de « souscrire » le serment au nouveau souverain, mais pas de le « prêter »… .
Il faudrait alors leur opposer la version anglaise du projet de loi: « 2. Oaths of allegiance or office need not be retaken due to the demise of the Crown. » Autrement dit, « il n’est pas nécessaire de prêter de nouveaux serments d’allégeance ou d’office en raison de la dévolution de la Couronne »…
Comme les « instructions »  de certains produits de consommation, le projet de loi est plus clair en anglais. C’est gênant.

Marcel Trudel et l’esclavage

Le Devoir accordait le 9 janvier une pleine page à une artiste pluridisciplinaire qui est « partie sur les traces » de la première esclave à avoir recours à la justice en Nouvelle-France et prépare un spectacle dédié à cette femme qui a finalement perdu son procès et été envoyée en Martinique. « N’eût été Émilie Monnet, écrit la journaliste, la mémoire de Marguerite Duplessis resterait probablement endormie pour de nombreux siècles encore dans notre imaginaire collectif ».

Il faut quand même remettre les pendules à l’heure. Cette histoire a été racontée par Marcel Trudel il y a plus de 60 ans dans L’esclavage au Canada français, ouvrage bien connu réédité dans Bibliothèque québécoise sous le titre Deux siècles d’esclavage au Québec. Dans la dernière édition, l’affaire Marguerite occupe plus de huit pages (224-233) et permet incidemment à Trudel d’illustrer « à quel point ces gens en servitude peuvent exercer des prérogatives d’hommes libres ».

Mieux encore: appuyé sur les recherches de Trudel, l’historien Michel Paquin a rédigé, sur Marguerite Duplessis, une notice publiée dans le troisième tome du Dictionnaire biographique du Canada, en 1974 (http://www.biographi.ca/fr/bio/duplessis_marguerite_3E.html). Marguerite appartenait à la nation Panis, réputée pour fournir des esclaves aux autres nations autochtones au point de devenir synonyme d’esclave.

Trudel-esclave
Trudel est très souvent pris à témoin ces dernières années lorsqu’il est question d’esclavage; en raison de son ouvrage de 1960 et de l’inventaire qu’il a fait des esclaves au Canada, il est perçu comme le « découvreur » de l’esclavage au Québec, mais, visiblement, bien peu ont lu son livre au complet.

C’est un drôle d’esclavage qui ressort de son ouvrage, dès les premiers paragraphes. Quand a-t-il commencé? « Les premiers esclaves sont tellement rares qu’on ne pourrait en situer la pratique générale qu’à partir des années 1680 ». Il y a bien eu le mythique Olivier Lejeune, amené à Québec par les Kirke en 1629, mais Trudel pense que le jeune noir n’était plus en état d’esclavage quand il a vécu chez Guillaume Couillard à partir de 1632, qu’il était, à sa mort en 1654, « le seul exemplaire de son espèce » et qu’il a fallu « attendre plus d’un quart de siècle avant de lui trouver un successeur », ce qui réduit d’une bonne cinquantaine d’années les deux siècles d’esclavage. Et  quand s’est-il terminé? Officiellement, par une loi britannique appliquée en 1834, mais en réalité bien avant. Les dernières ventes, les dernières mentions dans les registres, les dernières allusions au Parlement datent toutes d’au moins trente ans avant cette loi. Si elle a permis l’émancipation d’esclaves, ce serait de « très rares exceptions ». « Autant dire, écrit Trudel, qu’au Québec l’esclavage disparaît de lui-même », faute d’esclaves, pourrait-on ajouter, et signe que l’esclavage (qu’il faut certes déplorer au point de vue moral et humain) était un phénomène socio-économique marginal, qui n’a vraiment aucune commune mesure avec ce qui se passait au sud.

Trudel a recensé 4185 esclaves (dont les deux tiers amérindiens) entre 1629 et 1834. Le compte est-il bon? L’historien Frank Mackey (Done With Slavery, the Black Fact in Montreal, McGill Queen’s University Press) croit que Trudel a compté plus d’une fois certains esclaves et a considéré tous les noirs comme esclaves; ses chiffres seraient gonflés de 23%. Par contre, Trudel n’a pas pris en compte les esclaves qui appartenaient aux  Amérindiens (plus difficiles à recenser) et ne fait qu’effleurer les échanges (ventes ou dons d’esclaves ramenés de l’Ouest) entre ces derniers et les Français (https://www.historymuseum.ca/virtual-museum-of-new-france/population/slavery/). Quoiqu’il en soit, Trudel constate que le nombre qu’il avance est « ridiculement faible si nous le comparons aux autres pays esclavagistes »; c’est « peut-être pour cette raison, dit-il, que nous en avons si peu parlé… »

Trudel l’a fait, lui, abondamment. Il traite de la législation, du « marché », des propriétaires et des conditions de vie des esclaves, des sacrements, de la justice, des mariages interraciaux, des abolitionnistes, etc. Chaque chapitre permet de mesurer à quel point « notre » esclavage différait de celui des États-Unis et justifie qu’on en parle avec les bémols appropriés aujourd’hui.

L’ouvrage de Trudel en mérite un lui aussi. Alors que les études savantes de ce genre débutent très souvent par un aperçu plus ou moins élaboré de l’historiographie, de ce qui a été écrit sur le même sujet par d’autres auteurs – une « revue de la littérature », comme le veut le jargon habituel – Trudel fait cet exercice en conclusion. Il faut persévérer dans la lecture pour découvrir que, contrairement à ce que plusieurs peuvent penser aujourd’hui, Trudel n’a pas été le premier à révéler l’existence de l’esclavage au Canada français. Quatre pages avant la fin de son livre, il rappelle à juste titre que François-Xavier Garneau a minimisé, et presque nié, l’esclavage au Canada. Puis, en UNE page, il expédie tous ceux qui ont parlé de l’esclavage avant lui:  Viger et La Fontaine dès 1859, Tanguay et son Dictionnaire généalogique, Hubert Neilson, Benjamin Sulte, en 1911, Mgr Paquet (qui déplorait « la tache de l’esclavage »), Lapalice et son essai d’inventaire des Noirs, Pierre-Georges Roy, Robert-Lionel Séguin…

L’ouvrage de Trudel ne se comparait évidemment pas avec ceux de ses prédécesseurs et représentait une extraordinaire évolution de nos connaissances – comme cela s’est produit dans bien d’autres domaines précédemment « négligés » comme les travailleurs, les femmes, les marginaux – mais on ne peut prétendre que l’esclavage a été caché à la population québécoise par les historiens au cours des cent ans qui précèdent la publication de L’esclavage au Canada français. Dans le compte rendu de l’ouvrage publié par la Revue d’histoire de l’Amérique française en 1961, Jean Hamelin écrivait d’ailleurs au sujet de Trudel : « Il confirme ce que les historiens disaient, à savoir que l’esclavage au Canada français n’a pas pris l’ampleur qu’il a eue dans les colonies voisines, qu’il n’a pas été un rouage important de notre système économique. » (https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1961-v14-n4-haf2033/302083ar.pdf)

Bref, ceux et celles qui en ignoraient l’existence n’ont tout simplement pas fait les lectures appropriées, ni ouvert le dictionnaire.

Le scalp, coutume des Britanniques?

Sur son site internet, l’auteur micmac de First Nations History – We Were Not the Savages (traduit récemment sous le titre Ce n’était pas nous les sauvages [s'il est permis de citer ce titre...]) consacre une page à la pratique du scalp et conteste un passage de la proclamation de 1749 où Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, dit que produire un scalp comme preuve de la mort de l’ennemi est « the custom of America ».

« […] je tiens à le préciser très clairement, écrit Daniel N. Paul, il ne s’agit pas d’une référence à une coutume amérindienne, mais à une coutume des Britanniques en Amérique du Nord britannique. Elle a été lancée par eux dans le but de soumettre par la terreur, ou d’exterminer, les tribus amérindiennes qui se battaient pour sauver leur mode de vie et leur patrie de la destruction par les envahisseurs impitoyables[1]. »

Les pratiques guerrières de l’Acadie étaient-elles différentes de celles de la vallée du Saint-Laurent, où la pratique du scalp est bien documentée? Citons, entre autres témoignages, la relation que le récollet Denis Jamet[2] a laissée de son passage à Tadoussac, en juillet 1615 :

« Au temps où nous arrivâmes à Tadoussac, six jeunes garçons Montagnais furent à la guerre par surprise selon leur coutume, et de neuf (ennemis) qu’ils trouvèrent ils en assommèrent sept, et en apportèrent les peaux des têtes pour en faire présent aux femmes selon leur coutume ».

La suite de l’histoire montre qu’il valait peut-être mieux être scalpé (donc mort) que « prisonnier de guerre ».

« Des deux prisonniers, ils laissèrent le jeune qui est âgé de douze ans, car ils n’ont (pas) coutume de tuer les enfants, mais les naturalisent de leur nation, lesquels sont par après les plus cruels à leur propre pays, mais firent mourir l’aîné en cette façon : d’avance ils lui coupèrent à belles dents les deux index des mains, et après l’avoir gardé lié et nourri comme eux, tinrent conseil pouf le tuer, le livrèrent à leurs femmes, lesquelles, l’ayant lié au poteau préparé, lui percèrent la chair d’alênes, le brûlèrent avec des tisons, puis arrosaient les brûlures d’eau ; elles lui levèrent la peau de la tête la laissant arrière, et lui couvrirent le chef écorché de cendres chaudes. Le misérable hurlait, mais les hurlements que faisaient les autres, de joie, offusquaient (couvraient) le sien. Les femmes le délièrent, et de rage il se vint jeter dans les fossés de l’habitation, où après avoir reproché à nos Français qui voyaient ce triste spectacle des galeries de la maison, qu’il espérait la vie sauve par leur moyen, il prit des pierres pour ruer (jeter) à ses tyrans. II se sentit aveuglé de son sang et n’eut d’autre refuge qu’une pierre sur laquelle il se froissa la tête. Les autres l’achevèrent à coup de pierre, l’écorchèrent et le mangèrent.

Les ennemis ne leur en font pas moins quand ils les tiennent, et d’ordinaire les femmes et les enfants sont les bourreaux afin qu’ils languissent davantage. »

Les Français ont aussi versé des primes en retour de scalps. Frontenac aurait été le premier à le faire, en 1691, en promettant « dix écus à ses alliés autochtones pour chaque scalp qu’ils rapporteraient[3] ». On était alors en guerre, quasi permanente, contre les Iroquois.

Daniel N. Paul n’y va pas de main morte pour qualifier les comportements des nations colonisatrices en Amérique :

« Pour soumettre les peuples autochtones, durant l’époque coloniale, les actes de barbarie employés par la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal et quelques autres nations européennes – auxquelles s’ajoutent subséquemment les pays engendrés par cette colonisation dans les Amériques – dépassent probablement, ou au minimum équivalent aux performances barbares des régimes du 20e siècle de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique stalinienne combinés »

On notera que Paul ne nomme pas la France. L’aurait-il incluse dans les « autres nations européennes »? Ce serait étonnant : les Français ont été présents en Acadie pendant plus de cent ans (1604-1713) avant les Britanniques. Il faut croire qu’ils n’ont pas laissé les mêmes souvenirs que les Anglais en Amérique du nord. Dans son livre, Paul considère que la fameuse formule de l’historien américain Parkman – « La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation britannique l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a adopté et chéri » – est juste, mais mérite une nuance :

« la civilisation anglaise, tout comme la civilisation espagnole, […] a aussi écrasé l’autochtone ; les actions qu’ils ont posées après leur invasion des Amériques le démontrent clairement. Pour réaliser leur objectif de complète domination des habitants et d’acquisition illégale de leurs terres, ils ont utilisé des pratiques qui faisaient appel à la trahison effrénée, la violence et la cruauté. »


[2] Fr. Odoric M. Jouve, o. f. m., « Une page inédite d’histoire canadienne. La relation du récollet Denis Jamet, 15 juillet 1615 », La Nouvelle-France, 13, 10 (octobre 1914), p. 433-444 (extrait, p. 439). La relation est à la Bibliothèque nationale de Paris, dans la collection des Cinq-Cents de Colbert.

[3] Jean-François Lozier, « Lever des chevelures en Nouvelle-France : la politique française du paiement des scalps », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 4 (2003), p. 513–542.