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Les loisirs d’un député urbain

Pendant les premières années de ma carrière au Parlement, on entendait souvent les députés se plaindre de leurs conditions de travail, de leurs nombreuses heures de labeur, etc. Ils n’avaient pas nécessairement tort. Selon un rapport publié en 1974, les députés consacraient « à leur travail, en temps de session, une moyenne de 60 heures par semaine et à peu près le même temps hors session. Pour certains députés, surtout dans les milieux ruraux, leur activité de représentant du peuple se confond pour ainsi dire avec leur vie, et quelques-uns n’ont pas craint d’affirmer qu’ils travaillent près de 100 heures par semaine ». En 1987, un autre comité d’étude arrivait à des conclusions du même ordre : les députés disaient travailler de 70 à 80 heures par semaine durant les sessions et de 50 à 70 heures entre les sessions. On voyait mal comment un député aurait pu continuer à exercer une profession, comme c’était le cas deux ou trois générations auparavant. C’était beaucoup d’heures de travail pour une indemnité du même ordre que celui d’un professionnel de la fonction publique.
On n’entend pratiquement plus de telles « revendications salariales » depuis une vingtaine d’années. Avec une indemnité de base qui approche les 90 000$ et les indemnités additionnelles qui se sont multipliées (et correspondent parfois à des sinécures), le parlementaire moyen touche plus de 100 000$ par année et il a depuis longtemps semé l’agent de recherche dans l’échelle salariale.
Les députés des années 1970-1980 plaidaient aussi (moins nombreux, bien sûr) pour la revalorisation du parlement et des parlementaires; ils réclamaient un meilleur équilibre des institutions, un meilleur contrôle du parlement sur le gouvernement, une plus grande marge de manœuvre pour les commissions, le rétablissement de leur pouvoir d’initiative, de meilleurs moyens de contrôle, une plus grande liberté de parole, etc. La discipline de parti n’a pas bronché, comme on a pu le voir dans l’affaire du « bill des Nordiques » mais, la réforme parlementaire des années 1980 a répondu à l’essentiel des revendications et les députés ont maintenant tout ce qu’il faut pour exercer une surveillance correcte de l’administration gouvernementale. Si les mandats d’initiative ne représentent toujours qu’une part minime des travaux des commissions, ce n’est pas par manque de pouvoir. Manque de volonté, peut-être, absence de consensus entre parlementaires, sûrement, et, dit-on souvent, manque de temps et de disponibilité.
C’est donc avec un certain étonnement qu’on apprend qu’un député de l’opposition (mon député!) retourne pratiquer la médecine à temps partiel (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/sante/201210/03/01-4580106-lex-ministre-bolduc-revient-a-la-pratique-de-la-medecine.php).
À première vue, ce retour exhale le bon sentiment : ne manque-t-on pas de médecins? Et, comme il s’agit d’un ancien ministre de la Santé, ne peut-on pas y voir son remède au problème des urgences? Blague à part, il faut plutôt se demander si le député de Jean-Talon croit pouvoir pratiquer, du côté gauche, le type de travail qu’il a observé chez les députés ministériels de l’ancien parlement. Il dit qu’il suspendra sa pratique « quand on va être en chambre, avec des projets de loi », comme si son rôle ne consistait qu’à faire quorum pendant les débats législatifs, poser des « questions plantées » et se lever ou s’assoir au signal du whip. Dans l’opposition, la corde est un plus longue et la tâche, infinie pour qui veut s’appliquer à son rôle de surveillance des activités gouvernementales. Les députés représentant des circonscriptions comme Jean-Talon étant beaucoup moins occupés par des tâches de représentation que leurs collègues ruraux (qui ont 20, 30, 40 municipalités à parcourir) ne devraient-il pas en profiter pour s’activer davantage au Parlement?
On a tous bien compris qu’il ne s’agit pas d’occuper des loisirs avec du bénévolat. Et que cette pratique procurera un revenu qui s’ajoutera à l’indemnité parlementaire. De médecin à ministre, la coupure salariale était importante; dans l’opposition, on tombe encore un plus bas, mais c’est peut-être encore beaucoup pour un député à temps partiel.

« Québécoiseries »

Pour vider le panier trop plein qui se remplira bien assez vite. Comme le dit la devise bien connue: « Je puise mais n’épuise ».
Un arbitre intermittent
Ceux qui n’avaient pas remarqué que la présidence du Conseil municipal de Québec manquait parfois de neutralité en ont eu la confirmation au mois d’août quand le président a fait part au Soleil de ses commentaires sur le climat des séances lors de la crise de la légionellose (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/la-capitale/201208/28/01-4569074-jean-marie-laliberte-deplore-les-echanges-virulents-a-lhotel-de-ville-de-quebec.php).
On a déjà vu des présidents de l’Assemblée nationale déplorer la conduite des députés mais c’est un exercice délicat auquel ils se sont adonnés très prudemment, en leur qualité de président, en prenant bien soin de respecter une stricte neutralité et, surtout, en ne commentant pas le contenu des débats.
Or, le président du Conseil a choisi de commenter « à titre de conseiller » le climat des séances qu’il a présidées, comme si un juge pouvait commenter ses procès à titre de citoyen…
« Mieux » encore, il n’a pas seulement commenté le climat déplorable des séances mais aussi la pertinence des interventions quand il a dit qu’il n’avait jamais vu des conseillers « faire de la petite politique sur le dos de personnes décédées ». On a deviné qu’il ne visait pas les conseillers de la majorité… Pour faire bonne mesure, il a reconnu que le maire « ne laisse pas sa place lorsqu’il est piqué au vif ». Une sorte de légitime défense.
Du patrimoine de façade
Il est question de construire une tour de condos sur le site de l’église Saint-Cœur-de-Marie et devinez quoi ? « On n’est pas fermés à intégrer la façade » dans la nouvelle construction, avance le promoteur ! (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/la-capitale/201207/16/01-4544200-grande-allee-le-pietre-etat-dune-eglise-decrie.php)
Elle est bonne mais un peu usée, celle-là, presque autant que l’église. On l’a dit pour Notre-Dame-du-Chemin: il faut de la perspicacité pour voir le « portail » qui a été conservé. Et pour le patro Saint-Vincent-de-Paul : à quand l’hôtel promis avec son hors-d’œuvre en forme de clin d’œil au clocher, si habilement conçu « hors de l’œuvre » qu’il sera éliminé du projet à la première occasion. Et le monastère des Franciscaines, démoli sous les fenêtres de la ministre avec promesse de reconstruction à l’identique?
Franciscaines-bis.JPG
Y a-t-il quelqu’un qui croit 1) que les promoteurs vont tenir leurs promesses ; 2) que les autorités publiques vont les obliger à les respecter ?
À qui le tour ? On parie sur l’ancien YMCA qui abritera le « Diamant » de place d’Youville ? Apprendra-t-on encore, au bout du compte, que le bâtiment est trop abîmé pour être intégré au projet ? Comme le Patro, comme l’Hippodrome, et peut-être comme Saint-Cœur-de-Marie ?
L’Amérique française out?
La mode du branding déborde le périmètre de l’hôtel de ville. Le Musée de la civilisation « est à la recherche d’un nom, d’une marque de commerce pour chapeauter toutes ses antennes et mieux les faire connaître du public » (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/la-capitale/201208/01/01-4561510-le-musee-de-la-civilisation-se-cherche-un-nom.php). On veut « sortir de l’ombre les composantes du Musée de la civilisation ».
Le nom « de la plus grosse et de la plus connue des composantes du réseau » (l’édifice de la rue Dalhousie) ne bougera pas, assure-t-on, mais le directeur général « est moins affirmatif quand on lui parle du Musée de l’Amérique française », dont le nom a « un volet passé, très nostalgique ».
Un musée dont le nom évoque le passé, c’est effectivement ennuyeux… On a vu en 2008 que l’idée d’Amérique française était out : elle ne serait même plus « bonne pour le musée »?

Le drapeau canadien à l’Assemblée nationale

(Pour comprendre ce qui se passe à l’Assemblée nationale ces jours-ci, un texte extrait de mon livre Le Parlement de Québec, Multimondes, 2005)
L’unifolié est devenu le drapeau du Canada le 15 février 1965. Ce jour-là, le gouvernement du Québec a rendu hommage au drapeau qui a d’abord été hissé au mât de la tour sud-est (angle Honoré-Mercier-Grande Allée) en présence des plus hautes autorités civiles, religieuses et militaires. Ensuite, la cérémonie s’est poursuivie dans la salle du Conseil législatif où le drapeau a été béni. L’unifolié n’est pas demeuré en permanence sur la tour sud-est mais il a été d’usage, par la suite, de le hisser à ce mât lors de la visite officielle de représentants du gouvernement fédéral. Jusqu’au milieu des années 1980, ce mât était d’ailleurs exclusivement réservé au drapeau canadien. À l’intérieur, le drapeau canadien a probablement été mis en évidence occasionnellement, notamment lors des fêtes du centenaire de la Confédération et de visites officielles, mais il n’a pas été déployé de façon permanente ni dans le hall ni ailleurs.
En 1980, le député de Pointe-Claire a demandé au président de l’Assemblée nationale quand il allait « replacer » le drapeau canadien près du fauteuil, considérant « that the Canadian flag has always had its presence in this House until the arrival in power of this government. Le « débat » sur cette question a cependant fait ressortir qu’il n’y avait jamais eu de drapeau, ni québécois, ni canadien dans la salle des séances de l’Assemblée avant 1976. Deux semaines plus tard, l’Assemblée refusait son consentement à l’étude d’une motion sans préavis du député de Portneuf à l’effet que le drapeau canadien soit placé à la gauche du fauteuil. Le même vœu a été exprimé, sous forme de question, en 1984, et le premier ministre (Lévesque) a répondu qu’il y réfléchirait.
Le drapeau canadien a été placé dans la Salle du Conseil législatif à la toute fin de 1985 ou au début de 1986. Il a été retiré lors de l’assermentation du cabinet de Jacques Parizeau, en septembre 1994, et replacé pour l’assermentation du cabinet de Jean Charest le 29 avril 2003.
L’examen des photographies de cette salle permet d’établir que le drapeau du Québec y est en permanence depuis 1983 ou 1984.
En mai 1991, une motion fut présentée par un député du Parti Égalité, Gordon Atkinson. Elle se lisait comme suit : « Que le drapeau de notre pays, le Canada, trouve sa place et apparaisse à la gauche du fauteuil du président, ici à l’Assemblée nationale du Québec » Le leader du gouvernement et député de Portneuf, proposa un amendement et la motion principale telle qu’amendée se lisait finalement : « Que le drapeau de notre pays, le Canada, trouve sa place et apparaisse à la gauche du fauteuil du président, ici à l’Assemblée nationale du Québec, aux occasions que détermine, selon le cas, le Bureau de l’Assemblée nationale ». Cette motion fut adoptée le 1er mai 1991 mais il s’agissait d’un ordre de la Chambre qui est devenu caduc à la fin de la session.

Au lendemain des élections

Les sondages
Les sites qui ont tenté de prédire le nombre de sièges à partir des sondages ont tous échoué, sortant même, dans le cas de Tooclosetocall, de la fourchette de leurs prévisions (min.-max.), mais, comme le souligne le responsable de ce site, Il aurait d’abord fallu que les sondages soient justes. Il fallait entendre Jean-Marc Léger dire qu’il avait visé dans le mille pour 5 des 6 partis, « oubliant » qu’il avait manqué le plus important, soit le score déterminant des libéraux.
Le vote
Le 26 août, je commentais les prévisions du site Tooclosetocall sur Facebook : « Regard rapide sur les projections: le PLQ est en avance dans dix comtés que le PQ pourrait prendre s’il pouvait rallier seulement la moitié des souverainistes dispersés (QS et ON). Même chose dans 4 comtés où la CAQ est en tête ».
Après le scrutin, plusieurs journalistes ont abordé le même thème, comme Pierre Dubuc dans L’aut’ journal (http://lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=3957). Dubuc a dressé « la liste des 22 circonscriptions où la division du vote a permis l’élection du candidat libéral ou caquiste » Il ajoutait que « l’unité des progressistes et des souverainistes aurait décapité littéralement la CAQ, en causant la défaite de François Legault et de Jacques Duchesneau. De grosses pointures libérales seraient également tombées : les ministres Yves Bolduc, Raymond Bachand, et Marguerite Blais ».
Certes, les votes obtenus pas QS et ON ne seraient pas tous allés directement au PQ. N’empêche. Une simple moitié de ces votes auraient suffi pour donner une majorité au Parti Québécois, selon Bryan Breguet, de Tooclosetocall (http://www.tooclosetocall.ca/). La moitié? Je vais lui offrir mes analyses la prochaine fois.
L’attentat
Au lendemain de l’attentat du Métropolis, le maire de Montréal (http://www.lapresse.ca/actualites/regional/montreal/201209/05/01-4571369-gerald-tremblay-bain-na-rien-a-voir-avec-la-communaute-anglophone.php) s’est empressé de dire que le tireur n’avait « rien à voir avec la communauté anglophone », que cette dernière avait « toujours joué un rôle important à Montréal » et que, si le statut de la langue française commande d’être «vigilant», la Charte de la langue française est suffisante et il ne faut « pas nous diviser sur des questions qui ont été réglées depuis des décennies ».
On comprend que le maire ait voulu calmer le jeu; c’est le même « analyste », sauf erreur, qui ne voyait pas de clivage linguistique dans le vote sur les « défusions » à Montréal… Cette réaction a soulevé le scepticisme du chroniqueur Pierre Foglia (http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/pierre-foglia/201209/08/01-4572317-fou-pas-si-fou.php), le seul, à ma connaissance à avoir relevé le curieux enchaînement des commentaires du maire :
« Si cela n’a rien à voir avec la communauté anglophone et avec les différends qui peuvent l’opposer à la majorité francophone, qu’est-ce que la loi 101 vient faire dans cette histoire d’un tireur fou ? […]
« Êtes-vous en train de nous dire qu’il ne fait pas trop agiter ces questions de langue qui nous divisent, au cas où cela rendrait fous d’autres anglos ?
« […] C’est un problème de santé mentale ou c’est un peu aussi la faite de la loi 101 ?
« Et si c’est un peu la faute de la loi 101, alors cet attentat au Métropolis serait finalement un peu la faute des francophones ?
« Je savais que ça finirait comme ça. »

La sénatrice de Lethbridge

Raymond Giroux a soulevé une triste histoire dans le Soleil du 29 août (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201208/29/01-4569416-senatrice-inapte-liberaux-ineptes.php).
Une sénatrice libérale, atteinte de la maladie d’Alzheimer, a été déclarée inapte à prendre des décisions par son médecin en février dernier, et mise sous la tutelle de sa nièce et du chef de cabinet son patron politique en avril, mais elle est restée en fonction et a voté une douzaine de fois depuis cette déclaration officielle d’inaptitude. On a finalement annoncé à la fin d’août que la sénatrice âgée de 73 ans ne reviendrait pas à la rentrée d’automne et serait en congé de maladie pour un temps indéterminé.
Son droit « au respect et à la dignité n’a pas été respecté », estime un spécialiste en éthique consulté par Giroux. Pas du tout, prétendent des amis et des collègues de la sénatrice : il serait « contraire à l’éthique et à la morale de retirer brutalement quelqu’un de son milieu de travail » (http://www.lapresse.ca/le-droit/politique/sur-la-colline-parlementaire/201208/29/01-4569303-alzheimer-les-amis-dune-senatrice-defendent-sa-decision-de-rester-au-travail.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4569416_article_POS1). La sénatrice serait au Parlement dans sa « zone de confort »; elle y a travaillé depuis près de 50 ans, d’abord comme journaliste puis comme adjointe du premier ministre Pierre Elliott Trudeau qui l’a nommée au Sénat en 1984, selon les bonnes vieilles pratiques de reconnaissance pour services rendus.
Dans l’entourage de la sénatrice, on rappelle qu’elle est veuve et que ce sont des amis de Lethbridge et ses employés qui l’aident à gérer son quotidien car sa plus proche parente serait une nièce qui vit en Afrique. Les sénateurs libéraux évoquent le respect de sa vie privée…
On veut bien, mais cette sénatrice n’est pas présidente d’un cercle local de tricot. Elle occupe une fonction publique que les sénateurs, en d’autres circonstances, estiment a-b-s-o-l-u-m-e-n-t essentielle au bon fonctionnement de l’État. Le cas de la sénatrice de Lethbridge est assurément émouvant mais il faut en revenir. Sa mise à la retraite (avec une pleine pension de l’ordre de 100 000 $) ne la mettra pas « dans le chemin ».
En l’absence de « législation précise pour encadrer une telle situation », le Sénat se trouverait bien embêté, écrit Giroux. Pourtant, si une personne inapte ne peut voter aux élections, on se demande bien comment elle pourrait remplir un mandat parlementaire.