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Le « petit couple princier » et l’identité québécoise

« Toute comparaison cloche », dit-on. Celle que Pierre Champagne a faite dans une lettre ouverte au Soleil (« Élément de notre identité » 26 juin) entre la visite de Grace de Monaco avec celle du « petit couple princier » sonne comme une cloche fêlée.
Grace de Monaco est venue à Québec comme invitée du Carnaval de Québec, et non en visite officielle auprès des gouvernements. Et il ne faut pas se leurrer : elle ne serait jamais venue sans le lien d’amitié qui l’unissait à l’épouse (américaine) du maire Lamontagne, son ancienne compagne de classe à Philadelphie. On n’a pas revu de têtes couronnées avec Bonhomme par la suite, sauf la reine du Carnaval.
Il y a aussi, et surtout, une différence notable entre la monarchie d’opérette monégasque et la monarchie britannique, aujourd’hui réduite à un symbole, bien sûr, mais quand même « inoubliable » dans les rôles qu’elle a joués de Champlain à nos jours, en passant par la Conquête, la répression des troubles de 1837 et la proclamation par Elizabeth II d’une constitution adoptée en l’absence du Québec. William de Cambridge est né deux mois plus tard, en juin 1982, mais il sait que cette constitution bancale confère toujours juridiquement à sa grand-mère le rôle de chef d’État (du Canada et du Québec) et qu’il pourrait lui succéder plus vite qu’on pense. On est loin de Grace Kelly !
Sylvain Lelièvre chantait « Y en a qui s’en souviennent, d’autres qui s’en souviennent pas », et, pour ces derniers, il existe des manuels d’histoire. Mais il disait, plus loin, « y en a qui s’en souviennent, d’autres qui préfèrent mieux pas », et, pour ceux-là, il n’y a rien à faire.
(Lettre expédiée au Soleil le 26 juin)

Dans l’ombre de l’amphithéâtre

Pendant que le « bill » 204 et la crise qui s’ensuivit monopolisaient l’attention, quelques autres dossiers sont restés dans l’ombre.
Le « Québec Summer Festival »
Le Festival d’été a rendu public sa programmation 2011, sans trop d’ostentation, et on y trouve plus de contenu francophone que l’an dernier. « Les Québécois font un retour en force sur les plaines d’Abraham », écrit le journaliste du Journal de Québec. « Les artistes québécois seront à l’honneur 4 soirs sur 11 », ajoute Le Soleil. N’est-ce pas exactement ce que souhaitait un certain groupe l’an dernier ? On a pourtant traité les signataires de « ringuards ». Le Parlement s’est même ému de cette « dangereuse » contestation en adoptant à la vapeur une motion félicitant le Festival d’été pour sa programmation, programmation qui n’était même pas complète !
Le virage effectué cette année démontre que les signataires de cette lettre avaient raison de sonner la cloche. Faut-il pour autant remercier Daniel Gélinas à genoux ? Attendons de voir si la « correction » se poursuivra et comment le Festival d’été remplira sa mission qui consiste à organiser « une fête des arts de la scène et de la rue valorisant la chanson francophone et les projets de création, tout en étant ouverte au reste de la production culturelle dans le monde et à la découverte ».
Le « bill » des Bronfman
Pendant qu’on discutait du 204 au Salon rouge, le 205 occupait une autre commission mais peu de journalistes s’y sont intéressés. Ce projet « concerne certains actes de donation de Samuel Bronfman » et vise à faciliter une répartition des fiducies familiales contenant des milliards.
Transférer de l’argent dans une fiducie procure des avantages aux riches. La fiducie permet de faire du fractionnement de revenus au sein d’une famille. Un homme d’affaires peut ainsi partager ses revenus avec sa femme et ses enfants pour éviter d’être le seul contribuable imposé sur ces revenus. Les fiducies permettent d’éviter de payer de l’impôt sur les gains en capital. « Dans les années 1940, les gens fortunés créaient des fiducies familiales qui étaient, en quelque sorte, éternelles. Elles ne payaient jamais d’impôt sur le gain en capital. Aujourd’hui, c’est impossible!», a expliqué la fiscaliste Brigitte Alepin.
Le projet de loi 205 vise des fiducies créées en 1942 par le montréalais Samuel Bronfman, alors patron de Seagram, au bénéfice de ses descendants mais seulement deux générations peuvent en profiter. Selon un expert consulté par la chaîne Argent, de nouvelles fiducies (moins avantageuses) doivent être créées pour qu’une troisième génération jouisse du capital protégé par une fiducie.
Le député péquiste François Rebello a demandé quel était l’impact fiscal du projet de loi au Québec et au Canada. On lui a répondu qu’il n’y avait pas d’impact au Québec. Peut être pas. Mais ailleurs?
On sait que le ministère fédéral du Revenu a autorisé dans les années 1990 le transfert aux États-Unis d’une fiducie familiale des Bronfman, une opération qui avait été vivement critiquée par le vérificateur général du Canada car elle avait fait perdre quelque 700 millions de dollars au gouvernement canadien. D’après La Presse, « ce sont les cours américaines qui devront interpréter les fiducies, mais selon les lois québécoises. C’est pourquoi on veut dissiper tout doute [tiens, tiens, comme dans le « bill 204…] pour les cours américaines sur le pouvoir d’Edgar Bronfman Sr de disposer de ses actifs entre ses descendants ». Autrement dit, l’Assemblée nationale pourrait faciliter d’autres économies. Et si le but ultime était d’étendre les privilèges des vieilles fiducies à la jeune génération?
Devant les questions posées par le député Rebello, l’avocat de la famille Bronfman a demandé que l’étude du projet soit repoussée à l’automne. Reviendra-t-elle?
Et la carte…
Comme il n’y a pas eu de consensus entre le gouvernement et l’opposition sur une nouvelle façon de redessiner la carte électorale, c’est la proposition du Directeur général des élections qui devrait s’appliquer aux prochaines élections générales. Selon ce projet, la circonscription de Kamouraska-Témiscouata disparaîtra, ainsi qu’une autre dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie et une troisième dans la Beauce. Trois circonscriptions naîtront dans la région de Montréal.
Dans l’illusoire perspective de trouver de nouveaux critères pour découper la carte en évitant de supprimer des circonscriptions rurales tout en respectant la démocratie, le gouvernement avait suspendu les pouvoirs du DGE. Y a-t-il vraiment un observateur sérieux qui a cru en cette manœuvre qui visait surtout à pelleter le problème en avant au moment où une élection partielle s’annonçait dans une des circonscriptions condamnées? Le premier ministre avait invité les partis à lui faire des suggestions! C’était bien le signe qu’il n’y croyait pas lui-même.
Son gouvernement a bien présenté le projet de loi 19 qui prévoit leur maintien des trois circonscriptions rurales mais c’est une solution « temporaire ». Le Parti québécois propose une solution « durable » mais elle a le « malheureux » défaut de créer deux classes de citoyens. Est-on surpris? Pour parodier la pub bien connue, « si des critères (magiques) existaient, on les aurait! »
C’est bien dommage pour les régions mais on ne peut faire fi ni de la démocratie ni de la démographie. La Loi électorale n’est pas un programme de développement régional et, sauf le respect que l’on leur doit, les députés ont un impact très mince sur la richesse de leurs circonscriptions. L’est du Québec a été, presque de tout temps, surreprésenté au Parlement. Dans le cabinet Johnson, il y avait trois ministres côte à côte sur la… Côte-du-Sud (Bellechasse, Montmagny, L’Islet). Est-ce que cela a marqué son essor?
L’avenir de régions tient à autre chose, dont une réelle volonté du gouvernement. Et peut-être aussi aux difficultés de la région métropolitaine où la qualité de vie pourrait bien perdre de l’attrait dans les prochaines années. Le bonheur sera peut-être de plus en plus dans le pré.

Un hymne national : pourquoi pas ?

Le projet d’hymne national de Raoul Duguay a été plutôt mal reçu. Il a fait l’objet de commentaires assassins dans une chronique de Patrick Lagacé dans La Presse (http://www.cyberpresse.ca/chroniqueurs/patrick-lagace/201106/13/01-4408898-mes-oreilles-saignent.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B40_chroniqueurs_373561_accueil_POS1).
Ses critiques en vrac auraient mérité d’être mieux emballées. Il écrit qu’un hymne national « est inévitablement pompeux et grandiloquent » pour ajouter ensuite qu’on a déjà Gens du pays, une ritournelle qui n’a vraiment rien d’un hymne national, sauf le respect que je dois à Gilles Vignault. Ne pas confondre avec Les gens de mon pays dont le caractère serait plus approprié.
On peut ne pas aimer le genre, mais, à force de vouloir en mettre pour « épater la galerie », dans des sujets qu’il ne maîtrise pas, le chroniqueur est finalement rejoint par son ignorance. Ou son parti-pris. Il écrit : « Note de service à la SSJB: le Québec n’est pas un pays », laissant entendre qu’il est prématuré de se donner un hymne national avant d’avoir un siège aux Nations unies.
Il y a pourtant de nombreuses « nations-sans-pays » qui ont un hymne. Seulement au Canada, les Acadiens (http://www.youtube.com/watch?v=Xy73pY1LiLY&NR=1) et les Hurons (http://www.youtube.com/watch?v=Cd48pzhuBT0 - malheureusement pas une bonne interprétation) ont un hymne national même s’ils n’ont pas de pays au sens formel.
Le chroniqueur leur dira-t-il qu’ils ont mis la charrue avant les bœufs, comme il le fait pour les Québécois, dans une autre « belle » manifestation de mépris de soi-même?

Les indépendants et les orphelins

La hargne avec laquelle certains journalistes attaquent la crédibilité, les positions et les stratégies du député de Mercier en dit long sur la conception qu’ils se font de la fonction de député et de la démocratie.
Dans notre système parlementaire, le député a théoriquement beaucoup de pouvoir et de liberté. La Loi sur l’Assemblée nationale stipule que le député « jouit d’une entière indépendance dans l’exercice de ses fonctions » et que nul ne peut « essayer d’influencer le vote, l’opinion, le jugement ou l’action du député par fraude, menace ou par des pressions indues ». Une fois élu, le député représente toute la population et pas seulement ses électeurs ; ces derniers n’ont pas de contrôle sur ses actions et ne peuvent le révoquer.
Telle est la théorie. En pratique, le député doit le plus souvent son élection au parti auquel il appartient et surtout à son chef. S’il peut s’exprimer dans les caucus, les corridors ou les coulisses, une fois en Chambre, il n’est qu’une voix dans la chorale. Les positions des libéraux, des péquistes et des adéquistes dans le débat sur le « bill de Nordiques » l’illustrent parfaitement.
Il n’y a pas eu de députés indépendants élus à Québec depuis presque deux générations. Les députés indépendants de notre époque le sont devenus par défection… ou éjection. Le cas du député de Mercier (comme autrefois celui de Mario Dumont) est différent : il s’est retrouvé seul de sa gang après les élections.
Un chroniqueur du Journal de Québec s’est payé de savants calculs pour établir que le député de Mercier représentait seulement 0,8% de l’Assemblée nationale et n’a obtenu que 8597 voix contre 153 847 pour le maire de Québec.
Les députés appartenant à des groupes parlementaires ont « décidé » de se soumettre à la discipline partisane, même s’ils sont nombreux à grincer des dents. Le député de Mercier et les deux autres indépendants se retrouvent donc les porte-parole d’un bon 25% de la population de Québec qui, selon le bienveillant sondage du Soleil, n’est pas d’accord avec l’intervention du Parlement, déplore le manque de transparence et doute de la pertinence de l’investissement public. Ils représentent aussi cette portion assez large (voire majoritaire ?) de la population des autres régions du Québec qui a, sur le financement 100% public de l’amphithéâtre, un point de vue qu’il est inutile de rappeler ici.
Les partis disciplinés laissent orphelins de nombreux citoyens que les indépendants ont le devoir de représenter au Parlement. Ces derniers savent très bien qu’ils ont toutes les chances de perdre tôt ou tard. Ils savent surtout qu’ils vont se faire tasser en commission. S’ils ont autant de « pouvoir » actuellement, c’est qu’on a besoin de leur collaboration pour déroger au Règlement afin d’adopter une législation d’exception qui ne respecte ni les délais ni la procédure normale des projets de loi d’intérêt privé, un nom particulièrement cynique pour désigner une mesure qui avantage principalement l’entreprise de monsieur Péladeau.

Le « Nordiques Bill » (titre provisoire)

Le projet de loi dont il a été question cette semaine aura au moins un effet positif : celui de faire progresser nos connaissances sur les projets de loi d’intérêt privé, mieux connus sous le nom de « projets de loi privés » ou encore « bills privés ». Même les députés en ont appris, alors, que dire des pauvres lecteurs de journaux ? Après plusieurs jours de débats et de reportages, il leur en manque encore des bouts.
Les projets de loi d’intérêt privé ont nécessairement un aspect exceptionnel, autrement, on n’en aurait pas besoin : les lois d’application générale suffiraient. Les « bills privés » visent à régler des cas particuliers et, presque toujours, permettent une dérogation ou une exception aux lois d’application générale.
Un projet de loi concernant des intérêts particuliers ou locaux est présenté par un député mais, comme le précise le Règlement de l’Assemblée, « ce dernier ne se porte pas garant de son contenu et n’en approuve pas nécessairement les dispositions ». Intéressant.
Habituellement, ces projets de lois ne font pas de bruit car ils n’ont d’impact que sur les personnes visées par leurs dispositions évidemment ciblées. Pour s’assurer qu’il n’y a pas de tiers potentiellement lésés, la personne qui demande l’adoption du projet de loi fait publier, dans la Gazette officielle du Québec, un avis décrivant l’objet du projet de loi et « invitant toute personne qui a des motifs d’intervenir » à se manifester auprès de l’Assemblée nationale. Cet avis doit aussi paraître une fois par semaine pendant quatre semaines dans un journal circulant dans le district judiciaire de la personne intéressée.
Dans le cas du « Nordiques Bill », il n’y a évidemment pas eu d’avis et le fait sera soulevé lors de la présentation du projet. Il faudra donc un consentement pour déroger au Règlement de l’Assemblée, d’où le premier vote unanime requis.
Cette absence d’avis a cependant d’autres conséquences. Les personnes intéressées à intervenir auront-elles le temps de se manifester ? Comme le projet de loi (que personne n’a encore vu…) aurait pour but d’empêcher toute contestation judiciaire de l’entente Québec-Québécor, tous les contestataires potentiels sont théoriquement concernés ! On nage dans la virtualité. Qui pourra intervenir ? Comment la présidence va-t-elle gérer les demandes d’intervention ? On verra.
Comme le projet sera présenté après le 15 mai, il ne pourra être adopté pendant la période de travaux en cours, soit avant les vacances estivales, à moins d’obtenir un autre « consentement unanime » pour déroger à cette règle sagement inspirée par le président Richard Guay, lors de la réforme parlementaire de 1984, pour empêcher la présentation à la sauvette, l’étude sous pression et l’adoption à la vapeur de projets de loi minute qui ne perdent rien à reposer au frigo jusqu’à l’automne.