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Beneva, Sollio, Avantis et les autres

MA mutuelle d’assurance, La Capitale, a fusionné avec SSQ Assurance. La première était, à l’origine (1941), la « Mutuelle des employés civils, société de secours mutuels » et, plus tard, la « Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec » ; la seconde a été baptisée « Coopérative de santé de Québec » (1944), mais a grandi sous le nom de « Services de santé de Québec, société de secours mutuels ».
Les deux institutions sont issues du mouvement mutualiste qui a débuté à la fin du XVIIIe siècle ; elles ont aussi en commun d’avoir survécu au mouvement de démutualisation qui a marqué la seconde partie du XXe.
La création de ce géant de l’assurance est évidemment justifiée par le besoin d’affronter la compétition et on comprend aisément qu’il est difficile d’aller au combat dans le vaste monde avec une combinaison quelconque de leurs anciens noms. Après « un long processus de réflexion », dit-on, « parce qu’il se prononce bien dans les deux langues officielles du Canada et qu’il répond aux visées d’expansion à l’extérieur du Québec », on a créé « Beneva ».

Beneva

Ils prennent vraiment les francophones pour des demeurés, ceux qui prétendent que ce nom se prononce bien dans les deux langues officielles qui sont, rappelons-le, l’anglais et le français. Pour les anglophones, les Italiens et les latinistes, « ça va bien aller » : ils diront évidemment « Bé-né-va ». On leur a épargné les accents. Les francophones, eux, s’accommoderont, comme d’habitude, et prononceront le nom à l’anglaise, à moins de dire « boeuf-noeud-va », à la manière d’un ancien premier ministre. Si vous lisez « benedicite » à haute voix, ça ne sonnera pas comme « bénédicité ».
Il est très décevant de voir de grandes institutions québécoises incapables de s’affirmer en s’identifiant en « vrai » français. Le nom « Beneva » évoque la bienveillance, dit le PDG, mais on a choisi de le construire avec sa version anglaise, « benevolent ». Les Anglais vont vite s’y reconnaître : leurs anciennes sociétés d’entraide mutuelle étaient des « benevolent societies ». C’est d’ailleurs plus évident dans les explications données par l’entreprise, en anglais, à Insurance Business : « When split into « Bene » and « va », it can be associated with « benevolence » and « movement » (in French) ». Les sociétés équivalentes au Canada français s’identifiaient traditionnellement comme « société de secours mutuels » ; c’était le cas des deux nouveaux mariés qui ont cependant mis de côté la référence à la mutualité et engendré Beneva, sans accent, pour plaire à la clientèle « mondiale ».
C’est la même course à l’image de marque (branding) qui a amené la fédération quasi centenaire des coopératives agricoles, la Coop fédérée (autrefois la Coopérative fédérée de Québec) à changer récemment son nom pour Sollio, où on retrouverait, dit-on, le sol, le soleil et la solidarité… Plusieurs coopératives affiliées à cette fédération créée en 1922 ont aussi changé de nom au fil des ans. Celle que mon père a gérée autrefois, la Coopérative agricole de la Côte-du-Sud, a pris récemment le nom Avantis (et déménagé en plus son siège social en Beauce).
(On pourrait aussi mentionner le cas de L’Industrielle-Alliance, même si cette institution a été démutualisée depuis longtemps. Le couple date de 1987, résultat de l’union de L’Alliance nationale, société de secours mutuels créée en 1892 pour favoriser l’avancement des Canadiens français, et de l’Industrielle, compagnie d’assurance mutuelle fondée à Québec en 1905. Depuis 2015, L’Industrielle-Alliance est devenue « iA groupe financier », avec un « i » minuscule incongru qui n’existe probablement que pour « faire parler les curieux », mais rappelle immanquablement le « Hi Ha » de Roland Tremblay ou le « Hee Haw » de la fameuse émission country américaine. Mais peut-être faut-il dire « Ail-hé » ?)
On aura remarqué le goût pour les consonances latines (Beneva, Sollio, Avantis…), mais probablement moins le dommage collatéral qui consiste à faire disparaître, dans les marques, les références à la mutualité et à la coopération. D’autres ont réussi pourtant (dont Co-operators, Coop Mountain, et, ici, Promutuel) à concilier la course à la marque et la vraie nature de l’institution qui est à la fois une association et une entreprise.
Desjardins est un cas particulier. L’image de marque passe par l’utilisation d’un nom, celui du fondateur, qui s’est imposé, alors que le qualificatif « populaires » a été écarté des raisons sociales.  On entend moins aussi, tant pour les caisses que pour l’ensemble des coopératives, le mot « mouvement » qui évoque la démarche solidaire des coopérateurs (l’association) vers un système économique plus équitable.
C’est l’entreprise qui domine : on dit « chez Desjardins », comme chez Bombardier, McDonald ou Molson, et il n’est pas étonnant que voir le sentiment d’appartenance s’étioler. La crise suscitée par la fuite de données en 2019 en a fourni une illustration patente. Un recours collectif a été intenté au nom des quelque trois millions de membres touchés, une démarche qui consiste bêtement à se poursuivre soi-même : au bout du compte, la somme que les membres obtiendraient en compensation représenterait une sorte de retrait de leur avoir collectif… Comme absence de sentiment d’appartenance, on peut difficilement faire mieux, et, pourtant, oui : certains Québécois croient que les caisses appartiennent à la famille Desjardins ! C’est bien leur nom qui est sur la porte, non ?

Des chefs héréditaires wet’suwet’en d’origine québécoise

La présence d’un certain Alphonse Gagnon (aussi connu sous le nom de Kloum Khun) parmi les chefs héréditaires de la nation wet’suwet’en en a intrigué plusieurs. Et c’est d’autant plus intriguant que cet Alphonse a un frère, Adam, sous-chef du clan Fireweed de la même communauté.

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À première vue, ils auraient pu être des descendants des Français qui ont couru autrefois les Pays d’en haut et l’Ouest canadien, donnant naissance aux Métis et laissant des héritiers jusque chez les Dénés des Territoires du Nord-Ouest. Le nom de famille Gagnon se serait-il perpétué jusqu’à nos jours?

L’explication serait plus simple.

D’après l’auteur ou les auteurs du blogue JLS Report (https://www.jlsreport.com/2019/09/15/parrot-lakes-fiction-and-fantasies/), qui représente les membres de la nation wet’suwet’en favorable au gazoduc, Adam est le fils d’un Québécois, Louie Gagnon, et d’une autochtone de la nation wet’suwet’en, Annie Tommy, qui a aussi quelques enfants d’une union précédente.

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Il a grandi à Houston (B.C.) et, à la fin des années 1970, la famille a déménagé à Smithers. Empruntant par dérision le vocabulaire des radicaux de la communauté wet’suwet’en, JLS Report écrit qu’Adam Gagnon a été un « white colonialist » comme les résidents de ces deux villes. « Its like the rejected half breeds of yesterday have become today’s crusaders for the lost treasures that come with landing a multi billion dollar land claim » [C’est comme si les métis rejetés d'hier s’étaient mis aujourd'hui en croisade pour les trésors perdus qui accompagnent le dépôt d'une revendication territoriale de plusieurs milliards de dollars].

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Voir aussi: https://www.youtube.com/watch?v=ESzqgfz7UNA

 

« Les Pays d’en haut », entre vaudeville et « western »

Dans La Presse du 5 février, Hugo Dumas loue « le souci du détail historique » de l’auteur du téléroman Les Pays d’en haut, mais les exemples qu’il donne tournent court (https://www.lapresse.ca/arts/television/202002/04/01-5259587-un-mariage-et-un-deterrement-.php).

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Insérer un couple lesbien dans un téléroman n’a pas besoin de justification historique. L’exhumation d’Oscar Labranche a été inspirée d’un fait vécu, l’affaire Guibord, mais le véritable évêque de Montréal n’a pas « refait le cadastre », ce qui n’était pas en son pouvoir; il a désacralisé la tombe de Guibord. Quant au curé Caron, « amalgame » de plusieurs religieux, il ne correspond, comme tel, à aucun personnage historique, mais constitue plutôt à une immense caricature.

Le rôle de l’auteur de cette série n’est pas de donner des cours d’histoire, mais de distraire et on peut dire qu’il réussit. Entre vaudeville et western, Les Pays d’en haut ne manquent pas de couleur, de surprises, de rebondissements et … d’invraisemblances, comme ce sous-ministre à la gâchette facile ou Pâquerette et Donatienne qui réussissent à rédiger une longue lettre, sortir par le deuxième étage, prendre un train (qui ne se rend pas encore à Saint-Adèle) et se retrouver à Lowell, USA, avant le prochain message publicitaire.

Dans la campagne de presse qui a précédé le lancement, on a annoncé une œuvre qui montrerait les vraies choses et surtout la vraie Donalda, différente du personnage créé dans les années trente par un Grignon tenu, parait-il, sous l’influence du cardinal Léger (qui n’était en fait pas encore cardinal…). Dans le roman original, la pauvre Donalda meurt dans les premières pages et n’a évidemment pas pu mettre en valeur les qualités que ses contemporaines ont démontré dans toutes sortes d’activités réelles. C’est bien d’en parler, mais en créer une qui est à la fois épouse, mère, fermière, beurrière, infirmière, bibliothécaire et directrice d’école du soir, c’est peut-être beaucoup. Mais pas plus que Séraphin, l’agent des terres avare de Grignon, qui devient sous-ministre de la Colonisation et sera peut-être ministre l’an prochain!

Les épisodes de cet hiver se déroulent au début des années 1890. Il y est quand même question de l’entrée des femmes à la faculté de Droit, de la Ligue catholique féminine et de la Commission de liqueurs, dont on n’entendra parler que 20 ou 30 ans plus tard.

Détails historiques ? Finalement, « c’est juste de la télé ».

La décennie : « pas finie tant que c’est pas fini »

Hypnotisés par un zéro à l’horizon, comme un chevreuil devant un phare la nuit, nos grands médias ont endossé la croyance populaire voulant que la décennie (comme le siècle et le millénaire, il y 20 ans) se termine avec un 9. À une époque où ces médias voudraient (avec raison) qu’on fasse confiance à la science en matière d’environnement, l’opinion des scientifiques ne pèse pas lourd quand il s’agit du calendrier. Et d’Histoire.

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À la fin des années 1990, la réputée Ruth S. Freitag, de la section Science et technologie de la Bibliothèque du Congrès, avait dressé une longue bibliographie sur ces gens qui célèbrent avant le temps. Dans cet ouvrage justement intitulé The Battle of the Centuries – un débat qu’elle qualifiait de « douce imbécillité » (minor imbecility) – , Freitag remontait au XVIIe siècle pour démontrer que le même débat revenait à chaque fin de siècle et qu’on aboutissait toujours à la même conclusion: il n’y a pas d’année 0 et « il n’y a jamais eu de périodisation des règnes, des dynasties ou des ères qui ne désignait pas sa première année comme l’année 1 » (http://www.loc.gov/rr/scitech/battle.html).

Ruth Freitag reconnaissait qu’elle nageait à contre courant. La croyance populaire voulant que les millénaires, les siècles et les décennies commencent par un zéro est tellement répandue, écrivait-elle, que quiconque essaie de signaler l’erreur est considéré comme pédant et ignoré (https://www.npr.org/2019/12/27/791546842/people-cant-even-agree-on-when-the-decade-ends).

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Dans Le Monde du 29 janvier 1980, un certain Georges Petit a réagi parce que Giscard d’Estaing avait déclaré que « la première année de la décennie, l’année 1980, sera difficile » :

« Quand l’Église décida, au sixième siècle, de définir une ère rattachée à la naissance de son fondateur, elle fit référence au calendrier alors en usage et fixa rétrospectivement son an 1 à [l’an] 734 de Rome ; jamais il ne fut question d’une année 0, et pour cause : les Arabes n’avaient pas encore donné le zéro à la chrétienté ».

Ironie de l’histoire, le moine responsable de cette réforme s’appelait Denis le Petit!

« Par contre, écrivait encore Georges Petit, les Conventionnels, eux, connaissaient le zéro ; ils n’en firent pas moins commencer leur calendrier révolutionnaire au 1er vendémiaire de l’an I de la République, qui coïncidait avec le 22 septembre 1792 du ci-devant calendrier grégorien. […] Mais d’année 0, point. » (https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/01/29/quand-commence-la-huitieme-decennie-du-xxe-siecle_2798778_1819218.html)

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Aujourd’hui, Rick Fienberg, de l’American Astronomical Society, Andrew Novick, du National Institute of Standards and Technology, et Geoff Chester, de l’Observatoire naval des États-Unis, disent la même chose, ce dernier précisant qu’il compte « de 1 à 10, pas de 0 à 9 » (http://www.slate.fr/story/185822/2020-nouvelle-decennie-2021-annees-decades).

Bien sûr, on s’étonnera que l’année 2020 fasse partie des années dix, mais, quand vous comptez sur vos doigts, le dixième fait partie de la dizaine. Et avec les orteils, vous arrivez à 20, soit une autre dizaine.

Parce qu’il n’a pas de doigt 0 non plus.

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PS: en terminant cette note, je découvre le texte de l’Agence Science-Presse publié hier, le 30 décembre ( https://quebec.huffingtonpost.ca/entry/2020-decennie-nouvelle-annee_qc_5e0a505fe4b0843d360a9b77).

Montague et Capulet, version québécoise

Le 28 déc.1957, le chroniqueur artistique Clément Fluet révélait dans Radiomonde et télémonde que « France Johnson (qui vient d’obtenir une bourse du gouvernement provincial) se mariera le 9 prochain, à 7 h. du matin. […] Son mari sera le jeune annonceur Pierre Nadeau, de CBF. Apparemment, ce mariage ne plairait pas outre mesure aux familles des deux jeunes. 1957 a encore ses Montague et ses Capulet, mais au Québec, ils sont bleus et rouges. »  http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3424825?docsearchtext=montague%20capulet%201957

Fluet avait-il des informations privilégiés ou était-ce une blague?

Le fait est que les futurs époux appartenaient à des familles politiques opposées.

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Pierre Nadeau était le fils de Jean-Marie, une figure libérale de premier plan qui avait été candidat à la direction du parti contre Lapalme en mai 1950. En 1957, il était président de la Commission politique du parti, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort, en 1960, dans un accident de la route.

Le père de France était Raymond Johnson (1908-1978), époux de Cécile Lafrance et cousin (et non le frère, comme on l’a écrit à Radio-Canada) de Daniel Johnson, alors ministre de Duplessis et futur premier ministre du Québec. France Johnson se trouvait donc la petite-cousine de Daniel fils et Pierre Marc Johnson.

Le mariage a été béni le 9 janvier 1958 par le père Paul-Émile Legault qui avait animé jusqu’en 1952 la troupe les Compagnons de Saint-Laurent et fut longtemps le célébrant attitré des mariages des artistes.   http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3424829?docsearchtext=Raymond%20Johnson

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Les parents des époux étaient présents au mariage. Une photo montre le père du marié serrant la main d’un cousin de la mariée. « Les mariés trouvent la scène amusante. Ce n’est pas souvent que deux adversaires politiques se trouvent réunis dans un même but: le bonheur de deux enfants. »

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Les jeunes époux sont ensuite partis en train vers New-York d’où ils se sont embarqués vers la France afin d’y « poursuivre leurs études ».