Des fonctionnaires du ministère du Patrimoine examineraient depuis plus d’un an une proposition visant à modifier la devise du Canada, tel que souhaité par le député néo-démocrate Dennis Bevington, afin de mieux représenter le Canada moderne et sa population « riveraine » de l’océan Arctique. Appuyé notamment par les premiers ministres des territoires du Nord-Ouest, du Yukon, du Nunavut et du Manitoba, le député de Western Arctic a proposé que la devise actuelle, A mari usque ad mare (From sea to sea, D’un océan à l’autre), soit changée pour A mari ad mare ad mare (From sea to sea to sea, D’un océan à l’autre à l’autre). Et pour éviter ce qui aurait inévitablement l’allure d’un bégaiement, on aussi suggéré A mari usque ad maria (D’un océan aux autres) !
On comprend aisément que les experts du Patrimoine prennent le temps d’examiner soigneusement les implications de cette proposition. On ne change pas une devise comme un slogan publicitaire. Et revoir la devise signifie aussi qu’on pourrait modifier les armoiries du Canada. Ces armoiries ont été octroyées au Canada par le roi George V en 1921. Sur l’écu, on trouve les symboles royaux de la Grande-Bretagne et de la France (les lions d’Angleterre, le lion d’Écosse, la harpe irlandaise et les fleurs de lis françaises) ainsi qu’un rameau de feuilles d’érable. Sous l’écu figurent quatre emblèmes floraux : la rose anglaise, le chardon écossais, la fleur de lis française et le trèfle irlandais. On comprend que ces éléments évoquent les origines des principales composantes de la population canadienne d’hier. Et il n’est pas difficile d’identifier ceux qui pourraient revendiquer aujourd’hui.
Mais il y a plus. Les supports de l’écu évoquent une conception du Canada qui passerait mal aujourd’hui : à gauche, un lion déploie l’Union Jack ; à droite, une licorne tient un drapeau portant trois fleurs de lis. C’était en 1921, rappelons-le, en pleine période de « bonne entente », un mouvement lancé à l’automne 1916 pour établir de meilleures relations entre le Québec et l’Ontario en permettant à chacun d’expliquer ses positions face à la guerre et aux problèmes ethniques. La présence des deux supports (et surtout des drapeaux arborés) faisait-elle partie du plan destiné à retisser des liens entre les deux « races », comme on le disait à l’époque ? Chose certaine, ils témoignaient de l’idée que la Confédération avait été, au mieux, un pacte entre deux nations, au pire, un « arrangement » permettant à chacune de s’épanouir tout en respectant les minorités (anglophones au Québec et francophones ailleurs au Canada). Peut-on craindre qu’en tirant sur un fil (la devise) on risque de détricoter le blason ?
Le député Bovington n’est pas le premier à prôner un changement de devise. En 2004, le député de Rivière Churchill a présenté un projet de loi (mort au Feuilleton) qui proposait que la devise du Canada soit Natio fluminum, flumen nationum (une nation de fleuves et un fleuve de nations) ; le député Rick Laliberté soutenait que « notre patrimoine multiculturel doit également être reflété et valorisé dans notre devise nationale ». La proposition Bevington demeure plus près de la devise actuelle qui est tirée du verset 8 du psaume 72 de la Bible, Et dominabitur a mari usque ad mare, « il dominera de la mer à la mer ». (Il faudrait être mal intentionné pour y voir un écho du « fédéralisme dominateur » dénoncé in peto par Bourassa en 1992, mais il y a tant de gens qui ont propagé une « explication » tordue de la devise du Québec qu’on peut se faire le plaisir d’y penser un instant.)
Faut-il changer la devise ? On ne serait pas aujourd’hui à bricoler une version adaptée au nouveau découpage du Nord-Ouest si, au lieu de suivre l’avis de Joseph Pope (un vieux conseiller de John A. Macdonald), le comité chargé de concevoir les armoiries en 1921 s’en était tenu à sa première idée : In memoriam in spem, Souvenir et espoir. L’histoire est plus durable que la géographie.
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Hérouxville, un « cas isolé »?
Si le message inaugural a puisé dans le « buffet adéquiste », comme l’ont noté plusieurs observateurs, il semble avoir aussi consulté le menu des Normes de Hérouxille, un manifeste qu’il était de bon ton de décrier il y a encore quelques mois et de ridiculiser en citant des détails secondaires hors contexte ou des maladresses dans le choix des exemples.
Dans l’introduction de ce désormais fameux manifeste, que peu de gens ont lu dans sa version intégrale, le conseil municipal avait exprimé son intention fondamentale de la manière suivante:
« Nous voulons surtout informer ces nouveaux arrivants que le mode de vie qu’ils ont abandonné en quittant leur pays d’origine ne peut se reproduire ici et qu’il exige un mode d’adaptation à leur nouvelle identité sociale ».
Or, on peut lire dans le message inaugural:
« Immigrer au Québec est un privilège. Intégrer les immigrants est une responsabilité. [...] Pour celui qui arrive, c’est prendre avec le Québec les valeurs québécoises [...]. Nous allons, par exemple, renforcer le message livré à chaque immigrant à l’effet que nos valeurs fondamentales ne sont pas négociables ».
Si le maire de Hérouxville et son conseiller Drouin avaient été invités à prendre place dans les tribunes du Salon bleu, ils auraient peut-être mérité des salutations…
« Just in time »
Les nouvelles sont comme les maladies : l’une chasse l’autre comme le mal de dent chasse le mal de tête. Gilles Pellerin est mort le même jour qu’Elvis : mauvais timing pour cet ancien stand up comic depuis longtemps oublié. Je lançais un livre le 11 septembre 2001 : échos nuls…
Ce phénomène a parfois de bons côtés comme on vient d’en avoir un bel exemple. La pression qui étouffait inéluctablement le chef du Parti québécois a attiré toute l’attention de la classe politique et des chroniqueurs dès que Radio-Canada a laissé couler l’essentiel de l’entrevue accordée par André Boisclair à Pierre Duchesne dimanche. Les événements se sont ensuite enchaînés jusqu’à la démission du chef mardi. Et ce n’est pas fini. Tout le monde, à Québec comme à Ottawa, suit maintenant les «éliminatoires».
Ce brouhaha nous a empêchés d’entendre un grand «ouf» de soulagement.
Au Nouveau-Brunswick, vendredi, dans un discours souligné par une ovation de son auditoire anglophone et rapporté dans le Telegraph-Journal, Justin Trudeau a prôné l’abolition des systèmes d’éducation séparés (francophone et anglophone). Selon le candidat libéral dans la circonscription fédérale de Papineau, leur fusion générerait des économies et serait bénéfique. «La séparation du français et de l’anglais dans les écoles est une chose qu’il faut réévaluer sérieusement. Ça divise les gens, ça leur met des étiquettes.»
Cette sortie a évidemment indigné la communauté francophone du Nouveau-Brunswick mais elle est pratiquement passée sous silence au Québec. Et le temps fuit…
Le chef du Parti libéral fédéral a mis les propos de sa recrue sur le compte de l’inexpérience : «Il va sans doute avoir à préciser sa pensée davantage». Des «précisions» ? Bien sûr qu’on en veut. Le député de Papineau est-il favorable à une nouvelle ronde de négociations constitutionnelles ? Les électeurs de Papineau seront aussi curieux de savoir si le candidat suggère, en toute logique, de faire disparaître les écoles anglaises du Québec.
La parité?
Le dernier sondage CROP-La Presse nous apprend que 87 % des personnes sondées appuient la décision de nommer un Conseil des ministres paritaire (formé également d’hommes et de femmes). Sommes-nous étonnés ? Comme ils disent dans le ROC, « they stand for motherhood and apple pie » ?
Les médias ont rapporté cette bonne nouvelle à grands coups de manchettes, mais les détails étaient moins clairs : dans Le Devoir, 18 ministres à la une et 21 dans la liste de la page 8 (on comprend que le whip et le président du caucus ne sont pas membres du Conseil des ministres) ; au Journal de Québec, 19 ministres en page 3, 18 en page 4 ; à La Presse, 18 et 19 dans la même page. Ces deux derniers journaux donnaient la photo de 19 ministres tout en écrivant qu’ils étaient 18. Le Soleil a suivi le train avec des 18 dans les textes jeudi et une liste de 19 samedi.
Deux jours plus tard, les sources officielles sont venues donner l’heure juste. Sur le site du Conseil exécutif (www.premier.gouv.qc.ca/equipe/conseil-des-ministres) comme sur celui de l’Assemblée nationale (www.assnat.qc.ca/fra/Membres/titulaires2.html), le Conseil des ministres compte bien 19 membres, dont 9 femmes et 10 hommes. On peut même télécharger une mosaïque qui ne laisse aucun doute: les femmes forment donc 47,36% du Conseil des ministres.
Et la parité ? Elle existe… dans la mesure où on fait abstraction du personnage le plus important! Paradoxal, non ?
Faut-il comprendre que la théorie du primus inter pares (premier parmi les pairs) est vraiment obsolète ? Depuis longtemps déjà, des politicologues ne croient plus à cette idée que le premier ministre est celui que le lieutenant-gouverneur (qui est toujours chef de l’État et représentant de la souveraine) désigne en premier lieu et charge de choisir les autres personnes qui composeront avec lui le Conseil des ministres. À cette conception traditionnelle, plusieurs observateurs ont opposé celle de « monarque élu » : le premier ministre ne serait plus un conseiller exécutif comme les autres (inter pares) car il possède maintenant d’énormes pouvoirs et, une fois élu, sa position est assurée par la discipline observée par ses députés. Dans cette perspective, un premier ministre gouverne assisté d’un conseil dont il désigne les membres. Plus ou moins comme le gouverneur avant 1848. Mine de rien, en ce mois d’avril 2007, nos institutions politiques auraient franchi une nouvelle étape avec la nomination de 18 personnes qui seraient en quelque sorte des conseillers de l’exécutif.
Peut-être aussi que cette explication est trop compliquée… Dans ce qui s’est passé le 18 avril, ne verrait-on pas plus simplement l’application d’une idée qu’un ancien député exprimait à peu près ainsi : « L’important, ce n’est pas ce qu’on dit ou ce qu’on fait mais ce que le monde comprend » ?
Minoritaire un jour, minoritaire toujours
On négocie à Québec sur la répartition des sièges dans les commissions parlementaires. Le PQ « craint d’être marginalisé ». Probablement aussi de s’être marginalisé.
Dans le Règlement réécrit sous la direction du président Richard Guay en 1984, l’article 122 était plein de sagesse et conforme à l’esprit du parlementarisme : « La composition des commissions doit refléter l’importance numérique des groupes parlementaires et tenir compte de la présence de députés indépendants à l’Assemblée ».
Cet article aurait peut-être requis quelques négociations, avant d’être appliqué en 2007, mais il aurait posé la base de la discussion : un parti ministériel minoritaire à l’Assemblée nationale est aussi minoritaire dans ses commissions. Dans le cas contraire, on verrait les commissions perdre leur temps à discuter et adopter des lois, des crédits et des résolutions qui auraient ensuite toutes les chances d’échouer en Chambre ; l’étude détaillée des projets de loi pourrait se dérouler en commission parlementaire, où les troupes ministérielles seraient majoritaires, ou à la commission plénière, où elles ne les seraient pas. Ces éventualités défient toute logique, tout comme il serait illogique que l’opposition n’ait pas la majorité des sièges à la Commission de l’Assemblée nationale (qui coordonne les travaux des autres commissions) et au Bureau de l’Assemblée nationale (qui supervise et oriente l’administration de l’Assemblée).
Avec le principe établi par l’article 122 du Règlement de 1984, et compte tenu de la répartition actuelle des sièges en pourcentage (38,4 % au PLQ, 32,8 % à l’ADQ et 28,8 % au PQ), on aurait convenu assez rapidement d’une composition 5-4-3 pour des commissions de 12 membres ou encore mieux, vu le nombre restreint des joueurs disponibles, d’une formation 4-3-2 pour des commissions de 9 membres. Au pire, pour le PQ, 5-4-2 dans des commissions de 11 membres, ce qui serait quand même mieux que ce que lui accordent les règles actuelles. En effet, pour des raisons qui échappent au bon sens, cet article sage et « tout usage » de 1984 a été supprimé en 1998 et remplacé par une disposition « jetable » qui prévoyait, dans le cas de la dernière législature, des commissions de 12 sièges dont 7 pour les députés ministériels, 4 pour l’Opposition officielle et UN pour les «autres» (députés d’un tiers parti ou indépendants). On comprend tous que cette disposition est inapplicable actuellement.
Dans les négociations qui s’amorcent, on plaide, pour étayer la position gouvernementale, que notre Règlement est différent de celui d’Ottawa. Bien sûr. Mais il ne faudrait pas s’en vanter.