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L’astuce

Le 12 novembre dernier, dans le point de presse qui a suivi la présentation des projets de loi no 78 (encadrant l’octroi des allocations de transition) et no 79 (donnant suite au rapport du comité indépendant L’Heureux-Dubé), le leader du gouvernement a déclaré que

« l’ensemble des propositions du rapport L’Heureux-Dubé nous amène donc à une rémunération globale des députés à la baisse et des économies pour l’État de 400 000 $ par année » (http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-26011.html).

Les points de presse ne permettent pas toujours de vider le sujet (celui-ci encore moins que les autres…), mais il aurait été intéressant de demander au ministre comment concilier son évaluation avec ce passage de la page 92 du rapport qu’il invoque :

« Pour les députés, l’application des recommandations entraîne une augmentation de la rémunération globale de 2,3 millions$, soit une hausse de 11,3%.

En ce qui concerne le gouvernement, ce montant de 2,3 millions$ sera compensé par des recettes fiscales additionnelles réalisées par l’impôt sur le revenu du Québec. Cette somme est estimée à environ 1,5 million$ annuellement. En conséquence, l’effet net des recommandations du Comité pour le gouvernement serait donc plutôt de l’ordre de 4%, soit environ 800 000$ » (http://www.assnat.qc.ca/fr/publications/fiche-depute-remuneration-juste.html).

Une rémunération globale diminuée de 400 000$ ou haussée de 800 000$ ? C’est la question à 1,2M$ !

L’évaluation du Rapport L’Heureux-Dubé : une hausse

La section 4.12 du rapport L’Heureux-Dubé est consacrée aux « impacts financiers des recommandations ». Le tableau 12 (page 92) compare la rémunération directe et le coût du régime de retraite assumé annuellement par le gouvernement avant et après l’application de ses recommandations. En bref :

Situation actuelle

      • Indemnités                                                                  13,9M$
      • Allocations de dépenses non imposables                    2,0M$            
      • Sous total                                                                    15,9M$
      • Coût du régime de retraite pour le gouvernement        4,6M$

Total                                                                            20,5$M

Situation projetée

      • Indemnités proposées (avec allocation intégrée)          20,3$
      • Coût du régime de retraite pour le gouvernement          2,5$

Total                                                                            22,8$M

D’où l’augmentation de 2,3 millions $. Le rapport réduit ensuite ce montant à 800 000 $ par le calcul suivant :

« Si les recommandations du Comité étaient appliquées, l’Assemblée nationale ne verserait plus d’allocation annuelle de dépenses non imposable, mais accorderait 6,4 millions $ de plus en indemnités imposables (équivalent imposable de l’allocation de dépenses + augmentation de l’indemnité de base et des indemnités additionnelles). En faisant l’hypothèse que le taux d’imposition sur le revenu du Québec est de 25,75%, soit le taux applicable à la tranche la plus élevée des revenus, l’impôt total additionnel perçu serait de 1,5 million$ ».

Le Comité reste évasif au sujet de l’impact de ses recommandations sur les allocations de transition (qui ont fait l’objet du projet de loi 78). Il y aura, soutient-il, une économie « appréciable » dans le cas des allocations versées aux députés qui quittent avant terme mais « pour les autres cas où un député quitte la vie politique, le relèvement de l’indemnité de base aura pour effet de hausser le montant moyen de l’allocation de transition ».

Il aurait été utile de préciser que ceux qui abandonnent prématurément, et pourraient être privés de d’allocation, sont beaucoup moins nombreux que ceux qui quittent en fin de mandat (retraite ou défaite), mais le Comité se limite à conclure « que le montant total des allocations de transition versées sera inférieur à ce qu’il serait si les indemnités et les règles actuelles étaient maintenues ». Assez pour annuler la hausse de 800 000$ ?

Quant au reste (abolition des allocations de présence aux commissions qui siègent hors session et modification de l’allocation pour les frais de logement à Québec), le Comité conclut que « les économies réalisées seraient de quelques dizaines de milliers de dollars annuellement ».

Du coût nul aux économies

Ce n’est donc pas dans le rapport du Comité consultatif indépendant qu’apparaît la notion de « coût nul » mais bien lors de la conférence de presse tenue le vendredi 29 novembre 2013 pour présenter le rapport aux journalistes. Alors que le Comité était évasif sur l’impact des recommandations portant sur les allocations de transition, la présidente ouvre la conférence avec une présentation générale qui contient de nouvelles données :

« […] le comité croit qu’avec les règles qu’il propose concernant l’allocation de transition et les recommandations à l’égard du régime d’assurance collective, il y aura, pour le gouvernement, des économies additionnelles de près de 900 000 $ par année. Par conséquent, les modifications proposées par le comité représentent un coût nul pour les contribuables québécois ».

Devant un auditoire qui n’avait pas le recul nécessaire pour en juger, les membres du Comité reprennent ensuite ce refrain :

« Mme L’Heureux-Dubé (Claire) : […] Puis c’est tellement facile à accepter parce que ça ne coûte rien. Ça ne coûte rien.

M. Bisson (Claude) : C’est ça, justement, le coût est nul. Le coût est nul pour le Trésor public.

M. Côté (François) : [...] ce que mes deux collègues disent, c’est le plus important, c’est que ça ne coûte rien de plus aux contribuables et c’est un réaménagement. »

Que s’est-il passé entre la signature du rapport le 26 novembre et sa présentation le 29 pour changer l’évaluation du Comité ? Une évaluation comptable tardive ? Des données de dernière minute ? La correction d’un « oubli » ? Quoi qu’il en soit, le « coût nul » a été ressassé par les médias puis remis sur la table par le nouveau premier ministre (en juillet 2014 et en mars 2015) pour finalement se transformer en économie annuelle de 400 000$ lors de la présentation des deux projets de loi dont il a été question ci-dessus.

Selon le tableau du leader du gouvernement, il y aurait donc des économies de 3,34 millions $ par année, soit

    • moins d’argent dans le régime de retraite (2 240 000$)
    • et dans le régime d’assurances collectives (230 000$),
    • moins d’indemnités de départ (830 000$),
    • abolition des allocations de présence aux commissions (50 000 $).

D’autre part, des déboursés supplémentaires de 2,94 millions $, soit

    • une augmentation de la « rémunération nette » (2 810 000$)
    • une augmentation des allocations pour frais de logement (80 000$),
    • et le coût d’un comité indépendant permanent qui se penchera à l’avenir sur les conditions de travail des députés (50 000$).

Conclusion : économie nette pour l’État de 400 000$ par année « et donc de 4 millions sur 10 ans » (ce qui est évidemment plus impressionnant…).

L’astuce

Les données du leader sont légèrement différentes de celles du Comité L’Heureux-Dubé. Ce dernier estimait des économies similaires pour le régime de retraite (2,1M$ sur la base de l’indemnité de 2013), mais ne donnait pas de chiffres pour les autres éléments; même chose, côté déboursés, pour les allocations pour frais de logement (que le Comité rangeait dans les économies) et les frais d’un futur « comité indépendant permanent ».

La clef de la démonstration est la « rémunération nette » qui représente la quasi totalité des déboursés supplémentaires. Impossible de trouver ce déboursé de 2,81M$ dans le Rapport L’Heureux-Dubé; tel que mentionné ci-dessus, le comité estimait que son projet exigerait « 6,4 millions$ de plus en indemnités imposables » et qu’il pourrait en revenir 25,75% au Trésor public, soit 1,5M$, ce qui se solderait par un 4,9M$ en indemnités supplémentaires.

À la conférence de presse, les questions ont surtout porté sur le jeu politique (« timing », positions des partis, possibilité de bâillon, etc.). Le journaliste du Devoir a essayé sans succès d’avoir des précisions : à combien se chiffre la perte pour un député, certains auront-ils une hausse ? La « ligne » était invariable : « Certains ont une baisse plus grande que l’autre [sic], mais tout le monde est en baisse. La rémunération globale est à la baisse. »

La représentante du Journal de Québec est alors arrivée avec une question plus pointue :

« Mme Lajoie (Geneviève) : Le 400 000$ d’économies — soyons clairs, là — il comprend également, donc, de l’impôt de plus payé par les députés qui vont avoir un plus haut salaire, moins de primes qui n’étaient pas imposables. On s’entend bien là-dessus?

M. Fournier : Oui, oui.

Mme Lajoie (Geneviève) : O.K. Si on exclut l’impôt de plus, c’est quoi, là?

M. Fournier : Ah! bien là, si on exclut… Bien là, justement, l’objectif, c’était de les imposer parce qu’ils avaient déjà des primes non… il y avait une partie de salaire non imposable, et le rapport nous dit : Il faut l’imposer. Alors, c’est ce qu’on fait.

Mme Lajoie (Geneviève) : Oui, mais, si on enlevait… parce que, quand on calcule, on ne calcule pas souvent ça, là, l’impôt de plus que vont payer les députés.

M. Fournier : Bien, je ne sais pas… Quand on regarde la rémunération globale, on voit : Est-ce qu’il y a plus d’argent dans la poche des députés? La démonstration, c’est : il y en a moins. Mais, pour le reste, je vous laisse chacun faire vos choix, là. Vous souhaitez peut-être qu’on en ait plus, mais ce n’est pas le rapport indépendant qui… ne nous proposait pas cela. Il demandait que la rémunération soit à la baisse ».

Ceux qui ont compris peuvent lever la main… La « piste » indiquée par la journaliste était prometteuse, mais la « meute » s’est ensuite dispersée dans d’autres directions. Il aurait pourtant été utile de demander des précisions sur la « rémunération nette » et surtout comment on pouvait défendre ce concept, disons « novateur » (qu’on ne voit « pas souvent », comme le soulignait la journaliste), dans le cadre des relations de travail et des négociations salariales (même le négociateur des médecins spécialistes n’a pas invoqué les milliers de dollars qui reviennent au Trésor public sous forme d’impôts pour faire passer l’augmentation de salaire de ses collègues). S’il faut tenir compte des recettes fiscales accrues qui accompagnent l’augmentation des indemnités, faut-il aussi calculer les pertes fiscales qui découlent des prestations de retraite diminuées ? Et pourquoi pas les retombées économiques de la présence de députés mieux payés dans la capitale…

Pour les simples contribuables, il reste à espérer que la lumière se fasse d’ici l’étude du projet de loi en commission. Pour le moment, il est difficile de comprendre qu’on veuille donner aux députés des conditions de travail à la hauteur de leurs fonctions et leur accorder le traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement, tout en prétendant aussi faire des économies. S’ils méritent un changement de catégorie, du député de la base jusqu’au premier ministre, comme le propose le rapport L’Heureux-Dubé, il faut assumer les conséquences sur le Trésor public sans trop abuser de la « comptabilité créatrice ».

À l’heure des excuses aux Franco-ontariens…

Directeur d’un « bureau d’enregistrement » (« registrateur », comme on disait), Adolphe Poisson (1849-1922) occupait ses loisirs et, probablement, ses heures creuses à faire de la poésie. De là, peut-être, le titre d’un premier recueil, dont la Revue canadienne souligne la parution dans son édition de 1894,  Heures perdues

Poisson-portrait

Ce « charmant recueil de poésies », écrit-on, « fait grand honneur à notre littérature canadienne », et, pour prouver que Poisson « sait réussir dans tous les genres », passant « du grave au doux du plaisant au sévère », l’éditeur de la revue reproduit le poème intitulé « Francophobie », qu’il appelle pudiquement une « boutade humoristique ».

On comprendra aisément que Poisson utilise l’ironie pour évoquer comment les francophones étaient reçus dans l’Ontario de la fin du XIXe siècle, soit bien avant le Règlement XVII (1912). C’est donc un Canadien anglais qui parle:

FRANCOPHOBIE

Amis, entendez-vous ? Ainsi qu’une marée
Mugissant sous l’effort de ses flots révoltés,
Sur nous se précipite une race exécrée…
           
— Mais ces gens-là sont effrontés !
Ils entament déjà notre plus cher domaine,
Ils avancent par bande ainsi que font les loups,
Sous les yeux vigilants de la louve romaine…
           
— Mais ces gens-là sont des filous !
Prescott, Russell, Essex râlent sous leur contrôle ;
Carleton et Renfrew sont envahis par eux ;
Encore une poussée et l’on nous jette au pôle…
           
— Mais ces gens-là sont dangereux !
Comme une tache d’huile on les voit se répandre
Des bords de l’Acadie aux champs américains,
Et ce qu’on leur refuse ils savent bien le prendre…
           
— Mais ces gens-là sont des coquins !
Voyez ces porteurs d’eau ne rêvant que conquêtes,
Nous dire sans façon : Messieurs, déguerpissez !
Il nous faut vos prés verts et vos villes coquettes…
           
— Mais ces gens-là sont bien pressés !
Dévorés du souci d’être propriétaires,
Ces vils envahisseurs viennent en tapinois
Avec de beaux écus, nous enlever nos terres…
           
— Mais ces gens-là sont des sournois !
Défendant un par un tous les droits qu’on leur nie,
Par des œuvres de paix répondant aux affronts,
Quand nous soufflons la guerre, ils prêchent l’harmonie…
           
— Mais ces gens-là sont des poltrons !
Qu’on leur jette l’insulte, et que pour les confondre
On les traite de gueux, de Chinois, d’étrangers,
Ils vont droit leur chemin sans même nous répondre…
           
— Mais ces gens-là sont enragés !
Grâce à l’inique appui de nos lois arbitraires,
Ils se disent amis et se font dictateurs ;
Pour mieux nous dominer ils nous nomment leurs frères…
           
— Mais ces gens-là sont des menteurs !
Et pour vous démontrer jusqu’où va leur audace,
En face des vainqueurs ils font les conquérants,
Et se croient tous issus d’une héroïque race…
           
— Mais ces gens-là sont ignorants !
Ils ont des écrivains qui se mêlent d’écrire ;
Non contents de la prose ils font même des vers !
En sauteux ? en français ? Je ne saurais vous dire…
           
— Mais ils ont donc tous les travers !
Ils ont des orateurs puissants qui ne le cèdent
À nul de nos meilleurs, et même, les rusés !
Notre langue et la leur également possèdent…
           
— Mais gens-là sont bien osés !
Sous la verge de Rome et sous le fouet jésuite
Se courbent tous les fronts, rampent tous les partis I
Pas un seul n’a pleuré la liberté détruite…
           
— Mais gens-là sont des abrutis !
Tout en se proclamant bons sujets de la Reine,
Ils nous pressent partout, nous disputent nos droits,
Au lieu de nous céder la palme dans l’arène…
           
— Mais ces gens-là sont maladroits !
Ils veulent comme nous leur part de patronage ;
Être dans la milice un peu plus que sergents,
Et partager aussi la poire et le fromage…
           
— Mais ces gens-là sont exigeants !
Ils vont plus loin ! Ils nous volent, les misérables I
Jusqu’à nos plumpuddings et nos roastbeefs fumants !
Profanant sans remords ces mets si vénérables…
           
— Mais ces gens-là sont des gourmands !
Ils sont prétentieux ; même je les soupçonne,
Les naïfs ! de se croire en tous points nos égaux,
Nous qui représentons la race anglo-saxonne !…
           
— Mais ces gens-là sont des nigauds !
De leur ambition ils ne font nul mystère,
Et si l’on en croyait leurs discours imprudents,
Un des leurs serait chef du prochain ministère…
           
— Mais ces gens-là sont impudents !
De robustes enfants leurs chaumières sont pleines,
Ils essaiment partout, passent fleuves et monts,
Ils abattent nos bois, ils labourent nos plaines…
           
— Mais ces gens-là sont des démons !
Vandales d’Amérique, excités par leurs prêtres,
Sûrs des nouvelles lois et forts des vieux édits,
Ils s’emparent du sol pour devenir nos maîtres…
           
— Mais ces gens-là sont des bandits !
Le croirez-vous ? J’ai vu douze enfants par chaumière !
Même, au lieu d’en rougir, ils en sont triomphants !
D’excès si monstrueux la race est coutumière…
           
— Mais ces gens-là font trop d’enfants !
Ils parlent une langue inconnue et barbare,
Trop vulgaire et trop rude aux gosiers écossais ;
Voilà pourquoi chez nous la parler est si rare…
           
— Mais ces gens-là sont des Français !
S’ils n’étaient que Français ! mais ils sont catholiques !
Ils entendent la messe et disent l’oraison,
Au lieu de s’inspirer de nos œuvres bibliques…
           
— Mais ils ont perdu la raison !
Pour comble de scandale, ils vénèrent leurs prêtres,
Ils s’attachent au sol où sont couchés leurs morts ;
Loyaux à la Couronne, ils ignorent les traîtres…
           
— Ces Canadiens ont tous les torts !

———–

P.S.: En 1916,  un certain George A. S. Gillespie a publié une adaptation  anglaise de ce poème, sous le titre Francophobia: a new « Book of Lamentations » with a modern canadian setting. Il faut se féliciter, écrivait-il, d’avoir « changé tout cela »….

« Sunny ways, my friends… »

   Dans le discours qu’il a prononcé le soir des élections, Justin Trudeau s’est réclamé de Wilfrid Laurier qui, dit-il, « a parlé des voies ensoleillées. Il savait que la politique peut être une force positive, et c’est le message que les Canadiens ont envoyé […]. Les Canadiens ont choisi le changement, un vrai changement […]. Sunny ways, my friends, sunny ways ».

Il aurait fallu que la presse pose un peu plus de questions pour savoir exactement à quoi le nouveau premier ministre faisait allusion et sous quels aspects il entendait s’inspirer de Laurier. À première vue, il semble associer vaguement les « sunny ways » au changement et à la politique « positive ». Quelques médias anglophones, dont le National Post, ont rappelé dans quel contexte précis Laurier a utilisé cette expression, d’autres, comme le Toronto Star, en ont fait de l’humour : « Are you ready for “sunny ways”? Am I? I wonder what that means. Do we have to smile all the time? Take the high road? Sing sunny songs? ».

Les médias francophones ne semblent pas avoir porté intérêt aux propos du nouveau chef, mais aussi bien ne pas trop savoir de quoi il s’agit que de décrire les « sunny ways » comme l’a déjà fait Michael Ignatieff : « ouverture à l’Ouest, connaissance de la complexité du pays et courage politique [sic] »… (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/politique/plc/q4.shtml)

Laurier1

En fait, pour les Canadiens français, les « sunny ways » évoquent justement le contraire du courage politique et l’un des épisodes les plus décevants de la carrière de l’ancien premier ministre.

Les écoles du Manitoba

Quand Laurier arrive au pouvoir, un grand débat agite le Canada, particulièrement au Manitoba, une province créée en 1870 par une loi (Loi sur le Manitoba) qui accordait une protection aux écoles séparées francophones (article 22) et établissait le bilinguisme au sein du Parlement (article 23), comme au Québec. Or, en 1890, le gouvernement Greenway avait fait de l’anglais la seule langue officielle au Manitoba et supprimé le financement des écoles françaises. Le gouvernement fédéral (conservateur) avait alors la possibilité de 1) désavouer la législation manitobaine, ce qu’il refusa évidemment de faire, 2) de soutenir une contestation devant les tribunaux, ce qui fut fait sans succès, ou 3) d’apporter des mesures « rémédiatrices », qui sont mortes au Feuilleton.

Laurier devient premier ministre en 1896 et, comme l’écrit Réal Bélanger (Wilfrid Laurier, quand la politique devient passion, PUL, 1986, P. 461), « met l’accent sur la liberté civile et religieuse, la tolérance, la conciliation et le compromis ». Sur la question du Manitoba, il a déjà pris position en 1895 : « If it was in my power, and if I had the responsability, I would try the sunny way », se référant à une fable d’Ésope, Le vent et le soleil. Évidemment pas question de désavouer cette loi pourtant parfaitement inconstitutionnelle. Il s’entend plutôt avec le premier ministre manitobain sur une disposition (compromis Laurier-Greenway) permettant l’enseignement d’une « autre langue » que l’anglais, entre 15 h 30 et 16 h, dans des « écoles bilingues », là où 10 élèves ou plus parlent cette langue dans les zones rurales et 25, dans les centres urbains (http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/cnd_antifranco.htm). Les évêques ont beau protester jusqu’à Rome, Laurier ne démord pas et prétend que de nouvelles concessions pourraient mener à une « guerre sainte ».

Laurier-écoles 2

Le compromis ne survivra pas au gouvernement Laurier. En 1916, une nouvelle réglementation l’annule et fait de l’anglais la seule langue d’enseignement dans les écoles publiques du Manitoba.

Puis l’Alberta et la Saskatchewan en 1905…

Entretemps, deux autres provinces ont été créées dans l’Ouest. En 1905, une première version de la Loi sur l’Alberta semble avantageuse pour la minorité francophone. À Henri Bourassa qui s’inquiète du cheminement du projet, Laurier rétorque qu’il a trop « l’esprit français » ; « moi, dit-il, je flotte dans l’air ambiant » (Bélanger, 299). C’est plutôt une tornade orangiste qui emporte les droits prévus pour les franco-catholiques dans la version suivante projet et son fameux article 16 : l’anglais sera la langue d’enseignement en Alberta, tout en autorisant un certain usage du français dans les classes primaires. Il en sera de même en Saskatchewan.

Cet épisode s’inscrit parmi les épreuves qui ont frappé les minorités catholiques et françaises du Canada depuis 1871. « Pire, écrit le biographe de Laurier, c’est probablement la dernière chance qu’avait le pays de se doter, avant qu’il ne soit trop tard, des moyens concrets pour devenir une nation bilingue et biculturelle d’un océan à l’autre » (p. 305).

Pour éviter les conflits, Laurier a joué le compromis en croyant que la majorité canadienne-anglaise saurait à son tour faire des concessions. Il s’est trompé, comme il le réalisera, une fois dans l’opposition, lors du débat sur le Règlement 17 adopté par le gouvernement ontarien en 1912.

…et en 2015

Moins d’un mois après l’élection de Trudeau, l’Alberta et la Saskatchewan font la manchette : la Cour suprême du Canada refuse d’interpréter généreusement les textes constitutionnels et décide qu’aucun élément historique n’empêche ces deux provinces de se déclarer unilingues sur le plan législatif.

Comme l’écrivait le biographe de Laurier, « le Canada de 1986 [c’était avant Meech…], anglo-saxon de caractère et de mentalité dans neuf de ses dix provinces, est en partie le produit des concessions du grand homme […] ».

Et de ses « sunny ways ».

La Ferrari

« Depuis de très nombreuses années, beaucoup de gens nous ont dit qu’il fallait effectivement apporter des modifications à ce régime de retraite tellement ses avantages étaient considérés comme exorbitants, tellement on considérait que les avantages qu’il procurait aux députés étaient abusifs. Tout le monde s’accordait à dire que c’était un régime de retraite trop généreux. Je crois que, là-dessus au moins, on a fait l’unanimité. »

On se croirait en 2015, mais c’est plutôt dans le Journal des débats du 18 décembre 1982 qu’on trouve ces propos de Jean-F. Bertrand.

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Le leader du gouvernement parrainait alors une réforme du régime de retraite, dont les avantages « abusifs » devaient disparaître en échange d’une hausse de salaire, le tout à coût nul, disait-on.

Un tiers de siècle plus tard, ce régime est qualifié de « Ferrari » par un comité indépendant (http://www.lapresse.ca/debats/editoriaux/paul-journet/201407/21/01-4785658-la-ferrari-des-elus.php). Aurions-nous été trompés?

On propose donc maintenant la disparition de l’abus qui serait compensée par une hausse de salaire. Ce n’est pas tout à fait le lot des nombreux employés de l’État qui ont vu ou vont voir leur régime de retraite modifié, sans compensation.

 

Conseils stratégiques pour le scrutin

 Si …Trudeaux


… tu n’as pas fait le lien entre l’arrivée de Pierre-E. Trudeau à la tête du Parti libéral, la mise au rancart des travaux de la commission sur le bilinguisme et le biculturalisme et le début de la banalisation de la communauté canadienne-française dans le « multi-culti »,
… tu n’as pas vécu la crise d’Octobre ni vu l’arrestation arbitraire de centaines de citoyens sous « les ordres » du gouvernement libéral,
… tu n’as pas eu connaissance des expropriations abusives de Forillon et de Mirabel, pour un parc aux ambitions démesurées et un aéroport aujourd’hui fermé;
… tu n’étais pas parmi ceux qui se sont fait promettre par le premier ministre libéral du temps qu’un NON au référendum de 1980 serait un OUI au changement,
… tu ne te souviens pas que ce changement a pris la forme d’une nouvelle loi constitutionnelle mijotée par le gouvernement Trudeau et adoptée sans le consentement du Québec, qui en est toujours exclus, un tiers de siècle plus tard,
… tu n’as pas encore réalisé que l’enchâssement d’une Charte des droits dans cette constitution (tricotée si serrée qu’on ne peut pratiquement plus en sortir) a mis la table pour un « gouvernement des juges » qui joue contre le Québec et nos droits collectifs,
… tu ne te rappelles pas que les efforts du gouvernement Mulroney pour corriger cette situation ont été contrés au Canada anglais avec l’appui actif et la bénédiction de l’ex-premier ministre libéral et de son âme damnée Jean Chrétien, qui deviendra chef du même parti,
… tu as digéré les moyens illégaux mis en œuvre par gouvernement libéral de Jean Chrétien pour obtenir un NON au référendum de 1995,
… tu as oublié le scandale des commandites, sous ce même gouvernement libéral qui a laissé des sous-fifres encaisser les coups,

et si, enfin, tu n’as pas remarqué que le directeur de la campagne de Justin (qui vient de démissionner) était l’homme de son père à Londres lors du coup de force constitutionnel de 1981-1982,

tu peux voter libéral, « mon fils » (comme disait Kipling).