Maintenant que la ministre du Patrimoine et, comme un écho tardif, le Conseil de ville ont exprimé le désir de faire « comparaître » la Société du 400e, peut-on dire que les célébrations de 2008 suscitent un certain nombre « de critiques et d’inquiétudes » (pour emprunter les mots de madame Verner) sans se faire accuser de saboter le projet ?
Ce n’est pas de la trash radio qu’est venue la dernière critique mais d’un agriculteur de L’Islet qui se désole de voir que le 400e n’a rien prévu pour honorer les familles qui exploitent la même terre depuis le début de la colonie, comme on l’a fait en 1908 et en 1958. Pas pertinent puisqu’il s’agit de familles de l’extérieur de Québec, selon un porte-parole du 400e, et pas de ressources pour identifier ces familles. Allons donc !
Publiée dans le rapport des fêtes de 1908, la liste des familles qui occupaient alors la même terre depuis 200 ans comprend environ 250 noms. Combien y en a-t-il maintenant qui exploitent la même terre depuis 300 ans ? Est-ce qu’on s’entend pour dire qu’il doit y en avoir pas mal moins que 250, qu’on les trouvera exactement là où elles étaient en 1908 et qu’elles sont probablement bien connues dans leur milieu ? Ce ne sont justement pas des itinérants.
Des ressources ? Un tour de table avec les sociétés d’histoire régionale, les sociétés de généalogie et les associations de familles souches devrait permettre de trouver ces familles aisément puisqu’il s’agit, pour la plupart, de familles souches. Et il est inutile de courir la province : les familles à honorer en 2008 se répartiront probablement comme en 1908, soit (selon la nomenclature des comtés de l’époque) environ 15 % à Québec, 23 % dans Montmorency et l’île d’Orléans, 19 % dans Portneuf, 11 % dans Lévis et Lotbinière, 14 % dans Bellechasse, Montmagny, L’Islet et Kamouraska, 12 % dans Champlain et Saint-Maurice et moins de 10 % ailleurs au Québec, dans des contrées aussi « éloignées » que Témiscouata, Charlevoix, Nicolet-Yamaska, Richelieu ainsi que Montréal qui comptait un gros 4 familles en 1908.
80 % de ces familles étaient de la grande région de Québec en 1908: y en a-t-il qui sont surpris ? Au 400e, c’est possible. Le message officiel (« centre névralgique de la Nouvelle-France », « berceau de la civilisation française en Amérique », etc.) se traduit plus difficilement dans la programmation. C’est ainsi qu’on a oublié les familles souches, qu’il n’y a rien de spécial pour le 24 juin et qu’on a choisi une rose comme fleur emblématique.
Une rose comme emblème de Québec? Peut-on imaginer qu’une ville anglaise puisse célébrer un anniversaire avec des lis et des iris versicolores ?
Archives pour la catégorie Actualité 400
Saint Jean-Baptiste et Ponce Pilate
Il est devenu hasardeux de faire référence à l’histoire sainte : de moins en moins de gens comprennent les allusions aux personnages bibliques. Saint Jean-Baptiste n’a peut-être pas besoin de présentation. Ponce Pilate était préfet de Judée au moment de la crucifixion du Christ. Il a bien vu que les accusations contre Jésus ne pesaient pas lourd, mais il refusa de prendre position pour lui et, selon l’expression qui lui est collée à la peau, il « s’en lava les mains ».
C’est l’image qui m’est venue à l’esprit en apprenant la semaine dernière que le programme du 400e Québec ne prévoyait rien pour le 24 juin 2008. Craignant de politiser les célébrations, la Société du 400e aurait renvoyé dos-à-dos les organisateurs de la Saint-Jean et ceux de la Fête du Canada, en leur suggérant d’aller chercher du financement auprès de leurs gouvernements respectifs. Bref, si le dossier n’était pas politisé, il l’est maintenant !
Placer ces deux fêtes sur le même pied, dans le contexte du 400e de Québec, ne tient tout simplement pas debout. La Saint-Jean est célébrée depuis les origines de Québec. Fête religieuse, fête du Canada français et des francophones d’Amérique, fête nationale du Québec, la Saint-Jean évoque naturellement la présence française dont Québec a été le foyer en Amérique. Ainsi, l’histoire de la capitale est jalonnée de grands rassemblements de la « famille francophone d’Amérique » qui ont presque toujours eu lieu à la fin de juin : convention nationale de 1880, congrès de la langue française en 1912, 1937, 1952, congrès de la « refrancisation » en 1957. Le 24 juin a une histoire et un enracinement qui dépassent les limites de la municipalité de Québec. On fête ce jour le plus long (solstice d’été), sous diverses formes, un peu partout à travers le monde depuis la plus lointaine Antiquité. En tout respect pour ceux et celles qui y sont attachés, le premier juillet ne sera jamais rien d’autre qu’une date arbitraire qui marque l’entrée en vigueur d’une constitution.
Non seulement la Société du 400e doit revoir son programme à ce chapitre mais elle devrait elle-même, au lieu de jouer les Ponce Pilate, prendre la direction de la fête du 24 juin en 2008 et y inviter des représentants de toutes les communautés françaises d’Amérique, Las Vegas compris. C’est une dimension de l’histoire de Québec qui manque au programme.
400e de Québec : le déboulonnage de Champlain fait-il partie du programme ?
Un lobby s’active depuis une dizaine d’années pour rehausser la mémoire de Pierre Dugua de Mons et lui attribuer le titre de fondateur de Québec « avec son lieutenant Champlain ».
Ancien compagnon d’armes d’Henri IV, Pierre Dugua de Mons crée une compagnie de traite en 1603 et obtient le monopole du commerce des fourrures en Nouvelle-France. En 1604, il s’établit en Acadie, sur l’île de Sainte-Croix (aujourd’hui Dochet Island, au Maine). Après un hiver catastrophique, il déménage le camp à Port-Royal et retourne en France pour régler des conflits commerciaux. Son monopole est révoqué en 1607, ce qui met fin à la tentative de Port-Royal. En 1608, son monopole est rétabli pour un an et Champlain le convainc de fonder une colonie sur le Saint-Laurent. Dugua de Mons soutiendra Champlain jusqu’en 1612, même après avoir perdu de nouveau son monopole. Il meurt en 1628 sans être jamais revenu en Amérique.
« Sans de Monts, a écrit Marcel Trudel, on peut présumer qu’il n’y eût pas eu de Champlain ». C’est l’opinion que le lobby brandit inlassablement même s’il s’agit là d’une avancée très prudente et mesurée, voire ambiguë, de la part de Trudel (qui parle de Dugua comme un des fondateurs de la Nouvelle-France, et non de Québec, où il n’a pas mis les pieds). Les rois d’Espagne et de France ont soutenu Colomb et Cartier, ce qui n’en fait pas pour autant les découvreurs de l’Amérique et du Canada.
Et pourquoi l’œuvre de Dugua de Mons aurait-elle été occultée ? L’histoire du Québec ayant été surtout écrite et enseignée par des religieux, on aurait ostracisé Dugua parce qu’il était protestant. Voilà l’Argument qui vaut pour le passé et la suite du débat, car le fait de ne pas reconnaître les mérites de Dugua ne démontre-t-il pas un certain sectarisme ? On sait que les Québécois sont sensibles à la culpabilisation.
Le lobby Dugua a des ramifications en France où les titres de gloire de Dugua de Mons sont étonnants. Une plaque installée en 1957 à Royan (où il est né et décédé) le disait « fondateur de l’Acadie et du Canada ». Sur son lieu de sépulture, une autre plaque posée en 1986 le présente maintenant comme « fondateur de l’Acadie en 1605 et de Québec en 1608 avec son lieutenant Champlain ». Sur une stèle réalisée en 1988, on peut lire : « A Pierre Dugua, sieur de Mons, lieutenant-général du Roi, fondateur de l’Acadie et de Québec avec son lieutenant Champlain », cette dernière précision semblant ajoutée après coup. Une plaque sur la promenade Pierre-Dugua honore le « co-fondateur de Québec ». À Pons, où il fut gouverneur, il y a depuis 1992 une « rue Pierre Dugua sieur de Mons, fondateur de l’Acadie et de Québec » et une plaque au château (2004) dédiée au « fondateur de l’Acadie en 1604 et en 1608 de Québec avec Champlain ».
Un écrivain de Royan est à l’origine de cette révision de l’histoire de la fondation de Québec. Jean Liebel a donné une conférence à Québec en 1977 sous le titre « Pierre du Gua, sieur des Mons, présumé fondateur de Québec ». Le résultat de ses recherches, demeuré longtemps dans les cartons de la bibliothèque de Royan, est finalement publié en 1999. L’ouvrage porte le même titre que la conférence mais le mot « présumé » est disparu et Dugua « reste dans l’histoire comme le fondateur de Québec, brillamment secondé par son lieutenant Samuel Champlain ».
Champlain ne serait donc plus qu’un brillant second.
À Québec, les opinions sont exprimées publiquement avec plus de nuances. En 1999, par exemple, la Société historique de Québec a publié une brochure intitulée Pierre Dugua de Mons, cofondateur de Québec (1608) et fondateur de l’Acadie (1604-1605) dont la troisième édition (2003) porte un titre moins explicite : Pierre Dugua De Mons, et les fondations de l’île Sainte-Croix, Port-Royal et Québec (1603-1612).
Reculer pour mieux sauter ? Au Tribunal de l’Histoire, en 2004, la question n’était pas très engageante : le public a jugé que « le rôle de Pierre Dugua de Mons dans la fondation de Québec avait été largement sous-estimé » (une procédure d’appel aurait cependant beaucoup de chances de succès en s’appuyant sur la partialité des « instructions du juge au jury »…). Mais, au cours de la saison 2007-2008, le public pourra assister à des « duels » où Champlain et Dugua de Mons se disputeront le titre de fondateur de la ville.
Une plaque dévoilée à Québec en 1999 reconnaît déjà à Dugua « un rôle de premier plan dans la fondation du premier établissement permanent en Amérique du Nord. ». Le 3 juillet prochain, un monument sera inauguré en sa mémoire. Qu’y lira-t-on ? On peut s’attendre à tout. Le site de l’établissement de Sainte-Croix, où Dugua de Mons a passé l’hiver 1604, trois ans avant l’établissement de Jamestown, est maintenant en territoire américain : Dugua de Mons pourrait bien devenir fondateur du Maine et des États-Unis !