En octobre 2010, la publication de L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire a remis dans l’actualité une grave injustice que la classe politique s’était empressée d’oublier. L’ouvrage publié au Septentrion (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l) n’avait rien de « sorcier » : son seul véritable mérite était d’aborder un sujet qu’aucun observateur politique, journaliste ou universitaire, n’avait daigné examiner à fond, comme si le sujet était définitivement classé depuis le jugement de la Cour d’appel en 2006.
La « chronique d’une exécution parlementaire »
L’ouvrage visait à démontrer que l’Assemblée nationale avait procédé injustement, le 14 décembre 2000, en condamnant « les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 », et cela sans citer les « propos » visés, ni entendre leur auteur. La simple transcription de l’intervention de Michaud à ces audiences ─ une démarche élémentaire que les parlementaires avaient négligée ─ a démontré, sans l’ombre d’un doute, l’absence de propos justifiant une telle condamnation. L’analyse démontra aussi que les précédents parlementaires invoqués après coup n’étaient pas pertinents.
Yves Michaud avait bien sûr échoué dans ses démarches auprès des tribunaux (ceux-ci respectant la séparation des pouvoirs), mais il était important de rappeler, puisque la chose avait été pratiquement ignorée par les médias, que l’un des juges de la Cour d’appel avait cru bon d’ajouter un commentaire exceptionnel à la fin de la décision de 2006: « Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria [le droit strict est la suprême injustice] auraient dit les juristes romains ! » Ne pouvait-on pas croire que le juge Baudouin invitait subtilement l’Assemblée nationale à corriger elle-même ce que les tribunaux ne pouvaient pas faire ?
Les réactions
« Il est maintenant clair, écrivait Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établissait « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ». C’est « fulgurant de clarté », commentait Gérald Larose qui avait présidé les États généraux et qui avait vainement cherché, dans le verbatim des témoignages, les « propos » reprochés à Michaud.
Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir invite Jean Charest et Pauline Marois à l’appuyer dans la présentation d’une motion qui reconnaîtrait « l’erreur commise », ou à en présenter une eux-mêmes. Le 3 décembre, sans réponse des deux chefs, mais avec l’appui de deux députés adéquistes, il présente une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur […] en condamnant M. Yves Michaud dont l’intervention aux États généraux de la langue française, la veille, ne comportait pas de propos offensants à l’égard de la communauté juive » et s’engagerait « solennellement, par la voie de cette motion [ou] par d’autres moyens qu’elle pourrait se donner, à éviter qu’une telle situation se reproduise […] ».
Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat. « C’est un vrai piège tendu par les libéraux, qui voulaient refaire un procès à Yves Michaud et M. Michaud ne mérite pas un procès », déclare Mme Marois aux médias; « On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens », répond, entre autres choses, Yves Michaud.
Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste (Gendron, Cousineau, Maltais) adressent des lettres d’excuses à Yves Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste de ceux qui l’avaient déjà fait publiquement (Facal, Beaudoin) peu après la sortie de L’affaire Michaud. Dans les jours qui suivent, les excuses se multiplient. À la mi-décembre, l’ancien ministre Paul Bégin prend l’initiative de contacter ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable.
De propos « inventés »
Certains le font avec des commentaires éclairants. « Comme seule excuse, écrit Claude Lachance (Bellechasse), qu’il me soit permis de vous dire que, comme la plupart de mes collègues du Parti québécois du temps, j’ai été carrément floué. Aucune discussion préalable, aucune explication au caucus avant le vote surprise. » Jean-François Simard (Montmorency) reconnaît avoir été « dans la plus totale ignorance de ce que représentait cette résolution comme atteinte aux droits fondamentaux de la personne et aux principes élémentaires de justice naturelle ». Dans une lettre adressée aux médias en décembre, Mathias Rioux évoque un « complot ourdi contre Michaud […] hors du parlement » et exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs »; l’ancien député de Matane pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui […] ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue ? »
Dans une lettre adressée au Devoir en décembre 2010 (et restée inédite), l’ancien député de Marguerite-d’Youville explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion (André Boulerice et Lawrence Bergman), mais, « après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. » (voir doc. 1) C’est d’ailleurs ce que viendra confirmer André Boulerice (Sainte-Marie–Saint-Jacques), à la fin de janvier, dans un message adressé à Paul Bégin : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive » (voir doc. 2). Si le coauteur de la motion le dit…
La fin de l’affaire ?
Seul Le Soleil aurait évoqué cette dernière lettre à l’époque, tout en omettant le mot « inventés ». D’autres questions ont ensuite diverti l’opinion publique et l’affaire Michaud est retombée dans l’oubli. En 2013, Le Devoir a rapporté qu’Amir Khadir aurait proposé à quelques députés de déposer une motion réclamant le retrait de la motion de 2000, mais il aurait fallu que de meilleures relations existent entre la chef du gouvernement minoritaire et Yves Michaud pour que ce projet ait une chance d’aboutir.
Il manque donc toujours un point final à cette affaire qui marquera l’Assemblée nationale de la manière « la plus honteuse » (selon le mot de David Payne).
« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivaitGilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Cette leçon, la très grande majorité des députés péquistes l’ont comprise, mais les libéraux, sans exception, s’entêtent toujours dans une position intellectuellement indéfendable. Portée à ce niveau, la discipline partisane dépasse l’entendement et discrédite notre Parlement.
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Document 1 : Lettre adressée au Devoir par François Beaulne, ancien député de Marguerite-d’Youville (1989-2003), le 19 décembre 2010
Monsieur le directeur du Devoir,
J’aimerais, par la présente, joindre mon nom à la liste de mes 25 collègues députés du Parti québécois de l’époque qui ont exprimé leurs excuses à monsieur Yves Michaud pour avoir voté à l’Assemblée nationale une motion de blâme à son endroit pour des propos qu’en fait il n’avait jamais tenus. J’étais de ceux qui sans savoir de quoi il s’agissait s’étaient levés pour appuyer une motion introduite à l’improviste dans l’ordre du jour de l’Assemblée pour condamner Monsieur Michaud, sans que le caucus du Parti n’en ait été saisi au préalable. Bien qu’il n’y ait eu aucune consigne officielle pour appuyer la motion, la lourdeur de l’atmosphère qui régnait au Salon Bleu et dans les rangs du Parti Québécois, conjuguée au regard scrutateur du Premier ministre qui surveillait minutieusement le vote de chacun de ses députés, faisait office de consigne.
Comme plusieurs de mes collègues j’avais appuyé la motion, non seulement parce que je sentais que tel était la volonté du chef, mais également parce que cette motion, qui prêtait à Monsieur Michaud des propos antisémites était présentée conjointement par deux députés, l’un péquiste, André Boulerice, et l’autre, libéral, Lawrence Bergman, qui, tous les deux, jouissaient à l’Assemblée nationale d’une grande crédibilité de pondération et de modération en matière d’antisémitisme. Je me suis dit, comme sans doute plusieurs autres, que si ces deux collègues députés jugeaient les propos prononcés suffisamment offensants pour mériter une motion de blâme du Parlement, chose inédite, c’est qu’effectivement ça devait être pas mal sérieux.
Immédiatement après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. Mais le tort était fait, autant pour la réputation de Monsieur Michaud que pour celle de l’Assemblée nationale qui, outrepassant toutes les règles qu’exige le respect des droits de la personne, avait pris sur elle de condamner péremptoirement un citoyen, ce qu’aucun tribunal ne ferait.
Jusqu’à ce jour, j’ai gardé de cette histoire un mauvais goût et un certain malaise de conscience. C’est pourquoi je félicite et remercie mon ancien collègue Paul Bégin d’avoir pris l’initiative de rédiger une lettre d’excuse et de tenter d’y apposer la signature de ceux d’entre nous qui ont appuyé cette motion. N’étant plus député depuis 2003, il a sans doute perdu ma trace, mes fonctions actuelles de représentant des Nations Unies auprès du Parlement du Mozambique m’ayant quelque peu éloigné de la scène québécoise.
C’est pourquoi, je vous saurais gré, Monsieur le rédacteur en chef, de bien vouloir publier cette lettre en solidarité avec mes collègues qui ont exprimé leurs excuses à Monsieur Yves Michaud.
Maputo, Mozambique, le 19 décembre 2010
François Beaulne
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Document 2 : Lettre adressée à Paul Bégin par André Boulerice, ancien député de Sainte-Marie–Saint-Jacques (1985-2005), le 26 janvier 2011
26 janvier 2011
Monsieur Paul Bégin, ancien ministre,
Monsieur le Ministre,
Éloigné de la politique et de l’actualité québécoise depuis mon retrait de la vie publique en 2005, un ami a attiré récemment mon attention quant à votre travail au sujet de la motion de blâme adoptée par l’Assemblée nationale à l’encontre de certains propos de Monsieur Yves Michaud, tenus il y a déjà plus de dix ans.
Les récents articles de journaux québécois que j’ai pu consulter sur internet disent que vous avez essayé de contacter les élus qui ont voté cette motion. Informé de votre démarche, je tiens à vous transmettre ce qui suit.
À l’époque, on nous a rapporté des propos inacceptables traitant de matières très sensibles et qui, par le passé, avaient profondément entaché notre formation politique. Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que « l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes.
J’assume ma responsabilité dans la présentation de la motion incriminée et je présente par cette lettre mes excuses à Monsieur Yves Michaud. Quant aux élus « libéraux », le discrédit général au Québec à leur égard est déjà sanction.
Je vous prie de bien vouloir transmettre copie de ce message à Monsieur Michaud et de lui demander de le considérer comme lui ayant été adressé personnellement.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments distingués.
André Boulerice
Ancien ministre et député de Sainte-Marie-Saint-Jacques (1985-2005)