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Pour en finir avec l’affaire Michaud

(texte soumis aux médias en mars dernier par l’ancien ministre Matthias Rioux )

Le 11 décembre dernier, le chef parlementaire du Parti québécois a présenté une motion sans préavis qui avait pour but de corriger l’injustice commise envers Yves Michaud le 14 décembre 2000. Cette motion était appuyée par Québec Solidaire, mais le leader du gouvernement a refusé le consentement nécessaire au dépôt et chacun est parti en vacances, comme en 2000 et comme en 2010, quand le chef de Québec solidaire a vainement tenté de présenter une motion reconnaissant que l’Assemblée nationale avait erré en 2000.

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Matthias Rioux et Yves Michaud en 2018

Les parlementaires ont-ils remis le couvercle sur cette affaire nauséabonde pour une autre décennie ? Tous les observateurs de bonne foi de la scène politique savent qu’Yves Michaud n’a pas tenu, dans son témoignage aux États généraux sur le français, les « propos inacceptables » que le chef de l’opposition et le premier ministre de l’époque lui ont reproché… sans jamais les citer, pour la simple raison qu’il n’y a pas de tels propos dans la transcription officielle de la séance du 13 décembre. Il est choquant de voir que des hommes incarnant l’État de droit, membres du barreau de surcroît, se soient prêtés à cette injustice et persistent vingt ans plus tard à nier l’évidence.

L’Assemblée nationale a été trompée par ceux qui ont machiné cette exécution en coulisses. Elle a doublement erré en ne citant pas les propos incriminés et en ne prenant pas la peine d’entendre Yves Michaud.

Pour arriver enfin à provoquer le débat qui n’a jamais eu lieu sur cette affaire et la régler une fois pour toutes, il faut utiliser une autre méthode que la motion sans préavis dont le dépôt requiert le consentement unanime. Tout député peut faire inscrire une motion au Feuilleton (à l’ordre du jour) en respectant les exigences du Règlement. La motion sera ensuite étudiée si le leader du gouvernement décide de la prendre en considération ou si un parti d’opposition la choisit comme sujet de débat lors de la séance qui lui est réservée le mercredi matin.

La première hypothèse suppose évidemment que le premier ministre reconnaisse personnellement qu’il a été trompé lorsqu’il a voté le 14 décembre 2000. Il pourrait prendre exemple de son député de Montmorency, Jean-François Simard qui a déjà exprimé ses regrets en 2011 et de deux autres membres de sa formation (ceux de Chutes-de-la-Chaudière et de La Peltrie) qui ont appuyé la motion d’Amir Khadir en 2010.

La réalisation de la seconde hypothèse (soit une « motion du mercredi ») ne requiert aucun consentement, aucune autorisation, de la majorité ou des libéraux, seulement la volonté de « gens de bien » (comme disait le fils d’Yves Michaud en décembre dernier) sincèrement déterminés à corriger la « suprême injustice » dont parlait le juge Baudouin.

Lors d’un dîner regroupant les Amis d’Yves Michaud, l’ancien premier ministre Bernard Landry me disait : « il a assez souffert, il faut réparer cette saloperie ».

Je tente un ultime effort au nom de l’amitié et du respect que je porte au journaliste brillant et à l’intellectuel militant, Yves Michaud. Je veux rappeler le patriote en lui, l’homme épris de justice et le fidèle serviteur de la nation.

J’en appelle au sens de la justice des quatre chefs de partis et aux parlementaires de l’Assemblée nationale. Je sollicite leur appui, pour éviter que le funeste complot du 14 décembre 2000 ne ternisse à jamais la réputation d’un grand citoyen du Québec.

Matthias Rioux, Ph. D.

Ex-ministre du Travail, député de Matane (1994-2003).

 

« Esprit de parti »

Pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui la « discipline de parti » ou la « partisannerie », on disait autrefois « esprit de parti » en traduisant littéralement « party spirit ».
D’après Le Devoir du 9 juillet 1935, Armand Lavergne aurait ainsi expliqué la chose : « Si je perds un bras, j’ai un membre de parti. Si je perds une jambe, j’ai un autre membre de parti. Mais, si je perds la tête, j’ai… l’esprit de parti ».
Une caricature publiée dans l’Almanach de la langue française en 1926 illustre bien ce travers qui afflige encore et toujours le parlementarisme.

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Elle représente bien ce qui s’est passé le 14 décembre 2000, quand les parlementaires ont adopté à l’unanimité, au signal du chef,  une motion injuste contre Yves Michaud, et ce qui se passe encore  aujourd’hui quand, malgré l’évidence, on refuse de la corriger.

L’Affaire Michaud, vingt ans plus tard

Le 14 décembre 2000, le chef libéral Jean Charest interpelle le premier ministre Bouchard au sujet des propos tenus la veille par Yves Michaud et annonce qu’une motion sera présentée après la période de questions : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000. »
Yves Michaud était pressenti comme candidat à l’élection partielle dans Mercier, ce qui ne plaisait pas au premier ministre. La motion permettait donc aux deux chefs de projeter hors-piste un militant dérangeant. L’affaire ayant vraisemblablement été orchestrée en coulisses, le premier ministre accueille favorablement la proposition et engage « toute la députation ministérielle ».

« …exécuté sur la place publique »
Une heure plus tard, la motion est adoptée, sans plus de précision sur les propos en question et sans débat, à l’unanimité des 109 députés présents.
À la sortie de la séance, le ministre Sylvain Simard déclare que Michaud a « banalisé l’Holocauste […] ». Bernard Landry abonde dans le même sens : « [M. Michaud] a nié l’épisode le plus barbare de l’Histoire humaine dans son exceptionnalité. »
Or, Michaud n’a jamais parlé de l’Holocauste la veille, comme en témoigne la transcription officielle de son intervention qui ne contient pas de « propos inacceptables » contre le peuple juif qu’il a présenté comme modèle aux Québécois qui souhaitent affirmer « leur propre identité nationale ».
Yves Michaud demande sans succès d’être entendu par l’Assemblée nationale. Il est ensuite débouté en Cour supérieure et en Cour d’appel, tandis que la Cour suprême refuse de l’entendre. Un juge de la Cour d’appel a cependant ajouté un « obiter dictum » (« soit dit en passant ») étonnant à la décision rendue en 2006 : « […] le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires ».
Le juge Baudouin constatait implicitement l’injustice et, sans le dire ouvertement, relançait la balle à l’Assemblée nationale, mais son commentaire est pratiquement passé inaperçu et les parlementaires (que Me Jean-C. Hébert a qualifiés de « juges en culottes courtes ») l’ont ignoré.

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Deschênes (Michaud, 2010)

Des propos « inventés » ?
Mon livre, L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire, est publié au Septentrion en octobre 2010. « Il est maintenant clair, commente Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établit « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ».
Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir essaie de présenter une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur ». Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat, craignant qu’on refasse le procès de Michaud… Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste expriment des excuses à l’endroit de Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste des ex-parlementaires qui l’avaient fait peu après la sortie du livre (Joseph Facal, Louise Beaudoin). Puis, les excuses se multiplient. L’ancien ministre Paul Bégin contacte ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable. Certains s’expliquent publiquement. Claude Lachance reconnaît avoir été « carrément floué ». Mathias Rioux exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs » et pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard […] ? » François Beaulne explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion, Lawrence Bergman et André Boulerice; or, ce dernier écrit en janvier 2011 « que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive ».

« …une leçon pour les parlementaires »
En 2016, Yves Michaud s’adresse à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, sans succès. En 2018, une pétition est déposée à l’Assemblée par l’intermédiaire d’un député du PQ, qui se limite à un « geste d’estime », selon le mot du chef du parti, et ne la soumet pas à la commission compétente, mettant ainsi fin au processus.
« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivait Gilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Stéphane Bédard lui donne raison en mars 2011, lorsque le PQ refuse d’appuyer une motion du même genre présentée, encore, par le député de D’Arcy-McGee : « […] on a appris une chose. […] à l’Assemblée, on n’est pas un tribunal. On ne peut pas condamner un individu […]. Il y a des lieux pour ça, et, si des gens ont tenu des propos haineux, il y a des tribunaux pour les condamner ».
De bien beaux principes, mais l’injustice qui a stigmatisé un citoyen en 2000 n’a pas été réparée et la motion honteuse est toujours au procès-verbal.

Yves Michaud et la souffrance du peuple juif

Comme l’écrit Jean-M. Salvet, dans Le Soleil du 13 février 2018 (et Marco Bélair-Cirino, en termes similaires dans Le Devoir du 15), Yves Michaud « n’a pas tenu, lors [des] États généraux [de décembre 2000], les propos pour lesquels les parlementaires l’ont blâmé. Ses détracteurs, en conviennent tous aujourd’hui [...] ».

Dans n’importe quelle institution normale, civile, militaire, économique, religieuse, universitaire, gouvernementale, etc., un blâme aussi mal fondé serait retiré. Mais ce n’est pas le cas de l’Assemblée nationale qui se prétend pourtant la première de nos institutions et le fondement de notre système démocratique.

Mieux encore, non satisfaits de l’accusation portée sans aucune preuve en 2000, les « détracteurs » de Michaud en insinuent une autre, 18 ans plus tard : Michaud aurait « minimisé la souffrance du peuple juif dans une entrevue accordée à une radio », selon ce que rapportent, sans plus de détails, les mêmes journalistes.

Affaire Michaud

Qui ? quoi ? où ? quand ? comment ?

L’entrevue en question a été menée par Paul Arcand le 5 décembre 2000 et n’avait suscité aucune réaction publique avant le témoignage de Michaud aux États généraux huit jours plus tard. Cette entrevue portait sur un livre que Michaud venait de publier chez VLB, Paroles d’un homme libre. Il en existe deux transcriptions, l’une rapportée dans La Presse du 19 décembre et une autre préparée par la firme spécialisée Caisse Chartier.

Cette dernière transcription omet fort curieusement de donner le libellé exact de la question qui nous intéresse et se limite aux mots suivants :

« Paul Arcand : (animateur) Passons à autre chose. »

La vraie question, telle que rapportée par La Presse, est la suivante :

« […] est-ce que vous ne sentez pas un désintérêt d’une bonne partie de la population sur la question de la souveraineté et sur la question nationale, des gens qui en ont assez, c’est terminé, passons à autre chose ? »

La réponse est semblable dans les deux transcriptions, à quelques détails près. Voici celle de la firme Caisse Chartier :

« Yves Michaud : (ex-politicien) Bien, je vais vous raconter une anecdote. J’étais… je suis allé chez mon coiffeur il y a à peu près un mois. Il y avait un sénateur libéral, que je ne nommerai pas, qui ne parle pas beaucoup, encore qu’il représente une circonscription française et qui me demande : es-tu toujours séparatiste Yves? J’ai dit, oui. Oui, je suis séparatiste comme tu es Juif. J’ai dit ça prit à ton peuple 2 000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J’ai dit moi que ça prenne dix ans, cinquante ans, cent ans de plus, je peux attendre. Alors il me dit que ce n’est pas pareil. Aïe c’est jamais pareil pour eux. Alors j’ai dit c’est pas pareil. Les Arméniens n’ont pas souffert. Les Palestiniens ne souffrent pas. Les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit c’est, c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

Il est question ensuite de Groulx, de B’nai Brith, de Jean-Louis Roux, de McGill, de révisionnisme, de Galganov, etc., mais rien d’autre sur le peuple juif en tant que tel.

« Minimiser la souffrance du peuple juif? »

La transcription de La Presse permet de rappeler que la question de Paul Arcand ne portait aucunement sur les Juifs, mais sur la pertinence actuelle de la lutte des souverainistes québécois. Avec son anecdote, Michaud compare cette démarche avec celle des Juifs qui ont cherché pendant 2000 ans à se bâtir une patrie et, selon lui, si les Québécois en ont besoin de 100, c’est bien peu de chose, il peut attendre. Son approche n’a évidemment rien de dévalorisant envers les juifs; elle implique au contraire une admiration pour leur persévérance.

Quand le sénateur répond : « ce n’est pas pareil », Michaud s’insurge, car le parlementaire fédéral nie la valeur du combat souverainiste.  : « […] ce n’est pas pareil? Les Arméniens n’ont pas souffert, les Palestiniens ne souffrent pas, les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit : c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

On notera ici qu’il n’est pas question de la Shoah, mais de luttes nationales respectives des Juifs et des Québécois. Michaud n’accepte pas que la sienne soit banalisée, quelle que soit la valeur de l’autre. S’il avait été convoqué pour se défendre, comme on procède en pareil cas dans les parlements normaux, il aurait pu lire aux députés ce passage de Paroles d’un homme libre (p. 30) :

« On botte les fesses du peuple québécois depuis deux siècles et demi. Ce n’est pas tellement long en comparaison de deux millénaires d’errance du peuple juif, mais cela fait mal tout de même… »

Comment peut-on dire ensuite que Michaud « minimise la souffrance du peuple juif »?

(voir, sur cette question, https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l)

L’affaire Michaud : un épisode honteux

En octobre 2010, la publication de L’affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire a remis dans l’actualité une grave injustice que la classe politique s’était empressée d’oublier. L’ouvrage publié au Septentrion (http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l) n’avait rien de « sorcier » : son seul véritable mérite était d’aborder un sujet qu’aucun observateur politique, journaliste ou universitaire, n’avait daigné examiner à fond, comme si le sujet était définitivement classé depuis le jugement de la Cour d’appel en 2006.

La « chronique d’une exécution parlementaire »

L’ouvrage visait à démontrer que l’Assemblée nationale avait procédé injustement, le 14 décembre 2000, en condamnant « les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 », et cela sans citer les « propos » visés, ni entendre leur auteur. La simple transcription de l’intervention de Michaud à ces audiences ─ une démarche élémentaire que les parlementaires avaient négligée ─ a démontré, sans l’ombre d’un doute, l’absence de propos justifiant une telle condamnation. L’analyse démontra aussi que les précédents parlementaires invoqués après coup n’étaient pas pertinents.

Yves Michaud avait bien sûr échoué dans ses démarches auprès des tribunaux (ceux-ci respectant la séparation des pouvoirs), mais il était important de rappeler, puisque la chose avait été pratiquement ignorée par les médias, que l’un des juges de la Cour d’appel avait cru bon d’ajouter un commentaire exceptionnel à la fin de la décision de 2006: « Pour préserver la démocratie parlementaire, et donc la libre circulation des idées, le Droit à l’époque des Chartes et de la prédominance des droits individuels permet qu’un individu soit condamné pour ses idées (bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu), et ce sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires. Summum jus summa injuria [le droit strict est la suprême injustice] auraient dit les juristes romains ! » Ne pouvait-on pas croire que le juge Baudouin invitait subtilement l’Assemblée nationale à corriger elle-même ce que les tribunaux ne pouvaient pas faire ?

Les réactions

« Il est maintenant clair, écrivait Michel David, que M. Michaud n’a pas tenu devant la Commission des États généraux sur la langue les propos antisémites qu’on lui a reprochés ». Selon Gilbert Lavoie, le livre établissait « clairement qu’on lui a imputé des propos qu’il n’a pas tenus et qu’on l’a jugé sans vérifier la véracité des accusations portées contre lui ». C’est « fulgurant de clarté », commentait Gérald Larose qui avait présidé les États généraux et qui avait vainement cherché, dans le verbatim des témoignages, les « propos » reprochés à Michaud.

Au Parlement, le 1er décembre, le député Amir Khadir invite Jean Charest et Pauline Marois à l’appuyer dans la présentation d’une motion qui reconnaîtrait « l’erreur commise », ou à en présenter une eux-mêmes. Le 3 décembre, sans réponse des deux chefs, mais avec l’appui de deux députés adéquistes, il présente une motion par laquelle l’Assemblée nationale reconnaîtrait « avoir commis une erreur […] en condamnant M. Yves Michaud dont l’intervention aux États généraux de la langue française, la veille, ne comportait pas de propos offensants à l’égard de la communauté juive » et s’engagerait « solennellement, par la voie de cette motion [ou] par d’autres moyens qu’elle pourrait se donner, à éviter qu’une telle situation se reproduise […] ».

Le Parti libéral aurait donné son consentement, mais le Parti québécois refuse le débat. « C’est un vrai piège tendu par les libéraux, qui voulaient refaire un procès à Yves Michaud et M. Michaud ne mérite pas un procès », déclare Mme Marois aux médias; « On n’est jamais aussi bien trahi que par les siens », répond, entre autres choses, Yves Michaud.

Visiblement dissidents sur cette question, des membres du caucus péquiste (Gendron, Cousineau, Maltais) adressent des lettres d’excuses à Yves Michaud, ajoutant leur nom à la courte liste de ceux qui l’avaient déjà fait publiquement (Facal, Beaudoin) peu après la sortie de L’affaire Michaud. Dans les jours qui suivent, les excuses se multiplient. À la mi-décembre, l’ancien ministre Paul Bégin prend l’initiative de contacter ses ex-collègues : un mois plus tard, 51 membres du caucus péquiste de décembre 2000 avaient fait amende honorable.

De propos « inventés »

Certains le font avec des commentaires éclairants. « Comme seule excuse, écrit Claude Lachance (Bellechasse), qu’il me soit permis de vous dire que, comme la plupart de mes collègues du Parti québécois du temps, j’ai été carrément floué. Aucune discussion préalable, aucune explication au caucus avant le vote surprise. » Jean-François Simard (Montmorency) reconnaît avoir été « dans la plus totale ignorance de ce que représentait cette résolution comme atteinte aux droits fondamentaux de la personne et aux principes élémentaires de justice naturelle ». Dans une lettre adressée aux médias en décembre, Mathias Rioux évoque un « complot ourdi contre Michaud […] hors du parlement » et exprime « la honte [qu’il] éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs »; l’ancien député de Matane pose une question qui n’a toujours pas de réponse : « Quel personnage ou quel groupe a instrumentalisé Bernard Landry et Sylvain Simard qui […] ont déclaré en conférence de presse que Michaud avait banalisé l’holocauste, alors qu’il n’a jamais prononcé le mot devant les États généraux sur la langue ? »

Dans une lettre adressée au Devoir en décembre 2010 (et restée inédite), l’ancien député de Marguerite-d’Youville explique qu’il a voté suivant « la volonté du chef » et en se fiant à la « grande crédibilité » des coauteurs de la motion (André Boulerice et Lawrence Bergman), mais, « après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. »  (voir doc. 1) C’est d’ailleurs ce que viendra confirmer André Boulerice (Sainte-MarieSaint-Jacques), à la fin de janvier, dans un message adressé à Paul Bégin : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive » (voir doc. 2). Si le coauteur de la motion le dit…

La fin de l’affaire ?

Seul Le Soleil aurait évoqué cette dernière lettre à l’époque, tout en omettant le mot « inventés ». D’autres questions ont ensuite diverti l’opinion publique et l’affaire Michaud est retombée dans l’oubli. En 2013, Le Devoir a rapporté qu’Amir Khadir aurait proposé à quelques députés de déposer une motion réclamant le retrait de la motion de 2000, mais il aurait fallu que de meilleures relations existent entre la chef du gouvernement minoritaire et Yves Michaud pour que ce projet ait une chance d’aboutir.

Il manque donc toujours un point final à cette affaire qui marquera l’Assemblée nationale de la manière « la plus honteuse » (selon le mot de David Payne).

« Michaud a perdu sa bataille devant les tribunaux et n’a pas eu gain de cause à l’Assemblée nationale, écrivaitGilbert Lavoie en 2010, mais il a gagné la guerre aux yeux de l’histoire » et cette victoire « constitue une leçon pour les parlementaires ». Cette leçon, la très grande majorité des députés péquistes l’ont comprise, mais les libéraux, sans exception, s’entêtent toujours dans une position intellectuellement indéfendable. Portée à ce niveau, la discipline partisane dépasse l’entendement et discrédite notre Parlement.

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Document 1 : Lettre adressée au Devoir par François Beaulne, ancien député de Marguerite-d’Youville (1989-2003), le 19 décembre 2010

Monsieur le directeur du Devoir,

J’aimerais, par la présente, joindre mon nom à la liste de mes 25 collègues députés du Parti québécois de l’époque qui ont exprimé leurs excuses à monsieur Yves Michaud pour avoir voté à l’Assemblée nationale une motion de blâme à son endroit pour des propos qu’en fait il n’avait jamais tenus. J’étais de ceux qui sans savoir de quoi il s’agissait s’étaient levés pour appuyer une motion introduite à l’improviste dans l’ordre du jour de l’Assemblée pour condamner Monsieur Michaud, sans que le caucus du Parti n’en ait été saisi au préalable. Bien qu’il n’y ait eu aucune consigne officielle pour appuyer la motion, la lourdeur de l’atmosphère qui régnait au Salon Bleu et dans les rangs du Parti Québécois, conjuguée au regard scrutateur du Premier ministre qui surveillait minutieusement le vote de chacun de ses députés, faisait office de consigne.

Comme plusieurs de mes collègues j’avais appuyé la motion, non seulement parce que je sentais que tel était la volonté du chef, mais également parce que cette motion, qui prêtait à Monsieur Michaud des propos antisémites était présentée conjointement par deux députés, l’un péquiste, André Boulerice, et l’autre, libéral, Lawrence Bergman, qui, tous les deux, jouissaient à l’Assemblée nationale d’une grande crédibilité de pondération et de modération en matière d’antisémitisme. Je me suis dit, comme sans doute plusieurs autres, que si ces deux collègues députés jugeaient les propos prononcés suffisamment offensants pour mériter une motion de blâme du Parlement, chose inédite, c’est qu’effectivement ça devait être pas mal sérieux.

Immédiatement après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait. Mais le tort était fait, autant pour la réputation de Monsieur Michaud que pour celle de l’Assemblée nationale qui, outrepassant toutes les règles qu’exige le respect des droits de la personne, avait pris sur elle de condamner péremptoirement un citoyen, ce qu’aucun tribunal ne ferait.

Jusqu’à ce jour, j’ai gardé de cette histoire un mauvais goût et un certain malaise de conscience. C’est pourquoi je félicite et remercie mon ancien collègue Paul Bégin d’avoir pris l’initiative de rédiger une lettre d’excuse et de tenter d’y apposer la signature de ceux d’entre nous qui ont appuyé cette motion. N’étant plus député depuis 2003, il a sans doute perdu ma trace, mes fonctions actuelles de représentant des Nations Unies auprès du Parlement du Mozambique m’ayant quelque peu éloigné de la scène québécoise.

C’est pourquoi, je vous saurais gré, Monsieur le rédacteur en chef, de bien vouloir publier cette lettre en solidarité avec mes collègues qui ont exprimé leurs excuses à Monsieur Yves Michaud.

Maputo, Mozambique, le 19 décembre 2010

François Beaulne

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Document 2 : Lettre adressée à Paul Bégin par André Boulerice, ancien député de Sainte-Marie–Saint-Jacques (1985-2005), le 26 janvier 2011

 26 janvier 2011

Monsieur Paul Bégin, ancien ministre,

Monsieur le Ministre,

Éloigné de la politique et de l’actualité québécoise depuis mon retrait de la vie publique en 2005, un ami a attiré récemment mon attention quant à votre travail au sujet de la motion de blâme adoptée par l’Assemblée nationale à l’encontre de certains propos de Monsieur Yves Michaud, tenus il y a déjà plus de dix ans.

Les récents articles de journaux québécois que j’ai pu consulter sur internet disent que vous avez essayé de contacter les élus qui ont voté cette motion. Informé de votre démarche, je tiens à vous transmettre ce qui suit.

À l’époque, on nous a rapporté des propos inacceptables traitant de matières très sensibles et qui, par le passé, avaient profondément entaché notre formation politique. Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que « l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes.

J’assume ma responsabilité dans la présentation de la motion incriminée et je présente par cette lettre mes excuses à Monsieur Yves Michaud. Quant aux élus « libéraux », le discrédit général au Québec à leur égard est déjà sanction.

Je vous prie de bien vouloir transmettre copie de ce message à Monsieur Michaud et de lui demander de le considérer comme lui ayant été adressé personnellement.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mes sentiments distingués.

André Boulerice

Ancien ministre et député de Sainte-Marie-Saint-Jacques (1985-2005)