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Lettre ouverte à monsieur Lucien Bouchard

En écoutant le reportage que Télé-Québec vous a consacré le 25 août, on pouvait aisément se mettre à penser qu’il s’agissait d’un témoignage utile pour l’enseignement de l’histoire du Québec.  Dans la dernière décennie du XXe siècle, vous y avez joué  un rôle de premier plan et vos propos ne pouvaient manquer d’émouvoir l’auditoire, tout en l’éclairant sur une période-clé de son histoire. Le charme a malheureusement été rompu quand vous avez évoqué l’affaire Michaud. Vous avez alors répété à Yves Boisvert à peu près exactement ce qu’un extrait d’archives venait de nous montrer, c’est-à-dire que vous n’étiez pas intéressé à discuter si les Québécois ont souffert autant, plus ou moins que les Juifs, comme s’il s’agissait là de la grande préoccupation d’Yves Michaud que vous avez fait condamner injustement par l’Assemblée nationale, le 14 décembre 2000. On aurait pu croire que cette entrevue-bilan serait l’occasion de faire amende honorable. Au contraire.

Il faut rappeler le texte de cette motion : « Que l’Assemblée nationale dénonce sans nuance, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive tenus par Yves Michaud à l’occasion des audiences des États généraux sur le français à Montréal le 13 décembre 2000 ».

Il a été clairement démontré depuis que le témoignage d’Yves Michaud aux États généraux ne comportait absolument rien de semblable ni rien de négatif à l’égard des Juifs. Je ne serais pas gêné de citer mon livre intitulé L’Affaire Michaud : chronique d’une exécution parlementaire (Septentrion, 2010) ─ puisque c’est le seul sur le sujet, et que personne n’en a contredit une ligne publiquement ─, mais il faut surtout mentionner qu’après la publication de cette étude une cinquantaine de vos députés ont reconnu avoir fait une erreur en appuyant aveuglément cette motion.

Mieux encore, celui qui en était le co-auteur, André Boulerice, a lui-même présenté ses excuses à Yves Michaud, par l’intermédiaire de votre ancien collègue Paul Bégin, en lui précisant ceci dans un courriel du 26 janvier 2011 : « Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive. L’opposition libérale d’alors ou certains de ses affidés a (ont) vraisemblablement agi par intérêt bassement partisan. On disait de Talleyrand que «  l’ambition se nourrit des matières les plus viles comme des plus nobles », il en est de même des fédéralistes dans leur quasi-haine des indépendantistes  » ».

Le co-auteur de la motion a ainsi reconnu qu’on a construit une « preuve » pour exécuter Yves Michaud. Si l’Assemblée avait respecté la plus élémentaire justice, en citant les « propos inacceptables » qu’elle voulait dénoncer, on aurait vite réalisé que l’acte d’accusation était sans fondement. Mais il fallait agir en vitesse, avant que la presse ne réagisse; vous étiez dans une période difficile, excédé, irrité, et de plus en plus frustré de vous être « embarqué » en politique, comme l’émission de Télé-Québec nous l’a bien fait comprendre. On connaît la suite.

Monsieur Boulerice a été trompé et vous l’avez été. C’est humiliant mais pas déshonorant. Personne ne vous demande d’organiser des retrouvailles avec Yves Michaud, ni même de refaire l’exégèse des « propos », ou de retracer ceux qui vous ont trompé. Reconnaître que l’Assemblée nationale n’a pas procédé de façon équitable, qu’elle s’est prononcée sans s’être informée sérieusement au préalable, serait cependant la moindre des choses. On effacerait ainsi une motion honteuse, l’une des rares de notre plus fondamentale institution, celle qui a fait en sorte qu’un individu soit « exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires », comme l’écrivait l’honorable Jean-Louis Baudouin, dans une étonnante conclusion du jugement de la Cour d’appel, le 8 juin 2006.

À défaut d’enthousiasme, il y aurait de l’honneur.

L’affaire Michaud: le dernier carré

Dix ans après le coup de 2000, le député de d’Arcy-McGee a présenté une autre motion dénonçant des « propos » antisémites. Quels propos? On ne le sait pas plus qu’il y a dix ans. Même en lisant tous les quotidiens, il est difficile de cerner exactement de quoi il est question. Tous ceux qui écrivent sur Vigile sont maintenant suspects. Seule l’Assemblée nationale peut se permettre ce genre d’atteinte à la réputation sans prendre la peine d’énoncer les propos présumés répréhensibles, simplement pour marquer des points au Salon bleu..
La bonne nouvelle est que cet incident permet d’allonger la liste des repentants dans l’affaire Michaud. En effet, dans le point de presse qu’il a donné pour expliquer pourquoi son parti avait refusé d’appuyer la motion, le leader parlementaire du PQ a implicitement reconnu que la motion adoptée contre Yves Michaud en 2000 était une erreur, comme en font foi les extraits suivants :
« M. Bédard : …On dit souvent : la sagesse, c’est la somme des erreurs jamais commises deux fois, là. On fait référence à des textes que là je n’ai pas lus, que je n’ai vus. On ne fait pas référence à des propos particuliers, … j’espère que, sur un sujet aussi sensible, aussi important pour notre société que la condamnation justement de l’antisémitisme, des propos haineux en général, qu’on n’utilise pas ça encore une fois de façon grossière, éhontée…
M. Robitaille (Antoine) : Vous craignez une autre affaire Michaud, soyons clairs, là.
M. Bédard : … on a appris une chose, … à l’Assemblée, on n’est pas un tribunal. On ne peut pas condamner un individu, … Il y a des lieux pour ça et, si des gens ont tenu des propos haineux, il y a des tribunaux pour les condamner. »

De tous les parlementaires actuels qui ont voté en 2000, il n’y aurait donc plus que des libéraux qui refusent de s’amender. Et il n’y a vraisemblement rien à attendre de ce côté, malgré l’injustice évidente (et quoi qu’ils en pensent au fond d’eux-mêmes), tant que celui qui est à l’origine de l’affaire sera encore à la tête du parti.
« Discipline as usual », comme ils disent.

Les propos de Michaud : des inventions ?

Environ 45 des 66 députés du Parti québécois qui ont voté la motion de blâme contre Yves Michaud en 2000 ont reconnu, sous une forme où l’autre, au cours des derniers mois, qu’il s’agissait d’une erreur. Ce geste les honore. Certains l’ont fait discrètement, en quelques mots, d’autres, de façon plus explicite, comme Jean-François Simard dont Le Soleil a publié une longue lettre le 15 janvier dernier. L’ex-député de Montmorency y écrivait notamment : « Je reconnais avoir été de bonne foi, mais dans la plus totale ignorance de ce que représentait cette résolution comme atteinte aux droits fondamentaux de la personne et aux principes élémentaires de justice naturelle ».
Le Soleil du 22 décembre a aussi rendu compte d’une longue lettre adressée par l’ex-député de Matane, Matthias Rioux, à divers médias mais publiée nulle part, sauf sur Vigile.net (http://www.vigile.net/Le-complot-du-14-decembre-2000).
« Aujourd’hui, je joins ma voix à celle de mes anciens collègues pour dénoncer le complot dont fut victime Yves Michaud le 14 décembre 2000 et lui présenter mes excuses les plus sincères. J’en profite pour dire la honte que j’éprouve d’avoir été roulé dans la farine par des manipulateurs. […] Il est réconfortant de constater que d’anciens parlementaires acceptent, dix ans après la mauvaise action, de relever la tête et de reconnaître leur erreur ».
Dans une une autre lettre, adressée au Devoir le 19 décembre dernier (et malheureusement restée inédite), François Beaulne, ancien député de Marguerite-d’Youville, nous en apprend un peu plus :
« Comme plusieurs de mes collègues j’avais appuyé la motion, non seulement parce que je sentais que tel était la volonté du chef, mais également parce que cette motion, qui prêtait à Monsieur Michaud des propos antisémites, était présentée conjointement par deux députés, l’un péquiste, André Boulerice, et l’autre, libéral, Lawrence Bergman […].
Immédiatement après le vote, lorsque plusieurs d’entre nous voulurent aller aux sources et en savoir plus, les choses se compliquèrent et ce n’est que beaucoup plus tard que nous sûmes que Monsieur Michaud n’avait jamais prononcé les mots qu’on lui attribuait ».
La plus lourde de sens des lettres du genre est toutefois celle d’André Boulerice lui-même (http://www.vigile.net/Des-excuses-du-depute-Andre), co-auteur de la motion de blâme. Dans une lettre envoyée à son ex-collègue Paul Bégin le 26 janvier, l’ancien député de Sainte-Marie-Saint-Jacques assume sa responsabilité dans la présentation de la motion mais il évoque, sans utiliser le terme, des circonstances atténuantes :
« À l’époque, on nous a rapporté des propos inacceptables traitant de matières très sensibles et qui, par le passé, avaient profondément entaché notre formation politique. Il appert, des différents documents portés à ma connaissance, que les propos de M. Michaud avaient été inventés ou interprétés vraisemblablement dans le but de tromper ou de provoquer une vive réaction émotive ».
L’affaire Michaud découlerait de propos « inventés » ? On attend la suite. Il doit bien y avoir un inventeur.

Au-delà de l’affaire Michaud

Reprenant l’affaire Michaud où elle l’avait laissée il y a dix ans, l’Assemblée nationale a de nouveau montré son mauvais profil.
L’initiative du co-chef de Québec solidaire relevait peut-être de la naïveté : il croyait que l’Assemblée nationale pourrait exprimer des regrets et réagisse enfin, collectivement, au constat formulé par le juge Baudouin sur la motion du 14 décembre 2000. « Étrange paradoxe », écrivait ce dernier en 2006, le Parlement a le « droit » de blâmer Michaud, mais il a cependant commis une injustice envers lui. Et le juge se prononçait – faut-il encore le rappeler? –, nonobstant les idées en cause : « bonnes ou mauvaises, politiquement correctes ou non, la chose importe peu ».
La motion présentée par le député de Mercier avait le mérite d’aborder une question gênante que les autres groupes parlementaires avaient glissée sous le tapis. Et, naïveté pour naïveté, la proposition de madame Marois n’a pas plus d’avenir. Baliser les futures motions contre des citoyens serait reconnaître au Parlement un pouvoir de blâmer (pour autre chose que les outrages, qui sont déjà prévus au Règlement), et donc légitimer ce qu’on n’a jamais fait avant 2000 et qu’on ne veut plus jamais faire. Il ne faut cependant pas s’inquiéter: le président ne fera rien sans un signe du parti ministériel qui a refusé d’amender le règlement en ce sens au début des années 2000 et qui n’a pas changé d’avis. Si le leader du gouvernement, qui occupe une fonction déterminante au Parlement, ministre de la Justice (!) par surcroît, s’accommode aisément du fait qu’un juge de la cour d’appel considère la motion du 14 décembre 2000 comme une injustice, il n’y a rien à attendre de son côté de chambre. Surtout pas de dissidence.
Deux semaines avant de présenter sa motion du 3 décembre, Amir Khadir avait invité les chefs du PQ et du PLQ à l’appuyer ou à présenter eux-mêmes une motion reconnaissant « l’erreur commise à l’endroit de M. Michaud ».
« On vit une période de turbulence, de crise de confiance et de grand questionnement sur la nature de nos institutions, écrivait-il. Les responsables politiques sont appelés à se hisser à la hauteur de leur fonction d’État. Dans cet esprit, ai-je raison de penser que tout geste des membres de l’Assemblée qui traduit la capacité de porter un regard critique sur notre propre action serait perçu comme une attitude noble et un leadership susceptible de rehausser la crédibilité de nos institutions et de nos personnes? »
Manifestement, il a perdu son pari et l’Assemblée nationale n’a pas apporté d’arguments convaincants aux citoyens qui lui accordent encore de la considération. Au-delà de l’affaire Michaud, il faut se demander si l’Assemblée nationale existe vraiment, en tant qu’institution, autrement que sous la forme d’un passage obligé pour le gouvernement et d’arène où les partis font valoir des intérêts strictement électoraux. Y a-t-il quelqu’un qui pense, parle et agit en son nom, sans égard aux considérations partisanes?

L’Affaire Michaud

(Extraits des notes préparées pour les lancements de Montréal et de Québec, les 26 et 28 octobre 2010)

Le 14 décembre 2000, j’ai appris que l’Assemblée nationale avait adopté une motion contre Yves Michaud de la bouche d’un journaliste qui voulait savoir si c’était la première fois qu’une personne était ainsi blâmée par le Parlement. J’ai invoqué la nécessité de faire des vérifications pour ne pas répondre. Dans ma tête, la réponse était claire mais, si la Chambre jouait à l’unisson, je risquais fort de détonner (avec deux « n », comme en musique).
J’ai eu par la suite la réaction d’indignation que vous partagez probablement tous, en silence dans mon cas, mais aussi une déception de voir l’institution où j’ai fait presque toute ma carrière s’égarer de cette façon. D’un certain point de vue, l’Assemblée nationale a été utilisée par les appareils politiques et se trouve, elle aussi, victime.
Personne à l’Assemblée ne m’a demandé mon point de vue, ni avant ni après, et c’est normal. Le service que je dirigeais alors depuis 25 ans servait de mémoire au Parlement avec son personnel professionnel multidisciplinaire, ses ouvrages de références et ses ressources documentaires, autant de choses inutiles quand le débat est essentiellement politique [partisan] et qu’on ne veut pas analyser le fond de la question.
Je me suis donc contenté de prendre des notes et de suivre le dossier pendant mes dernières années de travail et encore après ma retraite. Quand j’ai confié à Denis Vaugeois que je songeais à faire un texte pour le dixième anniversaire, il a jugé que cette histoire méritait davantage et m’a mis en contact avec monsieur Michaud, que je connaissais évidemment de réputation, mais que je n’avais jamais rencontré. Dix ans après les événements, je ne crois pas nécessaire de m’imposer davantage de réserve. De toute manière, je n’ai pas été impliqué dans ce dossier. Toute ma documentation est du domaine public, hormis deux ou trois documents de monsieur Michaud. Je ne peux rien dévoiler de ce que j’aurais appris dans le cadre de mes fonctions puisqu’on m’a refusé l’accès aux documents que j’ai souhaité consulter!
Le sous-titre de l’ouvrage fait réagir. J’aurais pu écrire « lynchage », mais Michel David l’avait fait. Je me suis plutôt inspiré d’un juge de la Cour d’appel pour créer une sorte de néologisme, « exécution parlementaire », tout en souhaitant qu’il ne soit jamais réutilisé.
J’imagine que vous connaissez ce commentaire du juge Baudouin. Tout en endossant les motifs exposés par sa collègue pour débouter monsieur Michaud, ce juge a souligné l’étrange paradoxe d’un Droit qui permet « qu’un individu soit condamné pour ses idées […], sans appel et qu’il soit ensuite exécuté sur la place publique sans, d’une part, avoir eu la chance de se défendre et, d’autre part, sans même que les raisons de sa condamnation aient préalablement été clairement exposées devant ses juges, les parlementaires ».
Je voulais initialement m’en tenir à la forme. Nous connaissons tous cet adage : « le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme », mais est-ce le rôle du Parlement de sanctionner les opinions des citoyens ? La liberté de parole qui a été accordée aux parlementaires en 1689 pour les protéger du souverain peut-elle devenir une arme offensive ?
Y a-t-il des précédents ? Les leaders parlementaires en ont avancé deux à l’époque mais les avocats de l’Assemblée n’en ont pas cité dans leurs mémoires aux tribunaux. Une vérification dans les procès-verbaux leur a peut-être appris, par exemple qu’il n’y a pas eu de motion contre André Pratte en mars 1997, comme on l’a soutenu à l’époque, et comme monsieur Michaud lui-même l’a cru jusqu’à cette année.
Autre question sur la forme : la motion du 14 décembre constituait-elle un exercice de surveillance des activités gouvernementales, comme on l’a soutenu dans le jugement de première instance ? Pour cela, il faudrait que les ministres soient responsables des propos tenus par les citoyens devant un organisme consultatif, une commission d’enquête ou des États généraux. La responsabilité ministérielle ne s’étend évidemment pas jusque-là, pour la simple raison que les citoyens qui sont consultés n’agissent pas au nom du gouvernement.
J’ai été amené à me pencher sur le fond quand j’ai réalisé en cours de recherche que « la parole de monsieur Michaud [avait] été déformée de façon incroyable ». Ce ne sont pas mes propos, mais ceux de Robert Libman lui-même, cité par le journal Voir en mars 2001.
Je vous laisse découvrir à quel point Yves Michaud a été cité hors contexte, ce qui n’est vraiment pas un cliché dans son cas. La transcription de son entrevue avec Paul Arcand, qui a circulé à partir du 12 décembre, est incomplète : on aurait mieux compris, et interprété, la réponse de monsieur Michaud si la question de Paul Arcand avait aussi été reproduite.
Cet ouvrage ne videra pas le sujet. Il laisse ouvertes plusieurs questions : qui a eu l’idée d’une motion ? qui l’a rédigée ? où et quand ? Pour y répondre, il aurait fallu mener des entrevues avec de nombreuses personnes, confronter leurs points de vue, départager le vrai du… reste. J’ai beaucoup d’admiration pour les auteurs comme Pierre Duchesne et Pierre Godin qui ont produit de monumentales biographies avec d’innombrables entrevues ; ce sont des méthodes que je respecte mais avec lesquelles je ne suis pas à l’aise. Depuis que ce livre est annoncé, les quelques bribes d’information qui me sont parvenues au sujet de la conception de la motion sont contradictoires. Ça commence mal. Mon livre pourrait toutefois amener des confidences. S’il s’en dégage des conclusions intéressantes, j’en profiterai pour la deuxième édition.