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Estafette et raffinerie : une légende ?

On raconte souvent cette anecdote impliquant Yves Michaud, Jean-Noël Tremblay et Maurice Bellemare.

C’était à la fin des années 1960. Michaud (député de Gouin de 1966 à 1970) a la parole et, pour signaler que le ministre Tremblay n’est pas à son siège, il s’interrompt pour dire au président : « Ce n’est pas un ministre que nous avons, c’est une estafette ! » Maurice Bellemare se lève aussitôt pour demander que le député de Gouin retire ces basses accusations contre Tremblay, mais un autre collège lui glisse à l’oreille que Michaud a dit « estafette » et non autre chose, comme « tapette ». Bellemare retire alors sa demande en prétextant qu’on ne comprend pas toujours le député de Gouin car il parle parfois avec « raffinerie ».

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Yves Michaud (BANQ)

Les termes pouvaient varier puisqu’on n’avait pas de référence précise au Journal des débats publié depuis 1963, mais pas très bien indexé. On pouvait même se demander s’il s’agissait d’une légende entretenue pour ridiculiser le député de Champlain.

Le moteur de recherche du Journal des débats étant enfin digne des années 2000, on peut y chercher le mot litigieux.

1967

Michaud l’a utilisé une première fois le 14 juin 1967 (JD : 4058) dans une intervention sur la loi du cinéma : « Je m’aperçois que le ministre des Affaires culturelles quitte la Chambre. Ce n’est pas un ministre qu’on a, c’est une estafette ».Jean-Noël Tremblay invoque aussitôt le règlement pour se justifier en disant qu’il en a « assez de ce baragouin démagogique que nous avons entendu depuis quelques jours ici et qui n’apportent rien de rien au projet de loi qui a été présenté par le Secrétaire de la province. Comme ministre des Affaires culturelles, ajoute-t-il, je suis le premier intéressé à ce que la loi du cinéma soit une loi qui réponde aux besoins de la culture du Québec ».

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Jean-Noël Tremblay (BANQ)

Maurice Bellemare invoque aussi le règlement pour dire que le débat en troisième lecture d’un projet de loi « doit être strictement restreint au contenu de celui-ci ».

1968

Michaud récidive le 16 mai 1968 (JD : 1725 et ss.). Pendant qu’il parle des crédits des Terres et Forêts, le ministre Tremblay l’interrompt souvent, ce qui donne lieu à l’échange suivant :

M. MICHAUD : Le ministre des Affaires culturelles est comme un interrupteur automatique. Non seulement en cette Chambre est-il comme une estafette qui va de son siège à l’extérieur, mais il est aussi un interrupteur automatique. M. le Président, je vous demande de rappeler le ministre des Affaires culturelles à l’ordre.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Non, M. le Président…

M. MICHAUD : L’estafette, j’ose le dire, fait partie du cérémonial d’inauguration des séances dont j’ai parlé tout à l’heure avec le roi, sa cour, ses barons et ses baronets.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Non, vous n’avez pas tout énuméré.

M. MICHAUD : L’estafette est le commissionnaire du roi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Ah non, pas du tout, ce n’est pas ça.

M. MICHAUD : Un rôle dans lequel je vois très bien le ministre des Affaires culturelles, ou peut-être dans celui de fou du roi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Non, M. le Président, pour la vérité historique, l’estafette était le commissionnaire du grand connétable de l’armée. Vous voyez, c’est ça la culture. Il ne connaît même pas les mots qu’il emploie ».

Et ça se poursuit avec des jeux de mots douteux :

M. MICHAUD : M. le Président, au mot connétable, le ministre des Affaires culturelles aurait dû s’arrêter à la première syllabe.

M. ALLARD : Ah, ça, c’est fort !

M. MICHAUD : Parce que ce mot commence mal.

M. ALLARD : Fatiguant !

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Je m’en rends compte parce que cela a fait de vous un convaincu.

M. MICHAUD : Mais vous avez siégé longtemps dans une Chambre confédérale, vous.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Ah oui, mais je ne suis plus un confédéré…

M. MICHAUD : Vous êtes un confédéré et dites-le vite, dites-le rapidement…

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : …contrairement à vos collègues, entre autres l’honorable chef de l’Opposition.

M. MICHAUD : …que vous êtes un confédéré, parce que nous allons nous poser des questions.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Allez-y !

M. MICHAUD : Ne hachez pas les syllabes.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Allez-y !

M. MICHAUD : M. le Président, je dis donc qu’une loi…

M. LE PRÉSIDENT : A l’ordre ! Je regrette de n’avoir pas la compétence pour juger un pareil débat.

Et, là, le ministre du Travail intervient :

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Maurice Bellemare (BANQ)

M. BELLEMARE : Grosse Bertha !

M. MICHAUD : Je n’ai pas demandé au ministre du Travail de retirer les mots « grosse Bertha ». D’ailleurs, c’est une expression que j’affectionne particulièrement puisque la grosse Bertha, à la fin de la guerre de 1914, en 1917, était une arme extrêmement puissante et offensive qui lançait des obus à longue portée, des obus qui rejoindront un jour le ministre du Travail et qui provoqueront sa propre dévastation.

M. BELLEMARE : Il y en a un qui vient de tomber.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : N’oubliez pas que les Allemands ont été battus avec la grosse Bertha.

M. MICHAUD : M. le Président, je sens que l’atmosphère est à la détente et qu’après ces débats…

M. HOUDE : Le ministre du Tourisme est mort de rire.

M. MICHAUD :  …violents et orageux que nous venons de traverser, alors que…

UNE VOIX : Insignifiants.

M. MICHAUD :  …nous sentions tous le besoin de laisser aller l’orateur.

M. LE PRÉSIDENT : A l’ordre !

Le Soleil du 17 mai reproduit ces échanges sous le titre « Du beau Lesage à la grosse Bertha ». Un éditorialiste commente le lendemain :

« Des deux côtés de l’Assemblée, on a eu tort de faire passer au premier plan des argumentations toutes sortes d’allusions personnelles. On n’a certes pas accéléré ainsi les travaux en cours. Le meilleur exemple de perte de temps est sorti des rangs des « back-benchers” ministériels ou oppositionnistes, notamment celui de l’algarade Michaud-Tremblay-Bellemare. On se demande ce qu’il faut admirer le plus dans cet échange, de la suffisance encyclopédique du député libéral de Gouin ou de la morgue littéraire du député de Chicoutimi, l’estafette étant le cavalier chargé d’acheminer le courrier, ni l’un ni l’autre des deux antagonistes n’avaient raison avec leur définition. Ils auraient été mieux de discuter du dictionnaire, dictionnaire en main ».

Et la « raffinerie »?

La Revue de Terrebonne reproduira plus tard (20 juin 1968) cet exemple du « ramage de nos députés » au « Salon de la Race à Québec », mais, là comme ailleurs, il n’est pas question de la « raffinerie ».

Aurait-elle échappé à la recherche de mot sur le site Internet de l’Assemblée?

Peut-être a-t-elle d’abord échappé aux micros qui ne captent pas tout ce qui se dit sur le plancher de la salle des séances où un technicien est chargé d’ouvrir un seul micro à la fois, celui de la personne à qui le président donne la parole. Les journalistes présents (moins nombreux à l’époque mais plus assidus au perchoir) pouvaient cependant entendre des choses qui ont échappé à la transcription officielle.

Peut-être aussi n’a-t-elle jamais existé ailleurs que chez quelques « malins », comme le disait Bonenfant.

Les environs de l’église de Saint-Jean-Port-Joli: grandeur et misères du patrimoine bâti

L’Association des beaux villages du Québec recrute ses membres parmi ceux qui ont su préserver un cachet ancien, principalement au cœur du village, soit essentiellement les environs de l’église. Ces villages se caractérisent notamment par « un patrimoine architectural présentant une valeur historique et culturelle », un « patrimoine architectural remarquable par sa quantité et /ou sa qualité », l’harmonie et l’homogénéité architecturales, la « conservation d’une partie significative du stock immobilier ancien », le « respect du rythme et de la densité des implantations [et l’] authenticité des ensembles ».

Comment le village de Saint-Jean-Port-Joli se classe-t-il en fonction de ces critères?  L’église elle-même demeure un joyau; quant au reste, disons, pas trop bien…

Un plan des environs de l’église, réalisé en 1906 pour le bénéfice des sociétés d’assurance, permet de mesurer comment le paysage a changé (double-clic pour agrandir l’image).

Environs de l'église- Plan-1906

Sur ce plan conservé aux Archives nationales du Québec, le bleu indique un bâtiment en pierre, le rose, des édifices en brique, le jaune, des résidences en bois et le gris, des bâtiments secondaires ou industriels.

Voyons les alentours de l’église, dans le sens des aiguilles d’une montre, en commençant, à 5 h.

La maison marquée 400 était autrefois connue sous le nom de « maison de Jules Ouellet ». On la voit bien sur une photo de 1913, juste devant l’église.

Place de l'église-ouest 1913 (ATri)

Elle a été déménagée dans la rue Verreault (291) dans les années 1950 pour permettre la construction de l’édifice qui abrite aujourd’hui la pharmacie Uniprix et qui appartenait à l’origine à la Coopérative de consommation La Paix.

Pharmacie, maison Raby, prebytère 2018  (Google St.)

Sa voisine, no 392, a conservé son gabarit mais a changé d’allure : c’est aujourd’hui la boutique Les Enfants du Soleil. La Paix y a eu son premier magasin dans les années 1940.

Maison La Paix c. 1940  (CH par ASP, ph. CP)

Construit en 1872, le presbytère (« priest‘s house », no 380) est toujours là mais le couvent (no 371), érigé en 1903, a été démoli en 1972; depuis 1960, un nouvel établissement scolaire, l’école Saint-Jean, s’élève tout juste au nord. Couvent

Couvent et Salle paroissiale 2018  (Google St.)

À l’est de l’église, au début du XXe siècle, la maison au toit mansardé marquée 184 abritait la « Banque d’épargnes » (Banque provinciale du Canada), comme le montre une photo de la collection Jean-Daniel Thériault.

Banque d'épargnes -1909 ( (CH par ASP, coll. JDT)

Elle existe toujours mais elle a été reculée pour permettre la construction du centre commercial dans les années 1960 et se trouve maintenant cachée par ce dernier. Elle a longtemps été habitée par la famille de Charles Chouinard, qui avait sa boucherie dans le centre commercial.

Maison Chouinard 2018

Une photo publiée dans l’album du tricentenaire en 1977 permet d’entrevoir cette maison, juste à gauche du clocher, mais surtout les bâtiments marqués 320 et 326, aujourd’hui disparus.

Salle mun. + maison Legros (ATri

La maison blanche à toit mansardé, à droite (no 320 sur le plan), appartenait autrefois à Délima Legros qui y vendait des bonbons, entre autres choses. Elle est morte en 1941 à 99 ans. La maison est ensuite passée à une famille Gagnon, le dernier propriétaire étant Louis-Georges Gagnon, sculpteur, mort en 1965. Située au coin de la rue Verreault, elle a été détruite à la même époque pour laisser place au bureau de poste, érigé dans un style qui s’inspire vaguement d’une ancienne maison normande…

Bureau de poste 2018

Quant à la salle municipale (aussi à droite, no 326), une autre construction à toit mansardé, elle a été érigée en 1880 et simplement démolie en 1965 pour faciliter le stationnement.

La maison marquée 338 sur le plan était une des plus belles du secteur. D’après les recherches faites par Angéline Saint-Pierre, elle avait été construite peu après la Conquête avec un « toit en pavillon » (mais peut-être plus exactement un « toit à croupes »). Vers 1875, les frères Narcisse et Charles Duval, dits « les Charlots », lui ajoutent un dôme qui a fait dire au mendiant Servule Dumas que la folie était cette fois « par-dessus le comble »…

Maison Duval (BANQ)

Cette maison est ensuite devenue propriété du « seigneur » Ernest Fortin (qui n’était en réalité que le détenteur des droits seigneuriaux). En 1961, la maison a été déménagée dans la rue Verreault pour faire place à la caisse populaire; elle a été plus tard démantelée pour être reconstruite on ne sait où.

Caisse populaire 2018  (Google St.)

Enfin, la maison marquée 340 est toujours en place et a globalement conservé son allure initiale. On peut la voir, de l’arrière, sur une photo du chemin du Roy prise vers 1865 et conservée dans les archives du Séminaire.

Ch du roy c1865 (Edwards)-détail

Construite en 1860, elle a servi de bureau de poste de 1912 à 1947, à l’époque où elle appartenait aux Dupont. Elle est ensuite passée à Jean-Albert Morin, propriétaire du Vivoir moderne, et sa veuve, madame Toussaint, l’habitait encore il y a quelques années. La photo ci-dessous date de 2018.

Maisson Toussaint et Vivoir 2018 (Google St.)

La suivante montre son nouvel environnement, en décembre 2019, après la reconstruction du Vivoir.

Maison Toussaint2-GD-Déc. 2019 (2)

Avec la malheureuse passerelle… qu’on ne voyait pratiquement pas, incidemment, quand le projet a été présenté. C’est un peu toujours comme ça quand on veut vendre un projet avec des petites esquisses d’architectes pas trop réalistes.

Vivoir-1-1600x896

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En suivant le plan de 1906, on a fait le tour de l’église pour constater que la plupart des maisons et des édifices institutionnels qui y figuraient sont disparus et qu’il faudra pas mal de temps avant que les bâtiments construits à leur place puissent mériter un statut patrimonial…

Le seul ajout témoignant d’un souci d’harmonie avec l’environnement bâti est le centre paroissial, construit en 1949 et devenu l’hôtel de ville de Saint-Jean.

Centrte paroissial 1949 (CH par ASP, ph. AT)

Cette construction s’inspirait, pour la façade, de la maison québécoise traditionnelle et ses concepteurs ont profité de la déclivité du terrain afin de gagner l’espace nécessaire pour loger une salle de cinéma et une salle de quilles, sans que le passant puisse s’en apercevoir au premier coup d’œil. Aujourd’hui, c’est ce bâtiment qui semble détonner entre l’école et le centre commercial…

Centre paroissial entre école et centre d'achats

Par la suite, pendant une vingtaine d’années, du début des années 1950 (construction de la coopérative La Paix) au début des années 1970 (démolition du couvent), on ne peut dire que la protection du patrimoine bâti et du paysage a constitué une préoccupation. Prises individuellement, les nouvelles constructions pouvaient probablement se justifier; c’est le résultat global qui se solde par un patrimoine bâti grandement hypothéqué.

Du « stock immobilier ancien », pour emprunter les termes de l’Association des beaux villages, il reste le presbytère, l’ancien magasin de La Paix (les Enfants du Soleil), l’ancienne banque (maison cachée derrière le centre commercial) et l’ancien bureau de postes (maison Dupont-Morin-Toussaint). Il faut se consoler en se disant que les visiteurs, malgré tout, trouvent encore Saint-Jean « ben beau »!

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PS: les photos d’actualité proviennent de Google Street.

Une plaque en mémoire de sept patriotes nés à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud

Saint-Pierre-Plaque installée

Le Comité des patriotes de la Côte-du-Sud a procédé au dévoilement et à l’installation d’une plaque à la mémoire de sept patriotes nés à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, soit:

  • François Blanchet (1776-1830), médecin, député de Hertford (1809-1816 et 1818-1830), co-fondateur du Canadien, emprisonné en 1810;
  • Jean-Charles Létourneau (1775-1838), notaire à Saint-Thomas (Montmagny), député de Devon (1827-1830) et de L’Islet (1830-1838) ;
  • Charles Blanchet (1794-1884), cultivateur à La Présentation, emprisonné en 1837 et en 1839, réfugié à Saint-Pierre en 1838;
  • Jean Blanchet (1795-1857), médecin à Québec, député de Québec (1834-1838)
  • Augustin-Magloire Blanchet (1797-1887), curé de Saint-Charles (Richelieu), emprisonné en 1837-1838, évêque de Nesqually (Seattle);
  • Étienne Chartier (1798-1853), curé de Saint-Benoît, « aumônier des Patriotes », exilé aux États-Unis en 1837;
  • Pierre Blanchet (1816-1898), dit « citoyen Blanchet », avocat, membre de l’Institut canadien de Montréal, rédacteur de L’Avenir;

(Pour un aperçu biographique, voir https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2019/05/18/les-patriotes-de-saint-pierre-de-la-riviere-du-sud/)

La plaque a été dévoilée le 19 mai 2019 à l’église de Saint-Pierre en présence de la député-ministre de Côte-du-Sud, madame Marie-Ève Proulx.

Plaque-dévoilement-19 mai 2019

Elle a été ensuite installée officiellement à l’entrée du cimetière de Saint-Pierre le 22 juin en présence de cinq membres du comité, de gauche à droite sur la photo, André Gaulin, Jean Simard (président), Angèle Chouinard, Gaston Deschênes et Arsène Pelletier (secrétaire-trésorier).

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Les protestants de Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud

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Visité hier un petit cimetière protestant très discret au 316-320 de la montée des Prairies, au sud du village de Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud.

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Comme en fait foi une plaque devant l’entrée, ce cimetière est dédié à Olivier Tremblay (1850-1925), « Pionnier de la foi évangélique à St-François, « ami des pauvres, témoin de la vérité, honorable citoyen » »

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Olivier Tremblay possédait des moulins dans le hameau de Morigeau, un rang au sud du village de Saint-François, où un parc lui est aujourd’hui dédié.

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Chose étonnante dans le Québec des années 1890, Tremblay fut maire de la très catholique municipalité de Saint-François pendant une dizaine d’années. C’est sous son influence que Saint-François eut le téléphone et des trottoirs bien plus tôt qu’ailleurs.

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Le cimetière compte une vingtaine de stèles et, en ce samedi de juin, d’innombrables maringouins.

Un « Credo du paysan » patriote

Les gens qui ont assisté au dévoilement de la plaque en mémoire de sept patriotes nés à Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud le 19 mai ont entendu une version tout probablement inédite, au Québec, du Credo du paysan.

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(Entête du Credo dans Les cent plus belles chansons)

Le Comité des patriotes de la Côte-du-Sud avait souhaité que la chorale paroissiale inscrive cette chanson dans la partie musicale de la cérémonie tenue dans l’église patrimoniale de Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud, l’une des plus anciennes de la région (1785). Le bâtiment religieux érigé dans une belle paroisse rurale se prêtait à cette mise en scène.

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(Première partition du Credo)

Le Credo du paysan a été écrit en 1890 par Stéphane et Francisque (ou François) Borel. Le second semble avoir laissé peu de traces, mais le premier, comme l’écrivait le Feuillet d’avis de Neuchatel à sa mort, bénéficia d’une « popularité du meilleur aloi ». Né et décédé à Lyon, il a laissé des chansons « dont la facture et l’inspiration rappellent à tel point celle des chansons de Pierre Dupont qu’on les attribuait généralement à celui-ci. C’était, certes, le meilleur éloge qu’on put faire de Stéphane Borel. Comme Pierre Dupont, Stéphane Borel chanta surtout la terre et le paysan, le blé et le sapin, les bûcherons et les tonneliers, la charrue et le pressoir, puis les bœufs, le coq gaulois, et toutes ces chansons, d’un charme rustique incontestable, obtinrent une réelle vogue… A l’exemple de Pierre Dupont, Stéphane Borel entreprit de chanter l’ouvrier et le soldat. Il célébra ensuite Dieu, et la famille dans des poèmes d’une inspiration toute religieuse, car Borel fut profondément croyant » (http://doc.rero.ch/record/46969/files/1912-01-19.pdf).

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(Enregistrement pour phonographe à cylindres)

Mis en musique par Gustave Goublier, le Credo du paysan est enregistré la première fois en 1893 par Noté. En 1904, le baryton d’origine italienne Victor Occellier l’enregistre à Montréal sous étiquette Berliner. Chanté d’innombrables fois au Canada français depuis plus d’un siècle, le Credo correspondait à ce qu’on appelait « la bonne chanson » et s’est évidemment retrouvé dans le premier cahier de  l’abbé Gadbois en 1938.

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(Le Credo dans le premier cahier de la Bonne chanson en 1938)

Ma bible pour la chanson française, Mémoire de la chanson, 1100 chansons du Moyen-âge à 1919 (Paris, Omnibus, 1998), m’a orienté dans l’histoire du Credo et m’a révélé un fait que j’ignorais : cette chanson compte un couplet de plus que les trois qui sont généralement reproduits ici, notamment dans La Bonne chanson.

On chante évidemment le premier couplet — voir l’interprétation de Mestral (https://www.youtube.com/watch?v=kVpFjysyk9E ) — qui fait déjà autour de trois minutes, surtout s’il est chanté lentement comme Magnan en 1916 (http://www.collectionscanada.ca/obj/m2/f7/9894.mp3) et souvent le deuxième:

- 1 -
L’immensité, les cieux, les monts, la plaine
L’astre du jour qui répand sa chaleur
Les sapins verts dont la montagne est pleine
Sont ton ouvrage, ô divin Créateur
Humble mortel, devant l’œuvre sublime
À l’horizon, quand le soleil descend
Ma faible voix s’élève de l’abîme
Monte vers Toi, vers Toi, Dieu Tout-Puissant.

[Refrain]
Je crois en Toi, Maître de la nature
Semant partout la vie et la fécondité
Dieu tout-puissant qui fis la créature
Je crois en ta grandeur, je crois en ta bonté. (bis)

- 2 -
Dans les sillons creusés par la charrue
Quand vient le temps, je jette à large main
Le pur froment qui pousse en herbe drue
L’épi bientôt va sortir de ce grain
Et si parfois la grêle ou la tempête
Sur ma moisson s’abat comme un fléau
Contre le ciel, loin de baisser la tête
Le front tourné, j’implore le Très-Haut.

Le troisième, reproduit dans le premier cahier de La bonne chanson, est sûrement le moins connu :

- 3 -
Mon dur labeur fait sortir de la terre
De quoi nourrir ma femme et mes enfants
Mieux qu’un palais, j’adore ma chaumière
À ses splendeurs je préfère mes champs
Et le dimanche, au repas de famille,
Lorsque le soir vient tous nous réunir
Entre mes fils, et ma femme et ma fille
Le cœur content, j’espère en l’avenir.

Quant au quatrième couplet, qui a son propre refrain, je ne l’avais jamais vu, mais il apparaissait tout à fait de circonstance pour nos patriotes.

***

Sans trop d’espoir, car la préparation de la cérémonie et les répétitions étaient avancées, j’ai envoyé une copie du Credo original complet au responsable du programme musical, en soulignant que le quatrième couplet, qu’il n’avait sûrement jamais chanté, était dans le thème de la journée, mais sans insister.

Arrivé à son tour de s’exécuter, le soliste nous a fait la surprise d’interpréter ce quatrième couplet qu’il avait bien étudié les jours précédents:

- 4 -
Si les horreurs d’une terrible guerre
Venaient encor fondre sur le pays,
Sans hésiter, là-bas, vers la frontière
Je partirais de suite avec mes fils
S’il le fallait, je donnerais ma vie
Pour protéger, pour venger le drapeau
Et fièrement tombant pour la patrie
Je redirais, aux portes du tombeau:

[Dernier refrain]
Je crois en Toi, Maître de la nature
Toi, dont le nom divin remplit l’immensité
Dieu tout-puissant qui fis la créature
Je crois, je crois en toi, comme à la Liberté. (bis)

***

Il faut situer cette chanson dans son contexte,  une époque où plusieurs Français, relevés de la guerre perdue contre les Allemands en 1870, ruminaient la revanche et la reprise de l’Alsace et de la Lorraine; ce n’est plus seulement le paysan qui parle mais le citoyen et le patriote.

L’abbé Gadbois a peut-être jugé que ce couplet, terminé par une acte de foi  en la liberté, détonnait après les trois premiers qui glorifiaient la vie paysanne et chrétienne; il estimait peut-être aussi que les rivalités franco-allemandes n’avaient pas de pertinence ici. Ou que la chanson était déjà assez longue…

Il n’y aura pas d’enregistrement de l’interprétation de monsieur Raymond Samson, mais on peut s’en faire une idée en écoutant celle d’André Dassary, un des rares, semble-t-il, à chanter les couplets 1 et 4 (https://www.youtube.com/watch?v=sCOslEkDbFk).