Une proposition fort curieuse a été présentée à l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier. Au moment de la présentation des motions sans préavis (celles qui ne sont pas inscrites à l’ordre du jour et qui requièrent l’unanimité pour être traitées sur-le-champ), le whip du gouvernement a sollicité le consentement des députés pour présenter la motion suivante, conjointement avec le whip du PQ et celui de la CAQ :
«Attendu l’exercice de la Commission de révision permanente des programmes gouvernementaux mise en place;
Attendu que l’Assemblée nationale du Québec est souveraine;
Attendu que le Bureau de l’Assemblée nationale exerce une fonction de contrôle et de réglementation ainsi que toute autre fonction que l’Assemblée lui confie;
Attendu que les parlementaires veulent s’assurer de la saine gestion des crédits qui sont accordés à l’Assemblée;
Les membres de l’Assemblée nationale demandent au Bureau de l’Assemblée de se réunir avec diligence afin de procéder à un exercice complet d’évaluation du budget des dépenses de l’Assemblée;
Qu’au terme de cet exercice le président de l’Assemblée dépose un rapport faisant état des commentaires, observations ou recommandations.»
Québec solidaire ayant refusé son consentement, la motion n’a pas été débattue.
Un Bureau encombré
Pour bien saisir de quoi il s’agit, quelques rappels s’imposent :
- en novembre 2013, un comité de travail présidé par l’ex-juge de la Cour suprême Claire L’Heureux-Dubé propose d’amincir le régime de retraite des élus en échange de meilleures conditions salariales (une augmentation de 88 186 $ à 136 000 $), ce que la CAQ et QS rejettent; en juillet dernier, le premier ministre invite le Bureau de l’Assemblée nationale à se saisir du rapport; le Bureau aurait déjà donné suite au rapport du comité « s’il n’en tenait qu’aux élus libéraux et péquistes, ont soutenu tour à tour le PLQ et le PQ » au Devoir le 20 août;
- en août, la CAQ annonce qu’un projet de loi sera présenté pour augmenter la contribution des députés à leur régime de retraite qui se situe à 21% actuellement; le PLQ et le PQ expriment leur désaccord (Le Devoir, 21 août 2014);
- le 25 août, le Soleil publie une analyse démontrant que les 70 députés libéraux occupent une fonction parlementaire qui leur vaut une « prime », la moins élevée étant celle des président de séances et des membre du Bureau (13 493$); le lendemain, la CAQ « dénonce le système de rémunération »; son porte-parole soutient que les libéraux « se cachent derrière le BAN » pour ne pas agir;
- le 10 septembre, le Journal de Québec « révèle » que les dépenses de l’Assemblée nationale ne seront pas scrutées par la Commission de révision permanente des programmes (Commission Robillard), par respect pour la souveraineté du Parlement dont l’administration est réglée par le Bureau, comme l’expliquera le président du Conseil du Trésor (Journal de Québec du 11 sept.), une vision que ne partage pas le leader parlementaire de la CAQ;
- le 13 septembre, Le Soleil révèle que des appels d’offres ont été publiés pour des travaux de 50 millions de dollars à l’Assemblée nationale (dont un agrandissement par l’intérieur de l’Hôtel du Parlement); la nouvelle reçoit « un accueil discret » chez les députés qui ne semblent pas au courant de cette décision prise par le Bureau de l’Assemblée nationale; le chef de la CAQ demande à être convaincu (Soleil, 16 et 17 septembre 2014).
La mutation du Bureau
Le Bureau de l’Assemblée est une instance singulière qui ne fait pas souvent la manchette et fréquente peu la place publique.
Autrefois, l’administration de l’Assemblée nationale était sous la responsabilité du « Comité de régie interne » composé du président de l’Assemblée nationale et de trois ministres désignés par le premier ministre. Cette situation incongrue, où le Parlement se trouvait sous la coupe du gouvernement, est corrigée en 1982 avec la création du Bureau composé du président de l’Assemblée et de députés désignés par les groupes parlementaires. Une indemnité additionnelle est attachée à la fonction de membre du Bureau, sauf si ce membre occupe une autre fonction. C’est évidemment le cas du président et c’était aussi celui des whips qui, à l’origine, se retrouvaient quasi automatiquement membres du Bureau, les questions concernant la condition de député (salaire et avantages sociaux, locaux, etc.) tombant sous leur juridiction.
Quelque part entre 1982 et aujourd’hui, la composition du Bureau s’est transformée sans faire de bruit. Actuellement, le whip du gouvernement, son adjoint et les whips des deux groupes d’opposition reconnus (PQ et CAQ) sont membres substituts. Les neufs députés qui composent officiellement le Bureau (avec le président) sont de « simples députés », selon l’expression consacrée, sauf deux qui sont vice-président de commission et président de séance (http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/fonctions-parlementaires-ministerielles/membres-bureau-assemblee.html).
Cette formule permet de répartir les tâches sur un plus grand nombre d’épaules mais aussi d’utiliser efficacement les indemnités additionnelles qui sont attachées aux fonctions parlementaires et qui sont « perdues » quand les whips siègent au Bureau. On se trouve cependant devant un jeu bizarre où les plus « gros frappeurs » sont sur le banc des « substituts » et il n’est pas interdit de penser que les décisions du Bureau sont fixées en coulisses par ces « substituts » avant d’être ratifiées en réunion formelle par « l’alignement de départ ».
Et la motion?
Qu’est-ce qui a justifié la présentation de la motion du 16 septembre dernier par les whips des trois principaux groupes parlementaires, tous membres « substituts » du Bureau? S’ils étaient tous trois d’accord (ce qui est rare, comme on l’a vu) pour que le Bureau procède « à un exercice complet d’évaluation du budget des dépenses de l’Assemblée » et fasse rapport, ils n’avaient qu’à passer le message à leurs caucus respectifs, non ? Pourquoi donner un ordre aussi formel qu’inédit, et presque gênant pour les membres du Bureau qui ont l’air insensibles à l’impasse financière de l’État ?
Et si le Bureau voulait annoncer qu’il avait l’intention de préparait ce genre d’évaluation, n’est-ce pas le président qui en aurait normalement fait l’annonce ?
À moins que les membres du Bureau ne soient devenus hors de contrôle ? On serait alors en plein roman.
Ou qu’il ne s’agisse finalement que d’une opération de relations publiques, pour montrer que l’Assemblée nationale va faire sa « juste part » dans l’exercice de compressions budgétaires ?
« On verra ».