L’écriture: « une espièglerie » ?

Dans un article intitulé « L’histoire est une plaie créée par l’écriture de l’homme » (Le Devoir,17 mai 2024), l’ancien chef de la communauté innue de Pessamit a émis une opinion singulière sur les sources écrites utilisées par les historiens (https://www.ledevoir.com/opinion/idees/813094/histoire-est-plaie-creee-ecriture-homme).

« Les sociétés sans écriture, écrivait-il, sont aussi riches et nanties dans leur cheminement avec leur passé, et cela grâce à leur oralité et à leur tradition orale. À ce niveau, il n’y a pas de falsification ni de doute dans la transmission de faits de bouche à oreille : les faits restent, comme lors de leur transmission, authentiques malgré les divers locuteurs et le passage du temps. L’écriture est une espièglerie manipulée aux fins des intérêts individuels et collectifs. L’écriture a fait un carnage de l’identité des existences des Premiers Peuples par le sabotage de leurs identités, de leurs terres, de leurs spiritualités et par la transgression de leur mode de vie ».

Je ne sais pas si j’ai bien compris, mais l’auteur laisserait entendre que la tradition orale transmet les faits dans toute leur authenticité, sans aucune falsification, tandis que les sources écrites sont essentiellement douteuses, pour ne pas dire plus.
C’est peut-être à cause de mes biais plus ou moins conscients d’homme blanc âgé (voire cisgenre…), mais j’aurais plutôt cru le contraire, sans être aussi catégorique dans mon évaluation des mérites respectifs des textes et de la tradition orale.
Les écrits sont parfois bien fâcheux  : ils restent, « scripta manent », comme le veut la devise des notaires, tandis que les paroles ont tendance à s’envoler. Quand les faits ne nous conviennent pas, on ne peut pas tous, sérieusement, prétendre qu’ils ont été massivement falsifiés, comme l’écrit l’auteur de L’histoire inédite de la première colonie de Québec (Éditions de l’Ours gardien, 2022) au sujet des œuvres de Cartier, de Champlain et de Lescarbot, et même des relations des jésuites et des registres d’état civil. Par contre, avec la tradition orale, on peut plus facilement « oublier » les épisodes « déplaisants »…
Mon ex-beau-père avait convaincu ses enfants que leur premier ancêtre en Amérique était un « comte » venu ici « après la Révolution », alors que, dans ma famille, on disait avoir « de l’Indien ». Les recherches ont démontré que nous avions effectivement une souche amérindienne incarnée par le chef pentagouet Madokawando, mais que le présumé « comte » de la belle-famille était un bien modeste pêcheur normand.
De telles histoires de tradition orale sont sûrement innombrables, et distrayantes, mais on en voit d’autres plus délicates.
Dans La Presse, du 19 mai 2024, Isabelle Hachey a consacré trois textes aux présumées « sépultures » anonymes découvertes à Kamloops en mai 2021. D’innombrables médias et des journalistes réputés avaient alors annoncé faussement qu’on avait découvert les restes de 215 enfants enterrés dans des fosses communes, certains ajoutant que ces enfants exhumés avaient subi « des sévices physiques et sexuels » aux mains de « bourreaux en soutane ».
À la suite d’Hélène Buzetti en mai 2022 (https://www.lesoleil.com/2022/05/27/la-douleur-et-les-faits-2820f37617252186dbd78dcc90fa186f), Isabelle Hachey a rappelé qu’on n’avait encore exhumé aucun corps à Kamloops : « Soyons clairs : non, on n’a pas découvert de charniers, ni à Kamloops ni ailleurs. Non, les religieux ne se sont pas livrés à des massacres d’enfants ». Reste qu’on a tant de fois laissé entendre le contraire et que les rétractations ont été bien timides. Et ceux qui ont remis en question ces « découvertes », dont Jacques Rouillard (qui a été le premier à le faire au Québec en janvier 2022), ont vite été accusés de révisionnisme, de négationnisme ou de voyeurisme macabre : « Des articles comme celui de M. Rouillard, a déclaré le ministre des Affaires autochtones (cité par Hachey), s’inscrivent dans une tendance de déni et de déformation de la réalité qui a marqué le discours sur les pensionnats au Canada. Ils sont nuisibles parce qu’ils tentent de priver les survivants et leurs familles de la vérité, et ils déforment la pleine compréhension que les Canadiens ont de notre histoire ». Rouillard avait seulement démontré qu’on n’avait rien exhumé, ce qui est (encore) l’incontestable vérité.
La journaliste s’est justement intéressée aux travaux de cet historien qui essaie de documenter l’histoire des enfants qui seraient morts à Kamloops en examinant notamment les archives de la communauté religieuse qui y assurait l’enseignement. Rouillard ne nie pas le drame des pensionnats et connaît parfaitement les témoignages rendus devant la Commission vérité et réconciliation, mais il refuse d’admettre, sans preuve, « que les frères et les sœurs québécois responsables du pensionnat de Kamloops ont froidement, délibérément tué des enfants, puis tenté de camoufler leurs crimes en les enfouissant dans le verger ». Dans les témoignages, il faut évaluer différemment ce que les pensionnaires ont vécu et ce qu’on leur a raconté.
Pour la journaliste, le questionnement d’un chercheur comme Rouillard constitue un réflexe « très blanc : pour établir que des crimes ont bel et bien été perpétrés, il faut des preuves solides, des enquêtes criminelles, des fouilles, des examens médicolégaux », tandis que les communautés autochtones ne veulent que « faire le deuil de leurs enfants morts ».
C’est là qu’on rejoint les propos de l’ancien chef de Pessamit pour qui «il n’y a pas de falsification ni de doute dans la transmission de faits de bouche à oreille […] », tandis que l’écriture « est une espièglerie ».

Antonio et les docteurs

L’évangile selon saint Luc raconte cet épisode de la vie du Christ (chapitre 2, versets 41-52).
En revenant d’une visite à Jérusalem, Joseph et Marie constatèrent que leur fils de 12 ans était absent. Ils retournèrent à Jérusalem pour le chercher.

« Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant. Tous ceux qui l’entendaient étaient frappés de son intelligence et de ses réponses. Quand ses parents le virent, ils furent saisis d’étonnement, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Voici, ton père et moi, nous te cherchions avec angoisse. Il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des affaires de mon Père ? Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth, et il leur était soumis. Sa mère gardait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature, et en grâce, devant Dieu et devant les hommes. »

Si je me souviens bien, c’est ma mère – dont la culture religieuse et l’humour se mariaient parfois pour donner de bonnes « lignes » – qui s’est amusée à évoquer ce passage biblique en voyant la photographie de mon père, élu président du club Richelieu de La Pocatière en janvier 1959, au milieu de son « bureau de direction ». Les autres administrateurs affichaient TOUS fièrement leur titre de docteur : trois médecins (Raymond, Germain, Boulanger), deux agronomes (Perreault et Forest), un dentiste (Grandmaison) et un optométriste (Bélanger).
1959 Club Richelieu La Pocatière
Antonio Deschênes (assis au centre) et les sept collègues docteurs accompagnés du gouverneur régional de la Société Richelieu (deuxième à partir de la gauche). Photographie publiée dans L’Action catholique du 9 février 1959. Coll. privée.

Antonio était pour sa part « diplômé » de l’école du rang, avec une cinquième année qu’il avait faite trois fois, disait-il, parce que la maîtresse n’en savait pas plus… Le 24 février 1930, l’inspecteur Dubeau lui a donné un livre d’Alfred D. De Celles, Lafontaine et son temps, en récompense pour ses résultats scolaires en « Orth[ographe] » et « calcul » – ce qui n’étonnera pas ceux qui ont constaté ses aptitudes en calcul mental. Il avait douze ans et vivait probablement ses dernières semaines d’école. Au recensement de 1931, il était identifié comme aide fermier sur la terre paternelle avec son frère Roger.
Antonio Prix coul  Antonio 1929c
Premier communiant en 1929 ou 1930. Coll. privée.
Recensement 1931
Extrait  du recensement de 1931.

À la fin des années 1930, il étudie à l’école forestière de Duchesnay pour devenir mesureur de bois, métier qu’il exerce quelques années pour la compagnie Price Brothers au Saguenay.
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L’Action catholique, 19 avril 1938.
BON Gallon+cheval
Jetons utilisés par le mesureur de bois pour payer la nourriture de son cheval dans sa tournée des camps de la compagnie. Coll. privée.

De retour à Saint-Jean-Port-Joli, il est brièvement commis à la coopérative de consommation (La Paix) avant d’être embauché, en 1942, comme gérant de la coopérative agricole qui vient d’être fondée.

Le 19 février 1943, Le Soleil publiait la photographie d’un groupe de « jeunes agriculteurs » inscrits à des cours de coopération donnés à l’École d’agriculture de Sainte-Anne-de-la-Pocatière en vertu d’une entente fédérale-provinciale de l’aide à la jeunesse.

1943 Cours de coop.-Lapocatière

Sur la photographie, au pied du grand escalier de l’École, le premier étudiant debout à gauche n’est pas agriculteur ni plus très jeune : c’est le gérant de la coopérative agricole de Saint-Jean-Port-Joli, 26 ans, qui a été libéré pour aller suivre ce cours de six semaines.

Dès sa fondation, la coopérative a acheté la beurrerie d’Alfred Dubé, au cœur du village, et, en 1950, elle inaugurait sa meunerie à « la Station ».

14.17a Beurrerie 1950 BANQ ATLa beurrerie vers 1950. Coll. BANQ, photo Alph. Toussaint.

1950 Coop. SJPJ-Meunerie-SHCS
Bénédiction de la meunerie en 1950.  Coll. privée.

Près de 25 ans plus tard, le 30 mars 1967, Le Soleil publiait une photographie du conseil d’administration de la Coopérative agricole de la Côte-Sud, issue de la fusion des coopératives agricoles de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Pascal (qui deviendra Dynaco, puis Avantis).

1967 CACS-assemblée gén. -officiers-SHCS corr.

Les membres du conseil étaient réunis au pied du même escalier, à l’Institut de technologie agricole de La Pocatière. Sur la première rangée, on reconnaît Simon Fortin, représentant Saint-Jean-Port-Joli (4e à gauche), Roger Pelletier, président (5e), Antonio Deschênes, directeur général (6e), poste qu’il occupe jusqu’au début des années 1970. Il poursuivra ensuite sa carrière au sein de la Coopérative fédérée de Québec, à titre de conseiller en gestion auprès des coopératives locales, jusqu’à son décès en 1982.

Encore deux mots sur la devise du Québec

Dans un ouvrage que toute personne qui s’intéresse à notre histoire devrait lire (Le mythe tenace de la folk society en histoire du Québec, Septentrion, 2023, 216 pages), Jacques Rouillard s’attaque au mythe de la société québécoise pré-révolution tranquille qui aurait été retardataire sur tous les plans, réfractaire à la modernité, à l’industrialisation, à l’urbanisation, aux affaires et au syndicalisme.
L’auteur explique que des sociologues, américains ou sous influence de la sociologie américaine, ont construit cette image d’une folk society, primitive, rétrograde, en observant des villages éloignés des milieux urbains et en se fondant sur des sources proches des milieux cléricaux, dont Le Devoir et L’Action catholique. Les historiens de la seconde moitié du XXe siècle ont permis de corriger cette image qui n’était pas conforme à la réalité. Comme l’écrit Louis Cornellier, « la thèse du Québec en retard, occupé à prier dans ses campagnes jusqu’à la Révolution tranquille, est fausse. Elle ratatine notre histoire, nous fait honte, à tort, et nous fait oublier que le Québec est assez respectable pour être un pays normal ».

***

C’est un ouvrage magistral où l’auteur démontre son impressionnante maîtrise de l’historiographie québécoise, mais il y a quand même un bémol à exprimer sur les quatre pages que l’auteur consacre à la devise du Québec, une sorte de hors-d’œuvre inséré à la fin du chapitre quatre.
L’auteur écrit qu’Eugène-Étienne Taché a inscrit la devise Je me souviens au fronton de l’Hôtel du Parlement, mais que « ce n’était pas son intention d’en faire la devise du Québec ».
Rappelons que la reine Victoria a accordé des armes à la province de Québec en 1868 : « D’or à la fasce de gueules chargé d’un léopard d’or armé et lampassé d’azur, accompagné au chef de deux fleurs de lys d’azur et à la pointe d’une branche d’érable à sucre à triple feuille de sinople, aux nervures du champ. »

Armoiries 1892

La porte d’entrée principale en 1892.

Quinze ans plus tard, sur les plans de la façade de l’Hôtel du Parlement, Taché propose de sculpter ces « armes » au-dessus de la porte principale en y ajoutant une couronne et un listel portant les mots Je me souviens. Taché était un héraldiste accompli : si ces trois mots ne sont pas là comme devise, à quoi pouvaient-ils bien servir? Autour de Taché, des gens comme Ernest Gagnon n’étaient pas dupes et savaient que le concepteur des plans de l’édifice profitait de l’occasion pour donner au Québec une devise résumant ce qu’il voulait rappeler avec la décoration de la façade, soit, principalement, le souvenir de nos grands personnages historiques.

***

Jacques Rouillard fait ensuite un lien entre la devise du Québec (1883) et la médaille du tricentenaire de Québec (2008) qui en éclairerait la signification.
Sur la médaille, Taché a « recyclé » une autre devise conçue vers 1900 en vue de l’érection d’un monument qui n’a pas vu le jour, soit « Née dans les lis, je grandis dans les roses » qui est devenue, sur le revers de la médaille, « Née sous les lis, Dieu aidant, l’œuvre de Champlain a grandi sous les roses ». Sur ce même revers figurent deux femmes, l’une symbolisant la Nouvelle-France et pointant le doigt vers les racines d’un arbre qui représente le Québec, l’autre, représentant la Grande-Bretagne, qui tend le bras vers le feuillage de l’arbre composé de feuilles d’érable canadiennes. Selon Rouillard, « ces mots et ces symboles correspondent à la signification que Taché a voulu donner au Je me souviens. Comme le fait valoir l’école historique libérale, il veut illustrer l’attachement aux institutions britanniques tout en évoquant que la présence française s’est épanouie sous l’autorité britannique ».
Cette interprétation serait une heureuse contribution à l’histoire de la devise du Québec si elle ne se heurtait pas à quelques obstacles.
La médaille et l’inscription qu’elle porte arrivent environ vingt ans après Je me souviens : peuvent-elles servir à l’interpréter ? Plus fondamentalement, il analyser cette question à la lumière de ce que David Ross McCord (1844-1930), fondateur du musée qui porte son nom, écrivait dans une note qu’on peut situer entre 1898 et 1907. Dans cette note intitulée « French sentiment in Canada », McCord estimait que la devise imaginée par Taché était simple et belle, même si l’attachement à la France constituait à son avis un facteur négatif pour l’unité nationale (« a desintegrating factor operating against the unification of the nation ») ; McCord reconnaissait cependant que Taché avait contribué à la promotion de l’architecture au Québec et, surtout, qu’il était « l’auteur de l’autre devise, “Née dans les lis, je croîs dans les roses”, à laquelle nous lèverons tous nos verres », car elle ne crée pas de division (« the author of the other motto – the sentiment of which we will all drink a toast “Née dans les lis, je croîs dans les roses”. There is no desintegration there »).
Voilà donc deux devises distinctes qui ont, de l’avis d’un observateur sérieux, des significations opposées. Interpréter la première à la lumière de la seconde ne me semble pas une démarche prometteuse[1].


[1] L’auteur et moi avons eu un échange soutenu (deux articles chacun) sur ce sujet dans le Bulletin d’histoire politique en 2005-2007 ; dans son ouvrage, l’auteur cite les siens. Les autres sont: « Le sens original de la devise du Québec : commentaire sur l’analyse de Jacques Rouillard », Bulletin d’histoire politique, 14, 2 (hiver 2006) : 257-261 et « Un dernier commentaire sur la devise du Québec ? », Bulletin d’histoire politique, 16, 1 (automne 2007) : 325-326.

« L’Année des Anglais » sur la Côte-de-Beaupré

La « découverte » du rapport du major George Scott a permis de préciser comment les troupes de Wolfe ont ravagé la Côte-du-Sud au début de septembre 1759. Ce n’était pas leur seul coup de l’année. Deux semaines plus tôt, d’autres incendiaires avaient sévi sur la Côte-de-Beaupré. Le journal de Malcom Fraser, publié en 1868 par la Société historique et littéraire de Québec*, permet de voir à l’œuvre  les hommes du 78e Régiment (Fraser’s Highlanders) dirigés par le capitaine John McDonnell.

***

Québec était bombardée depuis un mois. La ville résistait et, derrière les lignes des assiégeants, des Canadiens, jeunes et vieux, ne cessaient de harceler les troupes campées à Pointe-Lévy et à la rivière Montmorency. Excédé, malade et un peu désespéré, Wolfe décide d’attaquer à la fois les biens et le moral des miliciens rassemblés à Québec pour protéger la capitale.

C’est dans ce contexte que, le 15 août 1759, le capitaine John McDonnell, sept sous-officiers (dont le lieutenant Malcom Fraser), huit sergents, huit caporaux et cent quarante-quatre hommes traversent de Pointe-Lévy à l’île d’Orléans et vont loger à l’église de Saint-Pierre. Le lendemain, le détachement se rend à l’extrémité est de l’île, en face de l’église de Saint-Joachim. Le 17, il traverse à Saint-Joachim et, en route vers l’église, il subit le tir des habitants caché derrière les maisons et les clôtures, puis à l’orée du bois. Les hommes de McDonnell prennent possession du presbytère, qu’ils essaient de fortifier.

Du 17 au 23, McDonnel et ses hommes demeurent à Saint-Joachim. Le 23, le capitaine Montgomery (que l’éditeur du journal confond avec le Montgomery mort devant Québec en 1775…) arrive en renfort avec environ cent quarante fantassins légers du 43e Régiment (Kennedy’s) et une compagnie de Rangers.

Montgomery prend le commandement de la troupe qui se heurte à un groupe d’environ deux cents Canadiens embusqués dans des maisons à l’ouest de Saint-Joachim. Devant l’attaque, les Canadiens retraitent dans les bois, poursuivis par les Britanniques.

« Il y eut, écrit Fraser, plusieurs ennemis tués et blessés, et quelques prisonniers, que le barbare capitaine Montgomery, qui nous commandait, ordonna de massacrer de la manière la plus inhumaine et la plus cruelle, dont deux, en particulier, que j’avais confiés à un sergent — après les avoir épargnés et m’être engagé à ne pas les tuer — qui furent l’un fusillé, l’autre abattu avec un tomahawk (une petite hache), et tous deux scalpés en mon absence, le coquin de sergent ayant négligé d’informer Montgomery que je voulais qu’ils soient sauvés, comme ce dernier l’a prétendu lorsque je l’ai interrogé à ce sujet ; mais ça ne pouvait pas excuser une barbarie sans précédent. Cependant, comme il n’y avait plus rien à faire, je fus obligé de laisser tomber ».

Côte-de-Beaupré par Montresor dans Knox

Extrait d’un fac-similé de la carte de Montresor publiée dans John Knox, An Historical Journal […], t. 1.

***

Fraser n’en fait pas mention, mais on sait que le curé de Saint-Joachim, Philippe-René Robinau de Portneuf, est mort dans un affrontement avec les troupes britanniques.
Le gouverneur lui avait répondu, le 20 août, de faire en sorte que les habitants soient « en état d’opposer la plus vive résistance aux anglais », ce qu’il fit, comme en témoigne son acte de sépulture, le 26 août 1759 : il a été « massacré par les Anglois le 23 etant à la tete de sa paroisse pour la déffendre des incursions et hostilités qu’y faisoit lennemis ».

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Le biographe du curé de Saint-Joachim dans le Dictionnaire biographique du Canada** ne semble pas très sympathique avec son sujet. Le curé, conclut-il, a donc « bel et bien participé à la résistance avec un groupe de paroissiens, justifiant [sic] ainsi l’action des Anglais », mais il conclut que cette affaire « se réduit en somme à un incident mineur comme il en arrive dans toutes les guerres » et que le geste du curé Portneuf, « bien que voué d’avance à l’échec, peut à la rigueur être envisagé comme une courageuse tentative d’opposer à l’envahisseur une digne résistance avant la défaite finale »…

Un curé mort les armes à la main, ce n’est quand même pas banal! Que faut-il pour devenir un héros?

***
Après cette escarmouche, la troupe de McDonnell met tout en feu jusqu’à ce qu’elle arrive à l’église de Sainte-Anne, où elle passe la nuit et obtient en renfort une compagnie d’environ cent vingt hommes dirigés par le capitaine Ross.

Le 24, on ravage les fermes jusqu’à Château-Richer (que Fraser identifie comme L’Ange-Gardien) où se fait la jonction avec le colonel Murray et trois compagnies de Grenadiers (22e, 40e et 45e régiments). La fin de semaine (25 et 26 août) est occupée à couper les arbres fruitiers et le blé pour dégager les alentours.

Il ne se passe rien de particulier le 27 août, mais l’ordre est donné de marcher le lendemain vers L’Ange-Gardien où le détachement prend position le 28. Le 29, le capitaine Ross et une centaine d’hommes partent en reconnaissance et reviennent avec un prisonnier canadien dont on ne peut tirer d’informations. Le 30 est consacré à fortifier une maison et l’église de L’Ange-Gardien.

Le 31, le détachement reçoit l’ordre de brûler les maisons de L’Ange-Gardien, mais pas l’église, et de se rendre à Montmorency le lendemain matin, ce qu’il fait en brûlant toutes les maisons jusqu’au camp.

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* Malcolm Fraser, « Extrait d’un journal manuscrit, relatif au siège de Québec en 1759, tenu par le colonel Malcolm Fraser, alors lieutenant du 78th (Fraser’s Highlanders) et servant dans cette campagne », Québec, Middletown et Dawson, 1868, 37 p. (« Manuscrits relatifs aux débuts de l’histoire du Canada », 2e série).

** Jean-Pierre Asselin, « Robinau de Portneuf, Philippe-René », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 févr. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/robinau_de_portneuf_philippe_rene_3F.html.

Les têtes brûlées de Catherine Dorion

Les commentaires sur le livre de Catherine Dorion ont surtout porté sur ses relations avec ses collègues, sur son intégration dans le parti et sur le traitement que lui ont accordé les médias, ce qui en a amené plusieurs à dire qu’elle avait couru à sa perte.

Têtes

La lecture de son livre nous fait réaliser que l’ex-député de Taschereau était fragile, à plusieurs égards, avant son élection et qu’elle s’est carrément brûlée dans une fonction qui ne lui convenait pas et qu’elle devait concilier en plus avec des responsabilités familiales et une grossesse. On se demande d’ailleurs ce qu’elle allait faire dans une galère dont elle ignorait vraisemblablement le b.a.-ba. Elle n’est pas la première à s’engager dans la vie parlementaire sans savoir ce qu’il en retourne, comme si elle arrivait d’une autre planète et n’avait jamais lu une chronique parlementaire. On compte sur les doigts de la main les artistes qui se sont fait élire à l’Assemblée nationale (ce n’est pas le Sénat…). Ce sont peut-être des métiers incompatibles?

Un passage de son livre illustre à sa fois sa vision du métier et le mépris qu’il lui inspire :

« Voilà qu’à côté de tout ce que je considère comme essentiel à ma démarche artistique, il faut que je m’enchaîne à une quantité effroyable de tâches dont je ne saisis plus le sens. Des tâches qui, souvent, nuisent à la communauté plutôt qu’elles ne la servent [?!]. Autant d’obligations bureaucratiques tatillonnes, de gestes répétitifs, de sollicitations insignifiantes qui accroissent la surcharge informationnelle qui étouffe nos cerveaux, qui désensibilise nos neurones jusqu’à l’overdose, et qui plonge notre société dans une famine généralisée d’affect, de souffle et de pensée » (p. 208).

C’est bien tourné, mais encore ? On ne trouve pas, dans ce livre, une ligne où l’auteure aurait exprimé, au-delà de son ressenti, la moindre idée concrète suggérant ce qu’il faudrait changer dans ce régime abominé. Quelques pages idéalisent les soirées tenues dans le « bureau de circo », avec conférencier discourant devant un auditoire assis sur des coussins, mais il n’y a rien là comme modèle pour réformer nos institutions. Peut-être aurait-elle pu trouver quelques orientations dans les programmes des nombreux groupes qui ont donné naissance à son parti : le NPD, Option citoyenne, Démocratie socialiste, le Parti communiste ?

Les médias se seraient probablement quand même concentrés davantage sur ses vêtements que sur ses idées, malheureusement, mais, à ce chapitre, pouvait-elle ignorer à quel point l’image domine la vie politique ? Pourquoi refuser les conseils qu’on lui a donnés, dès le départ, en matière vestimentaire et pourquoi être allée ensuite poser, assise sur une table, avec ses « Doc Martens » dans le hall de l’Hôtel du Parlement, puis déguisée en madame au Salon rouge ? Du jamais vu de mémoire d’homme, de femme ou de non-binaire.

Nous avons finalement assisté à une triste sortie de scène au terme d’une pièce qui pourrait s’intituler Le malentendu. Le personnage était intéressant, mais la comédienne a accepté un mauvais  casting .

(Les têtes brûlées. Carnets d’espoir punk, Montréal, Lux Éditeur, 2023, 376 pages)