Une lettre publiée dans Le Soleil (« Bodies or not Bodies », 8 juillet 2009) m’amène à revenir sur l’exposition Bodies. L’auteur de la missive apporte deux points qui me semblent particulièrement à côté de la coche.
Ce n’est pas l’existence de corps non réclamés en Chine ou ici à Québec, la solitude, la pauvreté ou la misère humaine en général qui sont en cause dans ce débat (comme le sugère la lectrice) mais le fait que les organisateurs de Bodies n’ont pas obtenu le consentement des personnes dont le corps est exposé. Questionnée sur ce sujet, la porte-parole du Festival d’été a soutenu que les corps venaient de l’Université de Dalian et qu’il s’agissait de personnes mortes de causes naturelles (Soleil, 2 juin 2009). C’est justement ce que le promoteur Premier Exhibitions prétendait quand il a présenté cette même exposition à New York, jusqu’à ce que le procureur général de l’État l’amène à admettre publiquement qu’il n’en savait rien et que les corps auraient plutôt transité par le Bureau chinois de la police, ce qui n’est pas une voie habituelle pour quelqu’un qui veut « donner son corps à la science »… Surtout qu’en on est à l’état de fœtus.
La Commission de l’éthique de la science et de la technologie (un organisme gouvernemental québécois) a joint sa voix à celle d’Amnistie internationale pour demander au promoteur de rendre publique l’origine des corps exposés à Québec ou, à défaut, d’émettre un avertissement aux visiteurs semblable à celui que le procureur général de l’État de New York a exigé et obtenu. La Commission estime que le flou qui entoure l’origine des cadavres et l’absence de preuves claires et écrites du consentement des personnes dont le corps est exposé, pose problème sur le plan éthique. Or, Premier Exhibitions admet qu’elle ne peut vérifier si les restes humains sont ou non ceux de personnes ayant été incarcérées en Chine.
Le second point soulevé dans cette lettre est plus navrant : « … si l’on se fie aux milliers de visiteurs qui ont déjà foulé les salles de cette exposition, Bodies semble avoir gagné sa légitimité ». Autrement dit, la « cote d’écoute » fait foi de tout. Il y aura évidemment toujours des clients pour les freak shows et ce n’est pas le genre de public qui carbure aux questions éthiques.
Cet argumentation rejoint celle de la direction du Festival qui mesurait la légitimité de l’exposition à l’absence de contestation en juin (JQ, 4 juin 2009) mais qui s’en lave les mains un mois plus tard, quand des critiques fondamentales surgissent, en prétendant que l’affaire n’est pas de son ressort (Devoir, 3 juillet 2009). On s’attend pourtant de la direction d’un organisme quasi public comme le Festival d’été qu’elle élève sa capacité de jugement à un autre niveau et s’interroge davantage sur le sens des activités qu’elle patronne.
L’hostie d’Harper
Ceux qui font les titres dans les journaux se paient la traite de temps en temps, question de s’amuser, probablement, sourire en coin. Il y a quelques semaines, Le Soleil publiait, sous le titre évocateur « Une femelle écartée », la photo d’une mère orignal égarée dans les eaux du Saint-Laurent… Je collectionnais ces titres autrefois mais j’ai perdu mon dossier en quittant l’Assemblée nationale. Le meilleur du lot chapeautait l’appui d’un fameux lutteur québécois au PQ en 1980: « Un support athlétique »…
Le « Wafergate » ouvre la porte toute grande aux facétieux et les habitués de You Tube ne se privent pas. S’agit-il d’une affaire sérieuse? Oui et non. Même si l’Église catholique a le dos large et encaisse mieux la caricature que certaines autres religions, il demeure que l’hostie consacrée n’est pas une médaille qu’on ramène en souvenir; « Corpus Christi », précise le prêtre en l’offrant aux fidèles, qui répondent normalement « Amen! ». Et non « To take out ».
Un premier ministre ne peut pas connaître tous les rites religieux mais la messe catholique n’est pas une cérémonie exotique et ce n’est sûrement pas la première qu’il voit. Quand on sait avec quelle minutie tous les gestes du premier ministre sont calculés, on serait étonné de savoir qu’il s’est présenté là à l’aveuglette. A-t-il d’autres conseillers que ceux qui formulent les publicités douteuses contre ses adversaires? Au pire, il n’avait qu’à suivre l’exemple de ses voisins, la vice-reine et son conjoint, qui ont fréquenté le grand monde, eux, à droite comme à gauche, et qui ont consommé immédiatement. La vidéo (http://www.youtube.com/watch?v=CwWON7B-i1o&NR=1) montre que le premier ministre a conservé l’objet avec le feuillet qu’il avait à la main. Attendait-il trop poliment que tous les convives soient servis? Un sénateur complaisant placé quelques rangées DERRIÈRE le premier ministre prétend l’avoir vu consommer. Le premier ministre l’aurait-il fait pendant le quart de seconde où il est caché par le prêtre? Il faudrait un miracle.
Congé de scrutin?
Dans certains matchs de notre glorieux sport national, il arrive qu’un fier-à-bras se plante devant le banc du club adverse et invite les joueurs à se battre. C’est l’image qui vient immédiatement à l’esprit quand on voit le maire de Québec se chercher un punching bag et narguer la chef de l’opposition qui en a pour son « p’tit change » de maintenir à flot un parti qui a eu la malencontreuse idée de tomber en crise à quelques mois des élections.
Monsieur le maire tient le haut du pavé et, pour rester dans le monde du sport, la puck roule pour lui depuis presque deux ans. Le maire L’Allier s’est retiré en laissant une relève qui n’avaient pas l’ombre de son envergure et la mairesse est partie au moment où les plus grands des « petits maires » s’approchaient de la fin de leur vie utile. Le 400e a bien tourné après un long mauvais départ, rassasiant le bon peuple à coups de spectacles accrocheurs gratuits tout en profitant d’une bonne presse partenaire de l’événement. La crise économique épargne Québec qui maintient un excellent taux de chômage, ce qui permet aux citoyens de payer leurs taxes sans trop se poser de questions sur l’évolution des finances municipales. Et c’est reparti cette année avec une autre assiettée de spectacles gratuits.
Une élection sans opposition? Pourquoi pas? On a voté il y a seulement deux ans et tous ceux qui ont déploré le trop grand nombre de scrutins ces dernières années ne devraient pas être mécontents de sauter un tour. Exceptionnellement.
Quant à notre maire, il doit en profiter pendant que ça passe. On verra bien, dans quatre ans, le résultat des projets qu’il qualifie lui-même de « fous ».
Le dessous du panier, la suite
La préparation de la troisième édition de L’Année des Anglais (sortie en août) et un certain nombre d’autres choses m’ayant pris beaucoup de temps, je dois me contenter d’expédier quelques « dossiers » en vitesse, avant qu’ils ne tombent dans l’oubli. Les réactions que j’ai reçues après le premier « dessous de panier » (disons, deux ou trois…) me portent à récidiver.
Bonne nouvelle!
L’architecte Pierre Thibault propose une véritable vision pour le secteur d’Estimauville : un parc, un quartier hautement densifié, un espace circonscrit pour les commerces. Il y a longtemps qu’on n’a pas lu quelque chose d’aussi prometteur pour cette partie de la ville.
Bonne nouvelle?
D’après l’Institut du Dominion, c’est le Québec qui a le meilleur programme d’histoire au Canada (Devoir, 15 juin 2009). Faut-il s’en réjouir? Oui et non.
Seuls le Québec, l’Ontario et le Manitoba exigent de leurs étudiants qu’ils obtiennent la note de passage à au moins un cours d’histoire du Canada au niveau secondaire. C’est étonnant.
Par ailleurs, quand on connaît l’Institut du Dominion, on comprend que la « dénationalisation » qui caractérise le nouveau programme d’enseignement de l’histoire lui soit agréable.
« Double dipping »?
Le Soleil et le Journal de Québec n’ont pas manqué de soulever la « grave » (!) question éthique qui aurait été soulevée si Paul Crête avait été élu et avait touché son indemnité de député québécois et sa pension de député fédéral. Le journaliste du Journal de Québec (30 mai 2009) a vite réglé l’affaire : « Les rentes de retraite payées par les taxes et les impôts de contribuables devraient être versées à ceux qui prennent véritablement leur retraite ».
Un peu court comme solution. Cette question a été étudiée et il n’en est pas sorti de conclusion. Lucien Bouchard est resté seul dans la catégorie « simplicité volontaire » en renonçant à la pension fédérale qu’il avait bien méritée. Le premier ministre actuel a contourné le problème en obtenant de son parti qu’il arrondisse ses fins de mois.
Il y a déjà quelques députés qui cumulent leur indemnité et une retraite du secteur public sans susciter de scandale Et ce n’est pas tout. Que fait-on de ceux qui cumulent une pension de député et un salaire de maire, de conseiller ou de fonctionnaire municipal? Pas besoin de chercher longtemps pour en trouver. On leur impose la simplicité involontaire?
Il faudra s’y faire car les « vieux » sont de plus en plus jeunes; plusieurs retraités seront capables de travailler encore après 35 ans de loyaux services dans la fonction publique ou ailleurs, et ils n’iront pas tous vendre des clous chez Rona pour continuer de toucher le produit de leurs économies.
« Les Hurons respectent de la loi »
La construction de camps par les Hurons dans la réserve faunique des Laurentides soulève une problème d’équité entre les citoyens. Le grand chef des Hurons répond que ses administrés agissent « en toute légalité » (JQ, 7 avril 2009) sur la base des « droits constitutionnels » protégés par le « traité » de Murray!
Ce document reconnu comme un « traité » par des juges (qui n’en ont vu qu’une version tronquée) n’a pourtant établi aucun droit territorial et, en 20 ans, il n’a fait gagner aucune cause devant les tribunaux. Et il aurait pour effet de légaliser la construction de camps dans un espace public?
Fausse publicité gouvernementale
Il y a plusieurs décennies, un hôtelier de Saint-Jean-Port-Joli avait fait éditer une carte postale où on pouvait voir, sur le fleuve, derrière son établissement, des bateaux de croisière dignes des mers du Sud et, plus loin, des montagnes visiblement « importées »… Il n’inventait cependant rien en matière de publicité touristique.
Dans l’Ouest canadien, on a franchi un autre pas récemment : c’est le gouvernement albertain lui-même qui a utilisé un plage d’Angleterre dans une campagne publicitaire provinciale. C’est plus « vendeur » qu’un champ de sables bitumineux.
Des statistiques intrigantes
Comme tous les organismes qui cherchent à tirer de l’argent de l’État en exhibant des chiffres sur les retombées économiques qu’ils génèrent, le Festival d’été de Québec a soutenu récemment qu’il attirait chaque année 1,5 million de festivaliers dont 5% du « reste du monde », i.e. venant d’ailleurs que du Canada, des USA et de la France (JQ, 9 mai 2009).
Le Festival attirerait donc 75000 étrangers par année ou 7500 par jour. À deux par chambre, ils occuperaient à peu près tout ce que le Québec a de lits à louer. Il y a des sceptiques dans la salle.
Et les septiques?
Les médias sont pleins de textes sur la pollution ici et ailleurs dans le monde. Il faudrait avoir vécu en réclusion pour ignorer le b-a-ba de certains problèmes comme le recyclage, le sur-emballage, le smog des poêles à bois, les algues bleues, etc. Comment imaginer alors, en 2009, que des gens achètent un chalet au bord d’un lac « urbain » comme le lac Saint-Charles (qui sert de réserve d’eau à Québec) sans s’inquiéter au préalable de l’état des égouts?
Contraints d’acquitter une facture importante pour rendre leurs fosses septiques conformes à la réglementation municipale, des citoyens sont venus exposer leurs malheurs devant le conseil municipal. « Pas de bon sens », aurait dit le maire, selon un texte du Soleil (16 juin 2009) qui ne précise pas si monsieur Labeaume parlait de la facture ou des citoyens.
« Bodies of nobodies »
À Québec, la controverse sur l’exposition Bodies semble avoir fait long feu. Il y a bien eu quelques lettres ouvertes et des entrevues avec quelques éthiciens, selon qui ne devrait pas exposer des corps sans avoir obtenu un consentement de leur « propriétaire ».
Daniel Gélinas profite des retombées du 400e en matière d’immunité : dans son esprit, si personne ne proteste, c’est qu’il n’y a pas de problème… (JQ, 4 juin 2009). La seule chronique un peu critique sur Bodies est venue de Montréal (Pétrowski). Ici, la presse locale n’a pas « embarqué » et n’a pas révélé son meilleur jour dans ce dossier (Il faut préciser que Le Soleil est partenaire de l’exposition). Ainsi, la porte-parole du Festival d’été a pu affirmer sans rougir que les corps présentés dans Bodies venaient tous de l’Université chinoise de Dalian, en s’appuyant sur les « garanties » de Premier Exhibitions (une entreprise « cotée en Bourse », imaginez!), alors qu’on pouvait lire dans la colonne d’à côté que cette même entreprise avait été contrainte, par le procureur général de New York, de reconnaître que ses corps venaient du Bureau chinois de la police (Soleil, 2 juin 2009)…
En fait, l’entreprise n’en connaît pas vraiment l’origine. Des consentements? On peut parier que les fœtus exposés n’en ont pas donné.
Nationaliser la fête nationale?
Sans le savoir, peut-être, Alain Dubuc a exposé le problème fondamental de la fête nationale («Les ayatollahs de la québécitude », La Presse, 17 juin 2009) : « Le 24 juin n’est plus la fête du saint patron des Canadiens-français, mais la Fête nationale des Québécois. Pour un nombre croissant de gens, cela signifie que c’est la fête de tout le monde, y compris des allophones, y compris de la minorité anglophone. Le fait de les associer à la fête, même dans leur langue, est une mesure des progrès accomplis. »
Un progrès? Pour qui? Le 24 juin était autrefois une fête nationale au sens ethnique du terme, comme il en existe légitimement pour de nombreuses autres ethnies. Ce n’était pas une fête d’obligation pour les francophones et les anglophones s’en fichaient royalement tout en bénéficiant d’un congé. Une semaine plus tard, il y avait une fête civique pour les Canadiens avec un autre congé pour tous. Arrive le gouvernement Lévesque qui, en 1977, transforme la Saint-Jean en fête dite « nationale », tout heureux de rompre avec saint Jean-Baptiste et le Canada français.
Le 24 juin est ainsi devenu une fête civique, toujours organisée par les sociétés Saint-Jean-Baptiste ou sociétés nationales, mais désormais largement subventionnée afin de permettre la tenue des grands spectacles qui la caractérisent. On peut se demander d’ailleurs avec quel recul bon nombre de personnes sont intervenues dans le débat qui nous occupe depuis quelques jours : pour un nombre considérable de Québécois, le 24 juin a toujours été une fête civique.
Ceux qui n’avaient pas saisi la conséquence de la décision de 1977 ne peuvent la rater maintenant. Par une curieuse évolution des choses, ce qui était la fête des Canadiens français échappe maintenant aux francophones qui ne sont plus maîtres de leurs propres institutions nationales. On a « fait du chemin », selon Dubuc, qui souhaite aller plus loin et surtout pas s’obliger à culpabiliser les organisateurs de la fête chaque année pour les infléchir vers le multiculturalisme. Il demande au gouvernement Charest de retirer au Mouvement national des Québécois l’organisation de la fête nationale, sous prétexte qu’il s’y trouve trop de « militants » portés sur les « dérapages », la « pensée unique » et le « dogmatisme »? Quelle idée, en effet, de confier une fête nationale à des nationalistes?
Ainsi la boucle serait fermée : après avoir dépouillé la Saint-Jean de son sens fondamental, on en expulserait ceux qui l’organisent depuis 175 ans. Après le 400e anniversaire exproprié de 2008 (monsieur Dubuc s’en souvient-il?), c’est le 24 juin nationalisé.