« …pleurs et grincements de dents » (Mt 13,44-52)

L’expression est de saint Matthieu. Elle évoquait l’enfer dans son évangile, mais elle peut aussi bien décrire ce qu’on a vécu à Québec avec la mort de l’ancien maire Jean Pelletier.
Les éloges ont été quasi unanimes, à juste titre, car ce fut un maire remarquable par ses réalisations et son tempérament. C’était un homme déterminé qui n’y allait pas avec « le dos du gant de velours », pour utiliser un « péronisme » connu. Il savait où il allait et ceux qui venaient en sens inverse n’avaient qu’à s’écarter. Ceci dit, la ville de Québec lui doit beaucoup et il mérite tout ce qu’on a dit de lui sur ce plan.
Les entretiens qu’il a eus avec Gilbert Lavoie et que Le Soleil a publiés cette semaine ont cependant laissé un goût amer à de nombreux Québécois. Louis Bernard y a fait écho dans les médias. L’ancien maire raconte comment, voyant le OUI en avance de sept points, le premier ministre Chrétien a décidé de monter dans le ring en 1995, en se fichant « très franchement du comité du Non ». Et de la loi.
- … vous êtes-vous posé des questions sur le financement, demande le journaliste?
- Je ne m’en souviens pas. Dans la guerre, on ne se demande pas si les munitions sont payées, on les tire.
- Je veux dire le financement par rapport à la Loi référendaire.
- Non. Il y en a peut-être qui se sont posé ces questions-là, mais pas moi. Des ordres de marche, puis salut! Quand on est en guerre, on va-tu perdre le pays à cause d’une virgule dans la loi?
Fin de la citation.
Pour Jean Pelletier, les dispositions législatives régissant les élections et les consultations référendaires au Québec étaient des signes de ponctuation. Au siècle des Lumières, Voltaire appelait ça du « despotisme éclairé » .

Bonne année quand même!

Pour la deuxième année consécutive, le premier ministre du Québec a échangé les vœux du Nouvel An avec les citoyens. Il a souhaité faire une tradition de cet « événement » lancé au début de 2008; d’après le communiqué émis à cette occasion, c’était « la première fois qu’un premier ministre du Québec [ouvrait] les portes de l’Assemblée nationale pour accueillir les citoyens et échanger avec eux ».
Il n’y a pas seulement mon ordinateur qui « manque de mémoire vive »…
De simples sondages dans un quotidien « en ligne », gracieuseté de la Bibliothèque nationale (http://www.banq.qc.ca/portal/dt/collections/collection_numerique/archives/archives.jsp?categorie=6), permettent de retrouver de nombreuses cérémonies semblables dans le passé : Lesage au début des années soixante, Godbout en 1944, Taschereau en 1935… Dans ce dernier cas, on peut lire (L’Action catholique du 3 janvier) que le premier ministre Taschereau et le lieutenant-gouverneur ont reçu les vœux des Québécois au Parlement, le premier de l’An, « suivant la coutume ».
Une autre première à l’eau! Il faudra se contenter de « la relance d’une vieille tradition » délaissée par les premiers ministres « montréalais» depuis les années 1970.

2008 : l’anniversaire exproprié

(En guise de contribution au projet « 400 ans-400 blogues » (http://400ans400blogues.com/) et pour saluer la fin de l’année, ci-dessous la conclusion d’un article paru sous ce titre dans le numéro spécial que L’Action nationale a consacré au 400e de Québec en décembre 2008)

Le sens de la fête ? À chacun d’apporter le sien, a-t-on lancé aux Montréalais lors de l’opération séduction en mai. « I’m here to deliver a show », a déclaré le directeur général de la Société du 400e au magazine Macleans en juin. La dimension historique ? « Mais on écrit également l’histoire », a répondu le directeur général à Michel Vastel.
Quand le nouveau directeur général a pris la direction du 400e, le train était sur les rails ; il ne pouvait modifier les orientations fondamentales, même s’il l’avait voulu, et devait jouer « à l’intérieur de ses moyens », c’est-à-dire gérer efficacement le dossier des spectacles, sa spécialité. Les questions philosophiques avaient été réglées dans les limites des balises fixées par le gouvernement fédéral et sa nouvelle version de l’histoire du Canada : en fondant Québec, Samuel de Champlain a aussi fondé l’État canadien dont il a été le premier gouverneur et Michaëlle Jean est son successeur en ligne directe, nonobstant le lien qui manque entre Vaudreuil et Murray. En donnant un caractère canadien à 2008 (« pour l’avantage général du Canada », comme on disait des chemins de fer autrefois), le gouvernement fédéral s’est justifié d’investir 110 millions $ (incluant les infrastructures) dans les fêtes du 400e anniversaire : on ne pouvait donc pas « l’empêcher de participer aux célébrations », comme l’a rappelé la ministre des Relations internationales du Québec le 6 mai dernier…
L’année est partie sur un très mauvais pied, avec le spectacle du 31 décembre dernier, et il est peu probable qu’on s’y attarde dans les DVD commémoratifs qui raconteront leur histoire de 2008. Comme le soulignait Robert Laplante dans L’Action nationale en janvier dernier, « l’absolue médiocrité qui a empêché ce spectacle d’atteindre à la vérité artistique a tout simplement permis de révéler, en quelque sorte in absentia, ce qui faisait objet de censure : la culture québécoise, la vérité de la nation ».
Malgré un certain nombre de correctifs, 2008 a été essentiellement un party. La portion congrue réservée à la commémoration et à l’histoire s’est déroulée sous le signe de la rectitude politique et du multiculturalisme. Pour les concepteurs de 2008, la commémoration ne pouvait porter sur l’installation des Français à Québec et les origines d’une nation : il fallait que la fondation de Québec en 1608 soit l’œuvre commune des Amérindiens, des Français, des Britanniques…
Pas de place pour les couleurs ou les symboles identitaires des Québécois, pas d’argent pour rendre hommage aux pionniers (les familles-souches, les vieilles familles terriennes, les filles du roi), rien de particulier pour le 24 juin (pour ne pas faire d’envieux chez les organisateurs du 1er juillet). C’est pourtant la fête de la nation née en 1608.
L’anniversaire de 2008 a été dépouillé de son véritable sens et transformé en festival et en mini-exposition universelle. L’événement historique qui avait un fort potentiel identitaire pour les Québécois d’origine française et l’ensemble de la Franco-Amérique est devenu un simple prétexte à festivités. Le refus d’amener à Québec la sculpture qu’un Québécois a réalisée en France en hommage aux familles-souches de Québec est comme le symbole de cet anniversaire exproprié. L’œuvre s’intitule La Grande Vague, soit exactement ce qu’on a voulu prévenir.
(Pour lire le texte complet, voir L’Action nationale de décembre disponible dans les bonnes librairies de Québec)

« Mesdames, messieurs, vous formez notre Conseil des ministres. »

En avril 2007, la prestation de serment des ministres m’avait étonné : les observateurs acceptaient unanimement l’idée qu’un Conseil des ministres composé de 19 personnes (selon la liste officielle diffusée par le bureau du premier ministre et l’Assemblée nationale) puisse se diviser en deux parties égales. Dix-huit mois plus tard, l’arithmétique officielle étonne encore : même si le site Internet du premier ministre en donne une liste de 27, on lit partout que le Conseil des ministres compte 26 membres dont 13 hommes et 13 femmes. Où est le 27e ministre?
Une première hypothèse voudrait que les observateurs aient été confondus par une « comptabilité créatrice » mais on peut y voir aussi l’aboutissement d’une évolution que les politicologues observent depuis des décennies.
Le représentant de la Couronne s’entourait autrefois d’un Conseil exécutif dont il nommait les membres à son gré, sans tenir compte des élus. Puis, il en est venu à confier au chef de la majorité, le premier ministre, le soin de lui proposer un groupe de conseillers exécutifs. Au fil des ans, le rôle du lieutenant-gouverneur est devenu purement formel tandis que le pouvoir réel passait aux mains du premier ministre. Les mécanismes en sont bien connus : le lieutenant-gouverneur assermente automatiquement les ministres choisis par le premier ministre, une majorité disciplinée assure à ce dernier un parlement « efficace » et les nominations dont il a le contrôle lui confèrent une autorité plus grande que les gouverneurs d’antan sur l’appareil de l’État car elle s’étend sur les quatre niveaux du pouvoir (parlementaire, exécutif, administratif et judiciaire).
Progressivement, au cours du XXe siècle, le premier ministre est donc passé de primus inter pares (le premier parmi les pairs, au sein du Conseil exécutif) à une sorte de « monarque élu », un notion abstraite qui maintenant a pris forme. Le « monarque élu » s’est en quelque sorte incarné. La « parité » existe dans la mesure où le premier ministre ne se considère plus comme membre du Conseil (il y avait déjà belle lurette qu’il ne se garde plus de ministère à gérer). Comme les gouverneurs d’autrefois, le chef de l’exécutif s’adjoint maintenant un conseil dont le caractère est plus consultatif et moins collégial. On est donc revenu pas loin du départ.
Signe d’une autre évolution, un détail comme les aimaient autrefois les kremlinologues : sur la photo officielle du Conseil des ministres de 2007, le whip et le président du caucus ministériel occupaient les deux extrémités de la première rangée; cette année, ils figurent immédiatement aux côtés du premier ministre et du lieutenant-gouverneur, repoussant les dames (dont la vice-première ministre et la ministre de Finances) vers les extrémités. Est-ce un hasard si les titulaires (masculins) de ces deux fonctions partisanes, qui assistent aux séances du Conseil sans en être membres, occupent de meilleures places que les vrais ministres? Cette position stratégique en dit peut-être plus que la présumée « parité » sur la vraie nature du pouvoir.

Premier député « élu sous une bannière de gauche » ?

« Jamais un candidat d’un parti de gauche n’a été élu au Québec », pouvait-on lire dans La Presse du 10 décembre (« Les deux têtes de Québec solidaire »). « Amir Khadir est le premier candidat de gauche élu sous une bannière de gauche », précisait un autre texte (« Khadir : une première ou un accident ? »). « À part l’élection d’un communiste au fédéral dans l’après-guerre, c’est la première fois qu’un candidat clairement de gauche qui défend des idées clairement de gauche est élu », renchérissait un politicologue émérite de l’UQAM : « C’est sans précédent dans les élections québécoises ». Vraiment ?
En juin 1944, un organisateur syndical de 29 ans, David Côté, était élu dans Rouyn-Noranda sous étiquette CCF (Co-operative Commonwealth Federation), un parti politique canadien fondé en 1932, à Calgary, par des militants socialistes, des groupes syndicaux, coopératifs, agricoles ainsi que la Ligue pour la reconstruction sociale, un groupe d’intellectuels socialistes. Ancêtre du NPD, ce parti prônait la constitution d’une économie mixte, par la nationalisation d’industries importantes, et la création d’un État providence, par la mise en place de mesures sociales universelles, comme les régimes de pension, les programmes d’assurance maladie et de sécurité sociale, les allocations familiales, l’assurance-chômage, les mesures d’indemnisation des travailleurs et d’autres mesures du même ordre.
Le programme de la CCF peut paraître bien tiède aujourd’hui mais, à l’époque, ses promoteurs étaient souvent qualifiés de « communistes ». Quelques semaines avant les élections québécoises, la CCF avait pris le pouvoir en Saskatchewan sous la direction de T. C. Douglas. Ce premier gouvernement socialiste en Amérique du Nord allait mettre en place des programmes que d’autres adopteront beaucoup plus tard, notamment dans le domaine des services sociaux.
Aux élections de 1944, la CCF présente 24 candidats (il y a aussi un CCF indépendant) et obtient 2,5 % des voix. Côté profite d’une exceptionnelle division des voix ; il en recueille 2100, soit 21 % des suffrages, ses cinq principaux adversaires (bloquiste, unioniste, créditiste, libéral et libéral indépendant) obtenant chacun entre 1100 et 1900 voix.
Né à Saint-Henri, en 1915, Côté avait fréquenté l’école de l’orphelinat de Nicolet et, au moment de son élection, il travaillait dans la région de Rouyn pour des syndicats rattachés au Congress of Industrial Organizations (CIO). Il siège comme indépendant à partir de 1945 et ne se représente pas en 1948. Il meurt à Montréal en 1969.
Ce militant syndical abitibien issu du milieu ouvrier était-il moins « clairement de gauche », dans le contexte de 1944, que le médecin spécialiste de 2008 qui vit dans une « maison cossue de la rue Saint-Hubert, au coeur du Plateau »?