Jean-Simon Gagné a frappé juste avec sa chronique sur les projets de construction dans le Vieux-Québec («Promesses d’ivrogne», Le Soleil, 28 septembre): « Un promoteur veut ériger un édifice moderne à l’intérieur du périmètre historique? Hips! D’accord pour cette fois. Après, c’est fini. Un bâtiment aura quelques étages de plus que la limite autorisée? Hips! On fera une entorse au règlement, même si on avait promis de ne plus faire ce genre de chipotage. [...] Un projet immobilier est mené sans trop de consultations publiques? Hips! Toutes nos excuses. On ne le referra plus. Promis, juré. Hips! Jusqu’à la prochaine».
Ce point de vue tranche avec celui de son président de corporation qui a cependant soulevé un aspect intéressant, soit l’imposture des croquis d’architecte offerts en pâture aux administrateurs municipaux trop crédules.
Je me souviens des croquis montrant le projet de stationnement du carré d’Youville. On aurait juré une reconstitution des jardins de Babylone. L’auteur du croquis semblait avoir réalisé son oeuvre debout sur le toit de l’édifice d’en face. Ce n’est évidemment pas ce que le piéton normal a vu par la suite et peut encore admirer aujourd’hui.
Cette fois, le croquis montre une fontaine, qui ne pourra tout de même pas remplacer l’arrêt d’autobus, et une calèche, à un endroit où il n’en circule pas, sauf peut-être pour l’aller-retour vers l’écurie. C’est avec ce matériel publicitaire qu’on vend le projet aux administrateurs municipaux? Et l’enveloppe extérieure de l’édifice qui fait le coin, on dit qu’elle sera intégralement préservée? Il faut immédiatement prendre des photos.
Dans ce dossier qui touche une place importante (mais malheureusement déjà passablement massacrée du côté ouest), je suis étonné de la discrétion du ministère de la Culture qui s’acharne pourtant à préserver les ruines du patro Saint-Vincent-de-Paul. Étonné aussi qu’on ne réponde pas au promoteur du projet du Capitole comme on le fait aux artistes qui déplorent les coupures fédérales: « Si vos affaires ne sont pas assez payantes dans les conditions (normes) actuelles, faites autre chose ».
Pas de vague
La Grande vague, cette oeuvre monumentale de l’artiste québécois Marc Lincourt, ne se rendra pas à Québec. La ville n’aurait plus les ressources pour assumer le frais de la traversée et la Société du 400e semble vouloir garder ses fonds de tiroir pour finir l’année sur un mode festif.
L’œuvre de Marc Lincourt évoque une gigantesque vague de 10 mètres de long composée de 400 livres portant chacun le nom d’une famille venue en Nouvelle-France. Elle a suscité une vive émotion chez certains membres de la délégation québécoise officielle (dont l’épouse du chef des Hurons) qui l’ont vue à Brouage en mai et elle a été l’un des grands succès des célébrations du 400e en France.
Cette œuvre réalisée en hommage aux familles-souches ne viendra pas dans la ville qui se targue d’être le berceau de l’Amérique française : est-on surpris? Avant même le début des fêtes, quand la Société du 400e a refusé de donner du lustre au 24 juin 2008, d’honorer les anciennes familles terriennes, d’appuyer les projets des familles-souches (qui ont vu avorter l’exposition qui leur était dédiée au Musée de la Civilisation et se sont retrouvés avec une participation – payante – à marathon…), pour ne citer que ces exemples, on avait compris que l’émotion et la fierté des descendants des compagnons de Champlain, qui forment maintenant une nation, ne faisaient pas partie des priorités du 400e de ce côté-ci de l’Atlantique. Le mot-clé était plutôt « pas de vague ».
Une femme assaillie
L’ex-copine de l’ex-ministre beauceron a eu beau se couvrir littéralement jusqu’au cou, elle a monopolisé l’attention à la réception donnée pour souligner les 50 ans de l’éditeur qui l’a séduite, la bien-nommée maison des « Éditions de l’Homme ». D’après le reportage du Journal de Montréal, « tous les regards se sont tournés » quand elle s’est présentée « vêtue d’une robe saillante [sic] noire », comme le précise le texte et un bas de vignette.
Une tenue « seyante » n’aurait évidemment pas attiré les flashs et les caméras, mais une robe « saillante » éveille naturellement la curiosité. On présume que la journaliste n’a pas voulu évoquer les saillies littéraires (« traits d’esprit brillants ») ou vétérinaires (« de salire, couvrir une femelle »). Mais aurait-elle eu à l’esprit les structures architecturales qui s’avancent, débordent ou dépassent, comme un « balcon qui saille »?
Peut-être aussi que le chef de pupitre s’est bien amusé. Ça arrive.
Seulement de bien belles images : dommage!
La plupart des gens qui ont vu le Moulin à images ont justement vu… des images, des images qu’ils n’avaient probablement jamais vues, mais n’ont pas appris grand chose qu’ils ne connaissaient pas. « C’est beau, mais qu’est-ce que c’est? C’est qui, ce personnage? », se sont demandé bien des Québécois devant les images qui défilaient à vive allure: que dire alors des visiteurs et des touristes?
Bien sûr, les Québécois ont reconnu leurs classiques, de Champlain à Chez Gérard, du pont de Québec à la Dominion Corset, mais ces personnages qu’ils ont vu défiler en rafale, ces centaines de photos, de portraits et de statues, auraient été des Albertains qu’ils n’auraient pas fait de différence.
La presse a été élogieuse, à juste titre, car le Moulin est une idée de génie parfaitement réalisée, un chef- d’œuvre de technique et d’infographie. Robert Lepage a livré ce qu’il avait annoncé, une vision impressionniste de l’histoire de Québec; ce sont les porte-parole du 400e qui, en fin de juin, soulagés de voir enfin un projet bien reçu, se sont empressés de présenter cette oeuvre artistique comme la réponse définitive à ceux qui estimaient que 2008 manquait de contenu historique.
Plusieurs auraient souhaité une narration, des explications, et le livre qui est sorti des presses en août (Nicolas Ruel, Le Moulin à images, Robert Lepage inc./Ex Machina, 90 pages) aurait pu répondre à leur souhait mais il ne contient lui aussi que des images. Aucun texte explicatif, sauf sur des aspects techniques.
Cette absence a été qualifiée de « bémol » par le critique du Soleil (« Le Moulin à rêver », 24 août 2008). Le commentaire est généreux : peut-être faudrait-il parler de fausse note. Les images du livre sont à la mesure du Moulin mais, depuis le temps qu’on travaille sur ce projet, il n’aurait pas été difficile (et surtout pas coûteux) d’ajouter quelques bas de vignettes qui auraient donné une valeur supplémentaire à la publication. On a voulu profiter de la vague? Éviter de donner prise à des critiques sur le contenu historique? Tous ne partagent pas l’enthousiasme de François Bourque (« À la prochaine… », Le Soleil, 8 septembre 2008) pour qui le contenu du Moulin est « inattaquable » et « hors d’atteinte des critiques » : au fait, y a-t-il quelqu’un qui en a fait une analyse sérieuse sur le plan historique mais, d’abord, comment critiquer une vision impressionniste?
On s’y remettra peut-être l’an prochain. En attendant, ce livre servira de carte de visite à Ex Machina pour vendre son savoir-faire à des clients qui seront sûrement, eux aussi, impressionnés par les images. Et ne se soucient guère des bas de vignettes.
Peut-on être député à temps partiel?
(Commentaire sur la chronique de Gilbert Lavoie, « La triple assiettée d’Arthur », Le Soleil, 30 août)
En cumulant ses fonctions de député et celles de journaliste, de conducteur d’autobus et d’annonceur, le député indépendant de Portneuf-Jacques-Cartier à la Chambre des communes n’est évidemment pas dans l’illégalité, juste en rupture d’éthique.
Pendant 30 ans, au Parlement, j’ai entendu les députés justifier les hausses de traitement en invoquant une surcharge de travail: un tue-monde, une machine à divorces, l’éducation des enfants au téléphone, deux ou trois douzaines de municipalités à materner, autant de clubs de l’âge d’or à visiter et quoi encore! Que certains d’entre eux aient de la disponibilité pour continuer l’exercice d’une profession en parallèle m’a toujours étonné : que dire lorsqu’il y en a trois!
Bien sûr, la charge de travail est inégale. D’après ce que j’en ai retenu, les boîtes à lettres ne débordaient pas dans certaines circonscriptions montréalaises et le tapis ne devait pas user vite dans le « bureau de comté » de Jean-Talon. Si on examinait attentivement les exemples de cumul que monsieur Lavoie cite, on verrait probablement qu’il s’agit de « petites » circonscriptions pas très exigeantes pour leur représentant. Les députés-médecins qu’il mentionne n’avaient peut-être pas beaucoup de patients.
Comment le député indépendant de Portneuf-Jacques-Cartier peut-il desservir adéquatement les 70000 électeurs d’une grande circonscription rurale qui comprend une trentaine de municipalités en travaillant à temps partiel? La charge est moins exigeante pour les députés fédéraux? Pourquoi alors sont-ils mieux payés qu’à Québec?
Le député peut faire ce qu’il veut de ses loisirs mais, s’il a autant du temps libre, n’est-ce pas parce qu’il se désintéresse de son rôle de surveillant de l’administration publique, lui qui était pourtant si critique au sujet de la bureaucratie autrefois? La tâche du député-contrôleur est infinie. C’est un peu comme celle d’un journaliste qui se consacre vraiment à sa profession, le genre Vastel, par exemple, qui n’aurait pas pu faire du taxi les fins de semaines. Le député de Portneuf dispose de ressources (budget de recherche, services professionnels de la bibliothèque du Parlement, etc.) pour fouiller n’importe quel recoin de l’administration publique et, en tant que député indépendant (ce qu’il est théoriquement), il a beaucoup plus de latitude que les autres, surtout les ministériels, pour « brasser la cage », comme il l’avait d’ailleurs promis.
S’il n’aime pas la période des questions, rien ne l’empêche de prendre les bouchées doubles en commission. Pourquoi préfère-t-il consacrer ses énergies ailleurs, sinon pour l’appât du gain ou en signe de désintérêt pour le mandat qui lui a été confié?