Tous les articles par Gaston Deschênes

Devise du Québec : la légende court toujours

(Ce texte reprend une bonne partie d’une note publiée le 15 mars 2009 — https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2009/03/la_devise_du_quebec_selon_son.php)
La légende qui circule au sujet de l’origine et de la signification de la devise du Québec est comme la mythologique hydre de Lerne; on croit lui avoir coupé une tête (elle en avait plusieurs), il en repousse deux. Accouplée avec cet autre monstre que constitue Internet, elle devient quasi indestructible.
Prenant le relais du premier ministre, qui avait propagé la légende jusqu’au Japon en 2005 avant de la répéter devant Sarkozy en 2008, le président de l’Assemblée nationale a invité ses collègues jeudi dernier « à réfléchir sur ce mot d’Eugène-Étienne Taché: Je me souviens d’être né sous le lys et d’avoir grandi sous la rose », expression dont nous aurions « conservé le Je me souviens », pour en faire la devise du Québec.
Cette interprétation n’a pas de fondement historique. Il serait trop long de démontrer ici que la devise du Québec n’a jamais compris que trois mots, « Je me souviens » et que son concepteur ne lui a pas donné de complément car son emplacement original, au-dessus de la porte de l’Hôtel du Parlement, lui donnait tout son sens. Ceux et celles que le sujet intéresse trouveront une étude sur cette question dans l’encyclopédie virtuelle Agora (depuis 2001), étude reproduite dans Le Parlement de Québec (Multi-Mondes, 2005) et résumée dans L’Action nationale (2001), Québecensia (2003), L’héraldique au Canada (2005), le Bulletin d’histoire politique (2006), The Beaver (2008), L’encyclopédie canadienne (2010) et récemment dans L’encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française (http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-518/La_devise_québécoise_«Je_me_souviens».html), le tout sans susciter la moindre réplique. Ni convaincre aux plus hauts niveaux, visiblement.
Un texte publié précédemment dans Le Devoir, en 1994 s’appuyait sur les propos d’un fonctionnaire francophone de Québec, Ernest Gagnon. La démonstration s’est ensuite enrichie d’un témoignage qui devrait mieux convaincre, celui d’un avocat anglophone de Montréal, David Ross McCord (fondateur du McCord Museum), qui écrivait ceci dans un cahier de notes, vers 1900, sous le titre « French sentiment in Canada » :
« However mistaken may be the looking towards France as a desintegrating factor operating against the unification of the nation – it may be perhaps pardonable – no one can gainsay the beauty and simplicity of Eugene Taché’s words « Je me souviens ». He and Siméon Lesage have done more than any two other Canadians towards elevating the architectural taste in the Province. Is Taché not also the author of the other motto – the sentiment of which we will all drink a toast – « Née dans les lis, je croîs dans les roses ». There is no desintegration there. »
La première phrase de cette citation a posé de la difficulté aux traducteurs consultés mais il serait possible de la rendre ainsi: « Aussi mal avisé que soit cet attachement à la France comme facteur de désintégration jouant contre l’unité nationale – c’est peut-être pardonnable –, personne ne peut nier la beauté et la simplicité du « Je me souviens » d’Eugène Taché. Siméon Lesage et lui ont fait plus que quiconque au Canada pour une architecture de qualité dans la province. D’ailleurs, Taché n’est-il pas aussi l’auteur de l’autre devise, « Née dans les lis, je croîs dans les roses », à laquelle nous lèverons tous nos verres. Il n’y a rien là pour favoriser la désunion ».
Ce passage à lui seul prouve sans l’ombre d’un doute que « Je me souviens » (créée vers 1880) et « Née dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » (créée vers 1900 et recyclée sur la médaille du tricentenaire de Québec) sont deux devises DISTINCTES et ne constituent pas un « poème » de Taché, comme plusieurs le prétendent. Mieux encore, ce texte prouve que les deux devises ont un SENS DIFFÉRENT et que la seconde ne peut donc expliquer la première. Enfin, on devine aisément que monsieur McCord est ennuyé par « Je me souviens » et qu’il préfère « l’autre devise » car elle traduit mieux ses opinions politiques.
Il est inutile de chercher l’origine ou l’auteur du poème-fantôme d’où viendrait la devise du Québec; il faut plutôt se demander dans quelles circonstances et par qui, après la mort de Taché, ces deux devises ont été rattachées pour donner une proposition bâtarde — « Je me souviens que, né dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » — et créer une légende urbaine qui court depuis plusieurs décennies, particulièrement dans la presse anglophone, et dénature la devise du Québec.

« Moi vouloir subvention culture »

Le gouvernement du Québec vient d’annoncer la création d’un fonds « pour le développement de projets d’envergure en culture ». Plusieurs secteurs de « l’industrie culturelle » pourront en bénéficier : spectacles, cinéma, livre, jeux vidéo, etc.
« Privilégier l’exportation de la culture québécoise, devenir le nouvel instrument par lequel les créateurs agrandiront leurs champs d’opportunités [sic], permettre l’émergence de nouveaux joueurs, de nouveaux créateurs sont les principaux objectifs qu’entend poursuivre le Fonds », selon ce qu’on peut lire dans le communiqué émis par la SODEC qui détiendrait 60% du capital de 100M$, le reste étant fourni par le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec.
Les fonds sont à la mode. Québec en a créé plusieurs : Fonds de la recherche sur la société et la culture, Fonds du patrimoine culturel québécois, Fonds de lutte contre la pauvreté, Fonds de conservation et d’amélioration du réseau routier, Fonds de la recherche en santé, Fonds de la recherche sur la nature et les technologies, etc.
Celui dont on vient d’annoncer la création se distingue déjà… par son indigence linguistique : il s’appelle «Fonds capital culture Québec»…
Autrefois, quand la rectitude politique ne nous avait pas encore aseptisés, on aurait pu parler de langage « petit nègre ». Ou plus précisément de « petit nègre blanc d’Amérique »…
On dira donc simplement que ce sont des mots français servis à la mode anglaise, en souhaitant que la loi qui viendra concrétiser cette intention gouvernementale corrige aussi ce nom bâtard.

L’affaire Michaud: le dernier carré

Dix ans après le coup de 2000, le député de d’Arcy-McGee a présenté une autre motion dénonçant des « propos » antisémites. Quels propos? On ne le sait pas plus qu’il y a dix ans. Même en lisant tous les quotidiens, il est difficile de cerner exactement de quoi il est question. Tous ceux qui écrivent sur Vigile sont maintenant suspects. Seule l’Assemblée nationale peut se permettre ce genre d’atteinte à la réputation sans prendre la peine d’énoncer les propos présumés répréhensibles, simplement pour marquer des points au Salon bleu..
La bonne nouvelle est que cet incident permet d’allonger la liste des repentants dans l’affaire Michaud. En effet, dans le point de presse qu’il a donné pour expliquer pourquoi son parti avait refusé d’appuyer la motion, le leader parlementaire du PQ a implicitement reconnu que la motion adoptée contre Yves Michaud en 2000 était une erreur, comme en font foi les extraits suivants :
« M. Bédard : …On dit souvent : la sagesse, c’est la somme des erreurs jamais commises deux fois, là. On fait référence à des textes que là je n’ai pas lus, que je n’ai vus. On ne fait pas référence à des propos particuliers, … j’espère que, sur un sujet aussi sensible, aussi important pour notre société que la condamnation justement de l’antisémitisme, des propos haineux en général, qu’on n’utilise pas ça encore une fois de façon grossière, éhontée…
M. Robitaille (Antoine) : Vous craignez une autre affaire Michaud, soyons clairs, là.
M. Bédard : … on a appris une chose, … à l’Assemblée, on n’est pas un tribunal. On ne peut pas condamner un individu, … Il y a des lieux pour ça et, si des gens ont tenu des propos haineux, il y a des tribunaux pour les condamner. »

De tous les parlementaires actuels qui ont voté en 2000, il n’y aurait donc plus que des libéraux qui refusent de s’amender. Et il n’y a vraisemblement rien à attendre de ce côté, malgré l’injustice évidente (et quoi qu’ils en pensent au fond d’eux-mêmes), tant que celui qui est à l’origine de l’affaire sera encore à la tête du parti.
« Discipline as usual », comme ils disent.

Le sur-financement de l’universitaire

Contrairement à l’ancienne Commissaire à l’intégrité (sic) du secteur public, qui a pris prématurément sa retraite avec promesse de ne rien dévoiler sur les circonstances de son départ et sa prime de départ d’au moins 400 000 $, le nouveau recteur de l’Université Concordia ne manque pas de transparence : il a demandé que son contrat soit rendu public (http://www.concordia.ca/about/administration-and-governance/president/contract/Concordia-FL-Employment-Agreement%20Signed.pdf).
En fait, le nouveau recteur de Concordia est un recteur retraité recruté sur une base intérimaire dans le but de sortir l’institution du bourbier où elle s’est trouvée à la suite du départ de la dernière titulaire, dans des circonstances nébuleuses mais avec une prime de 703 000 $ (deux ans de salaire), ladite titulaire ayant brièvement succédé au recteur « sortant » parti avec une indemnité de 1,3M$. Ce n’est pas l’UNIVERSité pour rien: sky is the limit.
On comprend que Concordia avait besoin d’un sauveur mais celui-ci allait quitter Montréal et avait pratiquement conclu l’achat d’une nouvelle résidence à l’extérieur du Québec, Qu’à cela ne tienne: Concordia a acheté le condo montréalais qu’il avait mis en vente (une valeur d’un million de dollars) pour lui permettre de respecter ses engagements dans l’autre transaction.
La bienveillante transparence du nouveau recteur permet aux contribuables de se mettre à jour sur les mœurs administratives de nos universités. L’ancien-nouveau recteur touchera un salaire annuel de 350 000 $ (soit deux fois le salaire du premier ministre), ce qui ne lui permettra visiblement pas de joindre les deux bouts, d’où la nécessité de quelques suppléments dont une allocation annuelle de 36 000 $ pour se loger (dans son ancien condo… qui pourrait servir à des « university-related events »), une allocation pour automobile de 14 400 $ (le condo qu’on lui offre, pour un loyer non divulgué, est à environ un mille de l’université…), plus le remboursement de ses dépenses pour l’immatriculation, les assurances et l’entretien du véhicule, une « annual professional development or scholarly research allowance » de 5 000 $ (pour payer sa liaison Internet?), deux « club memberships »… Le contrat permet au recteur d’accepter des mandats de consultation mais ne précise pas s’il peut aussi continuer de toucher sa pension.
Malheureusement, le recteur devra payer son « gaz ». Il n’a pas d’allocation de vêtement, mais les dépenses de sa conjointe seront remboursées si sa présence est requise à des activités reliées aux fonctions rectorales, ce qui pourrait bien comprendre quelques fringues de circonstance.
Les conditions d’embauche de ce recteur sont-elles plus « libérales » que celles de ses pairs? À voir avec quel empressement son collègue de l’université Laval a fait ajuster son revenu l’an dernier, on peut être certain qu’ils visent tous la moyenne. Il faut retenir ces personnages de grande valeur, dit-on. Qu’on en trouve deux anciens sur l’arrière-banc du Parlement est une autre question.
Dans l’évaluation des conditions d’embauche des recteurs, il faut comprendre que leurs fonctions ne sont plus qu’accessoirement liées à la direction intellectuelle de l’université. Pour les fins du financement des institutions qu’ils dirigent, les recteurs frayent maintenant davantage avec les grandes entreprises industrielles et financières qu’avec les milieux savants. Aussi en adoptent-ils la « culture ». Leur salaire est encore loin de ceux des gérants de banque (qui au moins exhibent des profits), mais ils ne peuvent tout de même pas habiter un 5 et demi dans Hochelaga, rouler en Corolla louée à 4 000 $ par an et côtoyer la « haute finance » avec une conjointe habillée chez Winners.

Chambres des Communes, 2, Ligue nationale, 0

La fonction de commissaire de la Ligue nationale et celle de président des Communes ont-elles des points communs? Dans les deux cas, les titulaires ont la laisse courte. Le président de la Ligue doit ménager les hommes d’affaires qui possèdent les clubs et les vedettes, celui des Communes marche sur des œufs lorsque se pointe une possibilité de conflit avec le parti qui l’a mis sur son siège et qu’il doit juger le comportement des stars qui composent le cabinet. Daniel Johnson disait que le speaker devait protéger sa droite.
Les décisions rendues par le président des Communes cette semaine constituent donc un fait rare. À deux reprises, ce qui est probablement sans précédent, il a jugé le gouvernement Harper coupable d’outrage au Parlement. M. Milliken a décidé que le gouvernement n’avait pas respecté les règles en refusant de dévoiler les documents sur les coûts réels de baisses d’impôt sur les sociétés et sur les coûts des différents projets de loi sur la justice. Il a ensuite conclu que la ministre Bev Oda avait menti aux parlementaires au sujet de la subvention refusée au groupe Kairos.
Le commissaire de la Ligue nationale n’est pas rendu là. Par la voix de son vice-président, il a exonéré le défenseur vedette Chara de tout blâme dans « l’incident » qui a failli paralyser Pacioretty.
Il faut relire le commentaire de monsieur Murphy pour réaliser à quel point la direction de la Ligue vit dans un autre monde, « est ailleurs », pour utiliser une expression à la mode à Québec.
Citation : « Ce coup est le résultat d’un jeu qui s’est déroulé très rapidement, avec les deux joueurs qui patinaient dans la même direction, et avec Chara qui tentait de rediriger son adversaire contre la bande ». (Les gens qui ne connaissent pas trop le hockey saisiront mal comment on peut aller dans la même direction (vers la rondelle, en principe) et se frapper, sans enfreindre le règlement, s’ils ignorent qu’il est « toléré » dans cette ligue de « compléter sa mise en échec », c’est-à-dire frapper un joueur qui n’a plus la rondelle.)
Citation : « Je n’ai pu trouver une preuve qui laissait croire […] que Chara a visé la tête de son adversaire… » (C’est probablement la main de Dieu qui a tenu la tête du joueur dans la direction du poteau comme on peut le voir sur la photo d’Éric Bolté publiée dans le Journal de Québec du 13 mars).
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Citation : « …, qu’il a sauté pour donner une mise en échec qui pourrait être jugée dangereuse. » (Le v.-p. ignore que Chara mesure 6 pieds 9 pouces.)
Citation : « C’est un jeu qui a mené à une blessure, à cause d’un joueur qui a frappé la baie vitrée, et qui a ensuite frappé la glace ». (Dans la comptabilité de la NHL, la commotion de Pacioretty sera placée dans la colonne Accidents car sa tête a frappé la glace; elle sera donc exclue des statistiques sur les coups dangereux.)
Citation : « En revoyant ce jeu, j’ai aussi pris en considération le fait que Chara n’a jamais été impliqué dans un incident qui a mené à une suspension en 13 ans de carrière. » (C’est la meilleure : la prochaine fois que Chara sera impliqué dans une affaire similaire, on pourra dire encore qu’il n’a jamais été suspendu et, avec de tels raisonnements, il ne le sera jamais. Peut-être faut-il comprendre plutôt que son geste serait pire s’il avait déjà été suspendu. Dans cette ligue, on ne juge pas les actes mais les hommes.)
Dans le chapitre « Nous prennent-ils pour des valises! », il faut citer Chara lui-même qui soutient ne pas avoir réalisé que le joueur frappé était Pacioretty. Quatre secondes avant le choc, Chara attend la mise au jeu à la ligne bleue; Pacioretty est en face de lui, à environ 10 mètres. À la mise au jeu, la rondelle passe entre l’ailier et le défenseur et roule vers la bande. Les jeux joueurs patinent en sa direction et Pacioretty lui touche à peine avant d’être frappé. Chara est un joueur-vedette de 13 ans d’expérience, capitaine du club, et il n’aurait pas noté l’identité des joueurs qui lui faisaient face à la mise au jeu, particulièrement son vis-à-vis, celui qu’il avait justement à surveiller?
Le commissaire de la Ligue nationale de hockey affirme pour sa part que la blessure subie par Pacioretty est horrible, mais que « cela fait partie du jeu ». C’est là qu’il se distingue du président des Communes qui a décidé cette semaine que le mensonge n’en faisait pas partie. Quoi qu’en pense le premier ministre.