Tous les articles par Gaston Deschênes

Le sur-financement de l’universitaire

Contrairement à l’ancienne Commissaire à l’intégrité (sic) du secteur public, qui a pris prématurément sa retraite avec promesse de ne rien dévoiler sur les circonstances de son départ et sa prime de départ d’au moins 400 000 $, le nouveau recteur de l’Université Concordia ne manque pas de transparence : il a demandé que son contrat soit rendu public (http://www.concordia.ca/about/administration-and-governance/president/contract/Concordia-FL-Employment-Agreement%20Signed.pdf).
En fait, le nouveau recteur de Concordia est un recteur retraité recruté sur une base intérimaire dans le but de sortir l’institution du bourbier où elle s’est trouvée à la suite du départ de la dernière titulaire, dans des circonstances nébuleuses mais avec une prime de 703 000 $ (deux ans de salaire), ladite titulaire ayant brièvement succédé au recteur « sortant » parti avec une indemnité de 1,3M$. Ce n’est pas l’UNIVERSité pour rien: sky is the limit.
On comprend que Concordia avait besoin d’un sauveur mais celui-ci allait quitter Montréal et avait pratiquement conclu l’achat d’une nouvelle résidence à l’extérieur du Québec, Qu’à cela ne tienne: Concordia a acheté le condo montréalais qu’il avait mis en vente (une valeur d’un million de dollars) pour lui permettre de respecter ses engagements dans l’autre transaction.
La bienveillante transparence du nouveau recteur permet aux contribuables de se mettre à jour sur les mœurs administratives de nos universités. L’ancien-nouveau recteur touchera un salaire annuel de 350 000 $ (soit deux fois le salaire du premier ministre), ce qui ne lui permettra visiblement pas de joindre les deux bouts, d’où la nécessité de quelques suppléments dont une allocation annuelle de 36 000 $ pour se loger (dans son ancien condo… qui pourrait servir à des « university-related events »), une allocation pour automobile de 14 400 $ (le condo qu’on lui offre, pour un loyer non divulgué, est à environ un mille de l’université…), plus le remboursement de ses dépenses pour l’immatriculation, les assurances et l’entretien du véhicule, une « annual professional development or scholarly research allowance » de 5 000 $ (pour payer sa liaison Internet?), deux « club memberships »… Le contrat permet au recteur d’accepter des mandats de consultation mais ne précise pas s’il peut aussi continuer de toucher sa pension.
Malheureusement, le recteur devra payer son « gaz ». Il n’a pas d’allocation de vêtement, mais les dépenses de sa conjointe seront remboursées si sa présence est requise à des activités reliées aux fonctions rectorales, ce qui pourrait bien comprendre quelques fringues de circonstance.
Les conditions d’embauche de ce recteur sont-elles plus « libérales » que celles de ses pairs? À voir avec quel empressement son collègue de l’université Laval a fait ajuster son revenu l’an dernier, on peut être certain qu’ils visent tous la moyenne. Il faut retenir ces personnages de grande valeur, dit-on. Qu’on en trouve deux anciens sur l’arrière-banc du Parlement est une autre question.
Dans l’évaluation des conditions d’embauche des recteurs, il faut comprendre que leurs fonctions ne sont plus qu’accessoirement liées à la direction intellectuelle de l’université. Pour les fins du financement des institutions qu’ils dirigent, les recteurs frayent maintenant davantage avec les grandes entreprises industrielles et financières qu’avec les milieux savants. Aussi en adoptent-ils la « culture ». Leur salaire est encore loin de ceux des gérants de banque (qui au moins exhibent des profits), mais ils ne peuvent tout de même pas habiter un 5 et demi dans Hochelaga, rouler en Corolla louée à 4 000 $ par an et côtoyer la « haute finance » avec une conjointe habillée chez Winners.

Chambres des Communes, 2, Ligue nationale, 0

La fonction de commissaire de la Ligue nationale et celle de président des Communes ont-elles des points communs? Dans les deux cas, les titulaires ont la laisse courte. Le président de la Ligue doit ménager les hommes d’affaires qui possèdent les clubs et les vedettes, celui des Communes marche sur des œufs lorsque se pointe une possibilité de conflit avec le parti qui l’a mis sur son siège et qu’il doit juger le comportement des stars qui composent le cabinet. Daniel Johnson disait que le speaker devait protéger sa droite.
Les décisions rendues par le président des Communes cette semaine constituent donc un fait rare. À deux reprises, ce qui est probablement sans précédent, il a jugé le gouvernement Harper coupable d’outrage au Parlement. M. Milliken a décidé que le gouvernement n’avait pas respecté les règles en refusant de dévoiler les documents sur les coûts réels de baisses d’impôt sur les sociétés et sur les coûts des différents projets de loi sur la justice. Il a ensuite conclu que la ministre Bev Oda avait menti aux parlementaires au sujet de la subvention refusée au groupe Kairos.
Le commissaire de la Ligue nationale n’est pas rendu là. Par la voix de son vice-président, il a exonéré le défenseur vedette Chara de tout blâme dans « l’incident » qui a failli paralyser Pacioretty.
Il faut relire le commentaire de monsieur Murphy pour réaliser à quel point la direction de la Ligue vit dans un autre monde, « est ailleurs », pour utiliser une expression à la mode à Québec.
Citation : « Ce coup est le résultat d’un jeu qui s’est déroulé très rapidement, avec les deux joueurs qui patinaient dans la même direction, et avec Chara qui tentait de rediriger son adversaire contre la bande ». (Les gens qui ne connaissent pas trop le hockey saisiront mal comment on peut aller dans la même direction (vers la rondelle, en principe) et se frapper, sans enfreindre le règlement, s’ils ignorent qu’il est « toléré » dans cette ligue de « compléter sa mise en échec », c’est-à-dire frapper un joueur qui n’a plus la rondelle.)
Citation : « Je n’ai pu trouver une preuve qui laissait croire […] que Chara a visé la tête de son adversaire… » (C’est probablement la main de Dieu qui a tenu la tête du joueur dans la direction du poteau comme on peut le voir sur la photo d’Éric Bolté publiée dans le Journal de Québec du 13 mars).
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Citation : « …, qu’il a sauté pour donner une mise en échec qui pourrait être jugée dangereuse. » (Le v.-p. ignore que Chara mesure 6 pieds 9 pouces.)
Citation : « C’est un jeu qui a mené à une blessure, à cause d’un joueur qui a frappé la baie vitrée, et qui a ensuite frappé la glace ». (Dans la comptabilité de la NHL, la commotion de Pacioretty sera placée dans la colonne Accidents car sa tête a frappé la glace; elle sera donc exclue des statistiques sur les coups dangereux.)
Citation : « En revoyant ce jeu, j’ai aussi pris en considération le fait que Chara n’a jamais été impliqué dans un incident qui a mené à une suspension en 13 ans de carrière. » (C’est la meilleure : la prochaine fois que Chara sera impliqué dans une affaire similaire, on pourra dire encore qu’il n’a jamais été suspendu et, avec de tels raisonnements, il ne le sera jamais. Peut-être faut-il comprendre plutôt que son geste serait pire s’il avait déjà été suspendu. Dans cette ligue, on ne juge pas les actes mais les hommes.)
Dans le chapitre « Nous prennent-ils pour des valises! », il faut citer Chara lui-même qui soutient ne pas avoir réalisé que le joueur frappé était Pacioretty. Quatre secondes avant le choc, Chara attend la mise au jeu à la ligne bleue; Pacioretty est en face de lui, à environ 10 mètres. À la mise au jeu, la rondelle passe entre l’ailier et le défenseur et roule vers la bande. Les jeux joueurs patinent en sa direction et Pacioretty lui touche à peine avant d’être frappé. Chara est un joueur-vedette de 13 ans d’expérience, capitaine du club, et il n’aurait pas noté l’identité des joueurs qui lui faisaient face à la mise au jeu, particulièrement son vis-à-vis, celui qu’il avait justement à surveiller?
Le commissaire de la Ligue nationale de hockey affirme pour sa part que la blessure subie par Pacioretty est horrible, mais que « cela fait partie du jeu ». C’est là qu’il se distingue du président des Communes qui a décidé cette semaine que le mensonge n’en faisait pas partie. Quoi qu’en pense le premier ministre.

« Il compte… et fait la passe »

Mme Verner et le PC s’arrangeront avec leurs justifications et les conséquences de leur refus de participer au projet d’amphithéâtre ; leur position n’est pas sympathique, mais leur lecture est exacte sur un point : il n’y a pas de dollars privés dans le projet de construction, mise à part l’obole symbolique de J’ai ma place (qui va plafonner maintenant que l’amphithéâtre est « acquis »).
PKP fait une fleur à Québec en payant sa pub d’avance (33M$ pour le nom) et la ville en profite pour réduire son emprunt; elle prend le beurre tout de suite, ce qui la privera pendant 25 ans de l’argent dudit beurre, soit un revenu annuel moyen de 1,32M$ qui aurait été utile pour l’entretien de la bête.
Une astuce bien planifiée pour donner l’illusion d’une participation « significative » du privé : la quasi-totalité des observateurs locaux et tous ceux qui ont une raison de stigmatiser le gouvernement fédéral ont marché dans le courant. Impressionnés par la passe que le maire a fait à PKP (en lui laissant la tâche d’aller chercher un club), ils n’ont pas voulu voir que ce dernier a réalisé un jeu d’un autre niveau : compter … et faire la passe ensuite.
On a tout su, cette semaine, de certains détails périphériques (dont les mouvements de l’hélico présidentiel dans les derniers moments de la négociation…), mais on a manqué d’analystes indépendants pour décortiquer le match comme l’a fait Pierre-Yves McSween sur Cyberpresse dimanche (http://www.cyberpresse.ca/opinions/201103/04/01-4376227-amphitheatre-pourquoi-pkp-est-un-excellent-homme-daffaires.php).
Cette analyse vient de Montréal (nul n’est parfait…) mais il faut bien s’en satisfaire à défaut de produits locaux. Incidemment, le bon côté de l’entrée en scène de Québecor (en plus de nous épargner un « Rogers Center », par exemple), c’est que, concurrence médiatique aidant, des médias de Québec pourraient connaître un regain de sens critique à l’égard de ce qui se passe dans la Vieille capitale. Le chroniqueur du Soleil voit la possibilité « d une overdose si Quebecor ambitionne sur le pain béni de la convergence ». Souhaitons que la confrérie n’attende pas le delirium tremens avant de penser au sevrage.

Diderot à l’encan

Mon « Alma mater », à l époque « classique », met en vente son exemplaire de L’Encyclopédie de Diderot, un ouvrage en 35 volumes publié au milieu du XVIIIe siècle. On comprend que la presse a été mise sur la piste par une indiscrétion et que l’affaire n’était pas destinée à sortir sur la place publique. Trouvera-t-on des « anciens » pour monter aux barricades, comme l’anticipe la directrice générale du collège ? La question en vaut-elle la peine ? Ou faut-il simplement hausser les épaules ?
Le Collège de Sainte-Anne est une entreprise privée qui peut faire ce qu’elle veut de son patrimoine et qui peut se donner les politiques de conservation de son choix. Elle a récemment liquidé des tableaux (dont on n’a pu savoir ni la liste ni la valeur), un lot de livres anciens (qui étaient, disait-on, des doublons ou des exemplaires défraîchis), des meubles antiques (paraît-il), et quoi d’autre ? Ces ventes « font le bonheur des collectionneurs privés », d’après la direction. C’est ce qu’on disait aussi quand les « pickers » vidaient les campagnes. Mais, de quoi se plaint-on, si tout le monde est heureux ?
Il demeure que certains anciens, les « vrais », ceux qui ont connu le Collège dans sa forme traditionnelle, ne manqueront pas de sourciller. Liquider le patrimoine du collège pour investir « dans le savoir moderne » rappellera de beaux souvenirs à ceux qui souhaitaient autrefois apprendre l’espagnol plutôt que les langues mortes qui leur étaient imposées…. Les temps changent. L’Encyclopédie que possède le Collège n’est pas « un objet unique », bien sûr, et tout son « contenu est disponible sur Internet », plaide-t-on : imaginez les économies qu’on pourra faire, un coup partis dans cette veine, comme installer tous les étudiants du collège dans un entrepôt vide avec un iPhone personnel pour toute ressource pédagogique. On pourra même un jour s’y confesser.
L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers n’est pas un ouvrage quelconque et devrait signifier quelque chose pour une institution de savoir qui vise à former des élites pour notre société. C’est la première encyclopédie française. Elle a fait la synthèse des connaissances de son époque et constitue un symbole du siècle des Lumières.
Ce n’est bien sûr qu’une « vieille encyclopédie » dont le contenu est dépassé. Convenons aussi que le collège n’est ni un musée, ni un centre d’archives. Mais, s’il n’est pas outillé lui-même « pour conserver des volumes anciens », il faut rappeler aux dirigeants du Collège qu’ils hébergent, dans leurs propres locaux, un centre d’archives régional « patenté » qui peut aisément prendre charge de 35 volumes supplémentaires, de même qu’un musée (le musée François-Pilote) qui s’enrichirait de posséder les remarquables artéfacts que sont les planches thématiques de L’Encyclopédie. L’ouvrage demeurerait dans la région qui tient ce collège à bout de bras depuis des années, et il se trouvera peut-être un professeur de français, de sciences ou d’histoire qui voudra le faire voir « en personne » à ses étudiants. Ça les changerait de Facebook.