Tous les articles par Gaston Deschênes

Pour voir Champlain, visitez Montréal… ou Ottawa !

L’exposition qui se tenait jusqu’en mai dans les locaux des Archives nationales du Québec à Montréal permettait de constater la différence entre le traitement qu’on a réservé à Champlain en 1908 et le sort qui lui est fait en 2008. Lors des fêtes du Tricentenaire, le fondateur de la ville était au centre des célébrations et des spectacles, sur les affiches, les publications, les banderoles et d’innombrables produits dérivés.
Dans le programme initial du 400e, Champlain était plus que discret. Mis à part un « salut » officiel le 3 juillet (la moindre des choses), on annonçait une série de duels humiliants contre son ancien patron, une exposition modeste dans un espace secondaire du Musée de la Civilisation, une exposition de son « Grand Livre » à la redoute de la Citadelle (gracieuseté de madame la gouverneure générale), le remodelage de « son » boulevard… Dans la très courte section (moins de 500 mots) que le site Internet du 400e consacrait, au départ, à « Québec et son histoire », le nom de Champlain n’apparaissait pas. Dans le programme officiel publié en brochure à l’automne, on pouvait jouer à « Où est Charlie ? » et trouver finalement le fondateur de la ville dans une petite illustration de la page 52.
Devant les réactions de plusieurs citoyens qui déploraient cette lacune, des correctifs ont été apportés au début de l’année. Des personnificateurs ont été recrutés. La mise au rancart de l’Opéra urbain a permis de remodeler le spectacle qui sera présenté devant le Parlement au début de juillet et d’y introduire un Champlain incarné par Yves Jacques. Tout récemment, une nouvelle section est apparue sur le site Internet pour présenter une « biographie de Champlain » en 17 dates…
On est encore loin du compte. Dans la boutique virtuelle, il n’y a toujours qu’un simple t-shirt à son effigie ; dans le pavoisement, on l’a ignoré totalement. Comme on peut le constater sur la photo ci-dessous, pour voir Champlain accroché aux lampadaires, sur des bannières « présentées en partenariat avec la Société du 400e anniversaire de Québec », il faut aller dans la capitale fédérale. À Québec, il est devenu très in de remettre en question le rôle de Champlain dans la fondation de Québec, comme en témoignent les deux seuls livres publiés sur Champlain en ce 400e anniversaire. La Société du 400e a succombé à la tendance en gardant Champlain à l’ombre; pendant ce temps, Ottawa s’est empressé d’en faire le « fondateur du Canada » et la gouverneure générale s’est emparée de sa succession.
P5270067d.jpg

Les larmes de madame Gros-Louis

De passage à Brouage, à l’occasion du lancement des fêtes du 400e de Québec, l’épouse du grand chef des Hurons aurait éclaté en sanglots en voyant son nom (Allard) «sur un mur dédié aux familles souches [sic] de la Nouvelle-France». Et l’émotion aurait été encore plus forte, selon le reportage du Soleil (samedi 24 mai 2008) «lorsqu’elle a retrouvé son nom sur La grande vague, une œuvre longue de 10 mètres qui porte les noms de 400 familles fondatrices de la Nouvelle-France».
Une fois passé l’étonnement (les Hurons ont des ancêtres français ?!), plusieurs autres sentiments surgissent. L’envie, évidemment, puisque le nom de mon ancêtre Miville (qui était justement de Brouage) est probablement sur le mur et sur l’œuvre de Marc Lincourt. La déception aussi, car il faut aller à Brouage pour vivre ce genre d’émotion.
À Brouage ou ailleurs. Comme à Larochelle, où le Centre des monuments nationaux de France rend hommage «à tous ces piliers de la Nouvelle-France» dans une exposition où on peut aussi «avoir accès aux bases de données généalogiques des familles souches [re-sic]». Ou encore, à Montréal, où le Musée de Pointe-à-Callière présente «France, Nouvelle-France, naissance d’un peuple français en Amérique», une exposition coproduite avec le Musée d’histoire de Nantes qui évoque les motifs qui ont poussé les Français à venir s’établir en Amérique. Voire même dans l’autre capitale nationale, où le Musée des Civilisations de Gatineau présente «Jamestown, Québec, Santa Fe, trois berceaux nord-américains» en collaboration avec la Smithsonian Institute.
Et à Québec, pour ceux qui veulent s’émouvoir tout en «ménageant leur gaz» ? Rien de comparable, sur le plan thématique, avec ce que madame Gros-Louis a pu voir en Charente. L’Espace 400e offrira de multiculturels «Passagers/Passengers», comme si Québec devait être «ramenée exclusivement à sa fonction de port», selon l’expression de madame Bertho-Lavenir ; le Musée des Beaux-Arts prépare son mini-Louvre, le Musée de la Civilisation présente des expos de taille modeste sur Champlain (c’est la moindre des choses), Mgr de Laval, les Huguenots en Nouvelle-France et, «en exclusivité» deux expositions en provenance de musée du quai Branly à Paris : «Objets blessés – La réparation en Afrique» et «Ideqqi – Art des femmes berbères»…
Ce n’est pas évident à première vue mais ces deux dernières expositions prétendent en remplacer une autre qui devait représenter une contribution de la France au 400e et porter sur… les familles souches du Québec. «Ce n’est pas un prix de consolation», nous a-t-on dit sérieusement. Bien sûr. Et l’exposition sur les familles souches a «été reportée en 2009». Tiens donc: juste à temps pour le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham.

Le sens de la fête

(Intervention au lancement du collectif Commémoration 1608-2008, le 15 mai 2008)
S’il y a une fête en 2008, si on a mobilisé autant de ressources et d’énergies pour organiser des célébrations, c’est parce que Champlain a fondé un établissement à Québec en 1608 pour servir de comptoir à la compagnie qui avait le monopole de la traite, de base pour ses explorations, de retranchement pour se défendre éventuellement. Ce faisant, il a marqué le début de la présence continue des Français sur le continent et le début de l’Amérique française. 1608 marque le début d’une ville, d’une capitale et d’un peuple dont on retrouve des traces à la grandeur du continent.
Qu’il y ait eu des Amérindiens ici avant et d’autres immigrants de toutes origines après, que les descendants de pionniers qui se sont établis soient devenus par la suite Canadiens ou Américains, Manitobains ou Californiens, favorables à l’annexion aux États-Unis en 1849 ou partisans de l’union des provinces en 1867, tout cela ne change rien à l’essentiel de l’événement : nos ancêtres français se sont établis à demeure ici en 1608 et c’est l’anniversaire qu’il faut souligner avec ceux et celles qui voudront s’y associer. Autrement, quand pourra-t-on le fêter, et quand nous permettra-t-on de le fêter, en paix ?
Il est dommage que l’essence de cette fête — le rappel de la présence française en Amérique — ne soit pas plus évidente dans la thématique, dans le pavoisement et les couleurs ainsi que dans les produits dérivés du 400e. Ce n’est pas ici le temps de faire le procès de la Société du 400e; les historiens, qui n’ont pas été beaucoup impliqués dans la préparation, se chargeront sûrement du post mortem. Monsieur Gélinas a donné un grand coup de barre cet hiver, mais il est impossible de reformuler le programme. On voudrait bien, par exemple, annuler rétroactivement tous les refus que les sociétés historiques de la région de Québec ont essuyés lorsqu’elles ont présenté des projets. Ne pas impliquer les sociétés d’histoire dans le 400e anniversaire de LEUR ville n’est pas la façon la plus honorable de passer à l’histoire…
Le Collectif veut contribuer à donner un sens au 400e et agir de façon positive. Personnellement, si la Société du 400e pouvait me faire une faveur, ce serait de faire un ménage dans les produits dérivés offerts dans sa boutique virtuelle. En général, ils ne portent pas de messages précis: ils sont « festifs » et peu signifiants. Champlain est presque totalement absent (il apparaît sur un seul objet). Mais il y a un produit qui détonne fortement dans le lot, un tee-shirt appelé « couronne » qui illustre le « passé monarchique » de Québec et n’a vraiment aucune pertinence dans le contexte du 400e de la ville. Ce produit devrait être retiré des tablettes: il pourait devenir une pièce de collection.

Le Canada prend un coup de vieux

À la question « 400e : on fête quoi? », Alain Dubuc (La Presse, 11 mai 2008) aligne cinq réponses « toutes différentes » mais « toutes valides » : 1, la fondation d’une ville et ses quatre siècles d’histoire, 2, l’arrivée des Européens blancs dans le nord-est du continent, 3, la naissance du fait français en Amérique, 4, la naissance d’un peuple « dont nous sommes les héritiers » (comme s’il était mort?), 5, « la naissance du Canada, en ce sens que cette colonie française a donné naissance à l’un des deux peuples fondateurs ».
Monsieur Dubuc croit que cette dernière réponse « en fait tiquer plusieurs ». Pas de la manière qu’il la formule. Qui va nier que la colonie fondée par Champlain « a donné naissance à l’un des deux peuples fondateurs » du Canada en 1867? Cela ne fait pas de 2008 la fête du Canada.
On ne chicanera pas monsieur Dubuc parce qu’il évite soigneusement le mot « nation ». Le vrai problème de sa liste est qu’elle omet l’interprétation avancée la semaine dernière par le gouvernement fédéral et exprimée il y a déjà plusieurs mois par le premier ministre dans le programme officiel de la Société du 400e : « la fondation de Québec marque aussi la fondation de l’État canadien ». Bref, le Canada a fêté ses 100 ans en 1967 et il célèbrerait maintenant son 400e… Parti sur cet élan, le gouvernement canadien de 2008 s’invite au party où il choisit la musique et le menu.
Il est trop facile pour le chroniqueur de La Presse de conclure que « tout le monde » a raison, qu’on a fait un débat « hallucinant » sur une question mineure, que les réactions ont été simplistes et mesquines, que toutes les interprétations se valent alors qu’il « oublie » justement de rapporter sans ambiguïté celle qui a mis le feu aux poudres.

« Les premiers seront les derniers »

On apprenait ce matin que monsieur Philippe Couillard, ministre responsable de la capitale et représentant du gouvernement du Québec, avait quitté en coup de vent la réception offerte par la ville de La Rochelle, jeudi soir, immédiatement après les discours officiels qu’il avait dû écouter de loin, n’ayant pas été invité à l’avant-scène avec la gouverneure générale, la présidente du conseil régional de Poitou-Charentes (Ségolène Royal) et le maire de Québec ; de plus, le lendemain, il ne s’est pas présenté au brunch réunissant à nouveau tout ce beau monde.
Insulté, choqué ? Monsieur Couillard ne l’est peut-être pas au point de joindre les rangs des « chiqueux de guenilles » de Denis Bouchard ou des « colons » de notre maire, mais il aurait toutes les raisons d’être offusqué, tant à titre de représentant du gouvernement qu’à titre personnel.
Ses ancêtres ont vécu les premières années de Québec. Guillaume Couillard est arrivé à Québec en 1613, ce qui en fait un des premiers habitants établis à demeure ici. C’est lui qui aurait été le premier à utiliser une charrue dans la vallée du Saint-Laurent au printemps de 1628. Le 26 août 1621, il épouse Guillemette, fille de Louis Hébert (arrivé « seulement » en 1617), et leur nombreuse descendance fait figurer ce couple dans la généalogie de presque toutes les vieilles familles québécoises. Pendant l’occupation anglaise (1628-1632), la famille Couillard est une des rares à demeurer sur place; elle prend d’ailleurs soin des deux jeunes « sauvagesses » que Champlain avait adoptées et que les Kirke lui interdisent d’amener avec lui. En 1759, deux descendants de Couillard mourront au combat en défendant leur territoire contre l’envahisseur à la Rivière-du-Sud (Montmagny).
Quatre siècles plus tard, il n’y avait pourtant pas de place à l’avant-scène des réceptions de La Rochelle pour celui de nos représentants officiels qui avait, de très loin, les plus profondes racines en terre québécoise, tout comme il n’y a pas eu de place, dans le programme du 400e, pour un hommage aux vieilles familles terriennes ou une exposition sur les familles-souches, qui se contenteront d’un marathon.
En 1654, Guillaume Couillard est anobli par Louis XIV. Au bas de ses armoiries, sa devise était « Dieu aide au premier colon »… Ça ne s’invente pas.