Les larmes de madame Gros-Louis

De passage à Brouage, à l’occasion du lancement des fêtes du 400e de Québec, l’épouse du grand chef des Hurons aurait éclaté en sanglots en voyant son nom (Allard) «sur un mur dédié aux familles souches [sic] de la Nouvelle-France». Et l’émotion aurait été encore plus forte, selon le reportage du Soleil (samedi 24 mai 2008) «lorsqu’elle a retrouvé son nom sur La grande vague, une œuvre longue de 10 mètres qui porte les noms de 400 familles fondatrices de la Nouvelle-France».
Une fois passé l’étonnement (les Hurons ont des ancêtres français ?!), plusieurs autres sentiments surgissent. L’envie, évidemment, puisque le nom de mon ancêtre Miville (qui était justement de Brouage) est probablement sur le mur et sur l’œuvre de Marc Lincourt. La déception aussi, car il faut aller à Brouage pour vivre ce genre d’émotion.
À Brouage ou ailleurs. Comme à Larochelle, où le Centre des monuments nationaux de France rend hommage «à tous ces piliers de la Nouvelle-France» dans une exposition où on peut aussi «avoir accès aux bases de données généalogiques des familles souches [re-sic]». Ou encore, à Montréal, où le Musée de Pointe-à-Callière présente «France, Nouvelle-France, naissance d’un peuple français en Amérique», une exposition coproduite avec le Musée d’histoire de Nantes qui évoque les motifs qui ont poussé les Français à venir s’établir en Amérique. Voire même dans l’autre capitale nationale, où le Musée des Civilisations de Gatineau présente «Jamestown, Québec, Santa Fe, trois berceaux nord-américains» en collaboration avec la Smithsonian Institute.
Et à Québec, pour ceux qui veulent s’émouvoir tout en «ménageant leur gaz» ? Rien de comparable, sur le plan thématique, avec ce que madame Gros-Louis a pu voir en Charente. L’Espace 400e offrira de multiculturels «Passagers/Passengers», comme si Québec devait être «ramenée exclusivement à sa fonction de port», selon l’expression de madame Bertho-Lavenir ; le Musée des Beaux-Arts prépare son mini-Louvre, le Musée de la Civilisation présente des expos de taille modeste sur Champlain (c’est la moindre des choses), Mgr de Laval, les Huguenots en Nouvelle-France et, «en exclusivité» deux expositions en provenance de musée du quai Branly à Paris : «Objets blessés – La réparation en Afrique» et «Ideqqi – Art des femmes berbères»…
Ce n’est pas évident à première vue mais ces deux dernières expositions prétendent en remplacer une autre qui devait représenter une contribution de la France au 400e et porter sur… les familles souches du Québec. «Ce n’est pas un prix de consolation», nous a-t-on dit sérieusement. Bien sûr. Et l’exposition sur les familles souches a «été reportée en 2009». Tiens donc: juste à temps pour le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham.

9 réflexions au sujet de « Les larmes de madame Gros-Louis »

  1. Cette émotion que l’on fait ressortir, dans diverses régions de France d’où sont partis nos ancêtres, pour souligner fièrement l’épopée de ces pionniers français qui ont sillonné l’Amérique et qui l’ont faite, pour une partie, française, elle fait place, en parfait contraste, à Québec, au Québec, à cette tristesse indescriptible, qui, jusqu’à date, a presque des allures d’une condamnation à perpétuité, d’assister sans cesse, dans une presqu’impuissance, comme jadis nos ancêtres, à notre constante dépossession, à l’utilisation, sinon à la dénaturation, de ce que nous sommes, ou à ce jeu de la politique et du pouvoir à faire comme si nous étions pas là pour mettre en évidence les autres tous et chacun, juxtaposition qui, face à l’émotion du moment, traduit bien que la France est libre et que la Nouvelle-France ne l’est point, toujours soumise qu’elle est au bon désir de son conquérant anglais!

  2. Pour votre bonheur et le mien, l’exposition La Grande vague de Marc Lincourt sera au Québec en novembre ou en décembre 2008. La première ville d’accueil de cette exposition (car il y aura d’autres endroits) n’a pas été déterminée encore.

  3. Bonjour Mme Ferland,
    Vous dites : « L’exposition La Grande vague de Marc Lincourt sera au Québec en novembre ou en décembre 2008. » Je n’en ai pas entendu parler. L’ai-je manquée ?

  4. On annonce une tournée sur le site officiel de La Grande vague, où il est question de Montréal, Québec, Sept-Iles (Musée de la Côte-Nord), Gatineau ou Ottawa, mais il ne s’est rien passé encore.

  5. La Grande Vague est finalement à Montréal du 2 février au 18 avril 2010, rue Viger, Archives nationales de Montréal BAnQ
    Extraordinairement beau, c’est à voir.
    (Commentaire de G. Deschênes: Vous avez raison. Je l’ai justement vue ce matin. Je commenterai dans quelques jours.)

  6. M. Deschênes,
    Pour votre information, l’épouse de l’ex-Grand-Chef Max Gros-Louis n’est pas huronne-wendat de naissance mais de droit. Elle l’a été faite par une loi archaïque, pensée par le gouvernement fédéral afin de nous assimiler à la société canadienne.
    Il est donc normal qu’elle soit émue de voir le nom de ses ancêtres qui sont effectivement des français.
    Simple questionnement, il est déroutant de pouvoir penser qu’un peuple ait l’obligation de se définir par son sang et non par sa façon d’être. N’y-a-t-il pas des québécois d’origines africaines, asiatiques, et même anglaise, ou autres mais qui n’en sont pas moins des québécois? Cela veut-il dire que vous leur reniez leur appartenance à la Nation Québécoise?
    Pourquoi les Premières Nations auraient-elles toujours l’obligation de justifier leur existence par leur sang ou leur couleur de peau et non pas par leur façon d’être, leur mode de pensé et leurs propres coutumes, leurs propres lois et ce, comme tous les autres peuples de la terre? Pourquoi ne pourrions-nous pas nous aussi choisir qui fera partie de nos membres, comme vous, vous avez actuellement le droit de le faire?
    Pourquoi, moi, je n’ai pas le droit de manger du McDo ou de m’acheter des vêtements chez Simons sans être obligé à chaque fois de justifier mon appartenance à la Nation Wendat? Parce que je ne porte pas des plumes et que je ne mange pas de l’orignal ou de la perdrix à chaque jour? Si vous manger du chinois, est-ce que cela fait de vous un chinois? Si vous parlez français, est-ce que cela fait de vous un membre de la République française? Si vous conduisez un japonaise, êtes vous nippon pour autant?
    Je crois que nous, les Wendat, avons le droit d’exister comme tout autre peuple de la terre, comme le stipule la charte des droits des Premiers Peuples de l’ONU, et ce, même si nous sommes d’un plus petit nombre, comme le stipule encore une fois la charte des droits des Premiers Peuples de l’ONU (que le Canada n’a pas encore ratifié d’ailleurs, un des seuls pays dans le monde avec nos voisins les états-uniens), et ce, sans être constamment obligé de justifier qui ou que nous sommes.
    Malgré tout, je suis sincèrement heureux pour vous que votre ancêtre ait été reconnu et que vous ayez finalement eu la chance de voir l’oeuvre, où son nom est exposé, au Québec. Skennon (paix et sérénité) !
    Bien à vous,
    D.M.S

  7. Concernant le commentaire de D.M.S.:
    J’ai posé cette question sur les origines de madame Gros-Louis en sachant bien qu’elle n’avait pas que des racines indiennes, comme d’ailleurs une bonne partie de la population de Wendake. Peut-on dire cela sans se faire crucifier?
    L’idée de définir les Amérindiens « par leur façon d’être, leur mode de pensée et leurs propres coutumes » (plutôt que par le sang) est une idée généreuse théoriquement qui poserait cependant des problèmes de gestion incalculables. Serait-donc Indien (selon le terme de la loi) qui veut. Comme on peut se sentir Acadien mais, dans ce dernier cas, il n’y a pas de conséquences légales. Pour les Indiens, c’est différent. Par ex., adopter une façon d’être, un mode de pensée, ou des coutumes amérindiennes protègerait les gens qui sont menacés d’expulsion à Kanawake?
    Je ne voudrais pas caricaturer la situation mais cette façon de définir le statut autochtone me semble plus que problématique sur le plan de l’administration publique.
    Mai pourquoi faut-il qu’il y ait un statut distinct?
    La Loi des Indiens est évidemmnent une loi archaique mais la position autochtone sur le sujet n’est pas facile à suivre. En 1969, Trudeau a voulu la supprimer, convertir les réserves en municipalités, éliminer toute disposition légale discriminatoire (droit de vote, etc.) et faire des Indiens des citoyens à part entière mais ces derniers ont refusé.
    Pour ma part, j’ai du sang indien, plus précisément pentagouet, par mon ancêtre Saint-Castin, époux de la fille de Madokawando; j’ai même eu ma carte d’une association métisse. En fait, les Québécois sont, dans une large proportion, des métis.
    Une dernière chose: vous écrivez « Pourquoi ne pourrions-nous pas nous aussi choisir qui fera partie de nos membres, comme vous, vous avez actuellement le droit de le faire? » Je ne suis pas sûr de bien voir de quoi on parle. Les Québécois ne choisissent pas qui sont leurs concitoyens, surtout pas sur la base de leur origine ethnique; ils ont un certain rôle à jouer dans les choix des immigrants, en fonction de critères prédéterminés qui laissent évidemment place àa des gens d’origines ethniques et de cultures variés.

  8. En réponse au commentaire de Gaston Deschênes :
    M. Deschênes,
    Vous exposez exactement le noeud du problème en soulevant l’exemple de monsieur Trudeau. Avec une incompréhension totale de notre réalité et de nos intentions en ce qui a trait à notre futur, il a voulu faire de nous des municipalités, quand dans les faits nous sommes des Nations. Il a peut-être voulu bien faire et en un sens certains de ces gestes nous ont bien aidé mais il nous regardait avec ses yeux de canadiens. Pouvez-vous revêtir quelques instants des yeux de Wendat ou d’une autre Premières Nations?
    Comprenez le sens de ce mot monsieur : Nation. Vous devriez en savoir le sens, la vôtre se bat depuis des années afin d’être reconnue. Pourquoi un statut distinct ? Parce que nous sommes une Nation, voilà tout. Ne cherchez pas plus loin dans les archives des preuves du contraire ou des explication à n’en plus finir sur la signification de ce mot, c’est ce que nous sommes «distincts». Nous ne sommes pas une municipalité, nous sommes une Nation à part entière, avec son histoire, ses coutumes, le choix d’accueillir qui elle veut parmi ses membres comme une Nation peut le faire de son immigration. En passant, pour répondre à votre commentaire, les critères d’immigration du Québec sont quand même choisis par vos élites politiques que vous avez vous mêmes élus. Deuxièmement, devient Wendat qui NOUS voulons, nous avons toujours eu ce choix dans nos coutumes et nous donnons encore le droit de le faire.
    Pour ce qui est de la loi sur les indiens, la position des Premières Nations à son sujet peut vous sembler nébuleuse, mais c’est que le gouvernement ne nous offre pas d’alternative, refuse nos suggestions et refuse de nous reconnaître nos territoires.
    Vous savez, le Québec est 4 fois plus gros que la France et 10 fois moins populeux. Est-ce que quelques malheureux kilomètres carrés en moins à votre gestion seule et entière, brisera à jamais le Québec? Je ne crois pas, la différence avec nous les Wendat ainsi que les Mohawks de Kanesatake comme vous l’avez soulever, et vous la Nation Québécoise, c’est que ce sont les derniers malheureux kilomètres carrés que nous possédons en tant que Nation. Notre territoire ici ne fait qu’un seul malheureux km2. Après 400 ans de dépossession lente et tranquille. Bien souvent par des communautés religieuses qui soit disant prenaient soient de nos âmes, mais je vous dirais surtout de nos territoires et des argents qui venaient avec. Avec le temps ils croyaient que ces terres leurs appartenaient et les vendaient sans aucun remords de conscience à des agriculteurs qui eux croyaient les avoir acheté en toute légalité. Il est donc normal pour certains d’entre nous de réagir plus radicalement quand on essaie de leur enlever les dernières possessions qu’ils ont en tant que Nation.
    Une Nation sans terre, c’est comme les Roms en Europe, ça se fait déporter, ballotter d’un côté et de l’autre et finalement ça disparaît. Les Wendat et les autres Premières Nations n’ont pas envie de disparaître, nous sommes vivants, bien vivants et nous le serons encore bien des millénaires après vous et moi, je vous le garanti. Est-ce un crime de vouloir être maître chez nous, nous aussi? Comme vous, vous l’avez été?
    Le conflit qui s’éternise à Kanesatake aurait pu être réglé il y a 20 ans de cela, mais non, le gouvernement canadien a laisser la plaie s’infecter au lieu d’agir. On parle ici de quelques «mètres» carré. N’est-ce pas inquiétant quand on sait que le Canada compte des millions de kilomètres?
    Vous parlez des Acadiens, le simple fait de porter le nom d’une Nation à des conséquences légales. Le Nouveau-Brunswick est bilingue à cause de ce fait, il y a deux systèmes de santé là-bas à cause de ce fait, il y deux systèmes d’éducation à cause de ce fait, et j’en passe. Le gouvernement à majorité anglophone voudrait bien qu’il en soit autrement car cela leur coûte bien plus cher que si tout le monde était de la même ethnie mais il n’en est rien. Essayez de leur couper leurs services en français là-bas voir s’il n’y aura pas de conséquences légales. Ça ne passera jamais et ils iront se défendre dans les tribunaux s’il le faut.
    Pourquoi? Parce que la volonté d’une Nation à survivre est plus forte que tout. Le jour où les gouvernements et leurs populations comprendrons cela, le problème sera réglé, pas à coup de chèques. Les chèques ça ne règlent aucunement la question identitaire. C’est les territoires. Redonner nous des terres afin que nous puissions nous même les gérer et y pratiquer ce que nous aurons envie d’y faire, selon nos lois et nos coutumes. Et surtout y vivre comme la Nation à part entière que nous sommes. C’est simple, non?
    Que diriez-vous si demain matin les États-Unis décidaient de vous incorporer et de tout décider à votre place? Quelles seront vos vraies coutumes ou non. Quelle est la couleur exacte de vos yeux pour être qui vous prétendez être. Quelle est la langue qui sera utilisé pour votre enseignement, etc… Les anglais du Canada ont essayés de vous assimiler et de vous faire perdre terres et identités, il me semble que vous devriez comprendre ce que j’expose ici. Rappelez-vous le serment du test. Et puis, après toutes ces tentatives d’assimilations, existez-vous toujours?
    Skennon,
    D.M.S
    PS: J’aime mieux votre nouvelle façon de fonctionner pour les commentaires. C’est un bel effort de distinction et surtout plus clair.

  9. (sur le commentaire de DMS)
    La reconnaisance de la nation est une chose acquise, il me semble, officiellement, depuis plus de 25 ans. On a vu, par ex., comment le 400e a fait une large place aux premières nations, dont la vôtre. En fait, on a moins bien vu la nation qui célébrait son 400e anniversaire cette année-là, noyée dans le multiculturalisme. (On a même vu Max GL faire une petite cérémonie religieuse à l’ouverture alors que les maires de nos municipalités se font poursuivre s’ils ouvrent les séances de Conseil avec une prière… Mais c’est une autre question…)
    Une nation peut exister sans contrôler un territoire propre, comme les Acadiens. Ce serait difficile pour eux, qui chevauchent plusieurs provinces. Mais prenons votre cas. Vous dites:  » Redonner nous des terres afin que nous puissions nous même les gérer et y pratiquer ce que nous aurons envie d’y faire, selon nos lois et nos coutumes. Et surtout y vivre comme la Nation à part entière que nous sommes. »
    Faisons l’exercice: quelles seraient ces terres et sur la base de quels droits ancestraux seraient-elles rétrocédées? (il faut poser la question parce qu’un douzaine d’autres nations revendiquent aussi). A-t-on exposé la revendication clairement quelque part? Il me semble qu’on parle depuis quelques années d’une revendication. Max GL nous a montré une carte il y a quelque temps; il devait venir quelque chose après.
    Il y a ensuite une deuxième question: l’octroi de terres, qui seraient gérées par la Nation dans une sorte d’autonomie à l’intérieur de l’administration québécoise ou canadienne, si j’ai bien compris le concept exposé par le rapport Erasmus-Dussault, règlerait-il le contentieux territorial ou resterait-on avec la possibilité d’une réouverture, comme ce fut le cas pour de nombreux traités qu’on disait réglés?
    Vous dites:  » C’est simple, non? » Bien, ce n’est pas imopossible mais ce n’est pas simple. Quand les Européens sont arrivés ici, le droit international considérait vacants les territoires qui n’étaient pas occupés ou du moins revendiqués par des Européens (ou des chrétiens, je ne suis pas sûr). On peut le déplorer mais c’était le droit de l’époque. Aujourd’hui, ça ne marche plus de la même façon. Les États occupent leurs territoires et on ne peut plus squatter à volonté. Il y a de la place au nord mais je doute que ce soit dans votre mire.

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