Jacques Demers a suscité une immense sympathie quand il a dévoilé qu’il était analphabète. Certains l’ont trouvé moins drôle quand il a accepté un siège de sénateur. Paraît qu’il allait se servir de son poste pour défendre de bonnes causes, dont on ne s’est pas trop inquiété des détails… Le même refrain qu’un autre sénateur issu du showbizz — celui qui donnait le LA dans un désormais regretté duo — a entonné pour finalement arriver au bout de son âge en se demandant, comme on l’a deviné dans ses commentaires, ce qu’il était allé faire dans cette galère (heureusement rémunérée).
En fait, la nomination-surprise d’un analphabète devenu vedette du petit écran, et certes inattaquable — rectitude politique oblige –, a servi à occulter la nomination en douce de huit proches partisans du premier ministre.
Le nouveau sénateur a commencé sa carrière… par une longue absence, retenu au micro par son poste de commentateur sportif. L’histoire ne dit pas quand il est entré sur la liste de paye mais il s’est ensuite retrouvé sur la liste des blessés, ce qui a réduit son temps de glace, et l’a tenu loin du sommaire. On lui connaît une intervention très human interest, et préparée avec l’aide d’une collègue, sur la journée de la femme et une déclaration sur l’affaire Chara. Ce serait tout pour sa première saison, euh!, … session.
Depuis la fin de la session, en bon « employé », il multiplie les présences pour appuyer son « patron » dans les éliminatoires, euh !, les élections. Car c’est ainsi qu’il perçoit son rôle, selon ce qu’on a pu entendre dans une entrevue reproduite au Sportnographe le 15 avril dernier : « Le grand patron a décidé […] nous sommes des employés et ces employés sont mis en ligne et on suit le chemin et c’est tout ». Paraît que ce n’est pas « politique », son travail consistant à présenter des candidats qui sont de « bonnes personnes ». Naturellement.
Voilà, en toute naïve simplicité, comment fonctionne le parlement moderne. On dit généralement, et plus pudiquement, que ce sont des « membres du parti » qui suivent les consignes de leur « chef » mais pourquoi ne pas dire les vraies choses, si tant est qu’on en comprenne le sens et la portée ?
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Devise du Québec : la légende court toujours
(Ce texte reprend une bonne partie d’une note publiée le 15 mars 2009 — https://blogue.septentrion.qc.ca/wp-content/uploads/archives/gastondeschenes/2009/03/la_devise_du_quebec_selon_son.php)
La légende qui circule au sujet de l’origine et de la signification de la devise du Québec est comme la mythologique hydre de Lerne; on croit lui avoir coupé une tête (elle en avait plusieurs), il en repousse deux. Accouplée avec cet autre monstre que constitue Internet, elle devient quasi indestructible.
Prenant le relais du premier ministre, qui avait propagé la légende jusqu’au Japon en 2005 avant de la répéter devant Sarkozy en 2008, le président de l’Assemblée nationale a invité ses collègues jeudi dernier « à réfléchir sur ce mot d’Eugène-Étienne Taché: Je me souviens d’être né sous le lys et d’avoir grandi sous la rose », expression dont nous aurions « conservé le Je me souviens », pour en faire la devise du Québec.
Cette interprétation n’a pas de fondement historique. Il serait trop long de démontrer ici que la devise du Québec n’a jamais compris que trois mots, « Je me souviens » et que son concepteur ne lui a pas donné de complément car son emplacement original, au-dessus de la porte de l’Hôtel du Parlement, lui donnait tout son sens. Ceux et celles que le sujet intéresse trouveront une étude sur cette question dans l’encyclopédie virtuelle Agora (depuis 2001), étude reproduite dans Le Parlement de Québec (Multi-Mondes, 2005) et résumée dans L’Action nationale (2001), Québecensia (2003), L’héraldique au Canada (2005), le Bulletin d’histoire politique (2006), The Beaver (2008), L’encyclopédie canadienne (2010) et récemment dans L’encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française (http://www.ameriquefrancaise.org/fr/article-518/La_devise_québécoise_«Je_me_souviens».html), le tout sans susciter la moindre réplique. Ni convaincre aux plus hauts niveaux, visiblement.
Un texte publié précédemment dans Le Devoir, en 1994 s’appuyait sur les propos d’un fonctionnaire francophone de Québec, Ernest Gagnon. La démonstration s’est ensuite enrichie d’un témoignage qui devrait mieux convaincre, celui d’un avocat anglophone de Montréal, David Ross McCord (fondateur du McCord Museum), qui écrivait ceci dans un cahier de notes, vers 1900, sous le titre « French sentiment in Canada » :
« However mistaken may be the looking towards France as a desintegrating factor operating against the unification of the nation – it may be perhaps pardonable – no one can gainsay the beauty and simplicity of Eugene Taché’s words « Je me souviens ». He and Siméon Lesage have done more than any two other Canadians towards elevating the architectural taste in the Province. Is Taché not also the author of the other motto – the sentiment of which we will all drink a toast – « Née dans les lis, je croîs dans les roses ». There is no desintegration there. »
La première phrase de cette citation a posé de la difficulté aux traducteurs consultés mais il serait possible de la rendre ainsi: « Aussi mal avisé que soit cet attachement à la France comme facteur de désintégration jouant contre l’unité nationale – c’est peut-être pardonnable –, personne ne peut nier la beauté et la simplicité du « Je me souviens » d’Eugène Taché. Siméon Lesage et lui ont fait plus que quiconque au Canada pour une architecture de qualité dans la province. D’ailleurs, Taché n’est-il pas aussi l’auteur de l’autre devise, « Née dans les lis, je croîs dans les roses », à laquelle nous lèverons tous nos verres. Il n’y a rien là pour favoriser la désunion ».
Ce passage à lui seul prouve sans l’ombre d’un doute que « Je me souviens » (créée vers 1880) et « Née dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » (créée vers 1900 et recyclée sur la médaille du tricentenaire de Québec) sont deux devises DISTINCTES et ne constituent pas un « poème » de Taché, comme plusieurs le prétendent. Mieux encore, ce texte prouve que les deux devises ont un SENS DIFFÉRENT et que la seconde ne peut donc expliquer la première. Enfin, on devine aisément que monsieur McCord est ennuyé par « Je me souviens » et qu’il préfère « l’autre devise » car elle traduit mieux ses opinions politiques.
Il est inutile de chercher l’origine ou l’auteur du poème-fantôme d’où viendrait la devise du Québec; il faut plutôt se demander dans quelles circonstances et par qui, après la mort de Taché, ces deux devises ont été rattachées pour donner une proposition bâtarde — « Je me souviens que, né dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » — et créer une légende urbaine qui court depuis plusieurs décennies, particulièrement dans la presse anglophone, et dénature la devise du Québec.
« Moi vouloir subvention culture »
Le gouvernement du Québec vient d’annoncer la création d’un fonds « pour le développement de projets d’envergure en culture ». Plusieurs secteurs de « l’industrie culturelle » pourront en bénéficier : spectacles, cinéma, livre, jeux vidéo, etc.
« Privilégier l’exportation de la culture québécoise, devenir le nouvel instrument par lequel les créateurs agrandiront leurs champs d’opportunités [sic], permettre l’émergence de nouveaux joueurs, de nouveaux créateurs sont les principaux objectifs qu’entend poursuivre le Fonds », selon ce qu’on peut lire dans le communiqué émis par la SODEC qui détiendrait 60% du capital de 100M$, le reste étant fourni par le Fonds de solidarité des travailleurs du Québec.
Les fonds sont à la mode. Québec en a créé plusieurs : Fonds de la recherche sur la société et la culture, Fonds du patrimoine culturel québécois, Fonds de lutte contre la pauvreté, Fonds de conservation et d’amélioration du réseau routier, Fonds de la recherche en santé, Fonds de la recherche sur la nature et les technologies, etc.
Celui dont on vient d’annoncer la création se distingue déjà… par son indigence linguistique : il s’appelle «Fonds capital culture Québec»…
Autrefois, quand la rectitude politique ne nous avait pas encore aseptisés, on aurait pu parler de langage « petit nègre ». Ou plus précisément de « petit nègre blanc d’Amérique »…
On dira donc simplement que ce sont des mots français servis à la mode anglaise, en souhaitant que la loi qui viendra concrétiser cette intention gouvernementale corrige aussi ce nom bâtard.
L’affaire Michaud: le dernier carré
Dix ans après le coup de 2000, le député de d’Arcy-McGee a présenté une autre motion dénonçant des « propos » antisémites. Quels propos? On ne le sait pas plus qu’il y a dix ans. Même en lisant tous les quotidiens, il est difficile de cerner exactement de quoi il est question. Tous ceux qui écrivent sur Vigile sont maintenant suspects. Seule l’Assemblée nationale peut se permettre ce genre d’atteinte à la réputation sans prendre la peine d’énoncer les propos présumés répréhensibles, simplement pour marquer des points au Salon bleu..
La bonne nouvelle est que cet incident permet d’allonger la liste des repentants dans l’affaire Michaud. En effet, dans le point de presse qu’il a donné pour expliquer pourquoi son parti avait refusé d’appuyer la motion, le leader parlementaire du PQ a implicitement reconnu que la motion adoptée contre Yves Michaud en 2000 était une erreur, comme en font foi les extraits suivants :
« M. Bédard : …On dit souvent : la sagesse, c’est la somme des erreurs jamais commises deux fois, là. On fait référence à des textes que là je n’ai pas lus, que je n’ai vus. On ne fait pas référence à des propos particuliers, … j’espère que, sur un sujet aussi sensible, aussi important pour notre société que la condamnation justement de l’antisémitisme, des propos haineux en général, qu’on n’utilise pas ça encore une fois de façon grossière, éhontée…
M. Robitaille (Antoine) : Vous craignez une autre affaire Michaud, soyons clairs, là.
M. Bédard : … on a appris une chose, … à l’Assemblée, on n’est pas un tribunal. On ne peut pas condamner un individu, … Il y a des lieux pour ça et, si des gens ont tenu des propos haineux, il y a des tribunaux pour les condamner. »
De tous les parlementaires actuels qui ont voté en 2000, il n’y aurait donc plus que des libéraux qui refusent de s’amender. Et il n’y a vraisemblement rien à attendre de ce côté, malgré l’injustice évidente (et quoi qu’ils en pensent au fond d’eux-mêmes), tant que celui qui est à l’origine de l’affaire sera encore à la tête du parti.
« Discipline as usual », comme ils disent.
Le sur-financement de l’universitaire
Contrairement à l’ancienne Commissaire à l’intégrité (sic) du secteur public, qui a pris prématurément sa retraite avec promesse de ne rien dévoiler sur les circonstances de son départ et sa prime de départ d’au moins 400 000 $, le nouveau recteur de l’Université Concordia ne manque pas de transparence : il a demandé que son contrat soit rendu public (http://www.concordia.ca/about/administration-and-governance/president/contract/Concordia-FL-Employment-Agreement%20Signed.pdf).
En fait, le nouveau recteur de Concordia est un recteur retraité recruté sur une base intérimaire dans le but de sortir l’institution du bourbier où elle s’est trouvée à la suite du départ de la dernière titulaire, dans des circonstances nébuleuses mais avec une prime de 703 000 $ (deux ans de salaire), ladite titulaire ayant brièvement succédé au recteur « sortant » parti avec une indemnité de 1,3M$. Ce n’est pas l’UNIVERSité pour rien: sky is the limit.
On comprend que Concordia avait besoin d’un sauveur mais celui-ci allait quitter Montréal et avait pratiquement conclu l’achat d’une nouvelle résidence à l’extérieur du Québec, Qu’à cela ne tienne: Concordia a acheté le condo montréalais qu’il avait mis en vente (une valeur d’un million de dollars) pour lui permettre de respecter ses engagements dans l’autre transaction.
La bienveillante transparence du nouveau recteur permet aux contribuables de se mettre à jour sur les mœurs administratives de nos universités. L’ancien-nouveau recteur touchera un salaire annuel de 350 000 $ (soit deux fois le salaire du premier ministre), ce qui ne lui permettra visiblement pas de joindre les deux bouts, d’où la nécessité de quelques suppléments dont une allocation annuelle de 36 000 $ pour se loger (dans son ancien condo… qui pourrait servir à des « university-related events »), une allocation pour automobile de 14 400 $ (le condo qu’on lui offre, pour un loyer non divulgué, est à environ un mille de l’université…), plus le remboursement de ses dépenses pour l’immatriculation, les assurances et l’entretien du véhicule, une « annual professional development or scholarly research allowance » de 5 000 $ (pour payer sa liaison Internet?), deux « club memberships »… Le contrat permet au recteur d’accepter des mandats de consultation mais ne précise pas s’il peut aussi continuer de toucher sa pension.
Malheureusement, le recteur devra payer son « gaz ». Il n’a pas d’allocation de vêtement, mais les dépenses de sa conjointe seront remboursées si sa présence est requise à des activités reliées aux fonctions rectorales, ce qui pourrait bien comprendre quelques fringues de circonstance.
Les conditions d’embauche de ce recteur sont-elles plus « libérales » que celles de ses pairs? À voir avec quel empressement son collègue de l’université Laval a fait ajuster son revenu l’an dernier, on peut être certain qu’ils visent tous la moyenne. Il faut retenir ces personnages de grande valeur, dit-on. Qu’on en trouve deux anciens sur l’arrière-banc du Parlement est une autre question.
Dans l’évaluation des conditions d’embauche des recteurs, il faut comprendre que leurs fonctions ne sont plus qu’accessoirement liées à la direction intellectuelle de l’université. Pour les fins du financement des institutions qu’ils dirigent, les recteurs frayent maintenant davantage avec les grandes entreprises industrielles et financières qu’avec les milieux savants. Aussi en adoptent-ils la « culture ». Leur salaire est encore loin de ceux des gérants de banque (qui au moins exhibent des profits), mais ils ne peuvent tout de même pas habiter un 5 et demi dans Hochelaga, rouler en Corolla louée à 4 000 $ par an et côtoyer la « haute finance » avec une conjointe habillée chez Winners.