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De retour en 1827

Dans ses récents discours, le premier ministre du Québec nous a servi de nombreuses évocations historiques mais il devra revoir les précédents concernant l’élection du président.
Jamais un président n’aurait été élu « sans consultation avec le gouvernement » depuis 216 ans? Il faut rappeler que le Parlement a existé avant l’apparition de la fonction de premier ministre et du gouvernement comme on le connaît aujourd’hui. Pendant un bon demi-siècle, les députés ont pris leurs responsabilités comme de grands garçons sans attendre les volontés de l’exécutif. Le gouverneur ne livrait d’ailleurs pas le « discours du trône » avant que les députés aient un représentant. Les députés élisaient donc leur président en toute liberté et ce dernier allait ensuite se présenter devant le gouverneur qui reconnaissait invariablement l’élu comme porte-parole légitime de l’Assemblée.
Mais il y a eu une exception. À l’ouverture de la session de 1827, Papineau est réélu président (« orateur ») par 39 voix contre 5. Le gouverneur Dalhousie n’accepte pas ce choix mais la Chambre maintient sa décision, affirmant que la présentation de l’orateur au représentant du roi n’est qu’une simple formalité et non une obligation législative. Ne pouvant accepter cette rebuffade, le gouverneur proroge tout simplement la session. Les députés du Parti patriote font alors circuler une pétition dénonçant l’attitude du gouverneur qui sera peu après rappelé à Londres et remplacé par un gouverneur plus conciliant. Aucun représentant de la Couronne n’a imité Dalhousie par la suite.
Les politiciens québécois et canadiens vivent simultanément une expérience inusitée. Ils doivent apprendre à composer avec des gouvernements minoritaires et fonctionner dans un contexte où les matamores ont moins long de corde et les bulldozers, moins de rayon d’action.
L’élection du président illustre bien le changement survenu. Autrefois, le gouvernement « proposait » un candidat à l’opposition qui n’avait pas le choix de l’accepter (mais qui pouvait parfois négocier la tranquillité de l’ouverture de la session contre un avantage quelconque) ; de toute manière, il ne servait à rien de se braquer, compte tenu des forces en présence. Et le premier ministre ne divulguait surtout pas le nom de son candidat avant de l’avoir « négocié ». Avec le scrutin secret, le gouvernement ne perd pas complètement la maîtrise du jeu, car il peut toujours contrôler les candidatures dans ses rangs et imposer une ligne de parti à ses députés, mais, dans une situation de gouvernement minoritaire, tout est différent.
Quoiqu’on en dise maintenant, il est évident que l’entente conclue entre les partis portait sur le processus du scrutin et non sur le nombre de candidats ou le résultat du vote. Chaque parti a choisi son candidat sans consulter les autres. Si on avait laissé aller le processus, les députés auraient voté sur une liste de trois candidats et aucun n’aurait eu la majorité absolue au premier tour. Le deuxième tour aurait opposé messieurs Vallières et Picard… L’Opposition officielle risquait gros, en terme d’amour-propre, car elle avait exprimé vigoureusement son point de vue sur le candidat proposé par le caucus libéral. Son candidat a trouvé la meilleure façon tirer son épingle du jeu honorablement. Le leader du gouvernement attendait peut-être que ses vis-à-vis viennent négocier l’élection de monsieur Vallières, mais, au lieu de faire un deal avec le gouvernement, ils ont préféré dealer entre eux.
On comprend sa colère – il s’en est fait passer une – et celle de ses collègues qui voient un poste envié leur échapper, mais un peu moins celle de leur chef qui, en remettant en cause la légitimité du président, nous ramène aux temps de lord Dalhousie.

Mauvaise mémoire, mauvaise foi, ou les deux ?

Comme le dirait notre maire, dans son langage imagé, Lysiane Gagnon est partie sur une « shire » dans sa chronique du 11 octobre (« Le Bloc ou la vie rêvée », La Presse, http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/lysiane-gagnon/200810/11/01-28683-le-bloc-ou-la-vie-revee.php).
Vu de La Presse, le Bloc mène la belle vie. « Ses fonds de campagne sont entièrement dépensés au Québec, alors que les autres partis doivent financer des campagnes coûteuses qui se déroulent de l’Atlantique au Pacifique. Le Bloc n’est même pas obligé de louer un avion. Ainsi délesté des dépenses les plus lourdes, le parti peut se concentrer sur la propagande. Du fait qu’ils n’œuvrent que dans une seule province, le Bloc et son chef jouissent, par rapport au seul électorat qui les intéresse, d’une visibilité exceptionnelle […]. Son unique cible est le groupe relativement homogène des Québécois francophones, alors que les autres chefs doivent composer avec des populations extrêmement diverses. […] C’est exactement comme s’il existait, au niveau de la politique provinciale, un parti montréalais qui ne s’occuperait que des intérêts de la métropole, et dont le chef n’aurait jamais à se soucier des travailleurs forestiers, des pêcheurs gaspésiens ou de la médecine en région ».
Madame Gagnon a peut-être oublié, et on peut imaginer qu’elle ne veuille pas se souvenir, que son exemple n’est pas théorique. Fondé en 1989, le Parti Égalité regroupait des Montréalais mécontents de la décision de Robert Bourassa d’invoquer la clause « nonobstant » pour assurer le maintien des dispositions de la Charte de la langue française concernant la langue d’affichage. Cette position du Parti Égalité et son fédéralisme radical ont fait en sorte que ses appuis se retrouvaient parmi la minorité anglophone et qu’il ne présentait des candidats que dans les circonscriptions ayant une proportion significative d’électeurs anglophones… et peu de pêcheurs gaspésiens ! Aux élections de 1989, 1994 et 1998, le parti a présenté une vingtaine de candidats, essentiellement dans la région de Montréal. Il a remporté 4 sièges à Montréal en 1989 et aucun autre par la suite. En fait, avant la fin de la législature, trois des quatre députés avaient déjà quitté le parti.
Madame Gagnon se souvient-elle d’avoir accusé le Parti Égalité d’être « montréalo-centriste », de « manquer d’altruisme et d’ouverture d’esprit » et surtout de « fausser le jeu de la démocratie », comme elle le fait à l’endroit du Bloc ?
Madame Gagnon n’est pas seule dans son camp. Cette campagne électorale passera à l’histoire pour avoir inventé un nouvel argument électoral, repris par des gens pourtant réputé intelligents comme Bernard Lord : on reproche maintenant à l’opposition de ne pas adopter de lois et d’être inefficace administrativement ! (Curieusement, le Bloc est la seule cible alors qu’il est encore loin des « records » néo-démocrates qui siègent « impunément » depuis des décennies (sous les étiquettes NPD et CCF) sans avoir fait adopter une seule loi eux non plus !)
Derrière cette rhétorique électorale primaire se cache un mépris pour la fonction de parlementaire et pour le Parlement lui-même. Dans cette perspective, des députés comme Stanley Knowles (un des plus grands parlementaires canadiens) ou Réal Caouette (quoi qu’on en pense), qui ont consacré leur carrière à défendre des principes sur les banquettes de l’opposition, sans espoir de prendre le pouvoir, n’auraient rien fait qui vaille tout en empêchant « le reste du Canada de se donner des gouvernements majoritaires ».
On se demandera ensuite qui essaie de « fausser le jeu de la démocratie ».

Les « ivrognes » de Québec

Jean-Simon Gagné a frappé juste avec sa chronique sur les projets de construction dans le Vieux-Québec («Promesses d’ivrogne», Le Soleil, 28 septembre): « Un promoteur veut ériger un édifice moderne à l’intérieur du périmètre historique? Hips! D’accord pour cette fois. Après, c’est fini. Un bâtiment aura quelques étages de plus que la limite autorisée? Hips! On fera une entorse au règlement, même si on avait promis de ne plus faire ce genre de chipotage. [...] Un projet immobilier est mené sans trop de consultations publiques? Hips! Toutes nos excuses. On ne le referra plus. Promis, juré. Hips! Jusqu’à la prochaine».
Ce point de vue tranche avec celui de son président de corporation qui a cependant soulevé un aspect intéressant, soit l’imposture des croquis d’architecte offerts en pâture aux administrateurs municipaux trop crédules.
Je me souviens des croquis montrant le projet de stationnement du carré d’Youville. On aurait juré une reconstitution des jardins de Babylone. L’auteur du croquis semblait avoir réalisé son oeuvre debout sur le toit de l’édifice d’en face. Ce n’est évidemment pas ce que le piéton normal a vu par la suite et peut encore admirer aujourd’hui.
Cette fois, le croquis montre une fontaine, qui ne pourra tout de même pas remplacer l’arrêt d’autobus, et une calèche, à un endroit où il n’en circule pas, sauf peut-être pour l’aller-retour vers l’écurie. C’est avec ce matériel publicitaire qu’on vend le projet aux administrateurs municipaux? Et l’enveloppe extérieure de l’édifice qui fait le coin, on dit qu’elle sera intégralement préservée? Il faut immédiatement prendre des photos.
Dans ce dossier qui touche une place importante (mais malheureusement déjà passablement massacrée du côté ouest), je suis étonné de la discrétion du ministère de la Culture qui s’acharne pourtant à préserver les ruines du patro Saint-Vincent-de-Paul. Étonné aussi qu’on ne réponde pas au promoteur du projet du Capitole comme on le fait aux artistes qui déplorent les coupures fédérales: « Si vos affaires ne sont pas assez payantes dans les conditions (normes) actuelles, faites autre chose ».

Une femme assaillie

L’ex-copine de l’ex-ministre beauceron a eu beau se couvrir littéralement jusqu’au cou, elle a monopolisé l’attention à la réception donnée pour souligner les 50 ans de l’éditeur qui l’a séduite, la bien-nommée maison des « Éditions de l’Homme ». D’après le reportage du Journal de Montréal, « tous les regards se sont tournés » quand elle s’est présentée « vêtue d’une robe saillante [sic] noire », comme le précise le texte et un bas de vignette.
Une tenue « seyante » n’aurait évidemment pas attiré les flashs et les caméras, mais une robe « saillante » éveille naturellement la curiosité. On présume que la journaliste n’a pas voulu évoquer les saillies littéraires (« traits d’esprit brillants ») ou vétérinaires (« de salire, couvrir une femelle »). Mais aurait-elle eu à l’esprit les structures architecturales qui s’avancent, débordent ou dépassent, comme un « balcon qui saille »?
Peut-être aussi que le chef de pupitre s’est bien amusé. Ça arrive.

Peut-on être député à temps partiel?

(Commentaire sur la chronique de Gilbert Lavoie, « La triple assiettée d’Arthur », Le Soleil, 30 août)
En cumulant ses fonctions de député et celles de journaliste, de conducteur d’autobus et d’annonceur, le député indépendant de Portneuf-Jacques-Cartier à la Chambre des communes n’est évidemment pas dans l’illégalité, juste en rupture d’éthique.
Pendant 30 ans, au Parlement, j’ai entendu les députés justifier les hausses de traitement en invoquant une surcharge de travail: un tue-monde, une machine à divorces, l’éducation des enfants au téléphone, deux ou trois douzaines de municipalités à materner, autant de clubs de l’âge d’or à visiter et quoi encore! Que certains d’entre eux aient de la disponibilité pour continuer l’exercice d’une profession en parallèle m’a toujours étonné : que dire lorsqu’il y en a trois!
Bien sûr, la charge de travail est inégale. D’après ce que j’en ai retenu, les boîtes à lettres ne débordaient pas dans certaines circonscriptions montréalaises et le tapis ne devait pas user vite dans le « bureau de comté » de Jean-Talon. Si on examinait attentivement les exemples de cumul que monsieur Lavoie cite, on verrait probablement qu’il s’agit de « petites » circonscriptions pas très exigeantes pour leur représentant. Les députés-médecins qu’il mentionne n’avaient peut-être pas beaucoup de patients.
Comment le député indépendant de Portneuf-Jacques-Cartier peut-il desservir adéquatement les 70000 électeurs d’une grande circonscription rurale qui comprend une trentaine de municipalités en travaillant à temps partiel? La charge est moins exigeante pour les députés fédéraux? Pourquoi alors sont-ils mieux payés qu’à Québec?
Le député peut faire ce qu’il veut de ses loisirs mais, s’il a autant du temps libre, n’est-ce pas parce qu’il se désintéresse de son rôle de surveillant de l’administration publique, lui qui était pourtant si critique au sujet de la bureaucratie autrefois? La tâche du député-contrôleur est infinie. C’est un peu comme celle d’un journaliste qui se consacre vraiment à sa profession, le genre Vastel, par exemple, qui n’aurait pas pu faire du taxi les fins de semaines. Le député de Portneuf dispose de ressources (budget de recherche, services professionnels de la bibliothèque du Parlement, etc.) pour fouiller n’importe quel recoin de l’administration publique et, en tant que député indépendant (ce qu’il est théoriquement), il a beaucoup plus de latitude que les autres, surtout les ministériels, pour « brasser la cage », comme il l’avait d’ailleurs promis.
S’il n’aime pas la période des questions, rien ne l’empêche de prendre les bouchées doubles en commission. Pourquoi préfère-t-il consacrer ses énergies ailleurs, sinon pour l’appât du gain ou en signe de désintérêt pour le mandat qui lui a été confié?