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Le travail dominical en France : ce n’est pas réglé ?

Le débat fait rage en France depuis la présentation de la « loi Macron » (du nom du ministre de l’Économie) en conseil des ministres au début de décembre. Le premier ministre, citant le président, l’a décrite comme « une loi de progrès et de liberté », conçue pour « créer et développer l’attractivité ».

Il s’agit en fait d’une loi fourre-tout visant à guérir la France de quelques maladies dont la défiance, la complexité et le corporatisme. Une de ses dispositions consiste à assouplir le travail dominical : les commerces pourront travailler cinq dimanches par an sans autorisation spéciale, et jusqu’à douze au total, sur autorisation des mairies. Dans les zones touristiques internationales, l’ouverture sera autorisée jusqu’à minuit. Nouveauté introduite par le Conseil d’État avant la présentation du texte en conseil des ministres : toutes les entreprises commerciales devront verser une « compensation salariale » pour les employés travaillant le dimanche. (http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/12/08/travail-du-dimanche-autocars-professions-reglementees-qu-y-a-t-il-dans-la-loi-macron_4536498_4355770.html#34A0tWEueuqtYGCc.99)

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Voilà qui en étonnera plus d’un (et le soussigné fera lui-même semblant de l’être…) puisqu’il y a 25 ans, quand nous sommes nous-mêmes entrés dans l’ère dite « de progrès et de liberté », on nous chantait sur tous les tons qu’il fallait nous décoincer et faire comme « tout le monde » en Europe. Il se trouvait plusieurs observateurs, surtout chez les journalistes des grands quotidiens (qui travaillaient souvent 4 jours semaines…), pour dire qu’il s’agissait d’un débat d’attardés, que « seuls les Québécois » pouvaient faire de cette question un « débat de société », etc.

Nous étions en retard, paraît-il, alors que notre société était parfaitement normale puisque la question du travail dominical a soulevé des débats dans de nombreux pays occidentaux et que nombre d’entre eux l’interdisent encore ou lui posent de sévères restrictions. (http://www.la-croix.com/Actualite/Europe/Le-travail-du-dimanche-en-Europe-une-situation-contrastee-2014-11-27-1270926)

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En France comme ailleurs, l’assouplissement de la législation concernant le travail dominical suscite la controverse et la réprobation des syndicats, notamment. Selon un sondage qui vient de paraître, six Français sur dix (62%) seraient favorables à l’ouverture des magasins le dimanche, soit 28% tout à fait favorables, 34% plutôt favorables, contre 38% qui y sont opposés, dont 16% tout à fait opposés, mais le même sondage révèle que les Français sont aussi en nette majorité (60%) en désaccord avec l’idée de travailler eux-mêmes le dimanche, une opposition en hausse par rapport à l’an dernier (+4 points). (http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/travail-dominical-une-majorite-de-francais-pour-mais-pas-pour-eux-memes-04-12-2014-4347617.php)

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Le député de l’Essonne et maire d’Yerres, Nicolas-Dupont-Aignan, est de ceux qui s’opposent au travail dominical et qui mesurent bien l’hypocrisie (pour le travail dominical des autres…):

« Hormis quelques zones touristiques, sa généralisation à grande échelle déstructurerait un peu plus notre société et détruirait au moins autant d’emplois qu’elle en créerait. Des milliers d’emplois durables, bien répartis sur le territoire national dans les petits commerces qui n’ont pas les moyens d’ouvrir sept jours sur sept, disparaîtraient, remplacés par des jobs à temps partiel dans la grande distribution. Mais, plus grave, on fabriquerait une France à deux vitesses. D’un côté, ceux qui peuvent consommer le dimanche, et, de l’autre, ceux qui sont condamnés, faute de mieux, à travailler pour les servir. » (http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Moi-president-Nicolas-Dupont-Aignan-non-au-travail-dominical-674220)

 

 

Mourir au mauvais moment

On dit que la mort est la seule chose juste en ce bas monde mais, encore là, il existe une hiérarchie dans la disparition surtout chez ce qu’on appelle les « personnalités ». Le monologuiste Gilles Pellerin, fort populaire à son époque, a eu le malheur de mourir un jour avant Elvis Presley. Son départ n’a pas fait de bruit. Dix ans plus tard, un grand « favori des dames », Yoland Guérard, mourait juste après René Lévesque.

Depuis une dizaine de jours, les départs se sont précipités dans le monde artistique, un décès chassant l’autre : Françoise Gratton, Picolo, Muriel Millard, … et même cette « reine du music-hall » a dû laisser toute la scène à Jean Béliveau.

Un autre grand Québécois a été éclipsé en mourant le même jour que le « Numéro 4 ». Décédé le 2 décembre, André Laurin méritait mieux, dans les médias d’information générale, qu’un simple texte du Soleil perdu en fin de journal (http://www.lapresse.ca/le-soleil/affaires/consommation/201412/03/01-4824974-andre-laurin-1926-2014-un-grand-defenseur-des-consommateurs-seteint.php) et une lettre de lecteur au Devoir (http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/426229/andre-laurin-utopiste), …

Du hautbois au budget familial

Né en 1926, dans une famille aisée de Québec, André Laurin aurait été hautboïste, n’eût été la tuberculose qui lui a littéralement coupé le souffle. Il se retrouve plutôt au comptoir postal de la Compagnie Paquet dont sa mère avait hérité du fondateur, Zéphirin Paquet.

Sensibilisé à la misère des petites gens en accompagnant son père médecin puis en s’engageant dans la société Saint-Vincent-de-Paul dès son adolescence, André Laurin s’intéresse au problème de l’endettement et réussit à redresser la situation de la première famille pauvre qui lui est confiée en lui faisant établir et respecter un budget. Sa tentative pour associer le mouvement Desjardins à une action concertée pour réduire l’endettement est reçue plus que froidement et il se tourne vers la Confédération des syndicats nationaux (CSN) où il crée le service budgétaire familial en 1962. Il se trouvait alors dans une situation paradoxale car la Compagnie Paquet avait contesté la formule Rand jusqu’en Cour suprême!

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Laurin s’attaque aux « compagnies de finance » qui régnaient alors en l’absence de toute réglementation sérieuse protégeant les consommateurs. À Chicoutimi, en particulier, comme le rappelle le président de la CSN, malgré les menaces de poursuites, il mène « une lutte acharnée contre les requins de la finance qui égorgeaient littéralement les travailleurs et leurs familles ». Dans plus de 200 procès, il prouve l’illégalité des contrats de vente à tempérament et des taux d’intérêt exigés par Household Finance et compagnie.

Un réformateur imaginatif

À cette époque où les citoyens trouvaient naturellement des solutions à leurs besoins dans l’action communautaire, André Laurin se consacre à la mise sur pied d’outils neufs. Les caisses populaires établies sur une base paroissiale ne lui semblant pas une formule adéquate pour rejoindre les travailleurs, il inspire et contribue à mettre en place une centaine de caisses d’économie au sein de grandes entreprises. Il imagine ensuite un nouveau genre d’outil communautaire, les associations coopératives d’économie familiale, à la fois centre de dépannage et d’éducation populaire, groupes de pression politique et « réseau de coopératives qui prendrait d’assaut les marchés de la consommation de l’habitation de l’automobile, des produits pétroliers, de l’alimentation, etc. »

André Laurin jouera un rôle déterminant dans la mise en place de la première loi sur la protection du consommateur, de l’Aide juridique et de la SAAQ, mais sa grande réalisation se situe en 1971, avec la création de la Caisse d’économie des travailleurs réunis de Québec, une institution innovante qui a fait un peu de bruit car elle optait pour une approche plus collective que les traditionnels services d’épargne et de crédit aux particuliers. Au lieu de viser le meilleur taux d’intérêt sur les dépôts, elle va plutôt mettre en place des services collectifs comme l’achat en groupe de mazout pour le chauffage domestique. Les membres (syndicats et syndiqués) conviennent de placer une partie de leurs épargnes dans des comptes sans intérêts, et ces fonds sont ensuite prêtés à un très faible taux pour la construction de coopératives d’habitation et sans intérêts pour les travailleurs en grève. Laurin est traité de fou (et d’hérétique par les dirigeants des caisses populaires) mais cette coopérative créée avec quelques milliers de dollars affiche aujourd’hui un volume d’affaires d’un 1,5 milliard$ et s’appelle la Caisse d’économie solidaire… Desjardins.

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Peu connu du grand public, et mort au mauvais moment, André Laurin était une sorte de Michel Chartrand « tempéré » : il n’a pas eu le même « retentissement » que le syndicaliste de Montréal mais il n’avait rien à lui envier sur le plan de l’engagement, des convictions et surtout des réalisations.

La société québécoise, heureusement, a reconnu les mérites de ce réformateur dérangeant. André Laurin a reçu le premier Prix annuel de la protection du consommateur (2003) et le Prix de la justice (2009). Il a été fait chevalier de l’Ordre national du Québec (2012) et l’Université Laval lui a décerné un doctorat honoris causa en science de la consommation (2014).

(Sur André Laurin, une grande entrevue en deux parties sur https://www.youtube.com/watch?v=xLiexBW2cjk)

Œil au beurre noir pour la démocratie municipale

Quelques semaines ont passé et il faut bien se rendre à l’évidence que les accrocs à la démocratie ne font mourir personne à Québec.

En réaction à la lettre que lui avait adressée la conseillère Anne Guérette pour protester contre certainspropos du maire de Québec, la présidente du conseil municipal a soutenu en point de presse qu’elle n’avait pas entendu les propos en question et elle a promis qu’elle serait « intraitable » dès qu’elle entendra des « propos personnels volontairement irrespectueux et disgracieux dirigés vers un membre du conseil ».

Il n’y aurait rien à redire sur cette réaction si la présidente du conseil n’avait pas été « étrangement » (selon le mot du Journal de Québec- http://www.journaldequebec.com/2014/11/06/la-presidente-du-conseil-repond-a-guerette) accompagnée de deux conseillères « qui n’ont pas épargné Anne Guérette », ce qui a créé un « certain malaise  » (http://www.quebechebdo.com/Actualites/Politique/2014-11-06/article-3931266/Faux-pas-de-la-presidente-du-conseil-municipal%3F/1).

« Faux pas de la présidente du conseil municipal? », se demandait timidement Québec-Hebdo. Il n’appartenait évidemment pas aux reporters de jouer les analystes sur la scène municipale et ces derniers, manquant de temps, d’espace, voire de sensibilité envers les institutions démocratiques, sont restés dans les coulisses.

On ne peut tout de même pas enterrer aussi facilement cet incident qui entache gravement la présidence conseil.

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C’est peut-être faire beaucoup d’honneurs à la titulaire actuelle de la fonction que de la comparer au président de l’Assemblée nationale, mais peut-on imaginer ce dernier réagir publiquement à une plainte d’un député de l’opposition flanqué de deux députés ministériels pour appuyer sa position? Ou, pour prendre un exemple d’un niveau qui passera mieux à Québec, verrait-on un arbitre de hockey rejeter le protêt d’un entraîneur en appelant des joueurs du camp adverse en renfort?

On savait déjà que la présidence du conseil municipal ne respectait pas les standards de neutralité que la présidence des assemblées parlementaires a atteints et maintenus depuis l’époque de Duplessis. On sait maintenant que même les apparences d’impartialité se sont évanouies.

Un troisième crucifix au musée?

Dans le débat sur le crucifix de l’Assemblée nationale, le patrimoine a le dos large. Nul doute que l’Hôtel du Parlement constitue un trésor avec tous ses éléments architecturaux et les œuvres d’art qui se sont ajoutées par la suite conformément au plan que l’architecte avait imaginé. Taché avait notamment prévu des niches qui ont été pourvues de bronzes à l’extérieur, mais sont restées vides à l’intérieur. Il avait planifié l’installation de peintures dans de grands cadres construits à même le mur dans les deux salles de séances. C’est lui qui a conçu la décoration intérieure et extérieure, les emblèmes floraux et autres, les armoiries, les monogrammes, etc. Il a dessiné personnellement le « trône » qui comprend des gradins et le dais, cette structure verticale derrière le fauteuil du président de l’Assemblée.

Au sommet de cette structure, Taché a fait sculpter les armoiries du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande, symbole de la monarchie qui règne toujours sans vraiment gouverner et de son représentant à Québec, le lieutenant-gouverneur, le « sommet » de nos institutions politiques à cette époque et, théoriquement, encore aujourd’hui. Taché y a aussi fait sculpter des armoiries du Québec, mais pas d’armoiries canadiennes, d’abord parce qu’il n’y en avait pas officiellement encore (telles qu’on les connaît depuis 1921) et aussi parce que la couronne symbolisée par les armories du Royaume-Uni était « québécoise » en ce sens que le lieutenant-gouverneur représente directement la reine (ou le roi), et non le gouvernement fédéral, et que le Parlement québécois légifère de façon souveraine dans ses champs de compétences. Les références au Canada (des « C » au-dessus des portes latérales) sont bien discrètes.

Taché agissait au nom de l’État et devait en respecter les institutions. On voit mal comment il aurait pu insérer un symbole religieux aussi porteur de sens et détonnant qu’un crucifix, entre la tête du président de l’Assemblée et les armoiries royales. Le Québec sortait alors d’un grand débat sur le rôle de l’Église en politique et la Cour suprême venait de condamner l’influence « indue » des évêques dans les élections.

Comment en est-on arrivé, en 1936, à faire ce que personne n’avait imaginé encore et que personne n’oserait faire aujourd’hui? L’introduction d’un crucifix dans la salle des séances de l’Assemblée a été expliquée plusieurs fois[1], mais de nombreux participants au débat surréaliste qu’on vit actuellement croient encore que cet objet fait partie de notre tradition parlementaire bicentenaire. Il faut redire qu’il est apparu avec le premier gouvernement Duplessis (sans qu’on puisse à 100% lui en attribuer la « paternité »). On ignore d’ailleurs généralement que le gouvernement Taschereau avait mis des crucifix dans les palais de justice, ce qui relativise passablement le rôle de Duplessis dans la construction de l’alliance Église-État.

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S’il était resté au pouvoir, Taschereau aurait-il franchi le pas, lui, le fils d’un des juges qui avaient prononcé le fameux jugement de 1877? Avec un T.-D. Bouchard anticlérical à ses côtés? Douteux! Duplessis était dans un autre monde avec des collègues comme Albiny Paquette, qui allait bientôt recueillir les fruits de son militantisme catholique sous forme de multiples décorations (membre de l’Œuvre de Terre Sainte, décoration de l’Ordre latin, croix de Jérusalem, grand-croix de l’Ordre équestre du Saint-Sépulcre, croix d’or de Saint-Jean-de-Latran, officier de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem …). Paquette s’est attribué le mérite d’avoir fait poser le crucifix en 1936 ; on ne voit pas à quel titre il a pu agir (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2007/04/03/duplessis-le-crucifix-et-le-garagiste-de-rouyn/) mais il n’ignorait sûrement pas que Mussolini avait donné l’exemple en Italie treize ans plus tôt.

Le crucifix de 1936 a survécu à la Révolution tranquille et au « ménage » qui a suivi l’abolition du Conseil législatif à la fin de 1968. Bien des « accessoires » du parlementarisme (dont les trois T : toges, tricornes et tabatières) ont été relégués aux oubliettes. Le crucifix du « Salon rouge » (la deuxième chambre ayant suivi l’exemple de la première) a été enlevé, même si des travaux parlementaires (très importants, se plaît-on à dire) se sont poursuivis dans cette salle. Où est-il passé? Je crois l’avoir vu traîner dans un cagibi attenant à la salle des toilettes, près de mon bureau, vers 1976. Triste sort pour un objet « patrimonial ». Qui s’en souciait?

Celui de l’Assemblée a survécu à la Révolution tranquille et au PQ. En 1976, le président a cessé de lire la prière traditionnelle et plutôt invité les députés à observer un « moment de recueillement » (suivant en cela la lettre du règlement adopté en 1973), ce qui a soulevé une petite tempête : le dernier membre de la phalange créditiste de 1970 a demandé le rétablissement de la prière mais sa motion a été défaite. Le président Richard n’a pas osé retirer le crucifix. Sa justification aurait pu être la même : « C’est par respect pour les membres de cette Assemblée, qui ne sont pas nécessairement tous de la même dénomination religieuse, et c’est par respect pour l’Assemblée que j’ai choisi un mode de prière que je laisse à la liberté de chacun. Chacun aura le loisir, au moment de la période de recueillement, de faire la prière qu’il entend […]. »

Sous la présidence de son successeur, à la suite d’on-ne-sait-quelle démarche, pression ou réflexion, le crucifix de 1936 a été remplacé. Un article publié dans Le Soleil du 8 avril 1986 nous apprend que, « depuis 1982, une pièce nouvelle a remplacé l’ancienne ». Un « certificat d’enregistrement » fourni au président de l’Assemblée le 4 février 1986 le confirme et précise que ce crucifix a été « offert gracieusement à l’Assemblée nationale le 4 mars 1982 » par l’artisan Romuald Dion qui l’a « remodelé en août 1984 & juillet 1985 », soucieux d’inscrire son œuvre dans le « courant archéologique par la tenue du corps sur la croix et par la figure plus divine que paysanne ».

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L’objet original qu’on avait hissé à la place d’honneur en 1936 était-il démodé? Le Soleil du 8 avril 1986 nous informe qu’il est devenu « objet de musée au parlement ». Or, il n’a pas été exposé dans le musée créé en 1976, musée qui errait alors (après avoir été délogé par le studio de la télévision des débats en 1978 ou 1979), ni dans les vitrines qui lui ont succédé vers 1984. Au mieux, il aurait rejoint celui du Conseil dans un quelconque débarras.

Si l’Assemblée nationale a bien géré son patrimoine, elle aurait donc déjà deux crucifix « patrimoniaux » dans ses réserves : pourquoi pas un troisième?

Les élus québécois éviteraient que le crucifix devienne un enjeu politique ou électoral surréaliste et adopteraient une attitude responsable s’ils prenaient l’initiative d’un mouvement de réflexion qui aurait pour but de faire comprendre aux citoyens, souvent peu familiers avec leurs institutions politiques, que le « Salon bleu » n’est pas le sous-sol qu’on décore à son gré et qu’un symbole religieux comme le crucifix ne peut pas « présider aux délibérations » (comme on disait en octobre 1936) de la plus importante institution démocratique du Québec.

On répondra qu’il n’est pas facile de faire de l’éducation citoyenne quand le débat est mal engagé et que les partis entretiennent eux-mêmes la confusion, comme on l’a vu dans le cas de l’unifolié au Salon rouge: le PLQ et la CAQ y défendent la présence du drapeau du Canada au mépris du concept de partage des compétences dans le régime fédéral et des usages protocolaires élémentaires. Dans le cas du crucifix, le PLQ adopte une position étonnante, lui, l’héritier des Patriotes et des Rouges, des membres de l’Institut canadien, de Laurier, qui a dû défendre son parti face à l’Église, de plusieurs autres chefs en butte avec les évêques, des nombreux pères de la Révolution tranquille, etc. Pas facile à suivre, comme le constatait l’ex-juge L’Heureux-Dubé la semaine dernière, et elle ne savait pas encore que son parti serait appuyé dans sa croisade par les Bérets blancs qu’on croyait morts depuis longtemps!


[1] Jean-Guy Pelletier, « Le crucifix à l’Assemblée nationale », BBAN, 17, 3-4 (novembre 1988), p. 7-8; Gaston Deschênes, « Duplessis, le crucifix et le taxi de Rouyn », BAAPQ, 8, 1 (printemps 2007), p. 5-7; Martin Rochefort, « L’introduction de la prière et du crucifix à l’Assemblée nationale du Québec », BBAN, 37, 2 (automne 2008), p. 18-23.

Blues du blogueur

 « Qu’heureux est le mortel qui, du monde ignoré,

Vit content de soi même en un coin retiré,

Que l’amour de ce rien qu’on nomme renommée

N’a jamais enivré d’une vaine fumée,

Qui de sa liberté forme tout son plaisir

Et ne rend qu’à lui seul compte de son loisir.

Il n’a point à souffrir d’affronts ni d’injustices

Et du peuple inconstant il brave les caprices.

Mais, nous autres, faiseurs de livres et d’écrits,

Sur les bords du Permesse[1] aux louanges nourris,

Nous ne saurions briser nos fers et nos entraves,

Du lecteur dédaigneux honorables esclaves.

Du rang où notre esprit une fois s’est fait voir,

Sans un fâcheux éclat, nous ne saurions déchoir.

Le public enrichi du tribut de nos veilles

Croit qu’on doit ajouter merveilles sur merveilles.

Au comble parvenus, il veut que nous croissions,

Il veut en vieillissant que nous rajeunissions. »

Boileau, Épitre VI, 1667

 


[1] Rivière qui arrose la demeure des Muses.