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Les « Rencontres » du 3 juillet : « speed dating » historique

(Texte préparé pour le collectif Commémoration 1608-2008, 12 juillet 2008; publié dans Le Devoir le 16 juillet)
La Société du 400e a fait le point sur les quatre journées qui constituaient le cœur des célébrations de 2008 et qui comprenaient le tiers de ses « grands événements », soit Bonne fête, Québec (messe, salut à Champlain, parade, feux d’artifice, etc.), les spectacles Québec plein la rue, la Grande Rencontre familiale sur les plaines et le spectacle Rencontres devant l’hôtel du Parlement. Satisfaction bien légitime et soulagement certain : les autres grands événements couleront comme un festival quatre-saisons avec le karaoké de Deschamps, le Chemin qui marche (spectacle sur le fleuve), Céline (avec accent, pour la circonstance), le Cirque du Soleil et le Beatle des plaines d’Abraham.
Touché par les félicitations méritées qui viennent du public, le directeur général a résumé son état d’esprit : « J’essaie de trouver quelque chose qui n’a pas marché mais j’ai de la misère, pour être franc avec vous ». La presse ne l’a pas aidé dans ses recherches ; pourtant, si le bulletin est excellent sur le plan festif, il reste une matière avec laquelle la Société du 400e éprouve des difficultés.
De toutes les activités de cette grande semaine, la seule qui promettait un contenu historique était Rencontres, les autres étant protocolaires ou festives. Les concepteurs ont eu le génie de mobiliser Champlain, magnifiquement personnifié par Yves Jacques, et les autres statues de la façade de l’hôtel du Parlement ; ils ont habilement utilisé la fontaine de Tourny pour donner du mouvement à ce spectacle original. D’autres concepteurs avaient utilisé la façade comme fond de scène mais on est allé plus loin cette fois-ci en sortant les bronzes de leurs niches pour en faire des acteurs, des danseurs et des acrobates.
Pour évaluer ce « spectacle commémoratif », il faut rappeler ce qui était prévu au programme : « C’est Samuel de Champlain […] qui racontera ces 400 ans à travers plus de dix tableaux impressionnistes et musicaux. Les plus beaux textes de la poésie et de la chanson d’ici seront pour l’occasion interprétés par de grandes voix du Québec et de la francophonie ». Du Québec ou de la ville de Québec? La confusion est facile. A-t-on vu la ville, ses auteurs-compositeurs et ses interprètes dans ces chansons ? À part les Ailes d’un ange (qui mentionne le mot « Québec »), y en avait-il une seule ? Faut-il comprendre que le sujet avait été brûlé le 31 décembre et la liste des candidats, épuisée ? Yves Jacques a donné une franche explication dans le Soleil du 6 juillet : « On fait les choix en fonction des artistes qu’on peut avoir. Or, après le fiasco du 31 décembre, il n’y a plus un artiste qui voulait participer à quoi que ce soit du 400e. Personne ne voulait faire le spectacle. On fait avec ». Pour avoir seulement surmonté cet obstacle, les artisans du spectacle du 3 juillet méritent des félicitations.
Sur le plan artistique, chacun évaluera le spectacle selon ses goûts musicaux. Tant mieux si l’on reconnaît les « plus beaux textes de la poésie et de la chanson d’ici » dans ce que Charlebois, Dufresne et Pagliaro ont chanté ou dans les airs sud-américains d’Alys Roby. Que reste-t-il alors de nos meilleurs ? Bozo, un Tour de l’île écourté de plusieurs milles, mais heureusement une finale signée Leclerc et un Vigneault bien vivant avec Gens du pays. Certes, sa chanson Les Gens de mon pays aurait résonné davantage, mais on imagine que Vigneault n’a pas eu à choisir. En descendant la rue Saint-Jean, Quartier latin, Jos Monferrand ou Les Québécoises auraient eu leur place dans un spectacle qui devait honorer la ville de Québec, tout comme le Programme double, Tôt ou tard, La basse ville ou La partie de hockey d’un Sylvain Lelièvre totalement ignoré.
Le contenu historique du spectacle tenait essentiellement dans deux ou trois chansons (dont l’acadienne Évangéline), la présence de Champlain et l’introduction des tableaux qui ne pouvaient aller au-delà d’un « beau clin d’œil », comme Yves Jacques l’a dit. Dans le tableau sur la femme, par exemple, il n’a pu que mentionner quelques noms et on a enchaîné avec le Rock pour un gars de bicycle, un hymne douteux à la condition féminine. Dans une autre introduction, il était question des statues qui dialoguaient, mais leurs propos tenaient en quelques mots sans véritable pertinence avec l’interprète qui suivait. Les bronzes en auraient pourtant eu long à dire : Frontenac avec ses canons, Montcalm qui meurt au combat, Lévis qui gagne à Sainte-Foy, puis Papineau qui représente ses compatriotes, La Fontaine qui insiste pour parler français au Parlement, Mercier et Duplessis qui plaident l’autonomie, Lesage, maître chez lui, Lévesque, souverainiste, et Bourassa, « libre de ses choix ». Ces « rencontres » n’ont pas eu lieu.
Au lieu de prendre acte du succès indéniable de ce spectacle en tant que tel, la Société du 400e tient absolument à lui conférer un « caractère historique » : « On ne voulait pas d’un show de variété », a déclaré le directeur général (Le Soleil, 7 juillet). Bien placé pour en juger, mais peut-être peu diplomate, Yves Jacques avait justement dit le contraire la veille : « […] c’est de la variété, pas un spectacle historique ». Il sait la différence entre Rencontres et un spectacle à caractère historique comme La Fabuleuse qui raconte le Saguenay—Lac-Saint-Jean (un projet de ce type a été proposé sans succès à la Société du 400e) et ce qui distingue Rencontres du Moulin à images de Robert Lepage, une prouesse artistique et technologique qui est entièrement consacrée à l’histoire de Québec, divisée en périodes originales, évidemment très brève en matière de contenu, impressionniste, tel que promis.
Dans l’entrevue déjà citée, Yves Jacques dit avoir insisté pour porter les couleurs de la France et du Québec : « Ce n’est pas la naissance du Canada qu’on fête mais la naissance de Québec et par le fait même du fait français en Amérique ». Dans le point de presse de dimanche (Le Soleil, 7 juillet), le directeur général du 400e s’est aussi aventuré sur le même sujet en comparant 2008 et 1908 : « En 2008, on sent que le fait francophone et la survivance de la langue française en Amérique du Nord ont été au centre des festivités » de la semaine ; la presse l’a aussitôt « questionné sur ces propos » et il a dû se défendre « de faire de la politique » : « C’est un état de fait, ce n’est pas une opinion, a-t-il justifié. À la Société, on n’a rien téléguidé, mais les choses se sont faites comme ça… »
Rien téléguidé? Les historiens verront bien si la Société du 400e elle-même ne l’était pas. Entre-temps, si les choses « se sont faites comme cela » (soit pas exactement comme elles étaient prévues), c’est parce que des gens ont réagi, l’hiver dernier, et que leurs réactions correspondaient au sentiment d’une grande partie de la population On avait compris que la Société du 400e servait de l’histoire avec parcimonie, laissant cette matière « dangereuse » aux soins des citoyens, des éditeurs, des sociétés savantes, des sociétés d’histoire et de généalogie, qui se sont débrouillés sans aide financière, mais avec un succès certain comme en témoignent les ventes dans les librairies de Québec. « L’histoire semble avoir repris sa place dans le cadre du 400e anniversaire de la ville de Québec », dit-on ce matin (12 juillet) à Radio-Canada. C’est que les Québécois peuvent absorber davantage que des clips et des clins d’œil.

Le « Moulin à images » : exceptionnel !

Le Moulin à images est une réalisation exceptionnelle à plusieurs égards. Si l’exposition Passagers/Passengers a sa valise-gadget et Rencontres, son utilisation inspirée des statues du Parlement, le Moulin repose sur une idée de génie mais aussi sur des dizaines de trouvailles qui étonnent le spectateur d’un bout à l’autre du spectacle. Robert Lepage et son équipe ont su exploiter à la fois la verticalité des silos et la longueur de l’écran qu’ils forment. Les silos deviennent des pieux, des balles, des cigares, des cigarettes, des éprouvettes. Les baleines, les voiliers, les voitures, les trains, les militaires traversent tour à tour l’écran géant. Les séquences s’enchaînent avec ingéniosité : ainsi, les manifestants du « samedi de la matraque » se transforment subitement en batailleurs sur glace.
Le Moulin est une prouesse artistique et technique incomparable. L’historien-éditeur qui publie des centaines de pages de texte avec quelques milliers de dollars est un peu jaloux de voir les millions de dollars qu’on peut investir pour diffuser quelques dizaines de pages de contenu mais c’est un autre monde et le Moulin vient d’y poser une barre extrêmement haute.
Le Moulin à images est aussi une réalisation exceptionnelle parce que c’est le seul des « grands événements » du 400e qui propose un contenu résolument historique et qui se consacre entièrement à la ville de Québec. Bien sûr, ce n’est pas un cours d’histoire et il n’est pas vraiment pertinent de discuter des choix du concepteur car Robert Lepage a bien précisé qu’il s’agit d’une œuvre impressionniste. Ses impressions sont cependant structurées autour de quatre thèmes qui constituent une périodisation originale (chemin d’eau, chemin de terre, chemin de fer, chemin d’air). Les années de fondation passent vite tandis que la dernière partie est beaucoup plus longue ; on comprend que le matériel audiovisuel a influencé la répartition du contenu.
Les spectateurs ont-ils compris ? Sur ce plan, on peut se poser des questions. Bien des spectateurs repartent heureux d’avoir simplement vu de belles images et des effets spectaculaires. Qu’ont-ils appris qu’ils ne savaient pas déjà? Ont-ils reconnu Louis XIV, le cardinal Villeneuve ? Au Musée de la civilisation, les amateurs de plantes potagères ont droit à un luxueux dépliant qui leur permet de retracer la moindre ciboulette; peut-être faudrait-il en faire autant pour le Moulin, au risque de brûler les punchs.
Le Moulin à images est aussi exceptionnel par sa durée et son accessibilité. À la fin de l’été, des centaines de milliers de personnes auront vu cet aperçu spectaculaire de l’histoire de Québec produit par un fils de Québec. Comme l’aurait dit René Lecavalier, dans « une montée à l’emporte-pièce », Robert Lepage a sauvé le 400e d’un blanchissage « historique ».

Viens conter ta vie!

Dans l’analyse de la programmation du 400e que j’ai donnée en conférence en avril, j’avais salué l’ajout d’un onzième «grand événement», Viens chanter ton histoire, en classant ce spectacle présenté sur les Plaines le 15 juillet parmi les activités à «contenu historique».
Je me corrige. Après avoir vu le cahier des paroles (http://monquebec2008.sympatico.msn.ca/MonQuebec2008/?module=events&id=1&eventid=410) de ce karaoké géant (dont la typo est un clin d’œil aux carnets de chansons des scouts et de la JEC), j’ai réalisé que l’histoire en question était celle des artistes invités. Le titre du spectacle pourrait être «Viens conter ta vie», chaque artiste livrant un témoignage personnel (et bien légitime) sur sa propre existence.
Outre ces témoignages personnels, il y a UNE chanson sur Québec (La plus belle fleur du Saint-Laurent de Martin Deschamps, excellente), Le blues d’la métropole, dont la pertinence n’est pas évidente, quatre chansons en «hommage» à Ferland et deux titres en «clin d’œil» (sic) pour Félix Leclerc. Reste à voir les images et les surprises.
À classer donc dans le Festival d’été de 2008 qui s’en trouvera encore grandi.

Le chef de l’Opposition officielle propose de « baisser la garde »

Probablement mal informé et confondant peut-être le Collectif Commémoration 1608-2008 avec les alter-mondialistes, le chef de la Loyale opposition de Sa Majesté a tenu des propos inacceptables au sujet des organisateurs de l’activité tenue au Parc de l’Amérique française à 11h30 jeudi. Entre la messe de 9h00 et le spectacle prévu pour 15h30 devant l’Hôtel du Parlement, pendant le Salut à Champlain réservé aux notables et le défilé militaire, le Collectif avait invité les Québécois à une activité de commémoration faite de chansons, de poèmes et de discours.
Pour le chef de l’ADQ, selon ce qu’on a pu lire dans La Presse du 3 juillet, « les gens qui font ça au Québec, on appelle ça des casseux de party ou des chiqueux de guenille ». Selon lui, « les contestataires auraient dû « baisser la garde et célébrer » aujourd’hui, même si les fêtes du 400e ne correspondent pas exactement à leurs attentes ».
Le mini-spectacle du Parc de l’Amérique visait à souligner une dimension que le 400e de Québec a négligé soit le fait que 1608 marque les origines de l’Amérique française. Bien sûr, les orateurs qui se sont succédé au pied de la statue de Champlain jeudi ont exprimé cette idée sur divers tons (on note d’ailleurs que le discours évolue agréablement…) mais, au-delà des mots trop faciles à commander aux rédacteurs de discours, il faut que « les bottines suivent les babines » et que les grandes déclarations se répercutent dans le concret. Et pas seulement le 3 juillet.
Ceux qui partagent les préoccupations du Collectif sont maintenant habitués à se faire traiter de tous les noms : « chiâleux » par l’ancien ministre responsable de Québec, « colons » par le maire et maintenant « chiqueux de guenille » par le chef de l’Opposition officielle, dont ce n’est pas habituellement le rôle de censurer les citoyens qui ne font que s’exprimer librement (le dernier exemple à ne pas suivre en cette matière ayant eu lieu en 2000 avec Yves Michaud comme victime).
Ceux et celles qui étaient au Parc de l’Amérique française n’auraient peut-être pas eu à protester autant si l’Opposition avait joué son rôle (contrôler les actes du gouvernement) dans ce dossier et posé des questions plus tôt. Leur mini-spectacle ne dérangeait personne, du moins physiquement. Il n’empêchait personne de « célébrer » mais visait à rappeler aux Québécois et aux autres francophones d’Amérique qu’ils ne doivent justement pas – et ne pourront d’ailleurs jamais – « baisser la garde ».

Enfin, de bonnes nouvelles!

À la cérémonie protocolaire du 3 juillet, le plus haut dignitaire étranger sera le premier ministre français François Fillon, accompagné de deux anciens premiers ministres, Raffarin et Juppé, et de la présidente du Conseil de Poitou-Charentes (pays de Champlain d’où sont issues de nombreuses familles-souches), madame Ségolène Royal. Le Royaume-Uni sera modestement représenté par son haut-commissaire à Ottawa et la consule générale britannique, les États-Unis, par leur ambassadeur à Ottawa et le gouverneur du Vermont. Seront aussi présents le ministre irlandais des Affaires européennes et le ministre de la Santé wallon. Bref, la France occupe la place d’honneur pour célébrer le 400e anniversaire de sa présence en Amérique.
Le Soleil rapportait lundi que la Société du 400e se disait tout de même satisfaite. «Ce qu’on voulait, c’est que les trois peuples fondateurs soient représentés. Qu’il y ait au moins une représentation pour chacun», [soulignait] la porte-parole de la Société du 400e [...], faisant référence à la France, au Royaume-Uni et aux Premières Nations ».
Finalement, il n’y a rien de parfait en ce bas monde! En plus de Champlain, Henri IV, Dugua de Mons, Anadabijou, Dupont-Gravé, etc., il y aurait aussi « trois peuples fondateurs » de Québec? Je veux bien considérer que les Montagnais ont facilité la fondation en invitant explicitement les Français à s’établir (moyennant un appui à leurs guerres contre les Iroquois), mais les Anglais sont bien les derniers qui auraient collaboré avec Champlain! Quand les Kirke se sont présentés devant Québec en 1628, ce n’était pas pour lui organiser un party à l’occasion du 20e anniversaire. Madame Tremblay a sûrement été mal citée.
Espérons maintenant que le premier ministre du Canada s’inspirera du bon exemple donné par la « presque reine » qui a dit à Ottawa le 1er juillet : « Nous célébrons le 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec et, par la même occasion, quatre cents ans de présence francophone en Amérique. Quatre cents ans de courage, d’entêtement et d’audace ».