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Le petit monde du chemin du Roy des années cinquante et soixante (1)

À Saint-Jean-Port-Joli, le chemin du Roy suit le tracé établi par les grands voyers au début du XVIIIe siècle ; il se prolonge dans la rue de l’Ermitage et la rue des Artisans. À l’époque, les maisons ont souvent précédé la route et cette dernière a suivi les maisons. En 1937, pour accommoder les véhicules automobiles, les autorités ont décidé de réduire les courbes dans le village et de sabrer dans cet aménagement bicentenaire en redressant la route 2, dite « route nationale » (aujourd’hui la 132), entre l’église et la croix de Tempérance (érigée en 1939). « Le chemin que l’on a tracé en 1937 a défiguré le coin, écrivait Gérard Ouellet dans Ma paroisse en 1946 (p. xi), mais on n’y peut rien ». Mais aurait-on pu faire autrement ? Sûrement. On a bien contourné et préservé le cœur du village à Beaumont, Saint-Michel, Saint-Vallier, Berthier, Cap-Saint-Ignace…

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Saint-Jean-Port-Joli vers 1905 (coll. privée)

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Saint-Jean-Port-Joli en 1947; à l’extrême-gauche, la boulangerie Caron (coll. BANQ).

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Je suis né le 23 octobre 1948, quatrième d’une famille de « babyboomers » typique, dans la maison qui porte aujourd’hui le numéro 11, chemin du Roy Est, soit dans la « basse-ville », comme le journaliste Louis Morneau désignait cette partie de sa paroisse natale dans L’Action catholique du 2 septembre 1945 : « [Le village de Saint-Jean-Port-Joli] présente ce détail topographique d’être, pour ainsi parler, coupé en deux par une côte raide et tournante (la côte de l’église), laquelle le divise en deux parties bien tranchées, qu’on pourrait appeler le bas-village et le haut-village… comme, à Québec, on dit la basse-ville et la haute-ville ».

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La « Basse-ville » vers 1945, avant l’ouverture des chemins l’hiver (coll. privée).

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Saint-Jean-Port-Joli vers 1950 (coll. privée).

La « partie haute », poursuivait-il, « est le quartier bourgeois, fashionable » et « sans contredit, la plus belle, la plus intéressante. […]. On n’y voit guère que des vergers magnifiques, des jardins splendides, des fouillis d’arbustes en fleurs, et surtout des arbres superbes — érables, châtaigniers, peupliers — qui voilent en partie, qui cachent même quasi complètement les résidences bourgeoises, dont plusieurs, fort anciennes — telle celle de M. le notaire Deschênes — sont d’un style noble et bien français. »
C’est effectivement en haut de la côte qu’on trouvait les « institutions » (église, presbytère, salle municipale, bureau de poste, bureau d’enregistrement, etc.), les professionnels (médecins, notaires, arpenteurs, etc.), le chic Castel des falaises, le réputé marchand général Lavallée.
Toujours selon Morneau, « la partie basse du village en est en quelque sorte, le quartier populaire : n’y résident guère que des gens laborieux, navigateurs et tâcherons, ainsi que des rentiers modestes ».

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Mes parents ont pris possession de cette propriété le 26 octobre 1947, après avoir vécu trois ans dans leur première maison (aujourd’hui le numéro 17), acquise en septembre 1944, et avoir précédemment passé un an à loyer dans ce qui est aujourd’hui le café Bonté divine (le numéro 2) après leur mariage en juillet 1943.
Le boulanger Benoît Caron a occupé cette maison quelques années (1944-1947) avant d’aller s’établir sur la rue du Quai. Son départ marquait la fin d’une série de boulangers sur cet emplacement, le précédent ayant été Alphonse Abel dont l’enseigne traînait encore dans la cave pendant mon enfance.

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La maison vers 1920, du temps de la boulangerie (coll. privée).

11 ch. du Roy, début '60Après rénovation, au début des années 1960 (coll. privée).

La boulangerie se trouvait dans une annexe érigée perpendiculairement au bâtiment principal, une maison québécoise typique au toit galbé recouvert de tôle à baguette. La déclivité du terrain faisait en sorte que le boulanger travaillait dans l’équivalent d’un rez-de-chaussée. Une fois les équipements enlevés, nous avons pu disposer d’un bel espace de jeu avec plancher de ciment. Notre cuisine se trouvait à l’étage. Cette annexe a été remplacée par une construction plus moderne en 1961 et le terrain a été mis au niveau avec la rue.
Si la boulangerie a disparu en arrière, une autre entreprise est entrée en avant en 1947. Mon père était « secrétaire gérant » de la Société coopérative agricole locale fondée en 1942 et, jusqu’à l’installation de ses bureaux « à la Station », le « siège social » était chez nous, « première porte à gauche » en entrant, dans ce qui était auparavant le salon. Le personnel de soutien était réduit au minimum : une secrétaire, la sœur de maman, qui a résidé chez nous jusqu’en 1958.
Devant la maison se trouvait un immense érable à Giguère qui servait de portail de jeu naturel. On y grimpait pour le plaisir et aussi, par défi, comme atteindre la lucarne et pénétrer dans ma chambre, et même traverser le toit pour redescendre par un balcon à l’arrière… Le fameux arbre a aussi servi de support pour un trapèze, un « câble de Tarzan » et quoi encore ! Le tout « avec pas de casque ».

11chduRoyE, v1948.réduiDenis, Germain et Annette  vers 1947 ; à l’arrière-plan, la maison du barbier Cloutier (coll. privée).

Gaston 1948 Parterre- réduit

Gaston (1950?). Devant la maison, le parterre était plus bas qu’aujourd’hui et clôturé; à l’arrière-plan, la maison du bedeau Chouinard (coll. privée).

À l’arrière de la maison, on pouvait jouer à la balle-molle (tant que les joueurs ne frappaient pas trop fort), entre la maison et la « grange », mais la majeure partie de l’espace était occupée par un jardin comprenant un potager, des framboisiers et quelques arbres fruitiers, plutôt bons pour le poêle à bois, mis à part celui qui produisait de délicieuses prunes « blanches », celles, disait-on, qui sont rouges, quand elles sont encore « vertes », et jaunes à maturité…
Quant à la grange, elle était à cheval sur deux époques. Utilisée pour l’automobile à un bout, elle avait encore des stalles pour les chevaux à l’autre, avec un carreau pour évacuer le crottin à l’arrière, ce qui avait donné un sol propre à la croissance de la rhubarbe dans le jardin.

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Notre voisin de gauche (numéro 9) était Gérard Fortin, un marin devenu sculpteur comme ses maîtres les Bourgault. Il avait sa boutique derrière la maison, dans un hangar qu’il avait haussé d’un étage. L’atelier proprement dit était bien éclairé à l’ouest; Gérard préparait son bois au rez-de-chaussée, plus sombre et poussiéreux. À quelques reprises, je lui ai demandé de couper du bois sur son banc de scie pour faire des flèches ou un cerf-volant.
Gérard sculptait diverses choses, dont des lampes, des bols à salade en forme de feuille d’érable et d’autres petits objets chéris des touristes. Son frère Laurent a travaillé là avant que Gérard n’aille installer un nouvel atelier à l’est du village. Son épouse, Aimée Chouinard, l’assistait dans la finition de certaines pièces, mais elle avait d’autres intérêts et donnait notamment des cours de piano aux filles du voisinage.
Les Fortin n’avaient pas d’enfants, mais ne vivaient pas seuls. Aimée s’est occupée de son père, l’ancien capitaine Euclide Chouinard, veuf depuis 1945 et mort en 1960 (dont elle a probablement hérité la maison) et de son oncle Edmond Robichaud (mort en 1959), un « vieux garçon » surnommé « le p’tit bossu » — à une époque où on ne s’enfargeait pas dans les handicaps ni les identités. Vivait là aussi Philomène Leclerc, « vieille fille » de son état, secrétaire de la fraternité du Tiers-Ordre et membre de plusieurs autres congrégations, « zélatrice [distributrice] de plusieurs annales », dont celles de la bonne sainte Anne, heurtée mortellement le 6 août 1955 par l’automobile d’un aviateur de l’Ontario…

Philomène011

Chez Lucien-Avant_1950

Vue aérienne vers 1950. De g. à d., première rangée (sur la route 132, la pharmacie Cloutier et le restaurant; sur la deuxième, de l’arrière, les maisons de P.  Pelletier, d’A. Deschênes, de G. Fortin, de G. Normand et de Z. Caron; sur la troisième, de l’autre côté du chemin, le toit de la maison d’A. Chouinard, les maisons du barbier Cloutier et de G. Ouellet; plus haut, une partie de la maison R. Legros et la maison d’A. Bois; au fond, la rue Verreault (coll. privée).

Entre la maison de Gérard Fortin et celle de Georges Normand (numéro 7), un étroit passage permettait de se rendre au restaurant Chez Lucien (aujourd’hui l’Espace Plastiques Gagnon), où se trouvaient l’arrêt d’autobus et, plus tard, une salle de billard, au garage Dionne (aujourd’hui la Société des alcools) ou au quai en passant par la cour des Normand qui joignait celle du restaurant et en évitant ainsi les détours par les voies officielles. En fait, « Ti-Georges », qui était « chauffeur de taxi », se rendait plus directement à la route nationale en empruntant ce raccourci, surtout quand il est devenu chauffeur d’autobus scolaires. Pour atteindre la même destination, nous coupions même souvent au plus court en passant entre la boutique et la maison de Gérard, la clôture entre lui et son voisin laissant un passage qu’il aurait pu facilement fermer ou nous interdire.

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Georges Normand et sa femme Joséphine Cloutier étaient tous deux originaires du Trois-Saumons. Ils habitaient l’ancienne maison du capitaine David Toussaint, décédé en 1943. Mariés en 1944, ils avaient quatre enfants qui ignoraient, comme nous, leur futur statut de « babyboomers ». La sœur de Georges, Lucie, est décédée dans la grande tragédie aérienne de l’Obiou en novembre 1950 ; sa femme était la sœur du bien connu « Ti-Blanc », propriétaire du restaurant La Coupe au lac Trois-Saumons.
C’est chez les Normand que je crois avoir vu la première fois un appareil de télévision, un après-midi, après l’école. Monsieur Normand était assis devant l’appareil, somnolant, en attendant un appel ou le début des émissions qui ne commençaient alors qu’en fin d’après-midi. À l’écran, « la mire », avec la tête de l’Indien et toutes ces lignes qui permettaient d’ajuster l’appareil. Pas très intéressante, la télé… Par la suite, je me souviens d’y être allé pour regarder Les Plouffe, le mercredi, à 8 h 30, mais pas question de regarder la lutte qui suivait à 9 h.

Horaire télé 1956

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Je n’ai pas grand souvenir des occupants de la maison suivante (numéro 5), chez « Zodique » (Zotique) Caron, sinon d’avoir vu un homme en fauteuil roulant sur le perron. Mes sœurs me rappellent que ce monsieur, Philippe Caron, était célibataire et vivait avec deux autres célibataires, ses sœurs Annette et Marguerite.
Le voisin à l’ouest était « Ti-Coq », né Philias Fournier, marié en premières noces avec Joséphine Legros (la première des 26 enfants d’Albert Legros…) et en deuxièmes noces avec Laura Gosselin. Le couple était sans enfants, lui. Annexée à leur maison, une petite boucherie exploitée par des Giasson, puis Thomas Morneau.
À cette époque, la route de l’Église (aujourd’hui la route 204) ne se rendait pas à la « route nationale ». Les piétons pouvaient cependant passer droit puisqu’il y avait un sentier, le « charcotte » (short cut), qui menait (lui aussi !) dans la cour arrière du restaurant Chez Lucien et, de là, à la route 2 (aujourd’hui la route 132). Les véhicules, eux, devaient tourner à droite, vers l’église, ou à gauche, vers la rue du Quai. (Une légende familiale veut que ma mère mettait les patates au feu quand elle entendait les pneus de l’auto paternelle crisser dans la courbe, en tournant à droite, la cuisson étant parfaite quand il revenait à la maison après être passé au bureau de poste…)
Boucherie Thomas MorneauLa boucherie dévastée en 1967 (coll. privée).
Mais, ça ne tournait pas toujours. C’est ce qui est arrivé en 1967, quand un camionneur manquant de freins a déversé son chargement de bois sur la boucherie, ce qui présageait la fin de la résidence de Ti-Coq et du « charcotte ». Quelques années plus tard, la 204 était prolongée : notre jardin était exproprié, notre « derrière » était exposé à la circulation, mais on gagnait une sortie rapide vers la 132.
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Le magasin général de Théophile Duval est devenu la maison funéraire De la Durantaye et Fils qui se trouve sur la partie ouest du chemin du Roy, mais il faut en dire un mot car il faisait partie de « notre monde ».
Bien placé sur le chemin des écoliers, l’établissement offrait une grande variété de friandises, des cigarettes « à la cenne », le matériel pour réparer les pneus de bicyclette et les pétards, qu’il était bien interdit d’apporter chez nous, qu’ils soient à mèche ou en rouleaux.
« Thophile » devait bien exister, mais je ne me rappelle pas l’avoir vu ; c’est son épouse, communément appelée « la mère Thoph’ » (ou sa fille Marie-Louise, qui hérita du magasin en 1957), qui officiait au comptoir sous lequel était cachée la « planche à punch » (punchboard). Il s’agissait d’une planchette percée de nombreuses alvéoles contenant chacune un petit papier enroulé qu’on poussait (« punchait ») avec un poinçon pour découvrir… qu’on ne gagnait jamais le pactole annoncé.
En face de « chez Thophile », la maison qui abrite aujourd’hui la Coureuse des grèves (300, route de l’Église) a vu passer plusieurs personnages notables, de mon temps, dont le taxi Salluste Deschênes, surnommé parfois « Bataille », à cause de son patois, et un « Ti-Louis », qui ne prenait pas toujours la peine de s’habiller complètement pour sortir…
De l’autre côté de la rue (dans une maison qui a aujourd’hui son adresse sur la route de l’Église) vivait la famille de Georges Morneau, ferblantier de père en fils, fort sollicité pour réparer les casseroles des « sucriers » et père de cinq filles, en partie « babyboomers » elles aussi.

(Suite à https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2022/11/30/le-petit-monde-du-chemin-du-roy-des-annees-cinquante-et-soixante-2/)

L’armée canadienne s’est-elle approprié la devise du Québec?

Dans le premier épisode de la série « Classé inexposable » (MAtv Québec), un porte-parole du 22e affirme que la devise de son régiment, « Je me souviens », est « très similaire à celle de la province de Québec, mais pas du tout liée […], d’ailleurs la devise du régiment est beaucoup plus vieille que celle de la province ».

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Le raisonnement par lequel on peut arriver à cette conclusion est probablement le suivant:

  • En 1868, la reine Victoria accorde au Québec ses premières « armes » qui comprennent « un léopard d’or armé et lampassé d’azur », deux fleur de lis d’azur et une branche d’érable, mais sans devise.

Armes 1868

  • En 1939, le gouvernement du Québec modifie ces « armes » pour se donner de véritables armoiries où on trouve désormais « trois fleurs de lis d’or » et, sous l’écu, « un listel d’argent bordé d’azur portant la devise JE ME SOUVIENS ».  Québec a procédé par décret, le 9 décembre 1939, sans l’aval du College of Arms de Londres qui était l’autorité héraldique compétente pour la Grande-Bretagne et ses dépendances. De ce fait, certains héraldistes de stricte observance n’auraient pas reconnu comme officielles que les « armes » de 1868. La situation a été normalisée en 2010 quand l’Autorité héraldique du Canada a enregistré les armoiries, la devise et le drapeau du Québec (https://www.gg.ca/fr/heraldique/registre-public/projet/2089).

Armoiries Québec 1939

  • (Signalons en passant que, devant le parlement fédéral, dans la série des « écus armoriaux » qui entourent la flamme du centenaire installée en 1967, c’est l’écu de 1868 qui représente le Québec.).

Armoiries-Ottawa

  • De ce point de vue, la devise du Québec ne serait donc apparue qu’en 1939, puis confirmée en 2010 par l’Autorité héraldique,  soit après la création du « Régiment Royal Canadien-Français » (comme on désignait le 22e Régiment à l’origine) en 1914.

En réalité, comme le fait est bien établi dans l’histoire des symboles québécois, la devise du Québec a été imaginée par Eugène-Étienne Taché au début des années 1880 et elle est devenue la devise officielle du Québec lorsque ses plans de l’Hôtel du Parlement ont été approuvés en 1883. Sans plus de cérémonies. Depuis 1885 ou 1886, on peut lire « Je me souviens » au-dessus de la porte principale de l’édifice, d’abord sous les armes octroyées par la reine Victoria, puis sous celles de 1939, à la suite d’une restauration de l’entrée au début des années 1960.

Armoiries 1892Armoiries et Devise

Le « Régiment Royal Canadien-Français » créé en 1914 ne pouvait ignorer qu’il adoptait une devise connue. Est-ce que quelqu’un s’est formalisé de cet « emprunt » (ou de l’utilisation des « armes » québécoises de 1868 au centre de l’insigne régimentaire)? Il ne semble pas. Le 22e était formé essentiellement de Québécois fiers de leurs origines et de leurs symboles nationaux. Tout le Canada français les admirait. À leur retour après la guerre, L’Action catholique du 9 mai 1919 demandait « que chaque Québécois prouve donc, de façon non équivoque, qu’il a le cœur à la bonne place et que fidèle à notre devise nationale : « Je me souviens », celle que porte aussi le 22e sur son écusson [je souligne], il tient à honneur d’être là pour accueillir ces héros […] ». Une devise « très similaire », en effet.
Que le 22e Régiment considère maintenant que son « Je me souviens » est plus ancien que celui du Québec (comme si ce dernier l’avait plagié…) est cependant un peu fort. Est-ce un manque de mémoire?… Ou y a-t-il autre chose derrière cette désir de revendiquer une préséance? Quand on sait que le Canada n’en est pas à son premier « emprunt » (le nom « canadien », l’hymne national « Ô Canada », la feuille d’érable…), on ne s’étonnerait plus de rien.

Le « traité de Murray » a-t-il fait l’objet de négociations?

Dans sa dernière chronique (Le Soleil, 11 septembre 2022), l’ancien chef Konrad Sioui expose une version inédite de la genèse du document auquel la Cour suprême a donné « valeur de traité » en 1990 et qu’on désigne communément sous le nom de « traité de Murray ».

Selon cette version, le grand chef Hannenorak et ses guerriers (il y en avait une trentaine à l’époque) sont allés en septembre 1760 « rencontrer face à face les forces anglaises installées à Longueuil ». Cette délégation

« a été accueillie selon le protocole reconnu lorsque les représentants de deux nations souveraines se rencontrent formellement, dans un esprit symbolisant la conclusion d’une paix durable. […] Après les formalités, nous nous sommes mis au travail afin de bien faire connaître aux Anglais les conditions non négociables visant la conclusion du traité ».

Le chroniqueur laisse entendre qu’il y aurait eu une sorte de plan de travail, comme un ordre du jour :

« nous avons identifié quatre fondements majeurs faisant partie intégrante au traité. D’abord, premièrement il sera écrit que la relation entre nos deux nations sera toujours d’égal à égal, c’est-à-dire de nation à nation. […] Deuxièmement, écrivez que nos traditions et nos coutumes, incluant notre langue et tous nos traits culturels, soient respectées et protégées à tout jamais. Troisièmement, écrivez que tout ce qui a rapport à notre spiritualité, nos croyances et notre relation intrinsèque avec le monde immatériel nous appartient en propre […]. Enfin, quatrièmement, écrivez que notre développement économique et notre commerce qui utilise toutes les différentes routes d’échanges de produits de toute nature, sera non seulement maintenu, mais hautement valorisé dans les rapports bilatéraux avec les Anglais ».

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Il est resté peu de traces de cet événement qui prend l’allure d’un sommet « international » sous la plume de monsieur Sioui.

Dans La Nation huronne (ouvrage publié en 1984 avec une préface de Max Gros-Louis), Marguerite Vincent Tehariolina ne parlait pas de cet événement ; elle connaissait cependant l’existence d’un document désigné depuis le début du siècle précédent comme « Certificat de protection du Général Murray » (p. 142-145). C’est une version de ce document qui a été déposée en cour lors du procès en première instance.

C’est seulement après le jugement de la Cour suprême (prononcé en 1990) qu’on a découvert dans un reportage publié par The Star and Commercial Advertiser/LÉtoile et Journal du commerce, en 1828, le récit d’un chef du conseil des Hurons, Petit Étienne, qui était présent lors de la rencontre avec le général James Murray, au début de septembre 1760.

En s’appuyant sur ce récit,  l’historien Alain Beaulieu écrit que « la rencontre fut brève et […] n’a certainement pas donné lieu à des tractations qui pourraient s’apparenter à la négociation d’un traité. Le général anglais exprima d’abord son étonnement devant l’attitude des Hurons, qui avaient abandonné leur village. Il leur dit qu’ils pouvaient entrer librement chez eux » (« Les Hurons et la Conquête un nouvel éclairage sur le « traité Murray » Recherches amérindiennes au Québec », XXX, 3, 2000, p. 52-63) . Selon le résumé que le Star and Commercial Advertiser fait des propos de Petit Étienne,

« […] les officiers prirent nos chefs par le bras et les conduisirent à leur général. Dès qu’il les vit, il s’écria : « Voilà les Hurons ! pourquoi avez-vous quitté votre village ? vous n’avez rien à craindre de nous, retournez à votre village là où vous êtes en sûreté », et il se tourna vers quelqu’un près de lui et donna un ordre. »

Le lendemain, raconte Petit Étienne, nous « reçûmes […] un papier de lui, qui signifiait, à ce que nous comprîmes, que la paix était faite ». Dans ce document, écrit Alain Beaulieu, « le général James Murray prenait les Hurons sous sa protection et interdisait aux soldats de les molester sur leur chemin du retour vers Québec. Il donnait aussi aux Hurons des garanties concernant le libre exercice de la religion catholique, le commerce avec les garnisons anglaises et leurs coutumes ».

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Le « papier » lui-même, auquel la Cour a donné « valeur de traité » a toutes les allures d’une déclaration unilatérale, d’un ordre donné aux soldats britanniques de bien traiter cette « tribu » qui est venue « se soumettre », autrement dit d’un « certificat de protection », comme ce document a été décrit lorsqu’une délégation (dont faisait partie Petit Étienne) a déposé une liasse de « papiers et documents » devant un comité parlementaire en 1824 (Vincent, p. 142); ce document se lit comme suit (traduit d’après la version intégrale publiée par Short et Doughty):

« Il est par les présentes certifié que le chef de la tribu des Hurons s’étant présenté à moi, au nom de sa nation, pour se soumettre à Sa Majesté britannique et faire la paix, a été pris sous ma protection ainsi que sa tribu entière ; et dorénavant nul officier ou corps anglais ne devra les molester ou les arrêter à leur retour à leur établissement de Lorette ; ils sont reçus aux mêmes conditions que les Canadiens et jouiront du libre exercice de leur religion, de leurs coutumes et de la liberté de commercer avec les garnisons anglaises, recommandation étant faite aux commandants des postes d’user de bons procédés envers eux ».

Le texte ne laisse pas soupçonner de négociations. Prévoyant cette interprétation, le chroniqueur du Soleil écrit que « la version écrite par le régime colonial du temps ne reflète pas toujours — ou même jamais — l’esprit et l’intention exprimée par la partie indigène ».

Il y aurait donc une autre version, mais sur quelles sources repose-t-elle ?

Traité 1- original trouvé 1996

De grands moments de l’histoire huronne méconnus?

À la dernière émission de « Y’a du monde à messe », un invité a évoqué trois moments historiques importants, mais malheureusement méconnus, illustrant la collaboration franco-huronne sous le régime français, soit la rencontre entre Cartier et le chef Donnacona, le séjour de Champlain en Huronnie (où il a été amené à dos d’homme après avoir été blessé dans un combat contre les Iroquois) et le rôle de Kondiaronk dans la Grande Paix de 1701.

J’ignore ce qu’on enseigne précisément en histoire du Québec depuis quelques décennies, les programmes ayant beaucoup changé et les didacticiens modernes étant peu portés sur les « héros » (du moins les Blancs), il est possible que ce soit des moments escamotés (et que les élèves n’en retiennent pas grand-chose!), mais ce sont là des épisode qu’on trouvait bel et bien dans les ouvrages utilisés pour l’enseignement de l’histoire pendant tout le siècle dernier, si je me fie à ce que je vois dans ceux que je possède, soit Histoire du Canada (cours moyen) des Frères des écoles chrétiennes (4e éd., 1916), Histoire du Canada (cours supérieur) des Clercs de Saint Viateur (4e éd., 1945), – le « Farley-Lamarche » utilisé des années ‘30 aux années ‘60 – et Histoire 1534-1968 (éd. 1968), le fameux « Vaugeois-Lacoursière » très répandu dans les écoles et les collèges dans le dernier tiers du 20e siècle, même si ce n’était pas formellement un manuel.

Commençons par Kondiaronk, chef des Hurons (c’est le nom qu’on utilisait alors), qui est mort pendant les négociations de la paix de 1701. Les Frères des écoles chrétiennes mentionnent que le chef a « mis toute son énergie dans cette importante affaire ». Farley et Lamarche soulignent son « important plaidoyer ». Le Vaugeois-Lacoursière ne donne pas de détails sur son rôle, mais rappelle qu’on lui a fait « presque des funérailles nationales ».

Les trois ouvrages mentionnent que Champlain a hiverné au « pays des Hurons » après un affrontement contre les Iroquois avec ses alliés, mais seuls Farley et Lamarche précisent que le fondateur de Québec, blessé sérieusement, a fait « une bonne partie du parcours ligoté au dos des sauvages [sic] ». Le mode de transport est plutôt anecdotique : l’important est de mentionner que Champlain a vécu sa « convalescence » au pays de ses alliés hurons et s’est familiarisé avec leur culture.

Les trois ouvrages traitent évidemment de la rencontre entre Cartier et Donnacona en 1535, mais aucun n’identifie ce dernier comme Huron ou Wendat. Et ils ne sont pas les seuls.

Dans La Nation huronne, un ouvrage fondamental que Marguerite Vincent Tehariolina a publié en 1984 (avec une préface de Max Gros-Louis), il n’est pas question de Donnacona, ni de sa rencontre avec Cartier à Stadaconé en 1535. Dans son chapitre IV, l’auteure rappelle que 300 Hurons ont « quitté l’Huronnie [sic] » en 1650 et furent « accueillis, nourris et vêtus par les Ursulines, les Hospitalières et les Jésuites » (p. 58). Elle cite une adresse à la reine prononcée par le grand chef Picard en 1959 qui précisait que « plus de trois siècles se sont écoulés depuis que nos ancêtres ont quitté leur pays après mille vicissitudes et se sont réfugiés sous les canons de la ville de Québec d’alors » (p. 338).

Le chapitre XXIV de l’ouvrage traite des « Hurons illustres ». Le plus ancien est Dagandawida (p. 305), « Huron natif de la baie de Quinté, au pied du lac Ontario »; le suivant est Kondiaronk (p. 306). Marguerite Vincent, l’historienne de la communauté, ne considérait donc pas Donnacona comme Huron ou Wendat. À la même époque, la biographie du chef de Stadaconé dans le Dictionnaire biographique du Canada (publiée en 1966 et révisée en 1986) l’identifiait comme Iroquois.

C’est donc depuis peu que Donnacona a été naturalisé.

« Lettre à not’ député »

Décédé en 1908, le Dr Paul-Émile Prévost consacrait à la musique tous les loisirs que lui permettaient ses fonctions de directeur du Bureau d’hygiène provincial. « Non content d’interpréter les œuvres des maîtres, peut-on lire dans sa notice nécrologique (L’Avenir du Nord, 22 mai 1908), il composa de fort jolies choses, et le monde musical lui doit plusieurs recueils de mélodies très appréciés. Selon le critique du Passe Temps, sa musique « est gracieuse, merveilleusement brodée, mais le choix des poésies ainsi embellies dénote le sens littéraire et le bon goût poétique du musicien ».
Le Dr P.-É. Prévost composé plusieurs morceaux de musique religieuse, et même une opérette qui fut présentée à Montréal avec beaucoup de succès. Il a aussi publié un roman.
Un an avant sa mort, Prévost avait harmonisé plusieurs « Chansons canadiennes » réunies dans un recueil illustré par Joseph-Charles Franchère (1866-1921). Selon L’Avenir du Nord, il s’agissait d’un travail « de grande valeur et de grand mérite, où la richesse et l’harmonie savante de l’accompagnement forment un contraste séduisant avec la mélodie dont ils font oublier la rusticité ».

Lettre a not depute

Le journaliste était manifestement respectueux, dans les tristes circonstances. Plusieurs chansons ne manquaient effectivement pas de « rusticité »! Et ignoraient la rectitude. En témoigne cette œuvre anonyme composée, selon les auteurs du recueil, à l’époque où le Parlement siégeait à Montréal, donc dans les années 1840.

Lettre à not’ député*

1.
M’sieur l’député d’not’ village,
Qui siégez au Parlement,
Je vous écris une page
Et vous fais mon compliment.
En prenant l’train pour Ste-Anne,
J’ai z’eu l’malheur d’égarer
L’paraplui’ qui m’servait d’canne ;
Faudrait m’le renvoyer
Faudrait m’le renvoyer !
2.
Avec les billets d’galeries,
Dont vous m’avez fait présent,
J’ai t’été voir les sing’ries
Que vous faites au Parlement.
J’ai tant ri de voir un type,
Qui savait l’art d’aboyer,
Que j’en ai lâché ma pipe…
Faudrait m’la renvoyer
Faudrait m’la renvoyer !
3.
J’ai fait voir à ma famille,
Les superbes monuments
D’la métropole, qui brille,
Par ses mille z’ornements.
Ma fille, un’ demoiselle sage,
Dit qu’c'est au carré Viger
Qu’elle a perdu son… courage…
Faudrait m’le renvoyer
Faudrait m’le renvoyer !
4.
Enfin, chos’ monumentale,
Dont j’demeure confondu !
Dans vot’ belle capitale,
Savez-vous ce que j’ai perdu ?
C’est su’ l’parvis d’Notre-Dame,
Ou ben dans un autr’ quartier,
Que j’ai dû perdre ma femme…
Faut pas m’la renvoyer,
Faut pas m’la renvoyer !
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* Une autre version de cette chanson avait été publiée dans Le Réveil, le 19 octobre 1895. Cette fois « Baptiste » avait perdu sa belle-mère.