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Le « traité de Murray » a-t-il fait l’objet de négociations?

Dans sa dernière chronique (Le Soleil, 11 septembre 2022), l’ancien chef Konrad Sioui expose une version inédite de la genèse du document auquel la Cour suprême a donné « valeur de traité » en 1990 et qu’on désigne communément sous le nom de « traité de Murray ».

Selon cette version, le grand chef Hannenorak et ses guerriers (il y en avait une trentaine à l’époque) sont allés en septembre 1760 « rencontrer face à face les forces anglaises installées à Longueuil ». Cette délégation

« a été accueillie selon le protocole reconnu lorsque les représentants de deux nations souveraines se rencontrent formellement, dans un esprit symbolisant la conclusion d’une paix durable. […] Après les formalités, nous nous sommes mis au travail afin de bien faire connaître aux Anglais les conditions non négociables visant la conclusion du traité ».

Le chroniqueur laisse entendre qu’il y aurait eu une sorte de plan de travail, comme un ordre du jour :

« nous avons identifié quatre fondements majeurs faisant partie intégrante au traité. D’abord, premièrement il sera écrit que la relation entre nos deux nations sera toujours d’égal à égal, c’est-à-dire de nation à nation. […] Deuxièmement, écrivez que nos traditions et nos coutumes, incluant notre langue et tous nos traits culturels, soient respectées et protégées à tout jamais. Troisièmement, écrivez que tout ce qui a rapport à notre spiritualité, nos croyances et notre relation intrinsèque avec le monde immatériel nous appartient en propre […]. Enfin, quatrièmement, écrivez que notre développement économique et notre commerce qui utilise toutes les différentes routes d’échanges de produits de toute nature, sera non seulement maintenu, mais hautement valorisé dans les rapports bilatéraux avec les Anglais ».

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Il est resté peu de traces de cet événement qui prend l’allure d’un sommet « international » sous la plume de monsieur Sioui.

Dans La Nation huronne (ouvrage publié en 1984 avec une préface de Max Gros-Louis), Marguerite Vincent Tehariolina ne parlait pas de cet événement ; elle connaissait cependant l’existence d’un document désigné depuis le début du siècle précédent comme « Certificat de protection du Général Murray » (p. 142-145). C’est une version de ce document qui a été déposée en cour lors du procès en première instance.

C’est seulement après le jugement de la Cour suprême (prononcé en 1990) qu’on a découvert dans un reportage publié par The Star and Commercial Advertiser/LÉtoile et Journal du commerce, en 1828, le récit d’un chef du conseil des Hurons, Petit Étienne, qui était présent lors de la rencontre avec le général James Murray, au début de septembre 1760.

En s’appuyant sur ce récit,  l’historien Alain Beaulieu écrit que « la rencontre fut brève et […] n’a certainement pas donné lieu à des tractations qui pourraient s’apparenter à la négociation d’un traité. Le général anglais exprima d’abord son étonnement devant l’attitude des Hurons, qui avaient abandonné leur village. Il leur dit qu’ils pouvaient entrer librement chez eux » (« Les Hurons et la Conquête un nouvel éclairage sur le « traité Murray » Recherches amérindiennes au Québec », XXX, 3, 2000, p. 52-63) . Selon le résumé que le Star and Commercial Advertiser fait des propos de Petit Étienne,

« […] les officiers prirent nos chefs par le bras et les conduisirent à leur général. Dès qu’il les vit, il s’écria : « Voilà les Hurons ! pourquoi avez-vous quitté votre village ? vous n’avez rien à craindre de nous, retournez à votre village là où vous êtes en sûreté », et il se tourna vers quelqu’un près de lui et donna un ordre. »

Le lendemain, raconte Petit Étienne, nous « reçûmes […] un papier de lui, qui signifiait, à ce que nous comprîmes, que la paix était faite ». Dans ce document, écrit Alain Beaulieu, « le général James Murray prenait les Hurons sous sa protection et interdisait aux soldats de les molester sur leur chemin du retour vers Québec. Il donnait aussi aux Hurons des garanties concernant le libre exercice de la religion catholique, le commerce avec les garnisons anglaises et leurs coutumes ».

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Le « papier » lui-même, auquel la Cour a donné « valeur de traité » a toutes les allures d’une déclaration unilatérale, d’un ordre donné aux soldats britanniques de bien traiter cette « tribu » qui est venue « se soumettre », autrement dit d’un « certificat de protection », comme ce document a été décrit lorsqu’une délégation (dont faisait partie Petit Étienne) a déposé une liasse de « papiers et documents » devant un comité parlementaire en 1824 (Vincent, p. 142); ce document se lit comme suit (traduit d’après la version intégrale publiée par Short et Doughty):

« Il est par les présentes certifié que le chef de la tribu des Hurons s’étant présenté à moi, au nom de sa nation, pour se soumettre à Sa Majesté britannique et faire la paix, a été pris sous ma protection ainsi que sa tribu entière ; et dorénavant nul officier ou corps anglais ne devra les molester ou les arrêter à leur retour à leur établissement de Lorette ; ils sont reçus aux mêmes conditions que les Canadiens et jouiront du libre exercice de leur religion, de leurs coutumes et de la liberté de commercer avec les garnisons anglaises, recommandation étant faite aux commandants des postes d’user de bons procédés envers eux ».

Le texte ne laisse pas soupçonner de négociations. Prévoyant cette interprétation, le chroniqueur du Soleil écrit que « la version écrite par le régime colonial du temps ne reflète pas toujours — ou même jamais — l’esprit et l’intention exprimée par la partie indigène ».

Il y aurait donc une autre version, mais sur quelles sources repose-t-elle ?

Traité 1- original trouvé 1996

De grands moments de l’histoire huronne méconnus?

À la dernière émission de « Y’a du monde à messe », un invité a évoqué trois moments historiques importants, mais malheureusement méconnus, illustrant la collaboration franco-huronne sous le régime français, soit la rencontre entre Cartier et le chef Donnacona, le séjour de Champlain en Huronnie (où il a été amené à dos d’homme après avoir été blessé dans un combat contre les Iroquois) et le rôle de Kondiaronk dans la Grande Paix de 1701.

J’ignore ce qu’on enseigne précisément en histoire du Québec depuis quelques décennies, les programmes ayant beaucoup changé et les didacticiens modernes étant peu portés sur les « héros » (du moins les Blancs), il est possible que ce soit des moments escamotés (et que les élèves n’en retiennent pas grand-chose!), mais ce sont là des épisode qu’on trouvait bel et bien dans les ouvrages utilisés pour l’enseignement de l’histoire pendant tout le siècle dernier, si je me fie à ce que je vois dans ceux que je possède, soit Histoire du Canada (cours moyen) des Frères des écoles chrétiennes (4e éd., 1916), Histoire du Canada (cours supérieur) des Clercs de Saint Viateur (4e éd., 1945), – le « Farley-Lamarche » utilisé des années ‘30 aux années ‘60 – et Histoire 1534-1968 (éd. 1968), le fameux « Vaugeois-Lacoursière » très répandu dans les écoles et les collèges dans le dernier tiers du 20e siècle, même si ce n’était pas formellement un manuel.

Commençons par Kondiaronk, chef des Hurons (c’est le nom qu’on utilisait alors), qui est mort pendant les négociations de la paix de 1701. Les Frères des écoles chrétiennes mentionnent que le chef a « mis toute son énergie dans cette importante affaire ». Farley et Lamarche soulignent son « important plaidoyer ». Le Vaugeois-Lacoursière ne donne pas de détails sur son rôle, mais rappelle qu’on lui a fait « presque des funérailles nationales ».

Les trois ouvrages mentionnent que Champlain a hiverné au « pays des Hurons » après un affrontement contre les Iroquois avec ses alliés, mais seuls Farley et Lamarche précisent que le fondateur de Québec, blessé sérieusement, a fait « une bonne partie du parcours ligoté au dos des sauvages [sic] ». Le mode de transport est plutôt anecdotique : l’important est de mentionner que Champlain a vécu sa « convalescence » au pays de ses alliés hurons et s’est familiarisé avec leur culture.

Les trois ouvrages traitent évidemment de la rencontre entre Cartier et Donnacona en 1535, mais aucun n’identifie ce dernier comme Huron ou Wendat. Et ils ne sont pas les seuls.

Dans La Nation huronne, un ouvrage fondamental que Marguerite Vincent Tehariolina a publié en 1984 (avec une préface de Max Gros-Louis), il n’est pas question de Donnacona, ni de sa rencontre avec Cartier à Stadaconé en 1535. Dans son chapitre IV, l’auteure rappelle que 300 Hurons ont « quitté l’Huronnie [sic] » en 1650 et furent « accueillis, nourris et vêtus par les Ursulines, les Hospitalières et les Jésuites » (p. 58). Elle cite une adresse à la reine prononcée par le grand chef Picard en 1959 qui précisait que « plus de trois siècles se sont écoulés depuis que nos ancêtres ont quitté leur pays après mille vicissitudes et se sont réfugiés sous les canons de la ville de Québec d’alors » (p. 338).

Le chapitre XXIV de l’ouvrage traite des « Hurons illustres ». Le plus ancien est Dagandawida (p. 305), « Huron natif de la baie de Quinté, au pied du lac Ontario »; le suivant est Kondiaronk (p. 306). Marguerite Vincent, l’historienne de la communauté, ne considérait donc pas Donnacona comme Huron ou Wendat. À la même époque, la biographie du chef de Stadaconé dans le Dictionnaire biographique du Canada (publiée en 1966 et révisée en 1986) l’identifiait comme Iroquois.

C’est donc depuis peu que Donnacona a été naturalisé.

« Lettre à not’ député »

Décédé en 1908, le Dr Paul-Émile Prévost consacrait à la musique tous les loisirs que lui permettaient ses fonctions de directeur du Bureau d’hygiène provincial. « Non content d’interpréter les œuvres des maîtres, peut-on lire dans sa notice nécrologique (L’Avenir du Nord, 22 mai 1908), il composa de fort jolies choses, et le monde musical lui doit plusieurs recueils de mélodies très appréciés. Selon le critique du Passe Temps, sa musique « est gracieuse, merveilleusement brodée, mais le choix des poésies ainsi embellies dénote le sens littéraire et le bon goût poétique du musicien ».
Le Dr P.-É. Prévost composé plusieurs morceaux de musique religieuse, et même une opérette qui fut présentée à Montréal avec beaucoup de succès. Il a aussi publié un roman.
Un an avant sa mort, Prévost avait harmonisé plusieurs « Chansons canadiennes » réunies dans un recueil illustré par Joseph-Charles Franchère (1866-1921). Selon L’Avenir du Nord, il s’agissait d’un travail « de grande valeur et de grand mérite, où la richesse et l’harmonie savante de l’accompagnement forment un contraste séduisant avec la mélodie dont ils font oublier la rusticité ».

Lettre a not depute

Le journaliste était manifestement respectueux, dans les tristes circonstances. Plusieurs chansons ne manquaient effectivement pas de « rusticité »! Et ignoraient la rectitude. En témoigne cette œuvre anonyme composée, selon les auteurs du recueil, à l’époque où le Parlement siégeait à Montréal, donc dans les années 1840.

Lettre à not’ député*

1.
M’sieur l’député d’not’ village,
Qui siégez au Parlement,
Je vous écris une page
Et vous fais mon compliment.
En prenant l’train pour Ste-Anne,
J’ai z’eu l’malheur d’égarer
L’paraplui’ qui m’servait d’canne ;
Faudrait m’le renvoyer
Faudrait m’le renvoyer !
2.
Avec les billets d’galeries,
Dont vous m’avez fait présent,
J’ai t’été voir les sing’ries
Que vous faites au Parlement.
J’ai tant ri de voir un type,
Qui savait l’art d’aboyer,
Que j’en ai lâché ma pipe…
Faudrait m’la renvoyer
Faudrait m’la renvoyer !
3.
J’ai fait voir à ma famille,
Les superbes monuments
D’la métropole, qui brille,
Par ses mille z’ornements.
Ma fille, un’ demoiselle sage,
Dit qu’c'est au carré Viger
Qu’elle a perdu son… courage…
Faudrait m’le renvoyer
Faudrait m’le renvoyer !
4.
Enfin, chos’ monumentale,
Dont j’demeure confondu !
Dans vot’ belle capitale,
Savez-vous ce que j’ai perdu ?
C’est su’ l’parvis d’Notre-Dame,
Ou ben dans un autr’ quartier,
Que j’ai dû perdre ma femme…
Faut pas m’la renvoyer,
Faut pas m’la renvoyer !
————-
* Une autre version de cette chanson avait été publiée dans Le Réveil, le 19 octobre 1895. Cette fois « Baptiste » avait perdu sa belle-mère.

La capitale perdue aux mains des « angryphones »

Publié aux Éditions de l’Homme, Montréal capitale présente l’histoire du site archéologique du marché Sainte-Anne et du parlement de la province du Canada qui se trouvait à proximité de l’emplacement actuel du musée de Pointe-à-Callière.
Qui se souvient de cette capitale éphémère ? Après les rébellions et l’Union, le Parlement du Canada-Uni siège brièvement à Kingston, puis à Montréal, de 1844 à 1849, dans l’édifice d’un marché érigé en 1834.
Des fouilles menées de 2010 à 2017 ont permis de mettre au jour plus de 350 000 artéfacts et de fournir une riche iconographie à ce magnifique ouvrage qui contient en outre des reconstitutions 3D détaillées, ainsi que des cartes et des illustrations anciennes. Une vingtaine de spécialistes de plusieurs disciplines ont collaboré à ce beau livre sous la direction de Louise Potier, archéologue en chef à Pointe-à-Callière.

Marche_ste-anne ville de MTL

Du marché au parlement

Le premier chapitre dresse un portrait de Montréal et de ses marchés avant 1834. Le deuxième traite de la construction du marché Sainte-Anne, de ses activités et de la place que les femmes y tiennent. Le troisième évoque le « changement » dans les années 1840 : l’Union des Canadas, l’installation du parlement à Kingston, la marche vers le gouvernement responsable, la presse de l’époque, etc. Dans le quatrième, la capitale déménage à Montréal où il faut choisir des bâtiments pour le parlement et le gouvernement ; il y est aussi question des origines des Archives nationales et de la Commission de géologie, des hôtels de la ville, du palais de justice et du marché Bonsecours, de la frénésie immobilière. Au cinquième chapitre, on entre dans le cœur de l’activité parlementaire : de nombreux artéfacts permettent d’illustrer divers aspects du Parlement, de l’ouverture de la session à la buvette en passant par la bibliothèque, la poste, les normes sanitaires, et la présentation de trois pétitions autochtones qui vaudrait au Parlement le statut de « haut lieu de la diplomatie ».
Intitulé « Quand tout bascule », le sixième chapitre traite de l’abolition des Corn Laws (1846), du typhus (1847), du « printemps des peuples » au niveau international (1848) et finalement de l’incendie de 1849 et de ses suites.
C’est la partie qui nous laisse sur notre faim, car elle manque de cohésion et suit un plan difficile à comprendre. Une section intitulée « 1849 : tous au Parlement ! » donne d’abord la chronologie des événements d’avril à octobre 1849 et inclut un encart sur la perte de la bibliothèque ; la suivante évoque quelques témoignages de citoyens sur l’émeute ; vient ensuite une section sur les messages de sympathie adressés, après l’émeute, au gouverneur Elgin ; enfin, un des collaborateurs se demande si la loi d’indemnisation a été la cause ou le prétexte de l’incendie et montre (20 pages après le résumé de l’émeute et beaucoup de digressions) le visage des personnes qui en étaient les principaux acteurs.
Pour donner au lecteur un récit compréhensible des faits, il aurait mieux valu décaler les deux textes « prématurés » (sur la bibliothèque et sur Elgin) et mieux agencer les autres qui sont consacrés spécifiquement à l’émeute : commet en est-on arrivés là, qui a fait quoi, comment et avec quelles conséquences judiciaires ?

Émeute-service des incendies-mds-réduit

La frustration croissante de torys
Le lecteur « arrive » à l’émeute du 25 avril (« 1849 : tous au Parlement ! », p. 184) sans un exposé adéquat du contexte politique, avec à peine une énumération de ce qui « exacerbe les tensions » (l’abolition des Corn Laws, la crise économique, le typhus, la perte de pouvoir des torys, les débats houleux au Parlement). C’est un peu court pour expliquer comment une meute de torys anglophones s’est retrouvée au Champ-de-Mars, puis au parlement, le soir du 25 avril 1849. Il est difficile de relier l’action des émeutiers de Montréal avec le « printemps des peuples » européen : ce sont les Canadiens français qui auraient alors dû se soulever… Quant à la nouvelle politique commerciale de la Grande-Bretagne (illustrée par le Corn Laws), elle constitue certes l’arrière-plan des événements de 1849, car elle affecte durement la classe marchande anglo-montréalaise, mais pourquoi s’en prendre au Parlement ?
L’émeute est le résultat d’une série de changements politiques qui, dans les 20 mois précédant avril 1849, ont provoqué une irritation croissante chez les torys.
En août 1847, la reine sanctionne une loi qui établit une liste civile permanente et marque la fin de la « querelle des subsides » qui avait opposé le gouverneur à la majorité parlementaire du Bas-Canada pendant des décennies.
En mars 1848, en vertu du principe de la responsabilité ministérielle, La Fontaine devient premier ministre.
En août 1848, une loi britannique révoque la clause de l’Acte d’Union qui restreignait l’usage de la langue française au Parlement.
En janvier 1849, dans un « discours du trône » prononcé en partie en français, le gouverneur Elgin annonce l’amnistie générale des insurgés de 1837-1838.
Enfin, en février 1849, l’Assemblée législative entreprend l’étude d’une proposition de La Fontaine visant à indemniser les personnes dont les biens ont été endommagés ou détruits durant les répressions de 1837 et 1838 au Bas-Canada. Une mesure semblable avait été précédemment adoptée pour le Haut-Canada, à l’initiative d’Allan MacNab qui sera néanmoins le leader des opposants à un traitement identique pour le Bas-Canada. « L’Union, disait-il, a complètement manqué son but. Elle fut créée pour l’unique motif d’assujettir les Canadiens français à la domination anglaise. Le contraire en est résulté ».

L’émeute
C’est ce contexte politique, escamoté dans Montréal capitale, qui aide à comprendre la réaction des torys quand Elgin sanctionne le « bill des indemnités » adopté au terme d’un « filibuster » de 3 mois. Pendant ce débat (qui fut plus que « houleux »…), les médias anglophones de Montréal avaient chauffé la marmite. Le 25 avril, La Gazette lance un « cri de race » explicite et un appel direct « au combat ». Le message est clair : si l’Angleterre et le gouverneur ne nous défendent pas contre la « French domination », il faudra le faire nous-mêmes. Montréal capitale ne cite que quatre lignes de « l’Extra » publié par la Gazette. L’original aurait fait une belle illustration. L’a-t-on cherché ?
D’un texte à l’autre, de la page 184 à la page 209, on finit par trouver les noms de quelques acteurs du drame, sans trop savoir qui a fait quoi. Page 185, on évoque « quelques discours » au Champ-de-Mars, mais seulement un nom d’orateur, Alfred Perry, le chef des pompiers, selon qui l’incendie aurait été « accidentel ». C’est effectivement ce qu’il racontera, quarante ans plus tard, dans un article où il décrit longuement l’émeute, et mentionne plusieurs gestes de violence commis par lui et quelques comparses sur les biens et les employés du Parlement. Ce document ne semble pas avoir été retenu par cet ouvrage. Aurait-on mis en cause sa crédibilité ? Son opinion voulant que l’incendie soit un accident trouve un démenti à la page suivante où une annaliste des Sœurs grises écrit que des émeutiers « mettaient le feu à tous les coins avec des torches allumées ».

???
Le texte suivant (« Des citoyens témoignent », p. 194) ne nous avance pas beaucoup pour établir des responsabilités. Quelques témoins seulement sont cités, dont un qui mentionne que le chef des pompiers a demandé à la foule de bloquer le passage des pompes ! Un sous-titre annonce « qui a mis le feu ? », mais l’auteur n’esquisse pas vraiment de réponse et ne semble pas avoir vraiment essayé d’en trouver à partir des dépositions faites à l’enquête : combien y en avait-il, quels constats généraux peut-on en tirer ? Il note cependant qu’il n’y avait pas de femmes ni d’autochtones parmi les déposants, absence « révélatrice du peu de cas qu’on fait d’eux dans la vie publique »…

Aucun coupable
Pour ce qui est enfin des suites judiciaires, il faut se contenter d’informations éparses : deux paragraphes qui mentionnent des arrestations dans les éphémérides (p. 190 et 193) et une illustration de Punch montrant « cinq gentilshommes injustement emprisonnés » avec un bas de vignette précisant que Ferres, le propriétaire de la Montréal Gazette, a été libéré sous caution et n’a pas été « inquiété davantage par la suite » (p. 205).
En réalité, il y eut des suites, mais il faut les chercher un peu plus loin.
Un an plus tard, L’Ordre social (28 mars 1850) nous apprend que le « grand jury du district de Montréal n’a pas trouvé matière à accusation contre Alfred Perry, Joseph Ewing, Donald Murray, John Maydell, et Isaac Aaron accusés d’avoir mis le feu à la maison du Parlement en avril dernier ».
La Minerve du 28 mars 1850 révèle par la suite que « le grand jury a rapporté un bill d’accusation fondée contre Henry Jamieson pour émeute et démolissement de maison durant les troubles à Montréal et de « non fondée » contre Alfred Perry, W. G. Mack, C. R. Bedwell, Hugh Montgomerie, James Farrell, Joseph Bowie, Alexander Bowie, James Nelson, Robert Cooke, Robert Howard, Peter Cooper, James Bowie, Donald McDonald, Joseph Ewing, Augustin Howard, James Moir Ferres [éditeur de la Gazette], John Esdaile, et Donald Murray. Ces individus, comme on le sait, étaient accusés d’avoir pris part aux émeutes de l’année dernière ».
Tous ces « gentilshommes » (sauf Jamieson) s’en sortent donc sans accusation, mais La Minerve ajoute un commentaire intéressant : « Dans cette investigation de la grande enquête du district, les témoins ont encore fait défaut, plusieurs qui étaient assignés, ajoute-t-on, n’ont pas comparu et n’ont pu être trouvés à Montréal. Ont-ils agi ainsi par crainte ou par faveur, c’est ce que nous ignorons ».
La Fontaine pouvait bien être premier ministre, les autorités — gouverneur, armée, police et pompiers — étaient sous contrôle anglophone dans une ville où les francophones étaient alors minoritaires. Quand Jamieson est cité à la barre pour son procès en octobre 1850, on constate que tous les membres du jury sont francophones, sauf un, et le shérif reçoit instruction de trouver des jurés qui parlent anglais (La Minerve, 17 octobre 1850). Plus chanceux que Riel (condamné par un jury à 100 % anglo-protestant), Jamieson sera acquitté deux semaines plus tard.

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Montréal Capitale 2021

Montréal capitale est à cent lieues de l’opuscule de 1999 (Une capitale éphémère, au Septentrion), ouvrage improvisé pour le cent cinquantième anniversaire, à défaut de celui qu’un auteur n’a pas livré. Le traitement accordé à l’histoire du marché Sainte-Anne et du parlement de Montréal par l’ouvrage de Pointe-à-Callière mérite tous les éloges. Il ratisse large pour dresser le portrait de la capitale, mais on comprend qu’il ne se soit pas attardé à l’émeute, à ses participants et à ses conséquences judiciaires, tous des « faits divers » qui n’ont pas laissé beaucoup de traces archéologiques et qui n’intéressent pas beaucoup les universitaires. Ce n’est pourtant pas de la plus « petite histoire » que plusieurs chapitres du livre.
Pour l’histoire du 25 avril 1849, faudra-t-il attendre le deux centième ?

Capitale éphémère-réduit

Le presbytère de Saint-Michel, témoin de l’histoire

Le presbytère de Saint-Michel est le plus ancien de la Côte-du-Sud, mais il a été passablement modifié depuis sa construction en 1739. C’est un bâtiment d’un étage et demi dont les murs de pierre sont recouverts en bois. Sa toiture aux larmiers retroussés et ses dix lucarnes datent probablement du XIXe siècle. Comme c’était l’usage autrefois, le presbytère comprenait une « salle d’habitants ». Signe particulier : des volets « biculturels » portent la feuille d’érable et la fleur de lis.

Presbytère Saint-Michel GD
Le presbytère de Saint-Michel a été témoin d’événements dramatiques, parfois authentiques, parfois teintés de légendes.
Pendant le siège de Québec, en 1759, les soldats britanniques qui campent à Pointe-Lévy font des incursions du côté de Bellechasse. Dans la nuit du 25 au 26 juillet, près de Beaumont, un détachement vient aux prises avec des Canadiens : selon Knox, neuf d’entre eux auraient été tués et plusieurs autres blessés. Joseph Fortier, de Saint-Michel, est parmi les victimes. Le 26, le détachement loge à l’église de Saint-Michel où les soldats causent des dommages, mais on ne sait pas si le presbytère a aussi été touché. Le lendemain, le détachement repart avec quelques prisonniers (trois femmes et un homme, selon Malcom Fraser) et plus de deux cents têtes de bétail.
On a écrit qu’un autre détachement serait venu, en février 1760, sur les glaces, pour bombarder l’église de Saint-Michel et brûler les habitations, mais il s’agit d’une méprise : c’est le « village Saint-Michel », comme on désignait alors la partie de la seigneurie de Lauzon située entre les rivières Etchemin et Chaudière, qui est concerné, et non Saint-Michel-de-Bellechasse. Murray avait ordonné des représailles contre les Canadiens qui avaient abrité les hommes de Saint-Martin, lors d’une opération pour débusquer les Anglais retranchés dans l’église de Pointe-Lévy : le 26 février au matin, un détachement de 300 hommes traverse le fleuve et détruit toutes les maisons du village Saint-Michel.

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Le presbytère de Saint-Michel a été plus concrètement touché en 1775, quand les « Bostonnais » en révolte contre l’Angleterre ont essayé de chasser les Britanniques de Québec.
Au début de septembre 1775, le fermier du seigneur de Lauzon et le seigneur de Sainte-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce essaient de recruter des hommes pour aller à Sartigan (auj. Saint-Georges-de-Beauce) et bloquer la route aux insurgés « américains ». L’assemblée du 11 septembre réunit environ 1500 habitants venus d’aussi loin que Berthier, mais tourne à la sédition. Caldwell et Taschereau sont reconduits chez eux : non seulement les participants ne veulent pas s’engager, mais ils conviennent de monter la garde pour empêcher les autorités britanniques d’intervenir sur la rive sud et surveiller l’approche de renforts britanniques.
De nombreux habitants de la Côte-du-Sud assistent à cette assemblée que le journal de Baby a qualifiée de « séditieuse ». De Saint-Michel, on dit « le plus grand nombre », ce qui signifie probablement la majorité des hommes en état de porter les armes.
À la suite de « l’assemblée séditieuse », on monte la garde, souvent en armes, dans toutes les paroisses de la Côte-du-Sud et un système de feux est mis en place pour signaler l’arrivée éventuelle de forces royalistes sur le fleuve.
À Saint-Michel, les habitants s’emparent du presbytère pour en faire un poste de surveillance. Le capitaine de milice Baptiste Roy et les sergents coordonnent l’opération. Le curé, comme la plupart ses collègues de la région, devra ronger son frein.