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De la roche Avignon à la roche à Veillon, en passant par Algernon Rock

Est-ce que le nom de « roche à Veillon » serait « une corruption de roche Avignon, désignation venue elle-même de roche Algernon », comme l’écrivait Gérard Ouellet en 1946 ? Probablement oui, pour la première proposition; plus sûrement non, pour la deuxième, car Avignon a précédé Algernon.

La roche Avignon

En 1794, dans Sailing directions for the first part of the North American pilot, guide basé sur les travaux du fameux capitaine Cook et d’autres officiers de l’Amirauté, il n’est question que des Piliers (Pillars). Il faudrait pousser les recherches pour situer le moment où cette roche est nommée dans les ouvrages concernant la navigation. Pour le moment, la plus ancienne mention d’un « Avignon Rock » se trouve dans le témoignage de l’amiral Bayfield, commandant de la flotte royale, devant un comité spécial de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada en décembre 1829.

Bayfield

L’amiral Bayfield

C’est aussi le nom « Roche Avignon » qu’on donne à ce rocher situé au sud du Pilier de pierre dans plusieurs autres documents publiés en anglais par la suite, dont le Topographical Dictionary de Bouchette (1832), The American Pharos (Mills, 1832), The American coast pilot (Blunt, 1833), Sailing Directions for the Gulf and River of St. Lawrence (Bayfield, 1843), The British American Navigator (Purdy, 1847), Sailing directions for the Gulf and River St. Lawrence (1862), et le Cinquième Rapport du comité spécial des Communes sur les pêcheries et la navigation (1869). Pas d’Algernon Rock dans aucun de ces documents, ni dans le reportage du Morning Chronicle sur le naufrage de 1857 : « The name of the rock upon which the « Canadian » struck is « L’Avignon » also known as the « half-tide rock » ».

Algernon Rock

Une recherche de mots avec la banque de données Notre mémoire en ligne révèle une première mention du « Algernon Rock » dans les Débats des Communes de 1874, quand les députés ont adopté des crédits pour y construire une jetée et un phare (ce qui sera fait en 1876). C’est la plus ancienne mention retracée dans les documents fédéraux avec cet outil de recherche, mais ça n’exclut pas que ce nom ait pu être utilisé auparavant. Ce nom apparaîtrait sur d’anciennes cartes britanniques, mais nous n’en avons pas eu sous les yeux : il serait étonnant que l’amiral Bayfield ait appelé « roche Avignon » un site que des cartes marines de son époque auraient identifié comme « Algernon Rock ».

Algernon Rock-carte 1207Algernon Rock sur une carte de 1972 (éditée d’abord en 1929, no 1207)

Après 1874, « Algernon » s’impose comme toponyme officiel pour les fins fédérales. Ainsi, en 1883, Louis-Damase Babin reçoit un salaire comme gardien des « Pillars » et une allocation pour un « assistant light-keeper » sur l’« Algernon Rock ». Mais les gens de la région continueront de dire naturellement « roche Avignon », comme en témoignent Charles Deguise, dans Cap au Diable (1863), Alphonse Leclaire, dans Le Saint-Laurent historique, légendaire et topographique (1906) et Arthur Fournier, dans son Mémorial (1923). Un passage du texte d’Alphonse Leclaire mérite d’être cité : « La roche Avignon de nos navigateurs canadiens (Algernon Rock) garde encore, sur sa pointe est, l’arrière du vaisseau de la ligne Allan, le Canadian, qui y fit naufrage ». Algernon est comme la « version » anglaise d’Avignon, le rocher ayant vraisemblablement un nom pour le ministère fédéral de la Marine et un autre, plus ancien, pour les « navigateurs canadiens » (entendons ici francophones ou québécois). Gérad Ouellet utilisera la même « équivalence » dans un article de L’Action catholique en 1937.

Roche Àvignon (Leclaire, c1906)

« Le phare de la roche Avignon » dans Alphonse Leclaire, Le Saint-Laurent historique, légendaire et topographique (1906)

La roche à Veillon 

Progressivement, on voit des auteurs parler de la « roche à Veillon ». Ainsi, dans ses Chronicles of the St. Lawrence (1880), MacPherson Le Moine se demande s’il faut dire « Avignon » ou « à Veillon »; Fournier (1923) écrit que la roche Algernon est aussi connue sous le nom de « roche à Veillon », toponyme « consacré » par Damase Potvin (Le Saint-Laurent et ses îles, 1945) et Gérard Ouellet (Ma Paroisse, 1946), puis officialisé par la Commission de toponymie du Québec en 1975.

Ce bref survol tend à démontrer (car il n’est pas définitif) que « roche Avignon » a précédé « roche Algernon » et « roche à Veillon », ce dernier étant plus sûrement issu de « roche Avignon » que de « roche Algernon ». Il reste cependant plusieurs questions.

Des questions

Pourquoi un rocher, que des publications officielles ou spécialisées nommaient depuis de nombreuses années « Avignon Rock » (on peut d’ailleurs se demande pourquoi « Avignon », en plein Saint-Laurent), est-il devenu « Algernon Rock »? Ce nom ne réfère à rien d’évident dans l’histoire du Québec ou du Canada. On se met même à penser que quelqu’un a fait une erreur de transcription au département de la Marine…

Est-ce qu’on nommait ce rocher « roche à Veillon » en déformant simplement « roche Avignon » ou parce que cette appellation évoquait autre chose ? Charles Deguise suggère cette hypothèse dans Le Cap au diable, en 1863 : « […] en descendant le fleuve, vous rencontrez un écueil bien digne d’attirer votre attention : c’est la Roche Avignon, ou, comme d’autres l’appellent, la Roche Ah Veillons, à cause des dangers qu’elle présentait autrefois à la navigation […] ». Arthur Fournier reprend la même idée en 1923 : on dit aussi« roche à Veillon », écrit-il, « probablement parce que rendus vers cet endroit les marins devenaient plus vigilants et se disaient « ici veillons l’endroit est dangereux » ». L’hypothèse est séduisante mais elle ne pourra probablement jamais être démontrée. Le texte de Deguise est une légende; Fournier écrit « probablement ».

Roche à veillon - par Jean D.

La roche à Veillon (photo Michel Lacombe)

Une autre roche à Veillon et un vrai Veillon

Si ce nom peut nous sembler bien original, il faut noter qu’il y a aussi une « roche à Veillon » en France, à l’entrée du Fier-d’Ars, une petite baie qui s’ouvre sur la côte nord de l’île de Ré (près de La Rochelle). Dans cette région, le patronyme Veillon est très ancien et pourrait expliquer le nom du rocher; au Québec, Veillon est un patronyme rare (Canada411 en signale un au Québec et un en Ontario!) mais il a été porté en Nouvelle-France par un navigateur qui a sillonné le Saint-Laurent et bien d’autres eaux.

Jean-Baptiste Veillon était originaire de Saint-Saturnin (auj. Meschers-sur-Gironde, en Charente-Maritime), donc pas loin de La Rochelle. Marié à Québec en 1722, il était commandant de La Fortune en 1728, puis capitaine du brigantin L’Aimable qui voyagea de Québec à La Rochelle en 1733. D’autres documents indiquent qu’il était à La Rochelle en 1736 et 1741 puis à Saint-Domingue (Haïti), où un de ses fils est mort (1745), et probablement de nouveau en France, en 1747, quand sa fille s’y marie.

Ce navigateur et sa famille disparaissent des registres canadiens vers 1740 et on perd leur trace; on suppose qu’ils ont quitté la colonie, à l’exception d’un fils, Jean Baptiste, aussi navigateur, qui réapparaît après la Conquête et se marie à Québec en 1763. Il aura cependant peu de descendants et le nom Veillon disparaîtra totalement des recensements dans la deuxième partie du XIXe, au moment où il apparaît officieusement dans la toponymie, sans qu’on puisse faire un lien entre les deux. Du moins jusqu’à maintenant.

Comment célébrer un anniversaire de mariage en l’absence d’un des conjoints ?

Les fonctionnaires fédéraux qui conseillent Patrimoine-Canada en vue du 150e anniversaire du Canada auraient de la difficulté à trouver des événements qui illustreraient « des contributions marquantes du Canada français à la fédération » (http://journalmetro.com/actualites/national/864431/le-canada-francais-un-peu-trop-absent-du-150e/). Ils ont bien envisagé « les contributions des Premières Nations, le centième anniversaire, en 2018, du droit de vote des femmes au fédéral, l’abolition de l’esclavage au Canada (il y a près de 200 ans) ou le 75e anniversaire des camps où avaient été internés les Canadiens d’origine japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale » mais leur imagination pourtant fertile quand il est question de multiculturalisme semble tourner court en ce qui concerne les Canadiens français.

Il est assez étrange de constater leur prédilection pour les Autochtones, qui n’ont joué aucun rôle (comme communauté) dans la conception et la mise en place du régime fédéral, alors qu’ils oublient que la Confédération a été construite sur la base de grands compromis entre les leaders des deux communautés qu’on qualifiait encore, il n’y a pas si longtemps, de « peuples fondateurs » ? L’interprétation est aujourd’hui contestée mais on y a vu longtemps (et plusieurs le croient encore) un véritable « pacte » entre les deux communautés linguistiques ?

Macdonald-Cartier

De fait, il est difficile de célébrer le 150e anniversaire d’une institution qui vous tourne le dos depuis le « renouement conjugal » raté de 1982. Ce serait un peu comme célébrer un anniversaire de mariage en l’absence d’un des conjoints.

Les bretelles de monsieur Deltell

Comptant probablement sur une certaine ignorance du fonctionnement de nos institutions parlementaires, le gouvernement Harper attaque l’opposition sous un angle « innovateur » : l’efficacité. Le candidat conservateur dans Saint-Laurent en a donné un exemple la semaine dernière en déclarant que le bilan du NPD était « nul », comme si on pouvait mesurer l’efficacité de l’opposition à la même aune que le gouvernement (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/dossiers/elections-federales/201508/03/01-4890148-le-bilan-du-npd-est-zero-attaque-gerard-deltell.php).

Et pour montrer qu’on peut « faire avancer les choses », même dans l’opposition, il a cité « l’exemple de la route de la Bravoure dans le secteur de la base militaire de Valcartier, un projet dont il [a été] l’instigateur ».

Bravoure

Monsieur Deltell compte à la fois sur l’ignorance et l’oubli. Il ne s’agit pas ici de défendre le NPD mais de rappeler certains faits.

En 2009, le député caquiste de Chauveau s’est mis en campagne pour que l’autoroute Henri-IV soit renommée « autoroute de la Bravoure », du pont de Québec jusqu’à Valcartier. Malgré le battage publicitaire mené pendant trois ans et amplifié par certaines stations de radio, la Commission de toponymie (CTQ) a rejeté cette idée, trois fois plutôt qu’une (2009, 2010 et 2012), acceptant cependant que le prolongement de l’autoroute Henri-IV, de Bélair à Shannon, soit appelé « ROUTE de la Bravoure ». Cette décision a été présentée diplomatiquement comme un « compromis ». Oubliant son objectif initial, le député caquiste a convaincu les médias que c’était « une victoire » (Le Soleil, 16 mai 2012), et même une « victoire totale pour les militaires, pour leurs familles, pour leurs proches » (http://tvanouvelles.ca/lcn/infos/regional/quebec/archives/2012/05/20120516-163748.html). Quant à ceux qui défendaient Henri IV (dont la Fédération des sociétés d’histoire), ils ont eu la délicatesse de ne pas pavoiser après avoir conservé leur cheval en échange d’un lapin.

Ce que le candidat conservateur ne dit pas, c’est qu’il avait l’appui du tout-puissant maire de Québec, du caucus régional des députés ministériels et du premier ministre Jean Charest lui-même, sans compter que ce dernier venait de nommer à la CTQ une nouvelle présidente plus « ouverte » au réexamen d’une proposition refusée deux fois. Ainsi armé, un député de l’opposition n’a pas vraiment de mérite à gagner sa cause… Or, il l’a perdue, n’obtenant comme prix de consolation qu’un bout de route de campagne sans bretelles.

 

Ce qui n’empêche pas le député de faire péter les siennes.

Bravoure3

 

 

Déjà un record pour le Centre Videotron: le premier spectacle annulé

Centre Videotron

On aurait dû la voir venir, celle-là.

En avril, le Groupe Sports et divertissement de Québecor avait annoncé « trois semaines de spectacles et d’événements sportifs […] pour lancer en grand les festivités d’inauguration du Centre Vidéotron ». Un éventail « de spectacles et d’événements où chacun y trouverait son compte », avait déclaré Benoît Robert : deux matchs des Remparts, un match des Canadiens, un match de boxe, Metallica, Madonna, RBO, et, pour donner un petit vernis culturel à la chose (car cet amphithéâtre n’a pas été construit seulement pour le sport, n’est-ce pas ?), un grand « party d’ouverture mettant en vedette des artistes que le public québécois affectionne », une « grande fête musicale en trois temps » pour un public « qui aura droit à un feu roulant de surprises dès son arrivée sur place, et jusqu’à la toute fin de la soirée, alors que le spectacle se poursuivra à l’extérieur de l’amphithéâtre ».

http://www.quebecor.com/fr/comm/le-centre-vid%C3%A9otron-d%C3%A9voile-sa-programmation-d%E2%80%99ouverture

Les détails devaient être « dévoilés prochainement ». Les rumeurs partaient: Céline, Marie-Mai….

Trois mois plus tard (et deux jours après avoir pris possession des lieux), le gérant de la bâtisse profite d’un beau vendredi après-midi et d’une population encore « stone » pour émettre le communiqué classique du politicien qui veut noyer la mauvaise nouvelle et annoncer qu’il n’y aura pas de spectacle le 11 septembre. C’est le premier match des Remparts qui marquera l’ouverture du Centre Vidéotron le lendemain et  la « Nordi City » sera à l’honneur. Exit le contenu musical francophone; on ne fera pas ombrage au Festival d’été.

http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/07/17/011-centre-videotron-spectacle-ouverture-annule.shtml

Depuis l’annonce d’avril, explique-t-on, Québec a programmé des visites guidées du nouvel amphithéâtre… Donc, les contribuables qui veulent voir la couleur de leur investissement et ne sont pas entichés de sport ou de rock (incluant celui qui a des oreilles) n’ont qu’à s’inscrire pour les visites au début de septembre.

Si le maire pouvait les guider personnellement, ça ferait au moins un petit spectacle.

 

Pris sur le fait

Au milieu des années 1970, quand le député de Charlevoix était ministre des Transports, on disait à la blague qu’on ne pouvait rester trop longtemps sur le bord d’une route de son comté sans risquer de se faire asphalter!

De la même manière, ceux qui fréquentaient (trop?) le Café du Parlement risquaient pour leur part de figurer sur les cartes postales officielles de l’Assemblée nationale.

Café du Parlement0001

À preuve, cette pièce de collection (et à conviction) qui date des environs de 1977 et montre, au centre, un trio de fonctionnaires attablés un matin d’été, soit une jeune femme aux épaules dénudées assise en face d’un moins jeune homme, le soussigné, avec son fameux safari marine (et les coudes sur la table…), et en compagnie (de dos) d’un collègue à la calvitie précoce.

C’était la belle époque où les photographes pouvaient travailler sans demander de permissions, surtout aux figurants pris sur le fait d’une pause allongée.