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Mauvais printemps pour le Parlement

Traditionnellement, le lieutenant-gouverneur venait chaque année, en personne, procéder à l’ouverture de la session, avec « son » discours du trône, et revenait la fermeture quelques mois plus tard. Puis, on a de plus en plus prorogé la session par proclamation, sans déranger Son Excellence. À partir des années 1980, les sessions se sont souvent allongées sur deux ans, ce qui a réduit ses apparitions. Et voilà que nous venons de marquer une autre étape : pour la première fois de l’histoire parlementaire, une législature « normale » de quatre ans n’a tenu qu’une seule session. On n’a pas revu le vice-roi depuis l’ouverture de la session en 2014, ce qui a privé les simples députés de leurs vingt minutes de gloire qui consiste à participer au débat sur le message inaugural.

La session actuelle (car elle n’est qu’ajournée au 18 septembre, en principe) sera la plus longue de tous les temps, mais il est justement temps qu’elle finisse, car le Parlement ne cessait d’y laisser des plumes. Ramassons-en quelques-unes.

Seul Le Devoir a fait état d’un autre abus du pouvoir réglementaire que les lois accordent à l’exécutif. En juin 2017, le Parlement a adopté un projet qui visait à stopper la destruction des milieux humides en appliquant le principe « d’aucune perte » ; en vertu de cette loi, les promoteurs qui portent atteinte à des milieux humides doivent verser une compensation financière dans un fonds de restauration. Or, en mai dernier, le ministère du Développement durable a adopté un règlement qui réduit substantiellement les compensations financières exigées, « ce qui est en porte à faux avec la volonté d’aucune perte », selon une analyse d’impact réalisée par le ministère lui-même. En d’autres mots, le gouvernement a contredit, par décret, l’esprit même de la loi 132. Dans l’indifférence générale.

Plus remarqué, mais quand même pas pour qu’on se batte dans les autobus : dans une décision rendue par la présidence le mardi 12 juin, la ministre Kathleen Weil a été reconnue coupable d’outrage au Parlement pour avoir divulgué le contenu du projet de loi sur l’accès à l’information à des journalistes avant même qu’il ne soit déposé en Chambre.

La situation ne manquait pas d’ironie, comme l’a souligné Michel David : « Une ministre responsable des Institutions démocratiques qui est blâmée pour outrage au Parlement, c’est un comble » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530496/le-bulletin-ministeriel).

Ce n’est pas la première fois que les députés d’opposition portent plainte pour outrage mais on ne se souvient plus de la dernière fois où un membre du gouvernement a été blâmé. Le leader de l’opposition officielle a soulevé la question le 17 mai, mais le président (qui avait d’autres préoccupations…) a pris quatre semaines pour rendre sa décision. Il fallait ensuite que la Commission de l’Assemblée nationale (CAN) siège pour décider s’il y aurait une sanction qui aurait pu aller jusqu’à la perte du siège. Manque de pot, la Commission a manqué de temps pour compléter le processus. De toute manière, la CAN a une majorité libérale. Donc…

Parlant de la majorité, elle s’est manifestée avec force dans le dossier du député de Brôme-Missisquoi qui a été blâmé par la nouvelle Commissaire à l’éthique pour avoir favorisé sa fille et son gendre avec son allocation de logement. Là aussi, il fallait que la décision soit entérinée par les députés et les libéraux se sont rangés derrière leur doyen. Pour ne pas « créer d’injustice », d’après le premier ministre… Selon le leader du gouvernement, dont les raisonnements créatifs nous manqueront sûrement, il n’était « pas question par ce geste de désavouer Me Ariane Mignolet ou son institution », mais il a quand même demandé une opinion juridique externe pour essayer de la contredire, influencer l’opinion publique et, surtout, son caucus.

« Le premier commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale était un chien de garde qui ne mordait pas, a écrit Rémi Nadeau. Sa successeure a mordu dès la première occasion, mais le gouvernement libéral a choisi de lui arracher les dents… » (http://www.journaldequebec.com/2018/06/20/coucouche-panier). Convenons pas ailleurs  que la Commissaire s’est un peu tiré dans le pied en blâmant le député tout en écrivant que les règles devaient être revues.

Même le président de l’Assemblée nationale a terminé la session, sa présidence et sa carrière parlementaire avec des plumes en moins. Michel David a tout dit, en quelques mots, dans son bulletin de fin de session : « Pendant des années, on a loué le travail de Jacques Chagnon (Westmount–Saint-Louis) à la présidence de l’Assemblée nationale. Tout s’est écroulé au moment où il s’apprêtait à prendre sa retraite. Ses efforts pour améliorer l’image de l’institution parlementaire ont été anéantis par les révélations sur le train de vie princier qu’il menait aux frais des contribuables et son étonnement offusqué face aux réactions qu’elles ont provoquées » (https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/530635/bulletin-de-l-opposition)..

À ce palmarès navrant, il faut ajouter que le Parlement a terminé la session avec un « salon de bronzage » bondé (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2018/05/22/un-salon-de-bronzage-achalande/). C’est rarement bon signe quand cette « arrière-boutique » de la salle des séances fait son plein de membres exclus des caucus pour des motifs souvent peu glorieux. La semaine dernière, on y retrouvait les cas symptomatiques d’un Parlement mûr pour un renouvellement : problèmes d’éthique, problèmes de conduite et autres…

À la prorogation, probablement en août, on nettoiera l’ardoise et, à l’ouverture, on recommencera à neuf, en principe, en souhaitant, là comme ailleurs, du changement.

Un « salon de bronzage » achalandé

Il est temps que la législature finisse : le « salon de bronzage » déborde! En fait, il n’a jamais été aussi fréquenté depuis la crise du « beau risque » en 1984. Ces derniers temps, ça ne « dérougit » pas…

L’expression n’est pas très utilisée : elle désigne, dans le jargon parlementaire,  la partie arrière de la salle de séances de l’Assemblée nationale, sous la tribune de la presse, là où le plafond est bas, et les lumières aussi. « C’est sans doute, tantôt, l’éclairage de cette partie de l’Assemblée nationale qu’on a appelé le salon de bronzage qui a fait que vous n’avez pas pu me reconnaître », se plaignait en 1995 un ancien député de Mercier (Journal des débats, 24 mai 1995).

Le "salon de bronzage", lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration.

Le « salon de bronzage », lorsque le député de Chomedey y a fait sa fameuse déclaration. Depuis, il en est sorti.

Il y a de tout dans ce qu’on pourrait aussi appeler le « Refugium peccatorum ». Car on ne s’y installe pas de bon gré. Généralement.

Le député de Gaspé s’y trouve depuis mai 2007, expulsé de son parti parce qu’il aurait accepté des cadeaux de la firme Roche alors qu’il était directeur général de la ville de Gaspé. Son chef lui a offert de réintégrer son caucus, mais il a décidé de continuer de siéger comme indépendant jusqu’à la fin de son mandat.

Le député caquiste de Groulx et ─ dernier en liste ─ le député libéral de Beauce-Sud ont été relégués au fond de la salle à la suite de révélations sur la gestion des allocations que l’Assemblée leur fournit. Une enquête est en cours sur le second.

Trois députés libéraux (Brome-Missisquoi, Laurier-Dorion et Argenteuil) ont quitté leur caucus à la suite d’allégations concernant, disons, pour simplifier, des comportements « inappropriés » (qui n’ont pas fait l’objet d’accusations).

Enfin, signe des temps, le « salon de bronzage » a un genre de cliente « trans », la député de Vachon, qui a inventé la notion de « transparlementarisme » lorsqu’elle a été élue chef du Bloc québécois au Parlement fédéral et qu’elle a néanmoins décidé de conserver son siège à Québec.

Les trois représentants de Québec solidaire sont aussi des indépendants aux fins du Règlement de l’Assemblée nationale. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, ils doivent un gros merci aux sept autres: sans eux, ils risqueraient d’occuper des sièges sous les modestes plafonniers du « salon de bronzage ».

Yves Michaud et la souffrance du peuple juif

Comme l’écrit Jean-M. Salvet, dans Le Soleil du 13 février 2018 (et Marco Bélair-Cirino, en termes similaires dans Le Devoir du 15), Yves Michaud « n’a pas tenu, lors [des] États généraux [de décembre 2000], les propos pour lesquels les parlementaires l’ont blâmé. Ses détracteurs, en conviennent tous aujourd’hui [...] ».

Dans n’importe quelle institution normale, civile, militaire, économique, religieuse, universitaire, gouvernementale, etc., un blâme aussi mal fondé serait retiré. Mais ce n’est pas le cas de l’Assemblée nationale qui se prétend pourtant la première de nos institutions et le fondement de notre système démocratique.

Mieux encore, non satisfaits de l’accusation portée sans aucune preuve en 2000, les « détracteurs » de Michaud en insinuent une autre, 18 ans plus tard : Michaud aurait « minimisé la souffrance du peuple juif dans une entrevue accordée à une radio », selon ce que rapportent, sans plus de détails, les mêmes journalistes.

Affaire Michaud

Qui ? quoi ? où ? quand ? comment ?

L’entrevue en question a été menée par Paul Arcand le 5 décembre 2000 et n’avait suscité aucune réaction publique avant le témoignage de Michaud aux États généraux huit jours plus tard. Cette entrevue portait sur un livre que Michaud venait de publier chez VLB, Paroles d’un homme libre. Il en existe deux transcriptions, l’une rapportée dans La Presse du 19 décembre et une autre préparée par la firme spécialisée Caisse Chartier.

Cette dernière transcription omet fort curieusement de donner le libellé exact de la question qui nous intéresse et se limite aux mots suivants :

« Paul Arcand : (animateur) Passons à autre chose. »

La vraie question, telle que rapportée par La Presse, est la suivante :

« […] est-ce que vous ne sentez pas un désintérêt d’une bonne partie de la population sur la question de la souveraineté et sur la question nationale, des gens qui en ont assez, c’est terminé, passons à autre chose ? »

La réponse est semblable dans les deux transcriptions, à quelques détails près. Voici celle de la firme Caisse Chartier :

« Yves Michaud : (ex-politicien) Bien, je vais vous raconter une anecdote. J’étais… je suis allé chez mon coiffeur il y a à peu près un mois. Il y avait un sénateur libéral, que je ne nommerai pas, qui ne parle pas beaucoup, encore qu’il représente une circonscription française et qui me demande : es-tu toujours séparatiste Yves? J’ai dit, oui. Oui, je suis séparatiste comme tu es Juif. J’ai dit ça prit à ton peuple 2 000 ans pour avoir sa patrie en Israël. J’ai dit moi que ça prenne dix ans, cinquante ans, cent ans de plus, je peux attendre. Alors il me dit que ce n’est pas pareil. Aïe c’est jamais pareil pour eux. Alors j’ai dit c’est pas pareil. Les Arméniens n’ont pas souffert. Les Palestiniens ne souffrent pas. Les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit c’est, c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

Il est question ensuite de Groulx, de B’nai Brith, de Jean-Louis Roux, de McGill, de révisionnisme, de Galganov, etc., mais rien d’autre sur le peuple juif en tant que tel.

« Minimiser la souffrance du peuple juif? »

La transcription de La Presse permet de rappeler que la question de Paul Arcand ne portait aucunement sur les Juifs, mais sur la pertinence actuelle de la lutte des souverainistes québécois. Avec son anecdote, Michaud compare cette démarche avec celle des Juifs qui ont cherché pendant 2000 ans à se bâtir une patrie et, selon lui, si les Québécois en ont besoin de 100, c’est bien peu de chose, il peut attendre. Son approche n’a évidemment rien de dévalorisant envers les juifs; elle implique au contraire une admiration pour leur persévérance.

Quand le sénateur répond : « ce n’est pas pareil », Michaud s’insurge, car le parlementaire fédéral nie la valeur du combat souverainiste.  : « […] ce n’est pas pareil? Les Arméniens n’ont pas souffert, les Palestiniens ne souffrent pas, les Rwandais ne souffrent pas. J’ai dit : c’est toujours vous autres. Vous êtes le seul peuple au monde qui avez souffert dans l’histoire de l’humanité. »

On notera ici qu’il n’est pas question de la Shoah, mais de luttes nationales respectives des Juifs et des Québécois. Michaud n’accepte pas que la sienne soit banalisée, quelle que soit la valeur de l’autre. S’il avait été convoqué pour se défendre, comme on procède en pareil cas dans les parlements normaux, il aurait pu lire aux députés ce passage de Paroles d’un homme libre (p. 30) :

« On botte les fesses du peuple québécois depuis deux siècles et demi. Ce n’est pas tellement long en comparaison de deux millénaires d’errance du peuple juif, mais cela fait mal tout de même… »

Comment peut-on dire ensuite que Michaud « minimise la souffrance du peuple juif »?

(voir, sur cette question, https://www.septentrion.qc.ca/catalogue/affaire-michaud-l)

L’astuce

Le 12 novembre dernier, dans le point de presse qui a suivi la présentation des projets de loi no 78 (encadrant l’octroi des allocations de transition) et no 79 (donnant suite au rapport du comité indépendant L’Heureux-Dubé), le leader du gouvernement a déclaré que

« l’ensemble des propositions du rapport L’Heureux-Dubé nous amène donc à une rémunération globale des députés à la baisse et des économies pour l’État de 400 000 $ par année » (http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/conferences-points-presse/ConferencePointPresse-26011.html).

Les points de presse ne permettent pas toujours de vider le sujet (celui-ci encore moins que les autres…), mais il aurait été intéressant de demander au ministre comment concilier son évaluation avec ce passage de la page 92 du rapport qu’il invoque :

« Pour les députés, l’application des recommandations entraîne une augmentation de la rémunération globale de 2,3 millions$, soit une hausse de 11,3%.

En ce qui concerne le gouvernement, ce montant de 2,3 millions$ sera compensé par des recettes fiscales additionnelles réalisées par l’impôt sur le revenu du Québec. Cette somme est estimée à environ 1,5 million$ annuellement. En conséquence, l’effet net des recommandations du Comité pour le gouvernement serait donc plutôt de l’ordre de 4%, soit environ 800 000$ » (http://www.assnat.qc.ca/fr/publications/fiche-depute-remuneration-juste.html).

Une rémunération globale diminuée de 400 000$ ou haussée de 800 000$ ? C’est la question à 1,2M$ !

L’évaluation du Rapport L’Heureux-Dubé : une hausse

La section 4.12 du rapport L’Heureux-Dubé est consacrée aux « impacts financiers des recommandations ». Le tableau 12 (page 92) compare la rémunération directe et le coût du régime de retraite assumé annuellement par le gouvernement avant et après l’application de ses recommandations. En bref :

Situation actuelle

      • Indemnités                                                                  13,9M$
      • Allocations de dépenses non imposables                    2,0M$            
      • Sous total                                                                    15,9M$
      • Coût du régime de retraite pour le gouvernement        4,6M$

Total                                                                            20,5$M

Situation projetée

      • Indemnités proposées (avec allocation intégrée)          20,3$
      • Coût du régime de retraite pour le gouvernement          2,5$

Total                                                                            22,8$M

D’où l’augmentation de 2,3 millions $. Le rapport réduit ensuite ce montant à 800 000 $ par le calcul suivant :

« Si les recommandations du Comité étaient appliquées, l’Assemblée nationale ne verserait plus d’allocation annuelle de dépenses non imposable, mais accorderait 6,4 millions $ de plus en indemnités imposables (équivalent imposable de l’allocation de dépenses + augmentation de l’indemnité de base et des indemnités additionnelles). En faisant l’hypothèse que le taux d’imposition sur le revenu du Québec est de 25,75%, soit le taux applicable à la tranche la plus élevée des revenus, l’impôt total additionnel perçu serait de 1,5 million$ ».

Le Comité reste évasif au sujet de l’impact de ses recommandations sur les allocations de transition (qui ont fait l’objet du projet de loi 78). Il y aura, soutient-il, une économie « appréciable » dans le cas des allocations versées aux députés qui quittent avant terme mais « pour les autres cas où un député quitte la vie politique, le relèvement de l’indemnité de base aura pour effet de hausser le montant moyen de l’allocation de transition ».

Il aurait été utile de préciser que ceux qui abandonnent prématurément, et pourraient être privés de d’allocation, sont beaucoup moins nombreux que ceux qui quittent en fin de mandat (retraite ou défaite), mais le Comité se limite à conclure « que le montant total des allocations de transition versées sera inférieur à ce qu’il serait si les indemnités et les règles actuelles étaient maintenues ». Assez pour annuler la hausse de 800 000$ ?

Quant au reste (abolition des allocations de présence aux commissions qui siègent hors session et modification de l’allocation pour les frais de logement à Québec), le Comité conclut que « les économies réalisées seraient de quelques dizaines de milliers de dollars annuellement ».

Du coût nul aux économies

Ce n’est donc pas dans le rapport du Comité consultatif indépendant qu’apparaît la notion de « coût nul » mais bien lors de la conférence de presse tenue le vendredi 29 novembre 2013 pour présenter le rapport aux journalistes. Alors que le Comité était évasif sur l’impact des recommandations portant sur les allocations de transition, la présidente ouvre la conférence avec une présentation générale qui contient de nouvelles données :

« […] le comité croit qu’avec les règles qu’il propose concernant l’allocation de transition et les recommandations à l’égard du régime d’assurance collective, il y aura, pour le gouvernement, des économies additionnelles de près de 900 000 $ par année. Par conséquent, les modifications proposées par le comité représentent un coût nul pour les contribuables québécois ».

Devant un auditoire qui n’avait pas le recul nécessaire pour en juger, les membres du Comité reprennent ensuite ce refrain :

« Mme L’Heureux-Dubé (Claire) : […] Puis c’est tellement facile à accepter parce que ça ne coûte rien. Ça ne coûte rien.

M. Bisson (Claude) : C’est ça, justement, le coût est nul. Le coût est nul pour le Trésor public.

M. Côté (François) : [...] ce que mes deux collègues disent, c’est le plus important, c’est que ça ne coûte rien de plus aux contribuables et c’est un réaménagement. »

Que s’est-il passé entre la signature du rapport le 26 novembre et sa présentation le 29 pour changer l’évaluation du Comité ? Une évaluation comptable tardive ? Des données de dernière minute ? La correction d’un « oubli » ? Quoi qu’il en soit, le « coût nul » a été ressassé par les médias puis remis sur la table par le nouveau premier ministre (en juillet 2014 et en mars 2015) pour finalement se transformer en économie annuelle de 400 000$ lors de la présentation des deux projets de loi dont il a été question ci-dessus.

Selon le tableau du leader du gouvernement, il y aurait donc des économies de 3,34 millions $ par année, soit

    • moins d’argent dans le régime de retraite (2 240 000$)
    • et dans le régime d’assurances collectives (230 000$),
    • moins d’indemnités de départ (830 000$),
    • abolition des allocations de présence aux commissions (50 000 $).

D’autre part, des déboursés supplémentaires de 2,94 millions $, soit

    • une augmentation de la « rémunération nette » (2 810 000$)
    • une augmentation des allocations pour frais de logement (80 000$),
    • et le coût d’un comité indépendant permanent qui se penchera à l’avenir sur les conditions de travail des députés (50 000$).

Conclusion : économie nette pour l’État de 400 000$ par année « et donc de 4 millions sur 10 ans » (ce qui est évidemment plus impressionnant…).

L’astuce

Les données du leader sont légèrement différentes de celles du Comité L’Heureux-Dubé. Ce dernier estimait des économies similaires pour le régime de retraite (2,1M$ sur la base de l’indemnité de 2013), mais ne donnait pas de chiffres pour les autres éléments; même chose, côté déboursés, pour les allocations pour frais de logement (que le Comité rangeait dans les économies) et les frais d’un futur « comité indépendant permanent ».

La clef de la démonstration est la « rémunération nette » qui représente la quasi totalité des déboursés supplémentaires. Impossible de trouver ce déboursé de 2,81M$ dans le Rapport L’Heureux-Dubé; tel que mentionné ci-dessus, le comité estimait que son projet exigerait « 6,4 millions$ de plus en indemnités imposables » et qu’il pourrait en revenir 25,75% au Trésor public, soit 1,5M$, ce qui se solderait par un 4,9M$ en indemnités supplémentaires.

À la conférence de presse, les questions ont surtout porté sur le jeu politique (« timing », positions des partis, possibilité de bâillon, etc.). Le journaliste du Devoir a essayé sans succès d’avoir des précisions : à combien se chiffre la perte pour un député, certains auront-ils une hausse ? La « ligne » était invariable : « Certains ont une baisse plus grande que l’autre [sic], mais tout le monde est en baisse. La rémunération globale est à la baisse. »

La représentante du Journal de Québec est alors arrivée avec une question plus pointue :

« Mme Lajoie (Geneviève) : Le 400 000$ d’économies — soyons clairs, là — il comprend également, donc, de l’impôt de plus payé par les députés qui vont avoir un plus haut salaire, moins de primes qui n’étaient pas imposables. On s’entend bien là-dessus?

M. Fournier : Oui, oui.

Mme Lajoie (Geneviève) : O.K. Si on exclut l’impôt de plus, c’est quoi, là?

M. Fournier : Ah! bien là, si on exclut… Bien là, justement, l’objectif, c’était de les imposer parce qu’ils avaient déjà des primes non… il y avait une partie de salaire non imposable, et le rapport nous dit : Il faut l’imposer. Alors, c’est ce qu’on fait.

Mme Lajoie (Geneviève) : Oui, mais, si on enlevait… parce que, quand on calcule, on ne calcule pas souvent ça, là, l’impôt de plus que vont payer les députés.

M. Fournier : Bien, je ne sais pas… Quand on regarde la rémunération globale, on voit : Est-ce qu’il y a plus d’argent dans la poche des députés? La démonstration, c’est : il y en a moins. Mais, pour le reste, je vous laisse chacun faire vos choix, là. Vous souhaitez peut-être qu’on en ait plus, mais ce n’est pas le rapport indépendant qui… ne nous proposait pas cela. Il demandait que la rémunération soit à la baisse ».

Ceux qui ont compris peuvent lever la main… La « piste » indiquée par la journaliste était prometteuse, mais la « meute » s’est ensuite dispersée dans d’autres directions. Il aurait pourtant été utile de demander des précisions sur la « rémunération nette » et surtout comment on pouvait défendre ce concept, disons « novateur » (qu’on ne voit « pas souvent », comme le soulignait la journaliste), dans le cadre des relations de travail et des négociations salariales (même le négociateur des médecins spécialistes n’a pas invoqué les milliers de dollars qui reviennent au Trésor public sous forme d’impôts pour faire passer l’augmentation de salaire de ses collègues). S’il faut tenir compte des recettes fiscales accrues qui accompagnent l’augmentation des indemnités, faut-il aussi calculer les pertes fiscales qui découlent des prestations de retraite diminuées ? Et pourquoi pas les retombées économiques de la présence de députés mieux payés dans la capitale…

Pour les simples contribuables, il reste à espérer que la lumière se fasse d’ici l’étude du projet de loi en commission. Pour le moment, il est difficile de comprendre qu’on veuille donner aux députés des conditions de travail à la hauteur de leurs fonctions et leur accorder le traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement, tout en prétendant aussi faire des économies. S’ils méritent un changement de catégorie, du député de la base jusqu’au premier ministre, comme le propose le rapport L’Heureux-Dubé, il faut assumer les conséquences sur le Trésor public sans trop abuser de la « comptabilité créatrice ».

Les statistiques du Rapport L’Heureux-Dubé

Dans le Journal de Québec du 5 décembre, Jean-Jacques Samson écrivait que les parlementaires « travaillent moins que par le passé » (« Parlementaires à temps partiel », http://www.journaldequebec.com/2015/12/05/parlementaires-a-temps-partiel). Il appuyait son jugement sur une étude de l’Observatoire de l’administration publique (ÉNAP, 2012) qui constatait que l’Assemblée a tenu en moyenne 95 séances par année entre 1960 et 1981 et seulement 71 de 1982 à 2010, une diminution de 25%.

Ce portrait est très différent de celui qui est a été présenté en novembre 2013 par le « Comité consultatif indépendant sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l’Assemblée nationale », désigné communément sous le nom de « Comité L’Heureux-Dubé » (http://www.assnat.qc.ca/fr/publications/fiche-depute-remuneration-juste.html).

Plus de jours, moins d’heures

L’évaluation du comité indépendant ne tient pas compte de l’époque où on siégeait souvent plus de 90 jours par année, soit avant 1984. Il prend en considération le travail parlementaire après1984 et divise les trois décennies suivantes en deux périodes inégales, soit avant et après la réforme de 2009 qui a modifié le calendrier parlementaire. « Les effets de cette réforme sur la charge de travail sont considérables, avance-t-on dans le rapport. À l’Assemblée nationale, le nombre annuel de séances qui était en moyenne de 77 entre 1984 et 2008 atteint maintenant 83. Comme l’Assemblée tient, en période de travaux réguliers, trois séances par semaine, c’est donc dire que deux semaines de travaux se sont ajoutées » (Rapport, p. 33).

La période prise en considération par l’étude de l’ÉNAP s’arrête en 2010 tandis que le Comité L’Heureux-Dubé couvre deux années de plus, ce qui peut influencer les résultats, mais il faut surtout aller mettre le nez dans les statistiques de l’annexe III du Rapport pour expliquer les constats différents et relativiser les effets « considérables ».

Pour arriver à « ses » chiffres, le comité indépendant a exclu les « années électorales », celles où la Chambre siège évidemment un peu moins, ce qui bonifie les données (p. 133). Sans cette exclusion, on aurait plutôt une moyenne de 71 séances, entre 1984 et 2008 (soit un résultat comparable à celui de l’ÉNAP), et 79, entre 2009 et 2012.

Les modifications apportées au calendrier parlementaire en 2009 auraient donc eu un effet mais l’examen de l’annexe statistique apporte un autre bémol : les séances sont beaucoup plus courtes. Elles dépassent rarement quatre heures depuis 2007 alors qu’elles duraient rarement moins de cinq heures auparavant (p. 134-135). L’Assemblée a donc siégé en moyenne 342 heures par année depuis 2009 contre 410 heures les 13 années précédentes, soit 68 heures (17%) DE MOINS. (Une analyse plus fine montrerait probablement que la Chambre ajourne plus souvent ses travaux après les affaires courantes pour faciliter le travail en commission).

Bref, si tous ces chiffres sont exacts, « deux semaines de travaux se sont ajoutées » à la session, si on compte en jours, mais, si on compte les heures, il y a à peu près deux semaines « normales » de 35 heures de moins!

Le travail en commission

Comme Jean-Jacques Samson s’est empressé de le préciser, à juste titre, il ne faut pas « juger de la qualité et de l’efficacité d’un gouvernement [sic] seulement par le nombre de jours de séance de l’Assemblée nationale et le nombre de lois votées ». La plus grande partie du travail parlementaire se déroule en commission et, à ce chapitre, selon le Comité L’Heureux-Dubé, la progression serait « encore plus frappante ». D’après son tableau de la page 33, les commissions ont tenu en moyenne 390 séances, pour un total de 1281 heures, de 1984 à 2008, contre 526 séances et 1545 heures depuis 2009 (en excluant toujours les années électorales), soit une augmentation moyenne de 264 heures.

Au lecteur peu averti qui serait tenté d’ajouter ces 1545 heures effectuées en commission aux 342 heures de l’Assemblée, il faut rappeler qu’il s’agit d’une charge de travail partagée entre 10 commissions sectorielles. L’augmentation moyenne de 264 heures par année depuis 2009 représente donc une charge accrue d’environ 26,4 heures par commission, soit une cinquantaine par député, chacun d’eux étant généralement membre de deux commissions, parfois moins, rarement plus.

Depuis 2009, il y aurait donc, en moyenne, une cinquantaine d’heures de plus en commission et soixante-huit de moins en chambre : peut-on vraiment conclure que la réforme de 2009 a eu des effets « considérables » sur la charge de travail? Le nouveau calendrier a étiré la session (qui va maintenant de février au début de juin et de septembre au début de décembre) mais il prévoit des « relâches » statutaires qui permettent le retour en circonscription.

La conciliation Québec-circonscription

Le rapport du comité indépendant attire l’attention sur les séances de commission tenues hors session, ce qui oblige les parlementaires à venir parfois à Québec en janvier et en août, mais le nombre de commissions qui travaillent en dehors des semaines où l’Assemblée siège demeure marginal, comme en témoignent les tableaux de l’annexe III (p. 145). Le comité évoque aussi une « utilisation plus marquée du lundi par les commissions », ce qui viendrait interférer avec la traditionnelle journée de travail dans le comté; encore là, les statistiques (p. 146) permettent de prendre la mesure du phénomène : le nombre moyen de séances tenues le lundi a augmenté d’une vingtaine par année en moyenne, chiffre qu’il faut encore diviser par 10, ce qui donne bien peu de lundis problématiques pour chacun des parlementaires.

Par ailleurs, le comité ne dit mot de l’impact du nouveau calendrier sur les fins de session qui sont beaucoup plus hâtives maintenant. On a « fermé la boutique » le 4 décembre, cette année, alors qu’on pouvait siéger autrefois cinq jours par semaine pendant trois semaines en décembre, soit jusqu’à l’avant-veille de Noël, et en juin, jusqu’à la Saint-Jean. Le nouveau calendrier a donc allégé les fins de session.

Pour évaluer le travail du député, le cas de l’ancien député de Jean-Talon peut-il servir d’exemple? Son travail dans l’opposition sous le gouvernement minoritaire du PQ a fait l’objet d’une analyse dans une note de juillet 2014 (https://blogue.septentrion.qc.ca/gaston-deschenes/2014/07/16/les-loisirs-dun-depute-urbain-suite/). Pendant les 18 mois analysés, la Chambre a tenu 110 séances et sa commission, 80, mais seulement 17 les jours où l’Assemblée ne siégeait pas. Sa présence aurait donc été requise au Parlement, théoriquement, 127 jours (110+17) en 18 mois, soit environ 7 jours par mois. Il restait donc beaucoup de temps pour le « travail de comté » mais il faut croire que la tâche n’y était pas trop lourde car il a pu reprendre l’exercice de sa profession et s’occuper d’un nombre de patients qui ressemble beaucoup à celui d’un médecin pratiquant à temps complet. Ce cas illustre la difficulté d’évaluer le travail du député qui varie beaucoup selon les circonscriptions. Le Comité L’Heureux-Dubé aurait pu nous en apprendre beaucoup à ce sujet, car il a administré un long questionnaire aux députés, mais il n’en a pas diffusé les résultats.