Dans Le Devoir du 24, un avocat-enseignant à la retraite plaide pour une réduction radicale du nombre de députés, de 125 à 63, avance-t-il, en invoquant des comparaisons avec l’Ontario, où un député représente en moyenne 130 000 personnes contre 66 000 au Québec. Il reproche au comité L’Heureux de n’avoir pris en considération que la fonction législative du député au détriment de la notion de représentation (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/456027/salaire-des-deputes-reduire-le-nombre-d-elus-de-moitie-pourquoi-pas).
L’auteur oublie pour sa part la fonction de surveillance, celle qui serait particulièrement mise en danger par une réduction aussi radicale.
Supposons un cabinet réduit de 20 membres et une réduction des fonctions parlementaires à l’essentiel (président, vice-président, chefs, leaders et whips). Dans une Assemblée où le gouvernement n’aurait qu’une faible majorité, comme 33/30, il ne resterait pas assez de députés du parti majoritaire pour faire fonctionner les 10 commissions qui sont les outils essentiels du contrôle parlementaire. Convenons que les députés ministériels ne sont pas les plus efficaces agents de surveillance… mais, dans une assemblée divisée moins également, c’est l’opposition qui n’aurait à peu près qu’un seul député à envoyer au bâton. Et, si elle est divisée, en deux ou trois partis, le travail deviendrait très difficile.
Réduire le nombre de députés ne doit pas être tabou mais ça demande de prendre plusieurs choses en considération, dont la représentation régionale.
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Idiots et « chiqueux de guenilles »
Alain Dubuc est un peu à côté de la coche ce matin au sujet de la rémunération des députés (http://plus.lapresse.ca/screens/976da720-9d63-4342-94c8-029856ef9028%7C_0.html).
Il écrit : « À l’heure actuelle, un député touche un salaire de 98 850 $ [en réalité, 90 850 $] auquel s’ajoute une indemnité non imposable de 16 465 $. Le projet consiste à transformer ces indemnités en salaire, donc à les rendre imposables, et à augmenter la contribution des députés à leur régime de pension de 21 % à 43 %. Le salaire devient plus élevé, à 140 117 $, mais comme les députés devront payer de l’impôt sur leurs indemnités et qu’ils verseront plus dans leur fonds de pension, ils n’auront pas un sou de plus dans leurs poches. » Michel David semble faire le même calcul dans Le Devoir (http://www.ledevoir.com/politique/quebec/455244/les-chiqueux-de-guenille)
Voyons ce que dit le comité L’Heureux dans son rapport.
Recommandation 1 : « Le Comité recommande que l’allocation annuelle de dépenses non imposable (16 027 $) soit intégrée à l’indemnité de base (88 186 $). Le montant de l’allocation annuelle de dépenses non imposable a été révisé (30 500 $) pour équivaloir, après impôt, à l’allocation actuellement versée. En appliquant cette intégration, l’indemnité de base du député aurait été de 118 686 $ en 2013. »
Jusque là, ce serait effectivement changer« quatre trente sous pour une piasse ». Mais il faut lire la recommandation 2 : « Le Comité recommande que l’indemnité de base du député soit fixée au maximum de l’échelle de traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement. En 2013, la rémunération aurait été de 136 010 $ ».
L’indemnité de base serait donc augmentée de 17 324$, soit une hausse de 14% par rapport à 118 686$. Bien sûr, il faudra payer de l’impôt, mais il ne devrait pas dépasser 50%. Bien sûr, il faudra payer davantage pour le régime de retraite, ce qui représenterait environ 4000$ de plus, déductibles d’impôt, quand même, et en fin de compte de l’épargne.
Il devrait donc rester quelques sous, sans compter que les indemnités additionnelles touchées par de nombreux parlementaires seront désormais calculées en fonction d’une indemnité de base nettement plus élevée, même si le Comité propose de réduire les pourcentages. Ainsi, le leader du gouvernement qui reçoit actuellement 154 326$ (88 186$ + 75%) aurait désormais 217 616$ (136 000$ + 60%), soit 63 290$ de plus, dont 30 500$ qui représentent l’ancienne allocation de dépenses non imposable et 32 790$ d’augmentation réelle.
Ce n’est pas en comparant les indemnités, l’ancienne et la nouvelle, qu’il faut chercher s’il y aura « coût nul », mais plutôt en considérant la rémunération globale, incluant l’allocation de transition et la retraite.
À ce chapitre, une première distinction s’impose : les indemnités sont de l’acquis (tous les députés vont les toucher) tandis que la « rémunération différée » est incertaine. Combien de députés touchent ou vont toucher l’allocation et/ou la pension? Le rapport L’Heureux est moins clair sur cette question; ce n’est pas là qu’on trouve l’expression « coût nul », ni l’économie de 400 000$ dont il a été question ces derniers jours. Chose certaine, mais rarement mentionnée dans le débat, les allocations et les pensions seront calculées sur des indemnités beaucoup plus élevées, ce qui n’est pas négligeable, mais hypothétique.
Y aura-t-il une économie réelle pour l’État tout compte fait? Un « coût nul »? C’est ce qu’on prétendait en 1982 : personne n’en a fait la démonstration claire et on s’est quand même retrouvé avec une « Ferrari » trente ans plus tard. Le rapport L’Heureux évoque les « recettes fiscales additionnelles » comme compensation; les syndiqués accepteront tout aussi aisément de payer plus d’impôt si on leur offre de meilleures conditions salariales.
Le fantasme d’Auguste Choquette
Auguste Choquette était député libéral à Ottawa quand l’unifolié canadien est né dans la douleur, en décembre 1964.
Fier d’avoir participé au vote historique, il s’anime en voyant poindre le 50e anniversaire de la présentation officielle du drapeau canadien le 15 février 1965. Aussi « rêve-t-il tout haut » dans une entrevue au Soleil : « Ce que je nourris comme souhait, ce qui est matérialisable, selon moi, sans blesser les susceptibilités de trop de gens, c’est ceci: ce serait merveilleux de hisser sur la tour du parlement, à Québec, le drapeau du Canada avec celui du Québec ». D’après ce qu’il a confié à la journaliste Brigitte Lavoie, dans Le Soleil du 27 décembre dernier, l’ancien député fédéral aurait même écrit au premier ministre du Québec à ce sujet (http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/societe/201412/26/01-4831097-rendez-vous-pour-les-50-ans-de-lunifolie.php)
Avant que cette idée saugrenue ne trouve des adeptes au Cabinet et chez les Québécois qui considèrent les drapeaux comme des éléments décoratifs qu’on accroche au gré de ses humeurs, est-il nécessaire de rappeler les dispositions de la Loi sur le drapeau? Article 2 : « Emblème national du Québec, le drapeau doit être déployé sur la tour centrale de l’Hôtel du Parlement ».
Le législateur n’a pas jugé bon de dire explicitement « à l’exclusion de tout autre emblème », tellement la chose va de soi. Il a cependant tenu à consigner cette obligation dans la loi en sachant à quel point le Québec peut parfois hésiter à se comporter comme tout État normal, soit exprimer son identité et défendre son champ de compétences (ce que monsieur Choquette inclut probablement dans les « susceptibilités »). On a vu comment le gouvernement du Québec, pendant une décennie, a « oublié » de souligner correctement la journée du drapeau (21 janvier), son emblème national le plus important, alors que le gouvernement fédéral, lui, multiplie le matériel promotionnel et « pédagogique », sans aucune crainte de se faire accuser de propagande. Pire, on maintient au Salon rouge, contre toute logique protocolaire, un drapeau qui n’a rien à voir avec les attributions constitutionnelles du Québec et les compétences législatives de son Assemblée nationale, comme si l’Hôtel du Parlement abritait une succursale du Parlement canadien. N’a-t-on pas déjà assez des municipalités et des universités qui se considèrent comme des créatures du gouvernement fédéral?
Monsieur Choquette peut s’enorgueillir, à juste titre, d’avoir participé à l’adoption de la Loi sur le drapeau et espérer être invité, « le temps d’une cérémonie », à Ottawa, pour ce qu’il appelle « son dernier rendez-vous avec l’histoire politique canadienne », la commémoration des 50 ans de l’unifolié. Il faut cependant que le premier ministre du Québec lui réponde que son gouvernement respecte les champs de compétences définis par son ancêtre Étienne-Pascal Taché, un Père de la Confédération (même s’il est mort en 1865), et qu’il laissera au gouvernement fédéral le soin de célébrer les anniversaires des institutions canadiennes, ce dont il s’acquitte généralement sans peine et sans compter.
Le salaire du député «administrateur»
Le Comité consultatif indépendant (dit « L’Heureux-Dubé ») mandaté par l’Assemblée nationale pour étudier les conditions de travail des députés et leur régime de retraite a soumis ses conclusions le 29 novembre.
Pour évaluer ses recommandations, il faudra évidemment se taper son volumineux rapport (http://http://www.assnat.qc.ca/fr/actualites-salle-presse/communiques/CommuniquePresse-2737.http://www.assnat.qc.cahtml). Mais, déjà, sur la base du communiqué et des (rares) commentaires émis par les députés et les observateurs, on peut avancer quelques observations préliminaires.
C’est la quatrième fois qu’un comité indépendant se penche sur cette question. Il y a eu le comité de 1974, formé de Me Jean-Charles Bonenfant, d’Yvette Rousseau, vice-présidente du Conseil consultatif de la situation de la femme, et de Me Lucien Cliche, ancien président de l’Assemblée ; celui de 1987, formé des anciens présidents Jean-Noël Lavoie et Raynald Fréchette, ainsi que du politologue Alain Baccigalupo; et celui de 2000 formé aussi de deux anciens présidents, Pierre Lorrain et Clément Richard, ainsi que du PDG de CGI, Serge Godin. Le comité de 2013 a cette particularité de ne comprendre aucun ancien parlementaire ; il se distingue aussi par son volumineux rapport, plus de 200 pages alors que le précédent en avait 12…
Tous ces comités et d’autres réformateurs ont cherché la formule magique qui permettrait une augmentation automatique de l’indemnité et dispenserait les députés de le faire eux-mêmes. On a successivement attaché le sort des parlementaires à « l’évolution des salaires hebdomadaires au Canada » (1974), à « l’évolution de l’indice des prix à la consommation du Canada » (1982), à « la moyenne de l’échelle de traitement de la classe 4 des cadres supérieurs » (1987) et à celle « des échelles de traitement des cadres supérieurs » (2000). Peine perdue ! Avec une régularité « astronomique » (tous les 13 ans), il a fallu remettre l’ouvrage sur le métier et réunir des sages pour trouver autre chose. Faut-il comprendre que les salaires du monde ordinaire, ceux des plus petits cadres supérieurs (classe IV) et même ceux des plus grands n’ont pas évolué à un rythme « satisfaisant » ?
Le dernier comité suggère donc de s’accrocher à plus gros, soit à la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement, ce qui donnerait au député une indemnité annuelle de base de 136 010 $, indemnité qui serait majorée chaque année du pourcentage de la hausse salariale consentie à cette catégorie.
Entre l’indemnité actuelle de 88 186$ et les 136 010 $ proposés, la marche semble haute mais le Comité voit les choses autrement. Il propose préalablement (recommandation 1) que l’allocation annuelle de dépenses non imposable de 16 027 $ que reçoit le député soit révisée à 30 500 $ pour équivaloir, après impôt, à l’allocation actuellement versée, et soit intégrée à l’indemnité de base (88 186 $). L’indemnité actuelle serait donc « en réalité » de 118 686$ et n’augmenterait alors en fait que de 17 324$ ou 14,6% pour atteindre le palier désiré, soit le « maximum de l’échelle de traitement du niveau 4 de la catégorie des dirigeants et des membres d’un organisme ou d’une entreprise du gouvernement », catégorie qui est mieux rémunérée que les cadres supérieurs de la fonction publique et moins sensible aux gels.
On verra à la lecture comment le Comité en est venu à justifier ce niveau salarial mais on comprend qu’il s’est appuyé sur « une évaluation objective de la fonction de député par le Groupe Hay ». Cette firme internationale existe depuis 1943 et se spécialise dans l’évaluation des dirigeants d’entreprise (http://www.haygroup.com/fr/). Les comités précédents n’avaient pas pensé à ça, peut-être justement parce qu’il leur paraissait incongru d’associer la fonction de député à celle de dirigeant d’entreprise. Je me souviens qu’un député des années 1970 se définissait comme un « administrateur d’une portion de territoire » (ou quelque chose d’approchant) ; plus tard, un parlementaire cherchant à « revaloriser » la fonction avait suggéré que des députés soient nommés au sein de conseils d’administration d’organismes gouvernementaux et de sociétés d’État. Ce genre de conception, heureusement peu répandu, ne nous aidait pas particulièrement à passer le message officiel qui consistait à « distinguer le parlement du gouvernement » (ou de l’administration).
Est-ce que la charge de travail serait plus lourde aujourd’hui ? D’après un membre du comité, cité par Radio-Canada (http://www.radio-canada.ca/nouvelles/Politique/2013/11/29/002-salaire-deputes-recommandations-comite.shtml), « les députés ont déclaré… et on peut les croire… qu’ils font entre 60 et 75 heures par semaine ». C’est bien possible, car ils disaient la même chose il y a 25 ans : « En réponse à un questionnaire du Comité d’étude extra-parlementaire sur la rémunération et allocation de dépenses des membres de l’Assemblée nationale (1987), les députés ont affirmé travailler de 70 à 80 heures par semaine durant les sessions et de 50 à 70 heures entre les sessions » (Le député québécois, Québec, Publications du Québec, 1995, p. 54). Minimum entre 50 et 70, maximum entre 70 et 80, ça donne en moyenne entre 60 et 75. Et un député peut trouver le temps de pratiquer la médecine?
Les médias ont enfin rapporté que ces « réaménagements » se feraient « à coût nul pour les contribuables ». Tiens, donc, c’est semblable à ce qu’on disait lors de la réforme de 1982 : le salaire augmente mais le régime de retraite sera moins généreux. Trente ans plus tard, le régime est encore, selon un membre du comité, de type « Ferrari ». Faut-il comprendre que les promesses n’ont pas été tenues ?
(à suivre)