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Les environs de l’église de Saint-Jean-Port-Joli: grandeur et misères du patrimoine bâti

L’Association des beaux villages du Québec recrute ses membres parmi ceux qui ont su préserver un cachet ancien, principalement au cœur du village, soit essentiellement les environs de l’église. Ces villages se caractérisent notamment par « un patrimoine architectural présentant une valeur historique et culturelle », un « patrimoine architectural remarquable par sa quantité et /ou sa qualité », l’harmonie et l’homogénéité architecturales, la « conservation d’une partie significative du stock immobilier ancien », le « respect du rythme et de la densité des implantations [et l’] authenticité des ensembles ».

Comment le village de Saint-Jean-Port-Joli se classe-t-il en fonction de ces critères?  L’église elle-même demeure un joyau; quant au reste, disons, pas trop bien…

Un plan des environs de l’église, réalisé en 1906 pour le bénéfice des sociétés d’assurance, permet de mesurer comment le paysage a changé (double-clic pour agrandir l’image).

Environs de l'église- Plan-1906

Sur ce plan conservé aux Archives nationales du Québec, le bleu indique un bâtiment en pierre, le rose, des édifices en brique, le jaune, des résidences en bois et le gris, des bâtiments secondaires ou industriels.

Voyons les alentours de l’église, dans le sens des aiguilles d’une montre, en commençant, à 5 h.

La maison marquée 400 était autrefois connue sous le nom de « maison de Jules Ouellet ». On la voit bien sur une photo de 1913, juste devant l’église.

Place de l'église-ouest 1913 (ATri)

Elle a été déménagée dans la rue Verreault (291) dans les années 1950 pour permettre la construction de l’édifice qui abrite aujourd’hui la pharmacie Uniprix et qui appartenait à l’origine à la Coopérative de consommation La Paix.

Pharmacie, maison Raby, prebytère 2018  (Google St.)

Sa voisine, no 392, a conservé son gabarit mais a changé d’allure : c’est aujourd’hui la boutique Les Enfants du Soleil. La Paix y a eu son premier magasin dans les années 1940.

Maison La Paix c. 1940  (CH par ASP, ph. CP)

Construit en 1872, le presbytère (« priest‘s house », no 380) est toujours là mais le couvent (no 371), érigé en 1903, a été démoli en 1972; depuis 1960, un nouvel établissement scolaire, l’école Saint-Jean, s’élève tout juste au nord. Couvent

Couvent et Salle paroissiale 2018  (Google St.)

À l’est de l’église, au début du XXe siècle, la maison au toit mansardé marquée 184 abritait la « Banque d’épargnes » (Banque provinciale du Canada), comme le montre une photo de la collection Jean-Daniel Thériault.

Banque d'épargnes -1909 ( (CH par ASP, coll. JDT)

Elle existe toujours mais elle a été reculée pour permettre la construction du centre commercial dans les années 1960 et se trouve maintenant cachée par ce dernier. Elle a longtemps été habitée par la famille de Charles Chouinard, qui avait sa boucherie dans le centre commercial.

Maison Chouinard 2018

Une photo publiée dans l’album du tricentenaire en 1977 permet d’entrevoir cette maison, juste à gauche du clocher, mais surtout les bâtiments marqués 320 et 326, aujourd’hui disparus.

Salle mun. + maison Legros (ATri

La maison blanche à toit mansardé, à droite (no 320 sur le plan), appartenait autrefois à Délima Legros qui y vendait des bonbons, entre autres choses. Elle est morte en 1941 à 99 ans. La maison est ensuite passée à une famille Gagnon, le dernier propriétaire étant Louis-Georges Gagnon, sculpteur, mort en 1965. Située au coin de la rue Verreault, elle a été détruite à la même époque pour laisser place au bureau de poste, érigé dans un style qui s’inspire vaguement d’une ancienne maison normande…

Bureau de poste 2018

Quant à la salle municipale (aussi à droite, no 326), une autre construction à toit mansardé, elle a été érigée en 1880 et simplement démolie en 1965 pour faciliter le stationnement.

La maison marquée 338 sur le plan était une des plus belles du secteur. D’après les recherches faites par Angéline Saint-Pierre, elle avait été construite peu après la Conquête avec un « toit en pavillon » (mais peut-être plus exactement un « toit à croupes »). Vers 1875, les frères Narcisse et Charles Duval, dits « les Charlots », lui ajoutent un dôme qui a fait dire au mendiant Servule Dumas que la folie était cette fois « par-dessus le comble »…

Maison Duval (BANQ)

Cette maison est ensuite devenue propriété du « seigneur » Ernest Fortin (qui n’était en réalité que le détenteur des droits seigneuriaux). En 1961, la maison a été déménagée dans la rue Verreault pour faire place à la caisse populaire; elle a été plus tard démantelée pour être reconstruite on ne sait où.

Caisse populaire 2018  (Google St.)

Enfin, la maison marquée 340 est toujours en place et a globalement conservé son allure initiale. On peut la voir, de l’arrière, sur une photo du chemin du Roy prise vers 1865 et conservée dans les archives du Séminaire.

Ch du roy c1865 (Edwards)-détail

Construite en 1860, elle a servi de bureau de poste de 1912 à 1947, à l’époque où elle appartenait aux Dupont. Elle est ensuite passée à Jean-Albert Morin, propriétaire du Vivoir moderne, et sa veuve, madame Toussaint, l’habitait encore il y a quelques années. La photo ci-dessous date de 2018.

Maisson Toussaint et Vivoir 2018 (Google St.)

La suivante montre son nouvel environnement, en décembre 2019, après la reconstruction du Vivoir.

Maison Toussaint2-GD-Déc. 2019 (2)

Avec la malheureuse passerelle… qu’on ne voyait pratiquement pas, incidemment, quand le projet a été présenté. C’est un peu toujours comme ça quand on veut vendre un projet avec des petites esquisses d’architectes pas trop réalistes.

Vivoir-1-1600x896

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En suivant le plan de 1906, on a fait le tour de l’église pour constater que la plupart des maisons et des édifices institutionnels qui y figuraient sont disparus et qu’il faudra pas mal de temps avant que les bâtiments construits à leur place puissent mériter un statut patrimonial…

Le seul ajout témoignant d’un souci d’harmonie avec l’environnement bâti est le centre paroissial, construit en 1949 et devenu l’hôtel de ville de Saint-Jean.

Centrte paroissial 1949 (CH par ASP, ph. AT)

Cette construction s’inspirait, pour la façade, de la maison québécoise traditionnelle et ses concepteurs ont profité de la déclivité du terrain afin de gagner l’espace nécessaire pour loger une salle de cinéma et une salle de quilles, sans que le passant puisse s’en apercevoir au premier coup d’œil. Aujourd’hui, c’est ce bâtiment qui semble détonner entre l’école et le centre commercial…

Centre paroissial entre école et centre d'achats

Par la suite, pendant une vingtaine d’années, du début des années 1950 (construction de la coopérative La Paix) au début des années 1970 (démolition du couvent), on ne peut dire que la protection du patrimoine bâti et du paysage a constitué une préoccupation. Prises individuellement, les nouvelles constructions pouvaient probablement se justifier; c’est le résultat global qui se solde par un patrimoine bâti grandement hypothéqué.

Du « stock immobilier ancien », pour emprunter les termes de l’Association des beaux villages, il reste le presbytère, l’ancien magasin de La Paix (les Enfants du Soleil), l’ancienne banque (maison cachée derrière le centre commercial) et l’ancien bureau de postes (maison Dupont-Morin-Toussaint). Il faut se consoler en se disant que les visiteurs, malgré tout, trouvent encore Saint-Jean « ben beau »!

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PS: les photos d’actualité proviennent de Google Street.

Le jour où Raoul Hunter m’a « caricaturé »

Le grand caricaturiste Raoul Hunter est mort. Né à Saint-Cyrille de Lessard, il faisait partie de nos gloires régionales, même si, dans ma famille, abonnée religieusement à L’Action catholique, nous n’avions pas accès à ses caricatures du Soleil dans les années 1950 et 1960.

Quand je suis né, il entamait sa deuxième philosophie ─ la dernière année du cours classique ─ au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière et comptait un de mes oncles parmi ses confrères.

Luc est aujourd’hui nonagénaire, et plutôt en forme pour cet âge, mais il avait alors une santé fragile. À l’automne 1948, il avait dû retourner dans sa famille, à Saint-Jean-Port-Joli, pour soigner je-ne-sais-plus quelle maladie; chose certaine, on faisait preuve de prudence à cette époque où sévissait la tuberculose.

Hunter-caricature2

Hunter se faisait alors la main dans le journal des étudiants du collège. Il en profita pour se moquer du convalescent. Une caricature publiée dans L’Union amicale montre son confrère Luc plongé dans un livre de philosophie, vêtu du « suisse » et agitant de son pied le ber où repose un neveu né le 23 octobre 1948.

Un toponyme qui fait jaser : la rue de la Branlette

 (Extrait de Curiosités de la Côte-du-Sud, GID, 2018)

Rang des Belles-Amours, rang de l’Embarras, Trou-à-Pépette… La Côte-du-Sud ne manque pas de toponymes insolites, mais celui qui a fait le plus jaser depuis une quinzaine d’années est probablement « rue de la Branlette », à Saint-Jean-Port-Joli, au point où le panneau a été retiré un certain temps car il était trop souvent vandalisé ou volé!

Branlette JdeQ 2018

 

La rue est au sommet de la première côte de la route de l’Église (204), perpendiculaire à cette dernière.

« La Branlette » a d’abord été le nom d’un coteau boisé, au sud du village, où l’abbé Jean-Julien Verreault et ses amis allait cueillir les petits fruits dans son enfance vers 1905. « Au fond, écrivait-il, c’est la peur qui nous empêchait de dépasser la ‟Branlette”. On racontait que, plus loin, de l’autre côté de ce petit bois, des « courailleux » avaient été vus avec des couteaux entre les dents et… » Le mémorialiste ─ tout comme le journaliste Gérard Ouellet en 1945 ─ nomme le lieu innocemment, sans se douter que le toponyme populaire prendrait plus tard un sens équivoque.

À l’époque des voitures à chevaux, avant la création du réseau de « routes améliorées », cette section de la route qui mène à la station de chemin de fer était cahoteuse et minée par des sources d’eau. Placer des billes de bois en travers de la route, pour la stabiliser, n’améliorait pas vraiment la situation : ceux qui y circulaient « se faisaient secouer et l’on disait qu’ils avaient ‟la Branlette” », d’où le nom de la côte, selon une première hypothèse rapportée par le journaliste local Jean-Guy Toussaint. Une autre source prétend qu’un mendiant s’était construit un « campe » dans cette côte, à la fin du XIXe siècle, et qu’on l’avait surnommé « la Branlette » parce qu’il marchait en boitillant.

Faute de témoignages plus probants, on ne peut aller plus loin, comme la rue, d’ailleurs, qui se termine en cul-de-sac…

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PS : l’espace manquait dans les Curiosités de la Côte-du-Sud pour ajouter un détail qui m’a carrément « ébranlé ».

Si on cherche ce toponyme sur Goggle Street View, ou bien la plaque disparaît, ou bien le nom de la rue est brouillé! Version moderne de « Dieu te voit »?

Branlette -Street view

Louis-Guy Lemieux (1945-2018)

L’ancien journaliste Louis-Guy Lemieux (1945-2018) est décédé vendredi (https://quebec.huffingtonpost.ca/2018/07/21/journaliste-louis-guy-lemieux-decede_a_23486790/). Il personnifiait l’époque où le Soleil s’intéressait à l’histoire de la ville. Il y a bien de nos jours une comparaison « hier-aujourd’hui »  avec des photos anciennes (une par semaine), mais on est loin des textes de Louis-Guy qui avait pris la succession de la prolifique Monique Duval.

Lemieux

(Photothèque Le Soleil)

Je me souviens du lancement de son Roman du Soleil (Septentrion, 1997). Pendant que les patrons plastronnaient et vantaient le beau livre, il me rappelait, sourire en coin, qu’il avait dû se battre pour leur faire accepter ses chroniques sur l’histoire du journal… Les « vieilles pierres » ne séduisaient plus, semblait-il… C’est pourtant ce qui attire le monde à Québec, depuis des lunes, bien avant les technos et le Saint-Roch « nouvo ». Les gens d’ici sont fiers de leur histoire, Ils en mangent, comme en témoigne leur « amitié » pour la page Facebook de la Société historique de Québec, entre autres.

Louis-Guy a aussi publié Nouvelle-France La grande aventure, 2001, et Grandes Familles du Québec, 2006, toujours au Septentrion (https://www.septentrion.qc.ca/auteurs/louis-guy-lemieux).

Sincères condoléances à la famille qui avait des racines profondes dans mon village natal. Le grand père paternel de Louis-Guy a été chef de gare à Saint-Jean-Port-Joli de 1916 à 1934 et son grand-père maternel (Fortin), propriétaire du fameux Castel des Falaises ; ses parents s’y sont mariés en 1938 et y ont eu leurs deux premières filles.

La fête du mai à Saint-Jean-Port-Joli

[Au Musée de la mémoire vivante, dont l'architecture reproduit l’ancien manoir de Philippe Aubert de Gaspé, les gens de Saint-Jean-Port-Joli et les Arquebusiers de Kébek ont reconstitué aujourd’hui la plantation du mai, une ancienne cérémonie en hommage que l'auteur des Anciens Canadiens a décrite dans son roman en 1863.]

 « Une centaine d’habitants disséminés çà et là par petits groupes [encombraient la cour du manoir]. Leurs longs fusils, leurs cornes à poudre suspendues au cou, leurs casse-têtes passés dans la ceinture, la hache dont ils étaient armés, leur donnaient plutôt l’apparence de gens qui se préparent à une expédition guerrière, que celle de paisibles cultivateurs.

[…] tout était mouvement et activité. Les uns, en effet, étaient occupés à la toilette du mai, d’autres creusaient la fosse profonde dans laquelle il devait être planté, tandis que plusieurs aiguisaient de longs coins pour le consolider. Ce mai était de la simplicité la plus primitive: c’était un long sapin ébranché et dépouillé jusqu’à la partie de sa cime, appelée le bouquet; ce bouquet ou touffe de branches, d’environ trois pieds de longueur, toujours proportionné néanmoins à la hauteur de l’arbre, avait un aspect très agréable tant qu’il conservait sa verdeur; mais desséché ensuite par les grandes chaleurs de l’été, il n’offrait déjà plus en août qu’un objet d’assez triste apparence. […]

Un coup de fusil, tiré à la porte principale du manoir, annonça que tout était prêt. À ce signal, la famille d’Haberville s’empressa de se réunir dans le salon, afin de recevoir la députation que cette détonation faisait attendre. […] Ils étaient à peine placés, que deux vieillards, introduits par le majordome José, s’avancèrent vers le seigneur d’Haberville, et, le saluant avec cette politesse gracieuse, naturelle aux anciens Canadiens, lui demandèrent la permission de planter un mai devant sa porte. Cette permission octroyée, les ambassadeurs se retirèrent et communiquèrent à la foule le succès de leur mission. […].

20180513_162020

Au bout d’un petit quart d’heure, le mai s’éleva avec une lenteur majestueuse au-dessus de la foule, pour dominer ensuite de sa tête verdoyante tous les édifices qui l’environnaient. Quelques minutes suffirent pour le consolider.

20180513_162108Un second coup de feu annonça une nouvelle ambassade; les deux mêmes vieillards, avec leurs fusils au port d’arme, et accompagnés de deux des principaux habitants portant, l’un, sur une assiette de faïence, un petit gobelet d’une nuance verdâtre de deux pouces de hauteur, et l’autre, une bouteille d’eau-de-vie, se présentèrent, introduits par l’indispensable José, et prièrent M. d’Haberville de vouloir bien recevoir le mai qu’il avait eu la bonté d’accepter. Sur la réponse gracieusement affirmative de leur seigneur, un des vieillards ajouta:

– Plairait-il à notre seigneur d’arroser le mai avant de le noircir?

Et sur ce, il lui présente un fusil d’une main, et de l’autre un verre d’eau-de-vie.

– Nous allons l’arroser ensemble, mes bons amis, dit M. d’Haberville en faisant signe à José, qui, se tenant à une distance respectueuse avec quatre verres sur un cabaret remplis de la même liqueur généreuse, s’empressa de la leur offrir. Le seigneur, se levant alors, trinqua avec les quatre députés, avala d’un trait leur verre d’eau-de-vie, qu’il déclara excellente, et, prenant le fusil, s’achemina vers la porte, suivi de tous les assistants. […]

Dès que le seigneur d’Haberville eut noirci le mai en déchargeant dessus son fusil chargé à poudre, on présenta successivement un fusil à tous les membres de sa famille, en commençant par la seigneuresse; et les femmes firent le coup du fusil comme les hommes.

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Ce fut ensuite un feu de joie bien nourri qui dura une bonne demi-heure. On aurait pu croire le manoir assiégé par l’ennemi. Le malheureux arbre, si blanc avant cette furieuse attaque, semblait avoir été peint subitement en noir, tant était grand le zèle de chacun pour lui faire honneur. En effet, plus il se brûlait de poudre, plus le compliment était supposé flatteur pour celui auquel le mai était présenté. »

(Photos Annette Deschênes)