Dans le premier épisode de la série « Classé inexposable » (MAtv Québec), un porte-parole du 22e affirme que la devise de son régiment, « Je me souviens », est « très similaire à celle de la province de Québec, mais pas du tout liée […], d’ailleurs la devise du régiment est beaucoup plus vieille que celle de la province ».
Le raisonnement par lequel on peut arriver à cette conclusion est probablement le suivant:
- En 1868, la reine Victoria accorde au Québec ses premières « armes » qui comprennent « un léopard d’or armé et lampassé d’azur », deux fleur de lis d’azur et une branche d’érable, mais sans devise.
- En 1939, le gouvernement du Québec modifie ces « armes » pour se donner de véritables armoiries où on trouve désormais « trois fleurs de lis d’or » et, sous l’écu, « un listel d’argent bordé d’azur portant la devise JE ME SOUVIENS ». Québec a procédé par décret, le 9 décembre 1939, sans l’aval du College of Arms de Londres qui était l’autorité héraldique compétente pour la Grande-Bretagne et ses dépendances. De ce fait, certains héraldistes de stricte observance n’auraient pas reconnu comme officielles que les « armes » de 1868. La situation a été normalisée en 2010 quand l’Autorité héraldique du Canada a enregistré les armoiries, la devise et le drapeau du Québec (https://www.gg.ca/fr/heraldique/registre-public/projet/2089).
- (Signalons en passant que, devant le parlement fédéral, dans la série des « écus armoriaux » qui entourent la flamme du centenaire installée en 1967, c’est l’écu de 1868 qui représente le Québec.).
- De ce point de vue, la devise du Québec ne serait donc apparue qu’en 1939, puis confirmée en 2010 par l’Autorité héraldique, soit après la création du « Régiment Royal Canadien-Français » (comme on désignait le 22e Régiment à l’origine) en 1914.
En réalité, comme le fait est bien établi dans l’histoire des symboles québécois, la devise du Québec a été imaginée par Eugène-Étienne Taché au début des années 1880 et elle est devenue la devise officielle du Québec lorsque ses plans de l’Hôtel du Parlement ont été approuvés en 1883. Sans plus de cérémonies. Depuis 1885 ou 1886, on peut lire « Je me souviens » au-dessus de la porte principale de l’édifice, d’abord sous les armes octroyées par la reine Victoria, puis sous celles de 1939, à la suite d’une restauration de l’entrée au début des années 1960.
Le « Régiment Royal Canadien-Français » créé en 1914 ne pouvait ignorer qu’il adoptait une devise connue. Est-ce que quelqu’un s’est formalisé de cet « emprunt » (ou de l’utilisation des « armes » québécoises de 1868 au centre de l’insigne régimentaire)? Il ne semble pas. Le 22e était formé essentiellement de Québécois fiers de leurs origines et de leurs symboles nationaux. Tout le Canada français les admirait. À leur retour après la guerre, L’Action catholique du 9 mai 1919 demandait « que chaque Québécois prouve donc, de façon non équivoque, qu’il a le cœur à la bonne place et que fidèle à notre devise nationale : « Je me souviens », celle que porte aussi le 22e sur son écusson [je souligne], il tient à honneur d’être là pour accueillir ces héros […] ». Une devise « très similaire », en effet.
Que le 22e Régiment considère maintenant que son « Je me souviens » est plus ancien que celui du Québec (comme si ce dernier l’avait plagié…) est cependant un peu fort. Est-ce un manque de mémoire?… Ou y a-t-il autre chose derrière cette désir de revendiquer une préséance? Quand on sait que le Canada n’en est pas à son premier « emprunt » (le nom « canadien », l’hymne national « Ô Canada », la feuille d’érable…), on ne s’étonnerait plus de rien.