Le presbytère de Saint-Michel, témoin de l’histoire

Le presbytère de Saint-Michel est le plus ancien de la Côte-du-Sud, mais il a été passablement modifié depuis sa construction en 1739. C’est un bâtiment d’un étage et demi dont les murs de pierre sont recouverts en bois. Sa toiture aux larmiers retroussés et ses dix lucarnes datent probablement du XIXe siècle. Comme c’était l’usage autrefois, le presbytère comprenait une « salle d’habitants ». Signe particulier : des volets « biculturels » portent la feuille d’érable et la fleur de lis.

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Le presbytère de Saint-Michel a été témoin d’événements dramatiques, parfois authentiques, parfois teintés de légendes.
Pendant le siège de Québec, en 1759, les soldats britanniques qui campent à Pointe-Lévy font des incursions du côté de Bellechasse. Dans la nuit du 25 au 26 juillet, près de Beaumont, un détachement vient aux prises avec des Canadiens : selon Knox, neuf d’entre eux auraient été tués et plusieurs autres blessés. Joseph Fortier, de Saint-Michel, est parmi les victimes. Le 26, le détachement loge à l’église de Saint-Michel où les soldats causent des dommages, mais on ne sait pas si le presbytère a aussi été touché. Le lendemain, le détachement repart avec quelques prisonniers (trois femmes et un homme, selon Malcom Fraser) et plus de deux cents têtes de bétail.
On a écrit qu’un autre détachement serait venu, en février 1760, sur les glaces, pour bombarder l’église de Saint-Michel et brûler les habitations, mais il s’agit d’une méprise : c’est le « village Saint-Michel », comme on désignait alors la partie de la seigneurie de Lauzon située entre les rivières Etchemin et Chaudière, qui est concerné, et non Saint-Michel-de-Bellechasse. Murray avait ordonné des représailles contre les Canadiens qui avaient abrité les hommes de Saint-Martin, lors d’une opération pour débusquer les Anglais retranchés dans l’église de Pointe-Lévy : le 26 février au matin, un détachement de 300 hommes traverse le fleuve et détruit toutes les maisons du village Saint-Michel.

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Le presbytère de Saint-Michel a été plus concrètement touché en 1775, quand les « Bostonnais » en révolte contre l’Angleterre ont essayé de chasser les Britanniques de Québec.
Au début de septembre 1775, le fermier du seigneur de Lauzon et le seigneur de Sainte-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce essaient de recruter des hommes pour aller à Sartigan (auj. Saint-Georges-de-Beauce) et bloquer la route aux insurgés « américains ». L’assemblée du 11 septembre réunit environ 1500 habitants venus d’aussi loin que Berthier, mais tourne à la sédition. Caldwell et Taschereau sont reconduits chez eux : non seulement les participants ne veulent pas s’engager, mais ils conviennent de monter la garde pour empêcher les autorités britanniques d’intervenir sur la rive sud et surveiller l’approche de renforts britanniques.
De nombreux habitants de la Côte-du-Sud assistent à cette assemblée que le journal de Baby a qualifiée de « séditieuse ». De Saint-Michel, on dit « le plus grand nombre », ce qui signifie probablement la majorité des hommes en état de porter les armes.
À la suite de « l’assemblée séditieuse », on monte la garde, souvent en armes, dans toutes les paroisses de la Côte-du-Sud et un système de feux est mis en place pour signaler l’arrivée éventuelle de forces royalistes sur le fleuve.
À Saint-Michel, les habitants s’emparent du presbytère pour en faire un poste de surveillance. Le capitaine de milice Baptiste Roy et les sergents coordonnent l’opération. Le curé, comme la plupart ses collègues de la région, devra ronger son frein.

Une mise en berne sans précédent

Dans un texte du 5 novembre annonçant que le drapeau canadien retrouvera bientôt sa place normale, Radio-Canada rappelait que l’unifolié avait été mis en berne le 30 mai « après la découverte des restes de 215 enfants près du terrain d’un ancien pensionnat pour Autochtones de Kamloops, en Colombie-Britannique » (https://www.msn.com/fr-ca/actualites/quebec-canada/l-unifoli%C3%A9-sera-hiss%C3%A9-de-nouveau-dimanche-soir/ar-AAQmOwC?parent-title=maux-de-lhiver-nos-solutions-douces-pour-passer-au-travers&parent-ns=ar&parent-content-id=AAk6mRi).

Quelques jours plus tôt (31 octobre, https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1835997/unifolie-pensionnats-autochtones-parlement-commemoration), la Presse canadienne (PC) avait adopté une formulation différente : le drapeau a été mis en berne « après que la Première Nation Tk’emlups te Secwepemc eut annoncé qu’un radar à pénétration de sol avait détecté ce que l’on pense être les restes de 215 enfants autochtones. »

La première formulation est courante, dans les médias québécois, pour parler du cas de Kamloops et des autres « découvertes ». Une chroniqueuse du Devoir a écrit le 23 octobre qu’on avait « trouvé » les corps de 751 enfants sur le terrain de l’ancien pensionnat de Marieval.

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(photo CBC)

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Il faut consulter les médias du Canada anglais pour comprendre la prudence de la PC. Le rapport préliminaire sur le cas de Kamloops a été dévoilé à la mi-juillet, mais ne semble pas avoir eu d’échos au Québec. Tel que rapporté notamment dans le Toronto Star du 16 juillet, le radar a repéré des « anomalies » dans le sol, mais on ne saura rien des « restes » tant qu’on ne les aura pas exhumés, comme l’a déclaré, la veille, le Dr Sarah Beaulieu, de l’Université Fraser Valley, qui supervise la recherche : « With ground-penetrating radar, we can never say definitely they are human remains until you excavate, which is why we need to pull back a little bit and say they are probable burials, they are targets of interest (Avec un radar à pénétration de sol, nous ne pouvons jamais dire avec certitude qu’il s’agit de restes humains tant qu’il n’y aura pas excavation, c’est pourquoi nous devons prendre un peu de recul et dire qu’il s’agit de sépultures probables, ce sont des cibles d’intérêt) » (https://www.thestar.com/news/canada/2021/07/16/number-of-probable-graves-near-former-residential-school-pegged-at-200.html).

La même observation s’applique vraisemblablement aux autres cas :

Notons qu’il ne s’agit de sépultures individuelles et non de « charnier », comme on a pu le lire dans de nombreux textes ici cet été.

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D’autres éléments doivent aussi être pris en considération.

Les médias ont conclu que 751 sépultures repérées à la fin de juin étaient celles de pensionnaires de la Marieval Indian Residential School. « But, according to a band councillor, that’s not necessarily the case. “It appears that not all of the graves contain children’s bodies,” Jon Z. Lerat told the Globe and Mail, noting that this was also the burial site used by the rural municipality. […] “We did have a family of non-Indigenous people show up today and notified us that some of those unmarked graves had their families in them — their loved ones,” Lerat said. [Cowessess Chief Cadmus] Delorme added that oral stories said the graves belong to “both children and adults” as well as “people who attended the church or were from nearby towns” (https://torontosun.com/opinion/columnists/malcolm-its-important-to-bring-accuracy-to-residential-school-graves-conversation?fbclid=IwAR3rztbI-M2FkbYkk76qpzO4UXVTeG1haQEpso751gSDpbYbh_zpcw3HOlM) ».

Contexte similaire pour les « 182 tombes non marquées » repérées quelques jours plus tard : « Like the Cowessess cemetery graves, the Lower Kootenay unmarked graves are within an existing cemetery — and again the cemetery was used by the broader community. […] Former chief Sophie Pierre told Global News “there’s no discovery, we knew it was there, it’s a graveyard. The fact there are graves inside a graveyard shouldn’t be a surprise to anyone.” » Les archives de ce cimetière démontrent qu’il a été ouvert en 1865, 50 ans avant l’ouverture du pensionnat, et qu’il a été utilisé, à partir de 1874, par le seul hôpital de la région de Cranbrook (https://torontosun.com/opinion/columnists/malcolm-its-important-to-bring-accuracy-to-residential-school-graves-conversation?fbclid=IwAR3rztbI-M2FkbYkk76qpzO4UXVTeG1haQEpso751gSDpbYbh_zpcw3HOlM). On peut donc prévoir y trouver d’autres sépultures que celles d’enfants pensionnaires.

Les chiffres évoqués ci-dessus sont d’ailleurs intrigants. La Commission de vérité et de réconciliation a compté 139 pensionnats et 3200 enfants décédés, soit une vingtaine de décès par pensionnat, en moyenne. Or, dans les 4 cimetières mentionnés ci-dessus, on parle de 1300 sépultures, au total, soit une moyenne de plus de 300. Ce sont des chiffres difficiles à… réconcilier.

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« Les drapeaux canadiens resteront en berne tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral n’aura pas eu l’aval des communautés autochtones pour les remonter », a déclaré Justin Trudeau au début de septembre (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1823325/drapeaux-canada-pensionnats-autochtones-trudeau-lever, 10 septembre), concédant ainsi aux Autochtones ce qu’on pourrait appeler « une victoire dans la course victimaire » : leur cause occulterait toutes les autres, car la mise en berne « permanente » du drapeau empêcherait toute autre commémoration sur la tour du Parlement canadien.

Trudeau s’était « peinturé dans le coin » avec sa mise en berne sans échéance et, avec le temps, les représentants autochtones ont interprété « une levée des drapeaux non pas comme un retour à la normale, mais comme une insulte » (Dumont).

L’Assemblée des Premières Nations (APN) en rajoutait le jeudi 4 novembre en réclamant que « l’unifolié soit hissé dimanche sur tous les bâtiments fédéraux aux côtés d’un drapeau orange portant la mention ’Chaque enfant compte’ » et « que les deux drapeaux, l’orange et l’unifolié, flottent côte à côte jusqu’à ce que toutes les dépouilles d’enfants soient récupérées et envoyées dans leur terre d’origine – physiquement ou symboliquement »… Heureusement, malgré cette proposition peu réaliste, Ottawa et ses partenaires autochtones ont annoncé le lendemain que la mort des enfants qui ont fréquenté les pensionnats serai rappelée autrement, ce qui a permis de relever le drapeau en vue de la commémoration de l’Armistice (https://ici.radio-canada.ca/rci/fr/nouvelle/1837591/chaque-enfant-compte-unifolie-jour-souvenir-pensionnats). L’exhumation des dépouilles d’enfants pose des problèmes techniques, légaux et scientifiques d’une telle ampleur qu’on ne peut imaginer le jour où elles auraient toutes été identifiées, à la grandeur du Canada et à la satisfaction de l’APN.

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Comme l’écrivait Mario Dumont le 3 novembre (https://www.journaldemontreal.com/2021/11/03/relevez-ce-drapeau), « cette mise en berne permanente est un cul-de-sac. Oui, il fallait mettre les drapeaux en berne à l’époque pour souligner la tristesse et l’indignation collective devant des horreurs du passé. […]

Les millions de citoyens du Canada veulent une réconciliation, certes. Ils sont d’accord pour que leur gouvernement prenne des moyens pour assurer la réconciliation. Mais les citoyens du Canada ne vivent pas dans la honte en permanence. »

La loi protège la vie privée du sieur de Montmagny (1601-1657)

Les gouvernements d’autrefois décidaient arbitrairement si un document devait être rendu public. Ils agissaient souvent par intérêt partisan, ou « à la gueule du client ». Denis Vaugeois a déjà raconté que René Lévesque lui avait confié le mandat de corriger cette situation, de donner accès à l’information, mais il n’était plus en poste quand le Parlement a adopté la « Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels » qui avait un fort penchant pour la protection de la vie privée.
Ce n’est pas pour rien que, dans la liste des droits que cette loi nous confère (https://www.quebec.ca/acces-information), il y a, d’abord et avant tout, « le respect de la confidentialité des renseignements personnels ».
Et, si on obtient un document, il n’est pas certain qu’on pourra le lire convenablement et en tirer ce que l’on cherche.
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Le 11 juin dernier, j’ai posé innocemment la question suivante sur le site du ministère de la Culture et des Communications : « Je cherche le document suivant : « Manoir de l’Île aux Grues », DGP, MAC, 1978. Jules Vézina y fait référence dans son ouvrage « La Côte-du-Sud ; Histoire et généalogie d’un archipel ». »
Ce document produit il y a près de 50 ans, par la Direction générale du patrimoine (DGP) du ministère des Affaires culturelles (MAC), a été consulté par Vézina pour la rédaction de son livre publié en 1994, mais je ne pouvais le repérer dans les catalogues disponibles en ligne (BANQ, Cubic, etc.). Il s’agissait vraisemblablement d’un document interne.
Le même jour, je reçois un courriel de Services Québec : « Nous avons bien reçu votre courriel et nous y donnerons suite le plus rapidement possible ».
La suite vient une semaine plus tard (18 juin). Une préposée aux renseignements m’informe que ma demande a été transmise au… « Ministère de la Culture et des Communications »… Comme disait Bernard Blier dans une fameuse réplique : « Merde, on tourne en rond, merde, on tourne en rond… »
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TROIS MOIS plus tard (23 septembre), une fonctionnaire du Ministère m’informe que je dois « remplir une demande d’accès à l’information ». Ce que je fais le jour même.
En réalité, je n’avais plus vraiment besoin du document. Je l’avais cherché au printemps pour aider une amie, atteinte d’une maladie incurable, à évaluer des chenets que son père avait acquis, il y a bien 50 ans, d’un ancien propriétaire du manoir de l’Île aux Grues ; le texte de Vézina laissait entendre que ce document pouvait contenir des informations sur ces fameux chenets qui, selon la tradition, auraient été donnés à Charles Huault, sieur de Montmagny par Louis XIV lui-même, dans les années 1640.

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Malheureusement, l’amie en question est décédée au cours de l’été. Après diverses péripéties, dont les détails importent peu ici, les chenets ont connu une fin heureuse et ont repris le chemin du manoir de l’île aux Grues.

Pour ma part, je gardais un intérêt personnel pour ce document concernant la Côte-du-Sud, mais je ne savais plus si j’étais curieux de le voir ou plutôt de savoir quels motifs on pourrait invoquer pour refuser de le communiquer.
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Le 6 octobre, je reçois, par courriel, une lettre du Secrétariat général du Ministère de la Culture et des Communications qui m’informe qu’on procède « l’analyse et au traitement » de ma demande et qu’une réponse me parviendra au plus tard le 26 octobre, le processus pouvant dépasser le délai de 20 jours, « compte tenu d’une réduction des effectifs résultant de la crise de la COVID-19 ». On m’informe d’ailleurs que la Loi m’accorde un droit de recours devant la Commission d’accès à l’information si ce délai n’est pas respecté.
Par chance, le 22 octobre, un courriel du Secrétariat général me transmet le lien qui me permet de télécharger le document de 123 pages. Une lettre jointe m’informe cependant que « certaines parties du document ne [me] sont pas communiquées parce qu’elles contiennent des renseignements qui sont visés par certaines restrictions prévues à la Loi ». Il y a

  • « l’article 53 qui précise que les renseignements personnels sont confidentiels;
  • l’article 54 qui précise que, dans un document, sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et qui permettent de l’identifier;
  • l’article 59 qui précise qu’un organisme public ne peut communiquer un renseignement personnel sans le consentement de la personne concernée. »

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Cette réponse attisait ma curiosité, comme peut exciter tout ce qui est en partie caché. Mais l’excitation s’est changée en déception.
Le document reçu est un rapport préliminaire déposé par le Groupe de recherches en histoire du Québec rural au printemps 1978, il comprend quatre parties : la première sur l’histoire du manoir, la seconde sur les titres de propriété et les deux dernières sur l’analyse architecturale.
Dans la première partie, les noms des propriétaires du manoir sont caviardés. Partout. Ainsi, pour la période de 1873 à 1936, «  XXXXX hérite de la seigneurie. Il était le fils de XXXXX, donc le petit-fils de XXXXX, donc arrière-petit-fils de XXXX. »
Même le nom de l’auteur (J. M. Lemieux) du livre qui sert de documentation principale au Groupe de recherches, et qui a publié les noms de tous ces propriétaires en 1978, est caviardé.

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Même chose dans la chaîne des titres de propriété : par exemple, « Vente par XXXXX à XXXXXX et à XXXXXXX de la seigneurie accordée au dit sieur XXXXX devant Mes XXXXXX et XXXXX notaires au Chatelet de Paris le 10 janvier 1654. » En 1654!
Ce qui ne manque pas d’ironie : pour éviter la fraude et les transactions secrètes, « les actes notariés affectant les droits relatifs aux immeubles sont enregistrés dans les bureaux de la publicité des droits, autrefois appelés les bureaux d’enregistrement, depuis 1841-1842. Une grande partie de l’information foncière offerte présentement dans les 73 bureaux de la publicité des droits est disponible dans le Registre foncier du Québec en ligne (site de BANQ) ». On a donc caviardé des « renseignements personnels » qui doivent être publics selon la loi et qu’on peut (en principe) obtenir en ligne de chez soi.
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La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels a besoin d’un grand rafraîchissement. On en parle depuis des années. Pendant ce temps, dans les ministères et les organismes publics, du personnel s’affaire à caviarder des travaux d’historiens ou d’ethnologues qui datent d’un demi-siècle et à noircir des noms de personnages historiques parfois décédées depuis 300 ans.

Beneva, Sollio, Avantis et les autres

MA mutuelle d’assurance, La Capitale, a fusionné avec SSQ Assurance. La première était, à l’origine (1941), la « Mutuelle des employés civils, société de secours mutuels » et, plus tard, la « Mutuelle-vie des fonctionnaires du Québec » ; la seconde a été baptisée « Coopérative de santé de Québec » (1944), mais a grandi sous le nom de « Services de santé de Québec, société de secours mutuels ».
Les deux institutions sont issues du mouvement mutualiste qui a débuté à la fin du XVIIIe siècle ; elles ont aussi en commun d’avoir survécu au mouvement de démutualisation qui a marqué la seconde partie du XXe.
La création de ce géant de l’assurance est évidemment justifiée par le besoin d’affronter la compétition et on comprend aisément qu’il est difficile d’aller au combat dans le vaste monde avec une combinaison quelconque de leurs anciens noms. Après « un long processus de réflexion », dit-on, « parce qu’il se prononce bien dans les deux langues officielles du Canada et qu’il répond aux visées d’expansion à l’extérieur du Québec », on a créé « Beneva ».

Beneva

Ils prennent vraiment les francophones pour des demeurés, ceux qui prétendent que ce nom se prononce bien dans les deux langues officielles qui sont, rappelons-le, l’anglais et le français. Pour les anglophones, les Italiens et les latinistes, « ça va bien aller » : ils diront évidemment « Bé-né-va ». On leur a épargné les accents. Les francophones, eux, s’accommoderont, comme d’habitude, et prononceront le nom à l’anglaise, à moins de dire « boeuf-noeud-va », à la manière d’un ancien premier ministre. Si vous lisez « benedicite » à haute voix, ça ne sonnera pas comme « bénédicité ».
Il est très décevant de voir de grandes institutions québécoises incapables de s’affirmer en s’identifiant en « vrai » français. Le nom « Beneva » évoque la bienveillance, dit le PDG, mais on a choisi de le construire avec sa version anglaise, « benevolent ». Les Anglais vont vite s’y reconnaître : leurs anciennes sociétés d’entraide mutuelle étaient des « benevolent societies ». C’est d’ailleurs plus évident dans les explications données par l’entreprise, en anglais, à Insurance Business : « When split into « Bene » and « va », it can be associated with « benevolence » and « movement » (in French) ». Les sociétés équivalentes au Canada français s’identifiaient traditionnellement comme « société de secours mutuels » ; c’était le cas des deux nouveaux mariés qui ont cependant mis de côté la référence à la mutualité et engendré Beneva, sans accent, pour plaire à la clientèle « mondiale ».
C’est la même course à l’image de marque (branding) qui a amené la fédération quasi centenaire des coopératives agricoles, la Coop fédérée (autrefois la Coopérative fédérée de Québec) à changer récemment son nom pour Sollio, où on retrouverait, dit-on, le sol, le soleil et la solidarité… Plusieurs coopératives affiliées à cette fédération créée en 1922 ont aussi changé de nom au fil des ans. Celle que mon père a gérée autrefois, la Coopérative agricole de la Côte-du-Sud, a pris récemment le nom Avantis (et déménagé en plus son siège social en Beauce).
(On pourrait aussi mentionner le cas de L’Industrielle-Alliance, même si cette institution a été démutualisée depuis longtemps. Le couple date de 1987, résultat de l’union de L’Alliance nationale, société de secours mutuels créée en 1892 pour favoriser l’avancement des Canadiens français, et de l’Industrielle, compagnie d’assurance mutuelle fondée à Québec en 1905. Depuis 2015, L’Industrielle-Alliance est devenue « iA groupe financier », avec un « i » minuscule incongru qui n’existe probablement que pour « faire parler les curieux », mais rappelle immanquablement le « Hi Ha » de Roland Tremblay ou le « Hee Haw » de la fameuse émission country américaine. Mais peut-être faut-il dire « Ail-hé » ?)
On aura remarqué le goût pour les consonances latines (Beneva, Sollio, Avantis…), mais probablement moins le dommage collatéral qui consiste à faire disparaître, dans les marques, les références à la mutualité et à la coopération. D’autres ont réussi pourtant (dont Co-operators, Coop Mountain, et, ici, Promutuel) à concilier la course à la marque et la vraie nature de l’institution qui est à la fois une association et une entreprise.
Desjardins est un cas particulier. L’image de marque passe par l’utilisation d’un nom, celui du fondateur, qui s’est imposé, alors que le qualificatif « populaires » a été écarté des raisons sociales.  On entend moins aussi, tant pour les caisses que pour l’ensemble des coopératives, le mot « mouvement » qui évoque la démarche solidaire des coopérateurs (l’association) vers un système économique plus équitable.
C’est l’entreprise qui domine : on dit « chez Desjardins », comme chez Bombardier, McDonald ou Molson, et il n’est pas étonnant que voir le sentiment d’appartenance s’étioler. La crise suscitée par la fuite de données en 2019 en a fourni une illustration patente. Un recours collectif a été intenté au nom des quelque trois millions de membres touchés, une démarche qui consiste bêtement à se poursuivre soi-même : au bout du compte, la somme que les membres obtiendraient en compensation représenterait une sorte de retrait de leur avoir collectif… Comme absence de sentiment d’appartenance, on peut difficilement faire mieux, et, pourtant, oui : certains Québécois croient que les caisses appartiennent à la famille Desjardins ! C’est bien leur nom qui est sur la porte, non ?

Thaddée Michaud, premier gérant général de la Commission des liqueurs

1921 marque le centenaire de la Société des alcools du Québec qui s’appelait à l’origine la Commission des liqueurs. Son premier « gérant général » était Jules-Thaddée Michaud, né à Saint-Jean-Port-Joli le 25 février 1878 du mariage d’Arsène Michaud, avocat et « régistrateur » du comté de L’Islet, et d’Emma Casgrain, fille de Charles Casgrain, ancien seigneur de Rivière-Ouelle.

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D’après le recueil Biographies canadiennes-françaises de 1924, Thaddée Michaud a fait des études commerciales au collège Lamontagne de Montmagny puis des études classiques au collège de Lévis et au séminaire de Québec; il aurait ensuite débuté dans les affaires en novembre 1895 comme « comptable chez Buckley Drouin Limitée, chapeliers et fourreurs en gros ». On peut douter qu’il ait à la fois terminé des études classiques et commencé une carrière de comptable à 17 ans; il a probablement commencé comme préposé à la tenue de livres comptables ou quelque chose du genre.

Au moment de sa nomination à la Commission des liqueurs, en avril 1921, La Presse le décrivait comme un « expert en système de comptabilité », ancien employé de Tétreault Shoe Co. puis chez Alphonse Racine, marchands de « nouveautés » en gros, dont il a été trésorier. Le Canada le disait aussi « athlète de renom »; il avait été secrétaire-trésorier de l’Association athlétique d’amateurs nationale (fondée en 1894) et membre du club de crosse National ainsi que du club de football du même nom.
En 1900, Michaud épouse Fabiola Valiquette, fille adoptive de J.-O. Labrecque, marchand de charbon, qui lui donnera une nombreuse famille. En 1925, lorsqu’il témoigne dans une enquête parlementaire, on lui demande si les députés de l’opposition sont trop près de lui et l’importunent. « Je ne me suis jamais plaint, a-t-il répondu selon La Tribune du 2 avril 1925. J’ai eu 16 enfants, et je suis habitué à les prendre sur mes genoux! »

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Thaddée Michaud est demeuré gérant général de la Commission pendant une quinzaine d’années. Il résidait dans une maison cossue d’Outremont, au 3, avenue McCulloch. En 1927, il se fait construire à Saint-Jean-Port-Joli une résidence d’été de style palladien qui porte aujourd’hui le numéro 68, avenue de Gaspé Ouest. C’est la maison qui a été longtemps habitée par la famille d’Esdras Chamard, mort à 100 ans en 1984. La propriété comprenait un terrain de tennis (dont on devine l’emplacement à droite de la maison) que monsieur Chamard mettait gracieusement à la disposition des jeunes autrefois.
« Homme d’affaires et sportsman bien connu », Thaddée Michaud est mort à Montréal en mai 1945; ses funérailles ont été célébrées à Outremont le 8 et il a été inhumé dans le cimetière de sa paroisse natale le lendemain.
Il était le frère d’Élisa, auteure de Canadiennes d’hier (1942), et de Benjamin, premier sous-ministre de la Voirie.

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