Un Parlement sans véritables doyens

Parmi les élus de 2018, les plus « anciens » étaient deux députés élus la première fois en 1998, mais ils n’avaient pas vingt ans d’ancienneté, ayant tous deux quitté l’Assemblée entre temps. Élu en 1998, le premier ministre Legault avait été réélu trois fois avant de démissionner en 2009 et il était revenu en 2012. Jean-François Simard avait été battu après un seul mandat, en 2003, et revenait donc quinze ans plus tard.
Une députée, Lise Thériault, avait 16 ans de service. Deux autres parlementaires siégeaient depuis 2003, soit Marc Picard et Lorraine Richard.
Quatre vétérans de la vie parlementaire avaient mis fin à leur carrière, soit François Gendron (41 ans), Pierre Paradis (37), Jacques Chagnon (32) et François Ouimet (24), les deux premiers figurant au sommet de la liste des plus longs mandats parlementaires, devant Gérard D. Lévesque et Louis-Alexandre Taschereau.

Nouvelle guérite (2019)

Nouvelle guérite (2019)

Pour la première fois, depuis des temps immémoriaux, l’Assemblée nationale n’avait aucun député ayant plus de vingt ans d’ancienneté et pas de véritables doyens. Le personnel politique était aussi considérablement renouvelé. Peut-on y voir un lien avec le peu de respect qu’on observe en matière de patrimoine immobilier, avec la suppression honteuse de la « fontaine des Abénaquis », l’apparition de « verrues » (selon le mot d’Antoine Robitaille, https://www.journaldequebec.com/2019/05/28/des-verrues-au-parlement) accrochées à l’édifice Pamphile-Lemay, la rénovation-modernisation du restaurant centenaire et bientôt celle de la salle des séances?

La capitale perdue aux mains des « angryphones »

Publié aux Éditions de l’Homme, Montréal capitale présente l’histoire du site archéologique du marché Sainte-Anne et du parlement de la province du Canada qui se trouvait à proximité de l’emplacement actuel du musée de Pointe-à-Callière.
Qui se souvient de cette capitale éphémère ? Après les rébellions et l’Union, le Parlement du Canada-Uni siège brièvement à Kingston, puis à Montréal, de 1844 à 1849, dans l’édifice d’un marché érigé en 1834.
Des fouilles menées de 2010 à 2017 ont permis de mettre au jour plus de 350 000 artéfacts et de fournir une riche iconographie à ce magnifique ouvrage qui contient en outre des reconstitutions 3D détaillées, ainsi que des cartes et des illustrations anciennes. Une vingtaine de spécialistes de plusieurs disciplines ont collaboré à ce beau livre sous la direction de Louise Potier, archéologue en chef à Pointe-à-Callière.

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Du marché au parlement

Le premier chapitre dresse un portrait de Montréal et de ses marchés avant 1834. Le deuxième traite de la construction du marché Sainte-Anne, de ses activités et de la place que les femmes y tiennent. Le troisième évoque le « changement » dans les années 1840 : l’Union des Canadas, l’installation du parlement à Kingston, la marche vers le gouvernement responsable, la presse de l’époque, etc. Dans le quatrième, la capitale déménage à Montréal où il faut choisir des bâtiments pour le parlement et le gouvernement ; il y est aussi question des origines des Archives nationales et de la Commission de géologie, des hôtels de la ville, du palais de justice et du marché Bonsecours, de la frénésie immobilière. Au cinquième chapitre, on entre dans le cœur de l’activité parlementaire : de nombreux artéfacts permettent d’illustrer divers aspects du Parlement, de l’ouverture de la session à la buvette en passant par la bibliothèque, la poste, les normes sanitaires, et la présentation de trois pétitions autochtones qui vaudrait au Parlement le statut de « haut lieu de la diplomatie ».
Intitulé « Quand tout bascule », le sixième chapitre traite de l’abolition des Corn Laws (1846), du typhus (1847), du « printemps des peuples » au niveau international (1848) et finalement de l’incendie de 1849 et de ses suites.
C’est la partie qui nous laisse sur notre faim, car elle manque de cohésion et suit un plan difficile à comprendre. Une section intitulée « 1849 : tous au Parlement ! » donne d’abord la chronologie des événements d’avril à octobre 1849 et inclut un encart sur la perte de la bibliothèque ; la suivante évoque quelques témoignages de citoyens sur l’émeute ; vient ensuite une section sur les messages de sympathie adressés, après l’émeute, au gouverneur Elgin ; enfin, un des collaborateurs se demande si la loi d’indemnisation a été la cause ou le prétexte de l’incendie et montre (20 pages après le résumé de l’émeute et beaucoup de digressions) le visage des personnes qui en étaient les principaux acteurs.
Pour donner au lecteur un récit compréhensible des faits, il aurait mieux valu décaler les deux textes « prématurés » (sur la bibliothèque et sur Elgin) et mieux agencer les autres qui sont consacrés spécifiquement à l’émeute : commet en est-on arrivés là, qui a fait quoi, comment et avec quelles conséquences judiciaires ?

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La frustration croissante de torys
Le lecteur « arrive » à l’émeute du 25 avril (« 1849 : tous au Parlement ! », p. 184) sans un exposé adéquat du contexte politique, avec à peine une énumération de ce qui « exacerbe les tensions » (l’abolition des Corn Laws, la crise économique, le typhus, la perte de pouvoir des torys, les débats houleux au Parlement). C’est un peu court pour expliquer comment une meute de torys anglophones s’est retrouvée au Champ-de-Mars, puis au parlement, le soir du 25 avril 1849. Il est difficile de relier l’action des émeutiers de Montréal avec le « printemps des peuples » européen : ce sont les Canadiens français qui auraient alors dû se soulever… Quant à la nouvelle politique commerciale de la Grande-Bretagne (illustrée par le Corn Laws), elle constitue certes l’arrière-plan des événements de 1849, car elle affecte durement la classe marchande anglo-montréalaise, mais pourquoi s’en prendre au Parlement ?
L’émeute est le résultat d’une série de changements politiques qui, dans les 20 mois précédant avril 1849, ont provoqué une irritation croissante chez les torys.
En août 1847, la reine sanctionne une loi qui établit une liste civile permanente et marque la fin de la « querelle des subsides » qui avait opposé le gouverneur à la majorité parlementaire du Bas-Canada pendant des décennies.
En mars 1848, en vertu du principe de la responsabilité ministérielle, La Fontaine devient premier ministre.
En août 1848, une loi britannique révoque la clause de l’Acte d’Union qui restreignait l’usage de la langue française au Parlement.
En janvier 1849, dans un « discours du trône » prononcé en partie en français, le gouverneur Elgin annonce l’amnistie générale des insurgés de 1837-1838.
Enfin, en février 1849, l’Assemblée législative entreprend l’étude d’une proposition de La Fontaine visant à indemniser les personnes dont les biens ont été endommagés ou détruits durant les répressions de 1837 et 1838 au Bas-Canada. Une mesure semblable avait été précédemment adoptée pour le Haut-Canada, à l’initiative d’Allan MacNab qui sera néanmoins le leader des opposants à un traitement identique pour le Bas-Canada. « L’Union, disait-il, a complètement manqué son but. Elle fut créée pour l’unique motif d’assujettir les Canadiens français à la domination anglaise. Le contraire en est résulté ».

L’émeute
C’est ce contexte politique, escamoté dans Montréal capitale, qui aide à comprendre la réaction des torys quand Elgin sanctionne le « bill des indemnités » adopté au terme d’un « filibuster » de 3 mois. Pendant ce débat (qui fut plus que « houleux »…), les médias anglophones de Montréal avaient chauffé la marmite. Le 25 avril, La Gazette lance un « cri de race » explicite et un appel direct « au combat ». Le message est clair : si l’Angleterre et le gouverneur ne nous défendent pas contre la « French domination », il faudra le faire nous-mêmes. Montréal capitale ne cite que quatre lignes de « l’Extra » publié par la Gazette. L’original aurait fait une belle illustration. L’a-t-on cherché ?
D’un texte à l’autre, de la page 184 à la page 209, on finit par trouver les noms de quelques acteurs du drame, sans trop savoir qui a fait quoi. Page 185, on évoque « quelques discours » au Champ-de-Mars, mais seulement un nom d’orateur, Alfred Perry, le chef des pompiers, selon qui l’incendie aurait été « accidentel ». C’est effectivement ce qu’il racontera, quarante ans plus tard, dans un article où il décrit longuement l’émeute, et mentionne plusieurs gestes de violence commis par lui et quelques comparses sur les biens et les employés du Parlement. Ce document ne semble pas avoir été retenu par cet ouvrage. Aurait-on mis en cause sa crédibilité ? Son opinion voulant que l’incendie soit un accident trouve un démenti à la page suivante où une annaliste des Sœurs grises écrit que des émeutiers « mettaient le feu à tous les coins avec des torches allumées ».

???
Le texte suivant (« Des citoyens témoignent », p. 194) ne nous avance pas beaucoup pour établir des responsabilités. Quelques témoins seulement sont cités, dont un qui mentionne que le chef des pompiers a demandé à la foule de bloquer le passage des pompes ! Un sous-titre annonce « qui a mis le feu ? », mais l’auteur n’esquisse pas vraiment de réponse et ne semble pas avoir vraiment essayé d’en trouver à partir des dépositions faites à l’enquête : combien y en avait-il, quels constats généraux peut-on en tirer ? Il note cependant qu’il n’y avait pas de femmes ni d’autochtones parmi les déposants, absence « révélatrice du peu de cas qu’on fait d’eux dans la vie publique »…

Aucun coupable
Pour ce qui est enfin des suites judiciaires, il faut se contenter d’informations éparses : deux paragraphes qui mentionnent des arrestations dans les éphémérides (p. 190 et 193) et une illustration de Punch montrant « cinq gentilshommes injustement emprisonnés » avec un bas de vignette précisant que Ferres, le propriétaire de la Montréal Gazette, a été libéré sous caution et n’a pas été « inquiété davantage par la suite » (p. 205).
En réalité, il y eut des suites, mais il faut les chercher un peu plus loin.
Un an plus tard, L’Ordre social (28 mars 1850) nous apprend que le « grand jury du district de Montréal n’a pas trouvé matière à accusation contre Alfred Perry, Joseph Ewing, Donald Murray, John Maydell, et Isaac Aaron accusés d’avoir mis le feu à la maison du Parlement en avril dernier ».
La Minerve du 28 mars 1850 révèle par la suite que « le grand jury a rapporté un bill d’accusation fondée contre Henry Jamieson pour émeute et démolissement de maison durant les troubles à Montréal et de « non fondée » contre Alfred Perry, W. G. Mack, C. R. Bedwell, Hugh Montgomerie, James Farrell, Joseph Bowie, Alexander Bowie, James Nelson, Robert Cooke, Robert Howard, Peter Cooper, James Bowie, Donald McDonald, Joseph Ewing, Augustin Howard, James Moir Ferres [éditeur de la Gazette], John Esdaile, et Donald Murray. Ces individus, comme on le sait, étaient accusés d’avoir pris part aux émeutes de l’année dernière ».
Tous ces « gentilshommes » (sauf Jamieson) s’en sortent donc sans accusation, mais La Minerve ajoute un commentaire intéressant : « Dans cette investigation de la grande enquête du district, les témoins ont encore fait défaut, plusieurs qui étaient assignés, ajoute-t-on, n’ont pas comparu et n’ont pu être trouvés à Montréal. Ont-ils agi ainsi par crainte ou par faveur, c’est ce que nous ignorons ».
La Fontaine pouvait bien être premier ministre, les autorités — gouverneur, armée, police et pompiers — étaient sous contrôle anglophone dans une ville où les francophones étaient alors minoritaires. Quand Jamieson est cité à la barre pour son procès en octobre 1850, on constate que tous les membres du jury sont francophones, sauf un, et le shérif reçoit instruction de trouver des jurés qui parlent anglais (La Minerve, 17 octobre 1850). Plus chanceux que Riel (condamné par un jury à 100 % anglo-protestant), Jamieson sera acquitté deux semaines plus tard.

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Montréal Capitale 2021

Montréal capitale est à cent lieues de l’opuscule de 1999 (Une capitale éphémère, au Septentrion), ouvrage improvisé pour le cent cinquantième anniversaire, à défaut de celui qu’un auteur n’a pas livré. Le traitement accordé à l’histoire du marché Sainte-Anne et du parlement de Montréal par l’ouvrage de Pointe-à-Callière mérite tous les éloges. Il ratisse large pour dresser le portrait de la capitale, mais on comprend qu’il ne se soit pas attardé à l’émeute, à ses participants et à ses conséquences judiciaires, tous des « faits divers » qui n’ont pas laissé beaucoup de traces archéologiques et qui n’intéressent pas beaucoup les universitaires. Ce n’est pourtant pas de la plus « petite histoire » que plusieurs chapitres du livre.
Pour l’histoire du 25 avril 1849, faudra-t-il attendre le deux centième ?

Capitale éphémère-réduit

Le presbytère de Saint-Michel, témoin de l’histoire

Le presbytère de Saint-Michel est le plus ancien de la Côte-du-Sud, mais il a été passablement modifié depuis sa construction en 1739. C’est un bâtiment d’un étage et demi dont les murs de pierre sont recouverts en bois. Sa toiture aux larmiers retroussés et ses dix lucarnes datent probablement du XIXe siècle. Comme c’était l’usage autrefois, le presbytère comprenait une « salle d’habitants ». Signe particulier : des volets « biculturels » portent la feuille d’érable et la fleur de lis.

Presbytère Saint-Michel GD
Le presbytère de Saint-Michel a été témoin d’événements dramatiques, parfois authentiques, parfois teintés de légendes.
Pendant le siège de Québec, en 1759, les soldats britanniques qui campent à Pointe-Lévy font des incursions du côté de Bellechasse. Dans la nuit du 25 au 26 juillet, près de Beaumont, un détachement vient aux prises avec des Canadiens : selon Knox, neuf d’entre eux auraient été tués et plusieurs autres blessés. Joseph Fortier, de Saint-Michel, est parmi les victimes. Le 26, le détachement loge à l’église de Saint-Michel où les soldats causent des dommages, mais on ne sait pas si le presbytère a aussi été touché. Le lendemain, le détachement repart avec quelques prisonniers (trois femmes et un homme, selon Malcom Fraser) et plus de deux cents têtes de bétail.
On a écrit qu’un autre détachement serait venu, en février 1760, sur les glaces, pour bombarder l’église de Saint-Michel et brûler les habitations, mais il s’agit d’une méprise : c’est le « village Saint-Michel », comme on désignait alors la partie de la seigneurie de Lauzon située entre les rivières Etchemin et Chaudière, qui est concerné, et non Saint-Michel-de-Bellechasse. Murray avait ordonné des représailles contre les Canadiens qui avaient abrité les hommes de Saint-Martin, lors d’une opération pour débusquer les Anglais retranchés dans l’église de Pointe-Lévy : le 26 février au matin, un détachement de 300 hommes traverse le fleuve et détruit toutes les maisons du village Saint-Michel.

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Le presbytère de Saint-Michel a été plus concrètement touché en 1775, quand les « Bostonnais » en révolte contre l’Angleterre ont essayé de chasser les Britanniques de Québec.
Au début de septembre 1775, le fermier du seigneur de Lauzon et le seigneur de Sainte-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce essaient de recruter des hommes pour aller à Sartigan (auj. Saint-Georges-de-Beauce) et bloquer la route aux insurgés « américains ». L’assemblée du 11 septembre réunit environ 1500 habitants venus d’aussi loin que Berthier, mais tourne à la sédition. Caldwell et Taschereau sont reconduits chez eux : non seulement les participants ne veulent pas s’engager, mais ils conviennent de monter la garde pour empêcher les autorités britanniques d’intervenir sur la rive sud et surveiller l’approche de renforts britanniques.
De nombreux habitants de la Côte-du-Sud assistent à cette assemblée que le journal de Baby a qualifiée de « séditieuse ». De Saint-Michel, on dit « le plus grand nombre », ce qui signifie probablement la majorité des hommes en état de porter les armes.
À la suite de « l’assemblée séditieuse », on monte la garde, souvent en armes, dans toutes les paroisses de la Côte-du-Sud et un système de feux est mis en place pour signaler l’arrivée éventuelle de forces royalistes sur le fleuve.
À Saint-Michel, les habitants s’emparent du presbytère pour en faire un poste de surveillance. Le capitaine de milice Baptiste Roy et les sergents coordonnent l’opération. Le curé, comme la plupart ses collègues de la région, devra ronger son frein.

Une mise en berne sans précédent

Dans un texte du 5 novembre annonçant que le drapeau canadien retrouvera bientôt sa place normale, Radio-Canada rappelait que l’unifolié avait été mis en berne le 30 mai « après la découverte des restes de 215 enfants près du terrain d’un ancien pensionnat pour Autochtones de Kamloops, en Colombie-Britannique » (https://www.msn.com/fr-ca/actualites/quebec-canada/l-unifoli%C3%A9-sera-hiss%C3%A9-de-nouveau-dimanche-soir/ar-AAQmOwC?parent-title=maux-de-lhiver-nos-solutions-douces-pour-passer-au-travers&parent-ns=ar&parent-content-id=AAk6mRi).

Quelques jours plus tôt (31 octobre, https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1835997/unifolie-pensionnats-autochtones-parlement-commemoration), la Presse canadienne (PC) avait adopté une formulation différente : le drapeau a été mis en berne « après que la Première Nation Tk’emlups te Secwepemc eut annoncé qu’un radar à pénétration de sol avait détecté ce que l’on pense être les restes de 215 enfants autochtones. »

La première formulation est courante, dans les médias québécois, pour parler du cas de Kamloops et des autres « découvertes ». Une chroniqueuse du Devoir a écrit le 23 octobre qu’on avait « trouvé » les corps de 751 enfants sur le terrain de l’ancien pensionnat de Marieval.

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(photo CBC)

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Il faut consulter les médias du Canada anglais pour comprendre la prudence de la PC. Le rapport préliminaire sur le cas de Kamloops a été dévoilé à la mi-juillet, mais ne semble pas avoir eu d’échos au Québec. Tel que rapporté notamment dans le Toronto Star du 16 juillet, le radar a repéré des « anomalies » dans le sol, mais on ne saura rien des « restes » tant qu’on ne les aura pas exhumés, comme l’a déclaré, la veille, le Dr Sarah Beaulieu, de l’Université Fraser Valley, qui supervise la recherche : « With ground-penetrating radar, we can never say definitely they are human remains until you excavate, which is why we need to pull back a little bit and say they are probable burials, they are targets of interest (Avec un radar à pénétration de sol, nous ne pouvons jamais dire avec certitude qu’il s’agit de restes humains tant qu’il n’y aura pas excavation, c’est pourquoi nous devons prendre un peu de recul et dire qu’il s’agit de sépultures probables, ce sont des cibles d’intérêt) » (https://www.thestar.com/news/canada/2021/07/16/number-of-probable-graves-near-former-residential-school-pegged-at-200.html).

La même observation s’applique vraisemblablement aux autres cas :

Notons qu’il ne s’agit de sépultures individuelles et non de « charnier », comme on a pu le lire dans de nombreux textes ici cet été.

***

D’autres éléments doivent aussi être pris en considération.

Les médias ont conclu que 751 sépultures repérées à la fin de juin étaient celles de pensionnaires de la Marieval Indian Residential School. « But, according to a band councillor, that’s not necessarily the case. “It appears that not all of the graves contain children’s bodies,” Jon Z. Lerat told the Globe and Mail, noting that this was also the burial site used by the rural municipality. […] “We did have a family of non-Indigenous people show up today and notified us that some of those unmarked graves had their families in them — their loved ones,” Lerat said. [Cowessess Chief Cadmus] Delorme added that oral stories said the graves belong to “both children and adults” as well as “people who attended the church or were from nearby towns” (https://torontosun.com/opinion/columnists/malcolm-its-important-to-bring-accuracy-to-residential-school-graves-conversation?fbclid=IwAR3rztbI-M2FkbYkk76qpzO4UXVTeG1haQEpso751gSDpbYbh_zpcw3HOlM) ».

Contexte similaire pour les « 182 tombes non marquées » repérées quelques jours plus tard : « Like the Cowessess cemetery graves, the Lower Kootenay unmarked graves are within an existing cemetery — and again the cemetery was used by the broader community. […] Former chief Sophie Pierre told Global News “there’s no discovery, we knew it was there, it’s a graveyard. The fact there are graves inside a graveyard shouldn’t be a surprise to anyone.” » Les archives de ce cimetière démontrent qu’il a été ouvert en 1865, 50 ans avant l’ouverture du pensionnat, et qu’il a été utilisé, à partir de 1874, par le seul hôpital de la région de Cranbrook (https://torontosun.com/opinion/columnists/malcolm-its-important-to-bring-accuracy-to-residential-school-graves-conversation?fbclid=IwAR3rztbI-M2FkbYkk76qpzO4UXVTeG1haQEpso751gSDpbYbh_zpcw3HOlM). On peut donc prévoir y trouver d’autres sépultures que celles d’enfants pensionnaires.

Les chiffres évoqués ci-dessus sont d’ailleurs intrigants. La Commission de vérité et de réconciliation a compté 139 pensionnats et 3200 enfants décédés, soit une vingtaine de décès par pensionnat, en moyenne. Or, dans les 4 cimetières mentionnés ci-dessus, on parle de 1300 sépultures, au total, soit une moyenne de plus de 300. Ce sont des chiffres difficiles à… réconcilier.

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« Les drapeaux canadiens resteront en berne tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral n’aura pas eu l’aval des communautés autochtones pour les remonter », a déclaré Justin Trudeau au début de septembre (https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1823325/drapeaux-canada-pensionnats-autochtones-trudeau-lever, 10 septembre), concédant ainsi aux Autochtones ce qu’on pourrait appeler « une victoire dans la course victimaire » : leur cause occulterait toutes les autres, car la mise en berne « permanente » du drapeau empêcherait toute autre commémoration sur la tour du Parlement canadien.

Trudeau s’était « peinturé dans le coin » avec sa mise en berne sans échéance et, avec le temps, les représentants autochtones ont interprété « une levée des drapeaux non pas comme un retour à la normale, mais comme une insulte » (Dumont).

L’Assemblée des Premières Nations (APN) en rajoutait le jeudi 4 novembre en réclamant que « l’unifolié soit hissé dimanche sur tous les bâtiments fédéraux aux côtés d’un drapeau orange portant la mention ’Chaque enfant compte’ » et « que les deux drapeaux, l’orange et l’unifolié, flottent côte à côte jusqu’à ce que toutes les dépouilles d’enfants soient récupérées et envoyées dans leur terre d’origine – physiquement ou symboliquement »… Heureusement, malgré cette proposition peu réaliste, Ottawa et ses partenaires autochtones ont annoncé le lendemain que la mort des enfants qui ont fréquenté les pensionnats serai rappelée autrement, ce qui a permis de relever le drapeau en vue de la commémoration de l’Armistice (https://ici.radio-canada.ca/rci/fr/nouvelle/1837591/chaque-enfant-compte-unifolie-jour-souvenir-pensionnats). L’exhumation des dépouilles d’enfants pose des problèmes techniques, légaux et scientifiques d’une telle ampleur qu’on ne peut imaginer le jour où elles auraient toutes été identifiées, à la grandeur du Canada et à la satisfaction de l’APN.

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Comme l’écrivait Mario Dumont le 3 novembre (https://www.journaldemontreal.com/2021/11/03/relevez-ce-drapeau), « cette mise en berne permanente est un cul-de-sac. Oui, il fallait mettre les drapeaux en berne à l’époque pour souligner la tristesse et l’indignation collective devant des horreurs du passé. […]

Les millions de citoyens du Canada veulent une réconciliation, certes. Ils sont d’accord pour que leur gouvernement prenne des moyens pour assurer la réconciliation. Mais les citoyens du Canada ne vivent pas dans la honte en permanence. »

La loi protège la vie privée du sieur de Montmagny (1601-1657)

Les gouvernements d’autrefois décidaient arbitrairement si un document devait être rendu public. Ils agissaient souvent par intérêt partisan, ou « à la gueule du client ». Denis Vaugeois a déjà raconté que René Lévesque lui avait confié le mandat de corriger cette situation, de donner accès à l’information, mais il n’était plus en poste quand le Parlement a adopté la « Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels » qui avait un fort penchant pour la protection de la vie privée.
Ce n’est pas pour rien que, dans la liste des droits que cette loi nous confère (https://www.quebec.ca/acces-information), il y a, d’abord et avant tout, « le respect de la confidentialité des renseignements personnels ».
Et, si on obtient un document, il n’est pas certain qu’on pourra le lire convenablement et en tirer ce que l’on cherche.
*   *   *
Le 11 juin dernier, j’ai posé innocemment la question suivante sur le site du ministère de la Culture et des Communications : « Je cherche le document suivant : « Manoir de l’Île aux Grues », DGP, MAC, 1978. Jules Vézina y fait référence dans son ouvrage « La Côte-du-Sud ; Histoire et généalogie d’un archipel ». »
Ce document produit il y a près de 50 ans, par la Direction générale du patrimoine (DGP) du ministère des Affaires culturelles (MAC), a été consulté par Vézina pour la rédaction de son livre publié en 1994, mais je ne pouvais le repérer dans les catalogues disponibles en ligne (BANQ, Cubic, etc.). Il s’agissait vraisemblablement d’un document interne.
Le même jour, je reçois un courriel de Services Québec : « Nous avons bien reçu votre courriel et nous y donnerons suite le plus rapidement possible ».
La suite vient une semaine plus tard (18 juin). Une préposée aux renseignements m’informe que ma demande a été transmise au… « Ministère de la Culture et des Communications »… Comme disait Bernard Blier dans une fameuse réplique : « Merde, on tourne en rond, merde, on tourne en rond… »
*   *   *
TROIS MOIS plus tard (23 septembre), une fonctionnaire du Ministère m’informe que je dois « remplir une demande d’accès à l’information ». Ce que je fais le jour même.
En réalité, je n’avais plus vraiment besoin du document. Je l’avais cherché au printemps pour aider une amie, atteinte d’une maladie incurable, à évaluer des chenets que son père avait acquis, il y a bien 50 ans, d’un ancien propriétaire du manoir de l’Île aux Grues ; le texte de Vézina laissait entendre que ce document pouvait contenir des informations sur ces fameux chenets qui, selon la tradition, auraient été donnés à Charles Huault, sieur de Montmagny par Louis XIV lui-même, dans les années 1640.

???

Malheureusement, l’amie en question est décédée au cours de l’été. Après diverses péripéties, dont les détails importent peu ici, les chenets ont connu une fin heureuse et ont repris le chemin du manoir de l’île aux Grues.

Pour ma part, je gardais un intérêt personnel pour ce document concernant la Côte-du-Sud, mais je ne savais plus si j’étais curieux de le voir ou plutôt de savoir quels motifs on pourrait invoquer pour refuser de le communiquer.
*   *   *
Le 6 octobre, je reçois, par courriel, une lettre du Secrétariat général du Ministère de la Culture et des Communications qui m’informe qu’on procède « l’analyse et au traitement » de ma demande et qu’une réponse me parviendra au plus tard le 26 octobre, le processus pouvant dépasser le délai de 20 jours, « compte tenu d’une réduction des effectifs résultant de la crise de la COVID-19 ». On m’informe d’ailleurs que la Loi m’accorde un droit de recours devant la Commission d’accès à l’information si ce délai n’est pas respecté.
Par chance, le 22 octobre, un courriel du Secrétariat général me transmet le lien qui me permet de télécharger le document de 123 pages. Une lettre jointe m’informe cependant que « certaines parties du document ne [me] sont pas communiquées parce qu’elles contiennent des renseignements qui sont visés par certaines restrictions prévues à la Loi ». Il y a

  • « l’article 53 qui précise que les renseignements personnels sont confidentiels;
  • l’article 54 qui précise que, dans un document, sont personnels les renseignements qui concernent une personne physique et qui permettent de l’identifier;
  • l’article 59 qui précise qu’un organisme public ne peut communiquer un renseignement personnel sans le consentement de la personne concernée. »

*   *   *
Cette réponse attisait ma curiosité, comme peut exciter tout ce qui est en partie caché. Mais l’excitation s’est changée en déception.
Le document reçu est un rapport préliminaire déposé par le Groupe de recherches en histoire du Québec rural au printemps 1978, il comprend quatre parties : la première sur l’histoire du manoir, la seconde sur les titres de propriété et les deux dernières sur l’analyse architecturale.
Dans la première partie, les noms des propriétaires du manoir sont caviardés. Partout. Ainsi, pour la période de 1873 à 1936, «  XXXXX hérite de la seigneurie. Il était le fils de XXXXX, donc le petit-fils de XXXXX, donc arrière-petit-fils de XXXX. »
Même le nom de l’auteur (J. M. Lemieux) du livre qui sert de documentation principale au Groupe de recherches, et qui a publié les noms de tous ces propriétaires en 1978, est caviardé.

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Même chose dans la chaîne des titres de propriété : par exemple, « Vente par XXXXX à XXXXXX et à XXXXXXX de la seigneurie accordée au dit sieur XXXXX devant Mes XXXXXX et XXXXX notaires au Chatelet de Paris le 10 janvier 1654. » En 1654!
Ce qui ne manque pas d’ironie : pour éviter la fraude et les transactions secrètes, « les actes notariés affectant les droits relatifs aux immeubles sont enregistrés dans les bureaux de la publicité des droits, autrefois appelés les bureaux d’enregistrement, depuis 1841-1842. Une grande partie de l’information foncière offerte présentement dans les 73 bureaux de la publicité des droits est disponible dans le Registre foncier du Québec en ligne (site de BANQ) ». On a donc caviardé des « renseignements personnels » qui doivent être publics selon la loi et qu’on peut (en principe) obtenir en ligne de chez soi.
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La Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels a besoin d’un grand rafraîchissement. On en parle depuis des années. Pendant ce temps, dans les ministères et les organismes publics, du personnel s’affaire à caviarder des travaux d’historiens ou d’ethnologues qui datent d’un demi-siècle et à noircir des noms de personnages historiques parfois décédées depuis 300 ans.