Le projet de loi sur la «dévolution de la couronne» : plus clair en anglais?

Le projet de loi 86 déposé le 11 mars prévoit que la « dévolution de la couronne » (façon de dire que la reine va passer la main…) n’a pas pour effet de mettre un terme aux activités du Parlement du Québec. La Loi de l’Assemblée nationale adoptée en 1982 manquait de limpidité à cet égard.
Il reste cependant du travail à faire sur l’article 2 qui porte sur le serment et se lit comme suit : « Un serment d’allégeance ou d’office n’a pas à être souscrit à nouveau en raison de la dévolution de la couronne ». La forme négative n’est pas de la plus grande élégance ; mieux vaudrait dire quelque chose comme « la dévolution ne requiert pas la prestation d’un nouveau serment d’allégeance ou d’office ». Mais, c’est surtout le mot « souscrit » qui étonne.

 « Prêter et souscrire »
La Loi constitutionnelle de 1867 (AANB) oblige les membres du Parlement canadien et des parlements des provinces à « prêter et souscrire » le serment d’allégeance à la reine énoncé dans sa cinquième annexe.
Dans l’ancien Règlement de l’Assemblée nationale, le greffier Geoffrion avait décrit le processus en détail, y compris l’endroit et l’heure où les nouveaux députés devaient « prêter le serment d’allégeance »; il ajoutait que ce serment « est souscrit sur un rôle dont le greffier a la garde. » Comme le disait le premier ministre après une élection partielle en janvier 1965, le député Trépanier « a prêté et souscrit sur le rôle le serment prescrit par la loi et il réclame maintenant le droit de siéger ».

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En plus de se préoccuper de la qualité de la langue, les rédacteurs du Règlement en vigueur depuis 1984  l’ont dépouillé de ce qui faisait double emploi avec la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi de l’Assemblée nationale. Le règlement ne parle plus du serment; la loi prévoit simplement qu’un député « ne peut siéger à l’Assemblée avant d’avoir prêté le serment prévu à l’annexe I », soit le serment « envers le peuple du Québec » (ce qui évite de mentionner le serment à la reine, toujours obligatoire).

Plus clair dans la version anglaise
Le projet de loi 86 dispense de « souscrire » un nouveau serment (« subscribe an oath »), ce qui laisse entendre que l’obligation constitutionnelle consiste simplement à mettre son nom dans un registre sous le texte du serment, alors qu’on sait tous qu’il faut surtout le prononcer (« swear an oath »), à haute et intelligible voix, en principe.
De malins plaideurs pourraient soutenir que, tel que rédigé, le projet de loi dispense de « souscrire » le serment au nouveau souverain, mais pas de le « prêter »… .
Il faudrait alors leur opposer la version anglaise du projet de loi: « 2. Oaths of allegiance or office need not be retaken due to the demise of the Crown. » Autrement dit, « il n’est pas nécessaire de prêter de nouveaux serments d’allégeance ou d’office en raison de la dévolution de la Couronne »…
Comme les « instructions »  de certains produits de consommation, le projet de loi est plus clair en anglais. C’est gênant.

Marcel Trudel et l’esclavage

Le Devoir accordait le 9 janvier une pleine page à une artiste pluridisciplinaire qui est « partie sur les traces » de la première esclave à avoir recours à la justice en Nouvelle-France et prépare un spectacle dédié à cette femme qui a finalement perdu son procès et été envoyée en Martinique. « N’eût été Émilie Monnet, écrit la journaliste, la mémoire de Marguerite Duplessis resterait probablement endormie pour de nombreux siècles encore dans notre imaginaire collectif ».

Il faut quand même remettre les pendules à l’heure. Cette histoire a été racontée par Marcel Trudel il y a plus de 60 ans dans L’esclavage au Canada français, ouvrage bien connu réédité dans Bibliothèque québécoise sous le titre Deux siècles d’esclavage au Québec. Dans la dernière édition, l’affaire Marguerite occupe plus de huit pages (224-233) et permet incidemment à Trudel d’illustrer « à quel point ces gens en servitude peuvent exercer des prérogatives d’hommes libres ».

Mieux encore: appuyé sur les recherches de Trudel, l’historien Michel Paquin a rédigé, sur Marguerite Duplessis, une notice publiée dans le troisième tome du Dictionnaire biographique du Canada, en 1974 (http://www.biographi.ca/fr/bio/duplessis_marguerite_3E.html). Marguerite appartenait à la nation Panis, réputée pour fournir des esclaves aux autres nations autochtones au point de devenir synonyme d’esclave.

Trudel-esclave
Trudel est très souvent pris à témoin ces dernières années lorsqu’il est question d’esclavage; en raison de son ouvrage de 1960 et de l’inventaire qu’il a fait des esclaves au Canada, il est perçu comme le « découvreur » de l’esclavage au Québec, mais, visiblement, bien peu ont lu son livre au complet.

C’est un drôle d’esclavage qui ressort de son ouvrage, dès les premiers paragraphes. Quand a-t-il commencé? « Les premiers esclaves sont tellement rares qu’on ne pourrait en situer la pratique générale qu’à partir des années 1680 ». Il y a bien eu le mythique Olivier Lejeune, amené à Québec par les Kirke en 1629, mais Trudel pense que le jeune noir n’était plus en état d’esclavage quand il a vécu chez Guillaume Couillard à partir de 1632, qu’il était, à sa mort en 1654, « le seul exemplaire de son espèce » et qu’il a fallu « attendre plus d’un quart de siècle avant de lui trouver un successeur », ce qui réduit d’une bonne cinquantaine d’années les deux siècles d’esclavage. Et  quand s’est-il terminé? Officiellement, par une loi britannique appliquée en 1834, mais en réalité bien avant. Les dernières ventes, les dernières mentions dans les registres, les dernières allusions au Parlement datent toutes d’au moins trente ans avant cette loi. Si elle a permis l’émancipation d’esclaves, ce serait de « très rares exceptions ». « Autant dire, écrit Trudel, qu’au Québec l’esclavage disparaît de lui-même », faute d’esclaves, pourrait-on ajouter, et signe que l’esclavage (qu’il faut certes déplorer au point de vue moral et humain) était un phénomène socio-économique marginal, qui n’a vraiment aucune commune mesure avec ce qui se passait au sud.

Trudel a recensé 4185 esclaves (dont les deux tiers amérindiens) entre 1629 et 1834. Le compte est-il bon? L’historien Frank Mackey (Done With Slavery, the Black Fact in Montreal, McGill Queen’s University Press) croit que Trudel a compté plus d’une fois certains esclaves et a considéré tous les noirs comme esclaves; ses chiffres seraient gonflés de 23%. Par contre, Trudel n’a pas pris en compte les esclaves qui appartenaient aux  Amérindiens (plus difficiles à recenser) et ne fait qu’effleurer les échanges (ventes ou dons d’esclaves ramenés de l’Ouest) entre ces derniers et les Français (https://www.historymuseum.ca/virtual-museum-of-new-france/population/slavery/). Quoiqu’il en soit, Trudel constate que le nombre qu’il avance est « ridiculement faible si nous le comparons aux autres pays esclavagistes »; c’est « peut-être pour cette raison, dit-il, que nous en avons si peu parlé… »

Trudel l’a fait, lui, abondamment. Il traite de la législation, du « marché », des propriétaires et des conditions de vie des esclaves, des sacrements, de la justice, des mariages interraciaux, des abolitionnistes, etc. Chaque chapitre permet de mesurer à quel point « notre » esclavage différait de celui des États-Unis et justifie qu’on en parle avec les bémols appropriés aujourd’hui.

L’ouvrage de Trudel en mérite un lui aussi. Alors que les études savantes de ce genre débutent très souvent par un aperçu plus ou moins élaboré de l’historiographie, de ce qui a été écrit sur le même sujet par d’autres auteurs – une « revue de la littérature », comme le veut le jargon habituel – Trudel fait cet exercice en conclusion. Il faut persévérer dans la lecture pour découvrir que, contrairement à ce que plusieurs peuvent penser aujourd’hui, Trudel n’a pas été le premier à révéler l’existence de l’esclavage au Canada français. Quatre pages avant la fin de son livre, il rappelle à juste titre que François-Xavier Garneau a minimisé, et presque nié, l’esclavage au Canada. Puis, en UNE page, il expédie tous ceux qui ont parlé de l’esclavage avant lui:  Viger et La Fontaine dès 1859, Tanguay et son Dictionnaire généalogique, Hubert Neilson, Benjamin Sulte, en 1911, Mgr Paquet (qui déplorait « la tache de l’esclavage »), Lapalice et son essai d’inventaire des Noirs, Pierre-Georges Roy, Robert-Lionel Séguin…

L’ouvrage de Trudel ne se comparait évidemment pas avec ceux de ses prédécesseurs et représentait une extraordinaire évolution de nos connaissances – comme cela s’est produit dans bien d’autres domaines précédemment « négligés » comme les travailleurs, les femmes, les marginaux – mais on ne peut prétendre que l’esclavage a été caché à la population québécoise par les historiens au cours des cent ans qui précèdent la publication de L’esclavage au Canada français. Dans le compte rendu de l’ouvrage publié par la Revue d’histoire de l’Amérique française en 1961, Jean Hamelin écrivait d’ailleurs au sujet de Trudel : « Il confirme ce que les historiens disaient, à savoir que l’esclavage au Canada français n’a pas pris l’ampleur qu’il a eue dans les colonies voisines, qu’il n’a pas été un rouage important de notre système économique. » (https://www.erudit.org/fr/revues/haf/1961-v14-n4-haf2033/302083ar.pdf)

Bref, ceux et celles qui en ignoraient l’existence n’ont tout simplement pas fait les lectures appropriées, ni ouvert le dictionnaire.

Le scalp, coutume des Britanniques?

Sur son site internet, l’auteur micmac de First Nations History – We Were Not the Savages (traduit récemment sous le titre Ce n’était pas nous les sauvages [s'il est permis de citer ce titre...]) consacre une page à la pratique du scalp et conteste un passage de la proclamation de 1749 où Cornwallis, gouverneur de la Nouvelle-Écosse, dit que produire un scalp comme preuve de la mort de l’ennemi est « the custom of America ».

« […] je tiens à le préciser très clairement, écrit Daniel N. Paul, il ne s’agit pas d’une référence à une coutume amérindienne, mais à une coutume des Britanniques en Amérique du Nord britannique. Elle a été lancée par eux dans le but de soumettre par la terreur, ou d’exterminer, les tribus amérindiennes qui se battaient pour sauver leur mode de vie et leur patrie de la destruction par les envahisseurs impitoyables[1]. »

Les pratiques guerrières de l’Acadie étaient-elles différentes de celles de la vallée du Saint-Laurent, où la pratique du scalp est bien documentée? Citons, entre autres témoignages, la relation que le récollet Denis Jamet[2] a laissée de son passage à Tadoussac, en juillet 1615 :

« Au temps où nous arrivâmes à Tadoussac, six jeunes garçons Montagnais furent à la guerre par surprise selon leur coutume, et de neuf (ennemis) qu’ils trouvèrent ils en assommèrent sept, et en apportèrent les peaux des têtes pour en faire présent aux femmes selon leur coutume ».

La suite de l’histoire montre qu’il valait peut-être mieux être scalpé (donc mort) que « prisonnier de guerre ».

« Des deux prisonniers, ils laissèrent le jeune qui est âgé de douze ans, car ils n’ont (pas) coutume de tuer les enfants, mais les naturalisent de leur nation, lesquels sont par après les plus cruels à leur propre pays, mais firent mourir l’aîné en cette façon : d’avance ils lui coupèrent à belles dents les deux index des mains, et après l’avoir gardé lié et nourri comme eux, tinrent conseil pouf le tuer, le livrèrent à leurs femmes, lesquelles, l’ayant lié au poteau préparé, lui percèrent la chair d’alênes, le brûlèrent avec des tisons, puis arrosaient les brûlures d’eau ; elles lui levèrent la peau de la tête la laissant arrière, et lui couvrirent le chef écorché de cendres chaudes. Le misérable hurlait, mais les hurlements que faisaient les autres, de joie, offusquaient (couvraient) le sien. Les femmes le délièrent, et de rage il se vint jeter dans les fossés de l’habitation, où après avoir reproché à nos Français qui voyaient ce triste spectacle des galeries de la maison, qu’il espérait la vie sauve par leur moyen, il prit des pierres pour ruer (jeter) à ses tyrans. II se sentit aveuglé de son sang et n’eut d’autre refuge qu’une pierre sur laquelle il se froissa la tête. Les autres l’achevèrent à coup de pierre, l’écorchèrent et le mangèrent.

Les ennemis ne leur en font pas moins quand ils les tiennent, et d’ordinaire les femmes et les enfants sont les bourreaux afin qu’ils languissent davantage. »

Les Français ont aussi versé des primes en retour de scalps. Frontenac aurait été le premier à le faire, en 1691, en promettant « dix écus à ses alliés autochtones pour chaque scalp qu’ils rapporteraient[3] ». On était alors en guerre, quasi permanente, contre les Iroquois.

Daniel N. Paul n’y va pas de main morte pour qualifier les comportements des nations colonisatrices en Amérique :

« Pour soumettre les peuples autochtones, durant l’époque coloniale, les actes de barbarie employés par la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Portugal et quelques autres nations européennes – auxquelles s’ajoutent subséquemment les pays engendrés par cette colonisation dans les Amériques – dépassent probablement, ou au minimum équivalent aux performances barbares des régimes du 20e siècle de l’Allemagne nazie et de l’Union soviétique stalinienne combinés »

On notera que Paul ne nomme pas la France. L’aurait-il incluse dans les « autres nations européennes »? Ce serait étonnant : les Français ont été présents en Acadie pendant plus de cent ans (1604-1713) avant les Britanniques. Il faut croire qu’ils n’ont pas laissé les mêmes souvenirs que les Anglais en Amérique du nord. Dans son livre, Paul considère que la fameuse formule de l’historien américain Parkman – « La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation britannique l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a adopté et chéri » – est juste, mais mérite une nuance :

« la civilisation anglaise, tout comme la civilisation espagnole, […] a aussi écrasé l’autochtone ; les actions qu’ils ont posées après leur invasion des Amériques le démontrent clairement. Pour réaliser leur objectif de complète domination des habitants et d’acquisition illégale de leurs terres, ils ont utilisé des pratiques qui faisaient appel à la trahison effrénée, la violence et la cruauté. »


[2] Fr. Odoric M. Jouve, o. f. m., « Une page inédite d’histoire canadienne. La relation du récollet Denis Jamet, 15 juillet 1615 », La Nouvelle-France, 13, 10 (octobre 1914), p. 433-444 (extrait, p. 439). La relation est à la Bibliothèque nationale de Paris, dans la collection des Cinq-Cents de Colbert.

[3] Jean-François Lozier, « Lever des chevelures en Nouvelle-France : la politique française du paiement des scalps », Revue d’histoire de l’Amérique française, 56, 4 (2003), p. 513–542.

Le portrait manquant

En 1975, l’Assemblée nationale fit restaurer les portraits qui composaient alors la « Galerie des orateurs », au rez-de-chaussée de l’Hôtel du Parlement. Cette opération nécessitait l’inventaire des toiles et leur évaluation, car il fallait assurer leur transport vers les ateliers de restauration. Une comparaison entre la liste des présidents de l’Assemblée depuis 1867 et les portraits de la galerie révéla l’absence du portrait de Philippe-Honoré Roy, député de Saint-Jean de 1900 à 1908 et président de l’Assemblée législative de 1907 à 1908.
On crut d’abord que ce portrait avait été égaré, mais les recherches en vue de le retrouver ailleurs dans les édifices parlementaires furent vaines. Personne, à l’Assemblée nationale, ne pouvait expliquer cette absence. On décida finalement de faire peindre une toile à partir d’une très belle photographie contemporaine accrochée à la mezzanine de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Ce travail fut confié au peintre Umberto Bruni et l’œuvre fut insérée dans la galerie en 1975.8.11 Roy

Peu après, un groupe de travail fut formé pour rédiger les notices biographiques de tous les parlementaires québécois depuis 1867 et c’est pendant les recherches de ce groupe que le mystère s’éclaircit de manière imprévue.
Une étoile montante
Philippe-Honoré Roy naît à Henryville (Iberville), le 30 juillet 1847, du mariage d’Édouard Roy et d’Esther Lamoureux.
Admis au Barreau le 15 juillet 1871, il exerce sa profession à Montréal. Au sein du Barreau de Montréal, Roy occupe divers postes, dont ceux de secrétaire du conseil et de syndic. En 1899, il est créé conseil en loi de la reine.
Tout en poursuivant sa carrière à Montréal, Roy garde des liens étroits avec la région qui l’a vu naître. Il acquiert plusieurs fermes dans les comtés de Saint-Jean et d’Iberville. On le retrouve parmi les propriétaires de l’aqueduc de Saint-Jean. Il participe au développement du réseau ferroviaire en présidant la Compagnie de chemin de fer de la vallée est du Richelieu. C’est aussi dans la région qu’il prend épouse le 11 juillet 1878. Il s’agit d’Auglore Molleur, fille de Louis Molleur (1828-1904), homme d’affaires et député libéral de la circonscription d’Iberville de 1867 à 1881. Molleur était président de la Banque de Saint-Jean qu’il avait fondée en 1873 avec Félix-Gabriel Marchand (1832-1900), notaire, député , orateur de l’Assemblée législative et premier ministre de 1897 à 1900.
Lorsque Félix-Gabriel Marchand décède, le 25 septembre 1900, Roy recueille la succession et prend le siège de Saint-Jean avec une majorité de huit voix.
À Québec, le député de Saint-Jean ne participe pas beaucoup aux débats parlementaires. Puis, progressivement, il manifeste de l’intérêt pour les questions municipales. En 1904, il est réélu avec une majorité de 123 voix. Au cours des deux sessions suivantes, son activité parlementaire apparaît modeste mais, en 1907, il est élu orateur de l’Assemblée législative, ce qui le place automatiquement aux premiers rangs de la société, sinon de la classe politique, de Québec. Suivant la tradition, ses appartements de l’Hôtel du Parlement deviennent le rendez-vous de la haute société de Québec.
Cette fonction ajoute au prestige du député de Saint-Jean à qui l’on attribue «une très jolie fortune» et beaucoup d’amis. En 1904, sa fille Georgette, une «brunette charmante et spirituelle qui s’est fait beaucoup d’amis à Québec», épouse un jeune avocat de la capitale, Armand Lavergne, fils de Joseph Lavergne, juge, ex-associé du premier ministre Wilfrid Laurier et ex-député fédéral. Le jeune Lavergne est aussi député libéral à Ottawa et Laurier a pour lui une grande affection même s’il devra l’expulser du parti en 1907.
La chute
En avril 1902, Roy avait été élu directeur de la Banque de Saint-Jean, l’une des plus petites des nombreuses banques à charte établies au Québec. En janvier 1904, il remplace son beau-père, Louis Molleur, à la présidence de la banque qui s’occupe évidemment des affaires de la compagnie de chemin de fer qu’il préside. À compter du 15 février 1908, il cumule les fonctions de président et de gérant général de cette banque.
Le 28 avril 1908, trois jours après la fin de la session, la banque suspend ses paiements et, le lendemain, ses guichets demeurent fermés. Une enquête est menée à la demande de l’Association des banquiers. Les rumeurs les plus folles circulent. On apprend que Roy ne se présentera même pas aux élections générales déclenchées le 6 mai pour le 8 juin; puis, il subit une attaque cardiaque et reçoit les derniers sacrements, Par la suite, il doit garder la chambre, souffrant d’un «affaissement nerveux».
L’émotion atteint un sommet lorsque, trois jours après les élections générales, à la suite d’une enquête minutieuse menée par le gouvernement fédéral, Roy, l’ancien gérant général de la banque et l’assistant de ce dernier sont arrêtés et gardés à vue sous l’accusation d’avoir produit de faux rapports mensuels. Alors que les deux autres accusés sont remis en liberté en retour de garanties élevées, Roy obtient sa liberté d’un juge de paix «sympathique», l’épicier Moreau, contre 4000$. Mais, le lendemain, il est de nouveau arrêté avec les deux autres, sous une accusation de complot, et remis en liberté moyennant un cautionnement de 50 000$ pour garantir sa présence à l’enquête préliminaire.
Celle-ci se tient le 16 juin à Saint-Jean. Les clients de la banque apprennent alors qu’on avait inscrit à l’actif de la banque une série de créances sans aucune valeur pour une somme de plus d’un demi-million de dollars. Certaines de ces créances sont inscrites au nom de Roy, de sa famille et de ses compagnies. Incapable de trouver les garanties exigées, Roy est écroué jusqu’au 20 juin, alors que des amis fournissent les cautionnements demandés. Pendant ce temps, les poursuites s’accumulent contre le banquier et sa femme, notamment en vue de récupérer des sommes dues à la banque.
À l’automne, on décide de tenir le procès à Montréal, où Roy réside depuis 40 ans, sous prétexte que l’accusé ne pourrait bénéficier d’un procès juste à Saint-Jean. Effectivement, bon nombre de déposants et d’actionnaires sont des veuves, des petits rentiers, des journaliers qui ont tout perdu dans la faillite de la banque et ils tiennent les dirigeants de la banque responsables de leur ruine. En mars 1909, toutefois, cette décision est renversée : le procès aura bien lieu à Saint-Jean en mai 1909. Entre-temps, l’épouse de Roy décède et ce dernier, qui souffre du diabète, n’en mène pas large à la «Villa des rapides», sa résidence secondaire.
Une triste fin de carrière
Le procès dure trois semaines et les preuves s’accumulent contre Roy qui a utilisé les ressources de la banque pour financer ses entreprises et sa campagne électorale à la mairie de Montréal en janvier 1904. Au moment où la Couronne termine sa preuve, le 24 mai, on apprend que l’accusé a tenté de se suicider à sa résidence avec un pistolet de calibre 22. Appelé à témoigner, un médecin révèle que Roy s’est tiré une balle dans un pied! L’accusé demeure apte à subir son procès. Sceptique, le juge décide de l’emprisonner. Le 25 mai, Roy est reconnu coupable et condamné à cinq ans de pénitencier pour avoir falsifié des documents bancaires. Deux jours plus tard, il est conduit au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul.
Diabétique, encore handicapé par sa blessure au pied, Roy aurait souvent fréquenté l’infirmerie. En 1910, Armand Lavergne, alors député à Québec, s’adresse au premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier, pour obtenir que son beau-père (qu’il avait surnommé son «father-in-jail»…) soit déclaré dément et transféré dans un asile d’aliénés. Laurier n’y peut rien, à moins qu’un médecin de la prison puisse fournir un certificat attestant l’aliénation mentale.
À une date indéterminée en 1910, Roy est toutefois transféré à l’Hôtel-Dieu de Montréal où il décède le 17 décembre. Ses funérailles, à peine mentionnées dans l’hebdomadaire local, ont lieu à Saint-Jean, le 20 décembre 1910, et il est inhumé dans le cimetière de la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste, où se trouvait sa résidence secondaire.
Aucune preuve matérielle n’a jusqu’à maintenant permis de relier directement la condamnation de Philippe-Honoré Roy et l’absence de son portrait dans la « Galerie des orateurs ». Il est cependant facile d’imaginer l’état d’esprit de ses collègues députés devant la triste fin de carrière politique et parlementaire du banquier de Saint-Jean.

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Version d’abrégée d’un chapitre de mon livre Le Parlement de Québec, histoire, anecdotes et légendes.

« Esprit de parti »

Pour désigner ce qu’on appelle aujourd’hui la « discipline de parti » ou la « partisannerie », on disait autrefois « esprit de parti » en traduisant littéralement « party spirit ».
D’après Le Devoir du 9 juillet 1935, Armand Lavergne aurait ainsi expliqué la chose : « Si je perds un bras, j’ai un membre de parti. Si je perds une jambe, j’ai un autre membre de parti. Mais, si je perds la tête, j’ai… l’esprit de parti ».
Une caricature publiée dans l’Almanach de la langue française en 1926 illustre bien ce travers qui afflige encore et toujours le parlementarisme.

???

Elle représente bien ce qui s’est passé le 14 décembre 2000, quand les parlementaires ont adopté à l’unanimité, au signal du chef,  une motion injuste contre Yves Michaud, et ce qui se passe encore  aujourd’hui quand, malgré l’évidence, on refuse de la corriger.